Le Bal d'Encens
Eiko

« Quelque chose ne va pas, Eiko ? » La petite fille arborait un air préoccupé, presque mélancolique. Cela la prenait par moments, ici et là, depuis que le convoi était arrivé à Murashû. Ce n'était jamais très longs, des instants d'égarement passagers, mais ils étaient devenus suffisamment réguliers pour inquiéter Akiko. « Les gens ont arrêté de chanter... » répéta la brunette d'un air attristé. Le phénomène avait commencé à l'affecter à mesure que le groupement d'Orine s'était approché de l'Oasis. Plus la distance avec le peuple Humain s'était raccourcie, plus la jeune Hanatsu avait été affectée par leur Ma'Ahid. C'était la première fois que la défense naturelle des Enfants de Sympan avait un effet sur la Hitoka. S'il ne la rendait pas malade comme il pouvait le faire sur de puissants mages, il laissait en elle un vide auquel elle n'était plus habituée depuis le festival d'Aikisu, et qui la déstabilisait grandement. Un silence presque pesant : les mélodies avaient cessé de s'élever des gens qui l'entouraient. Elle n'avait plus d'accroche pour comprendre les gens, comme s'ils s'étaient tous fermés à elle. Bien sûr, ce soudain silence n'avait rien à voir avec elle et tout à voir avec les personnes qui l'entouraient, mais la petite fille était trop jeune, trop inexpérimentée aussi, pour comprendre cette nuance : puisqu'elle n'avait jamais été embêtée par les Humains, malgré ses nombreux contacts avec eux, alors il n'y avait aucune raison pour que le phénomène leur soit associé. « Ah bon ? » continua sa mère, légèrement prise de court. Parfois, sa fille affirmait des choses qui lui échappaient tout à fait. Pourtant, elle sentait sa détresse profonde : elle n'avait pas l'intention de nier ce qu'elle exprimait avec conviction, elle ne parvenait simplement pas à comprendre de quoi il en retournait. « Pourtant regarde, ces inconnus chantent et jouent, et d'autres dansent même... Pourquoi as-tu l'impression qu'ils ne chantent plus ? » lui indiqua-t-elle. « Oui ils chantent mais... Ce n'est pas leur vraie chanson. » Akiko parvint à conserver un visage neutre malgré son inquiétude. Elle ouvrit les bras et sa fille vint s'y blottir, dans une étreinte chargée d'angoisse.

« Akiko, Eiko ! Venez ! » « On arrive ! » Les autres Orines s'étaient rassemblées au devant du temple de Línggǎn. C'était l'officialisation de son ouverture, et la célébration des premiers Liens unissant des Humains au peuple des Arts. De part l'affection que la petite Hitoka portait à sa modèle, la Matasif Leenhardt, et du lien indéniable qui l'attachait à Aurel Eraël, Akiko avait accepté de refaire le voyage à travers le désert de Näw, jusqu'au temple des Humains. Et puis, une fois qu'Eiko avait entendu parler de l'évènement, il avait été impossible de le lui faire sortir de la tête - elle aurait sans doute pleuré de chagrin, si on lui avait refusé de s'y rendre. « On va voir le joli temple ? » proposa Akiko d'une voix douce. Eiko inspira profondément tout en se frottant les yeux. Elle acquiesça. « D'accord. » approuva-t-elle tout en donnant sa main à sa maman. Le coeur légèrement allégé, elle suivit les plus âgées à l'intérieur du temple. L'édifice était superbe, à la hauteur de la noble tâche qu'on y prévoyait. « On a bien fait de confier ce travail au Devâdasin Katzuta. » se vantaient certaines. « Ils ont été touchés par le Dakao de Línggǎn. » murmuraient d'autres. Toutes étaient charmées. Même Eiko se sentit apaisée dans ce lieu Divin. Elle se tourna vers sa maman. « Est-ce que moi aussi, je recevrai bientôt ma Liste d'Aisuru ? » interrogea-t-elle. C'était une question qui venait souvent, lorsque le sujet était porté à son attention. Lorsqu'une camarade s'en allait pour rejoindre l'un de ses prétendants, ou lorsque l'on recevait des nouvelles d'une Orine ayant posé son Enigme. Elle était souvent balayée par d'autres préoccupations les minutes ou les jours suivants. La fillette avait des rêves et des ambitions plein la tête. Elle désirait devenir chanteuse, joaillière, prêtresse d'un temple ou cuisinière à la renommée mondiale. « Ne t'en fais pas. L'Ato ne t'a pas oublié. » la rassura la Geisha. « Mmh... » « En attendant, profite du Dakao qui vibre ici. » Comme pour obtempérer, la brunette se mit à chantonner pour combler le silence.

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« Est ce que Fuyu va bien ? » interrogea Eiko. Elle était venue aborder la Matasif dès qu'elle l'avait reconnue. « Est ce qu'elle travaille bien ? Je lui ai envoyé tout plein plein de mes dessins, pour qu'elle ait toujours tout plein plein d'idées ! » C'est ce qu'elle lui avait promis, lorsque l'Orine s'en était allée suivre la formation de la Joaillière. La brunette avait ravalé sa jalousie en essayant de participer à sa façon. A distance, et sans véritable expérience dans le domaine, elle s'était contenté d'esquisses guidées par le Dakao, ou de bracelets en tissage et en perles. « Et quand est ce que je pourrai venir apprendre avec vous, moi aussi ? » demanda-t-elle. Ce sujet-là revenait à chaque fois qu'elle apercevait un joli bijou : elle demandait aussitôt s'il s'agissait d'une des créations de la talentueuse Humaine. Et puis, elle assurait qu'un jour, elle irait apprendre chez elle. « Et est ce que vous avez fait des nouveaux bijoux ? » Il était parfois difficile de se tenir informée sur le travail de son idole, à cause de la distance. L'absence de magie qui entourait l'Humaine à Utopia y était peut-être également pour quelque chose.

« Et est ce que tu as vu ? » Eiko passait naturellement au tutoiement, malgré les manières qu'on essayait de lui inculquer : elle ne tenait jamais très longtemps. « C'est ton super joli cadeau ! » Elle lui montrait la broche en forme de papillon qui avait été distribuée aux convives de son mariage. Un ouvrage raffiné, que la petite Orine avait exigé d'arborer durant son séjour sur les terres des Humains. « Est ce que tu aimes beaucoup les papillons ? » demanda l'enfant avec un sourire. Elle avait souvent remarqué ce motif dans le travail de son modèle, à moins qu'elle n'ait prêté attention qu'à ceux-là. « Moi aussi je les aime bien ! Ils sont tous colorés ! Et puis leurs ailes, et bah elles sont toutes fines ! Fioup-fioup-fioup ! » fit-elle en mimant de ses mains deux ailes qui s'envoleraient vers le ciel. « Est ce que tu crois que les gros coups de vent, ça leur fait bobo à leurs ailes ? Et est ce que tu crois qu'ils ont froids ? » Eiko se mit à réfléchir. « Quand je ferais des bijoux, je ferai plein de soleils, et pleins d'oiseaux ! » Parce que le rêve des Âmes-Sœurs s'était imprégné si profondément en elle qu'elle y faisait régulièrement référence, de façon principalement inconsciente.

« Est ce que tu vas danser, dis ? » C'était un bal, après tout. La fillette n'avait pas saisi toutes les nuances qu'il était nécessaire d'apporter à ce titre. « Est ce que ton namoureux il est là ? C'est avec lui que tu vas danser ? » La jeune Hatsune les avait vu danser lors de leur mariage, et elle avait hâte de les y revoir. « Est ce qu'Ishan il est là aussi ? » interrogea la petite Orine. La nuit précédente, les souverains du Rêvarium avaient organisé une course d'obstacle au cœur d'un jardin, avec leurs invités - le décor avait possédé quelque chose de chaotique, un étrange patchwork entre les différentes civilisations que côtoyaient les deux enfants, mais le résultat donnait toujours quelque chose de merveilleux. Ce n'était qu'au réveil que la fillette avait réalisé : elle avait oublié de lui demander s'il serait présent à Murashû pour le Bal d'Encens. « Nous, on va regarder tout avec Aurel ! Est ce qu'il veut venir avec nous ? » proposa-t-elle innocemment. L'idée de partager un moment avec son meilleur copain et son Sūrya l'emplissait de joie.

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« Qui c'est que vous pensez qui va gagner ? » demanda la gourmande en se penchant pour attraper l'une des sucreries que l'on avait posé sur la petite table devant laquelle les enfants s'étaient installés. Ils s'étaient tous rejoints à une terrasse couverte, et avaient passé commande pour pouvoir s'assoir et regarder la retransmission des épreuves sur le mur où un sortilège angélique avait été lancé. On y voyait défiler les participants à tour de rôle, et les exclamations des spectateurs résonnaient à chaque fois que leurs favoris apparaissaient sur le mur. Eiko, ne connaissant que peu des personnalités participant au Bal, se contentait d'applaudir lorsqu'elle voyait ses camarade en faire de même. Elle avait cependant été enthousiaste en apercevant le papa d'Aurel et Sharihzad, et tout autant en apercevant celui de la fratrie Katzuta.

La jeune Orine rapprocha la sucrerie et l'engloutit. Elle laissa un soupir s'échapper de ses lèvres, exprimant à la perfection qu'elle se régalait. Elle lécha méticuleusement ses doigts, sur lesquels le liquide ambré avait coulé - sa saveur sucré le rendait précieux, et la gloutonne ne voulait en aucun cas en perdre la moindre goutte. Si elle avait d'abord été contrariée de ne pas voir de mochis sur les plateaux, sa déception avait vite été éclipsée en voyant les loukoums que lui avait fait goûter Aurel, ainsi que toutes les autres gourmandises, plus délicieuses les unes que les autres. « Mmh, c'est vraiment trop bon. » glissa-t-elle à l'oreille du rouquin avant de se retourner vers leurs camarades qui s'étaient mis à débattre du duo vainqueur. Pourtant, même ainsi, elle restait collée à son Sūrya : elle avait lié sa main libre à la sienne, et leurs flans étaient presque fusionnés l'un à l'autre.

Eiko laissa dériver une œillade jusqu'à Idril. La Blanche l'intimidait légèrement. Elle la trouvait jolie, comme ces poupées de porcelaine au teint parfait, et aux traits délicats. Son cœur s'emballait légèrement lorsqu'elle l'observait. Comme troublée par sa propre réaction, Eiko détourna le regard pour se retourner vers son meilleur ami. « Si tu veux, on a qu'à parier ! » proposa-t-elle. « Si c'est le papa d'Aurel et Shasha qui gagne alors... Tu dois me faire une chanson ! Et si c'est toi qui a raison, alors... Je pourrai te faire un Origami ! Qu'est ce que tu en dis ? Tu voudrais lequel ? » Eiko avait appris plein de formes d'animaux, maintenant ! Bien sûr, c'était plus compliqué quand Bae n'était pas là pour l'aider, mais elle s'était entraînée dur pour s'améliorer. « Mmh... J'aurais bien aimé que mon papa à moi il participe aussi... » fit la fillette d'une moue boudeuse. Elle aurait voulu pouvoir l'encourager, comme ses copains le faisaient avec les leurs. Elle était tellement fière d'avoir été adoptée qu'elle en avait parlé dans ses lettres à Aurel et à Mancinia, et Ihsan qui avait du l'écouter pépier sur ce sujet durant des heures dans leur royaume onirique. « Mais il est très occupé. » expliqua-t-elle en haussant les épaules. Elle piocha une autre sucrerie pour se consoler.  

L'Orine reporta son attention sur les deux fillettes qu'elle connaissait le moins. L'une avait une chevelure de feu, et de jolies oreilles pointues. La seconde avait des yeux bleus expressifs, qui intimidaient légèrement la non Humaine. « Est ce que vous voulez jouer à l'Iro no asobi ? » proposa-t-elle à Emelyn.

1955 mots
FIN - Merci Mancinette pour l'event.  

Le Bal d'Encens

♪ Jurassic Park Theme Song (Melodica Cover) ♫

Les yeux de la Magicienne se plissèrent de suspicion. Le duo qui leur faisait face semblait étrangement intimidé ; surtout la petite rouquine. À la voir trembler comme ça, elle se demanda de combien d’éclairs Blu avait chargé son regard. De dos, en tout cas, c’est vrai qu’elle n’avait pas l’air commode. Aubépine était bien contente qu’elle soit sa binôme. Les autres lui faisaient presque de la peine.

Mais pouvaient-elles faire confiance à ce couple drôlement assorti ? Qu’ils jouent la comédie ou pas, il fallait agir, et vite. Si elles décidaient de les prendre de vitesse en fuyant sans demander leur reste, ils risquaient de se lancer sur leurs talons, et elles ne pourraient pas éviter les pièges aussi facilement qu’elles l’avaient fait jusqu’ici – enfin, comme Blu l’avait fait. Leur rythme était lent mais avait porté ses fruits. Peut-être pourraient-elles tenter de les mener vers le couloir d’où elles arrivaient – mais elle ne voyait pas trop comment faire, même en se creusant les méninges.

L’air bien plus sûre d’elle qu’elle ne l’était en réalité, la jeune fille se planta aux côtés de Blu et bomba le torse, menton relevé. « On peut peut-être s’arranger… entre courtauds, on doit se serrer les coudes. » Même le garçon n’était pas bien plus grand que les trois adolescentes. C’est à lui qu’elle s’adressa ensuite.  « Toi… tu es de Basphel, non ? Désolée, je ne me souviens pas de ton nom. Moi c’est Aubépine Percefeuille. » Elle s’était présentée par réflexe, parce qu’on lui avait toujours rabâché qu’il était impoli de demander le nom de quelqu’un sans donner le sien d’abord. Quelle erreur ! S’il avait entendu parler d’elle et de sa maladresse légendaire, c’en était fini de leur accord. « Bref, ajouta-t-elle précipitamment, tes ailes nous seraient très pratiques s’ils nous arrivaient une bricole. Pour moi, c’est d’accord. » Et puis les Anges étaient gentils. Il ne chercherait pas à leur planter un couteau dans le dos, même si ce n’était qu’un jeu… n’est-ce pas ? En avoir un pour garde-fou leur serait précieux. Au final, elles y gagnaient. La jeune fille jeta un coup d’œil anxieux à la petite brune, espérant qu’elle approuvait sa prise de parole. Jouer les durs l’amusait, mais elle ne voulait pas froisser son alliée. D’ailleurs, elle avait pris en compte le fait que la Magicienne ne voulait pas donner dans l’offensive.

« Il n’y a plus qu’un chemin possible, de toute façon. » Elle désigna du doigt la fourchette derrière elles. « On vient de l’autre couloir. Vous n’avez qu’à passer devant nous ! » suggéra-t-elle avec un air exagérément détaché, comme si elle leur faisait une faveur. À nouveau, elle se plaça derrière sa binôme pour laisser les deux autres passer. Le couloir était étroit ; ses yeux étaient inexorablement attirés par l’eau, aussi menaçante qu’elle était sereine. Lorsque l’Ange passa près d’elle, elle rentra le ventre pour lui faire de plus de place possible – et se donner une contenance – mais au moment où il la frôla, la panique fusa dans tout son corps, comme une boule d’énergie pure à la trajectoire folle et chaotique.

Elle recula.

Tout se passa très vite. L’un de ses pieds s’étant retrouvé à moitié dans le vide et la gravité faisant son affaire, Aubépine tomba vers l’arrière ; dans un effort désespéré pour retrouver l’équilibre, elle se mit à mouliner des bras, les doigts s’agitant comme des griffes à l’affût du moindre point d’ancrage ; lorsqu’elle finit par le trouver, elle tira de toutes ses forces pour inverser la courbe qu’elle était en train de dessiner dans les airs, mais elle ne parvint qu’à entraîner dans sa chute la poignée de tissu ainsi que son infortuné propriétaire. La surprise lui ayant coupé le souffle, seul un glapissement lui échappa. La petite Magicienne resserra son emprise sur le vêtement et enfouit sa tête dans la poitrine de sa victime en fermant les yeux, se préparant au choc. L’étoffe lui parut particulièrement douce et presque… duveteuse ?

L’eau fraîche accueillit les deux malheureux dans un « plouf » tonitruant. Aubépine agita violemment des jambes pour crever la surface de l’eau, non sans avoir bu la tasse au passage. « Blu... » croassa-t-elle avant de cracher ses poumons pendant quelques secondes et de continuer : « Je suis désolée, Blu ! Continue sans moi ! » Sa frange, trempée, couvrait ses yeux et dégouttait sur ses joues. La maladroite réalisa qu’elle n’avait pas lâché sa prise. « Mais quelle nigaude, pardon ! » Dès qu’elle eut libéré l’Ange, ses mouvement se firent plus désordonnés. Des gerbes d’eau se mirent à fuser de toute part, projetés par ses bras patauds qui semblaient déterminés à se battre contre un ennemi invisible. « Promets-moi de me pardonner un jour, Blu ! Bluuublughblugh... » La tête de la jeune fille disparut sous la surface de l’eau. Elle ne savait pas nager.

Post IV | 816 mots

Résumé : Aubébou entraîne accidentellement Zeze dans l'eau    

Questionnaire:

Le Bal d'Encens

Se noyer lors d’une Épreuve célébrant l’amour et les duos formés par les Aetheri eux-mêmes, sous les yeux de centaines de spectateurs ; voilà une mort que la petite Magicienne n’avait jamais envisagée.
Du fait de son jeune âge, c’était une fin tragique, et les fins tragiques étaient réservées aux héros et aux martyres. Cela ne lui plaisait pas du tout. Cela dit, c’était un beau pied-de-nez à tous les fervents croyants ainsi qu’aux amateurs d’histoires à l’eau de rose.

Voilà les pensées qui se bousculaient dans la cervelle d’Aubépine tandis qu’elle coulait dans la direction opposée des bulles d’air échappées de sa bouche qui, elles, s’envolaient tranquillement jusqu’à la surface.
On ne pouvait imputer ces divagations au manque d’oxygène, car une poigne de fer l’avait déjà agrippée par le bras, lui pinçant la peau au passage ; rapidement, elle se fit hisser hors de l’eau, suffisamment en tout cas pour que sa tête en émerge et qu’elle puisse aspirer une grande goulée d’air. Elle toussa un peu pour la forme – en réalité, elle n’avait même pas eu le temps d’avaler de l’eau.
Après avoir cligné des yeux à plusieurs reprises pour dissiper le brouillard qui floutait sa vue, en vain, elle finit par comprendre que ses lunettes étaient tombées durant sa chute et devaient sans doute déjà se trouver au fond du bassin. Pourtant, elle reconnut rapidement la silhouette ténue qui flottait face à elle. Ce n’était pas l’Ange auquel elle s’était agrippée en tombant. Le cri de son acolyte lui confirma que c’était bien Blu.

« Oh! Blu, je te remercie ! Tu m’as sauvée ! »

Sa voix, rendue un peu rauque par sa toux forcée, dégoulinait de gratitude. Suivant les consignes de son amie, elle se mit à gigoter violemment des jambes sous l’eau. Ses bras, dont elle ne savait pas trop quoi faire, tombaient de chaque côté de son corps et s’agitaient mollement telles des nouilles trop cuites. Après quelques tentatives, ses mouvements devinrent moins chaotiques et elle parvint à se maintenir à la surface. « Je nage ! » s’exclama-t-elle avec ravissement. Si ses parents la voyaient !
Les joues rendues cramoisies par l’effort, elle sourit à Blu. « Bon, maintenant, faut se sortir de là. » Des échelles avaient été disposées pour les perdants. Blu lui en indiqua une du menton ; le temps de l’atteindre et d’y grimper, Aubépine pataugeait encore laborieusement dans l’eau. L’ascension fut encore plus difficile. Le cordage lui irritait les paumes et chaque poussée lui coûtait. Mais quelle aventure !
Une fois en haut, l’adolescente réalisa qu’elle serrait dans sa main une plume. Elle avait dû l’arracher à l’Ange sans y faire attention. Sans hésiter, elle la fourra dans ses vêtements, en même temps qu’elle en tirait l’étui de sa paire de lunettes de rechange. Une vraie plume d’Ange ; voilà qui pourrait faire un ingrédient de choix pour ses concoctions.

━━━━⊱⋆⊰━━━━

Un frisson la parcourut de la tête aux pieds, culminant en un éternuement retentissant. La jeune fille se pelotonna dans sa serviette ; elle qui pensait qu’un bon bain frais lui ferait du bien en cette chaleur torride… c’était surtout un coup à attraper la crève.
L’annonce de la prochaine et dernière Épreuve lui mit du baume au cœur. Cuisiner ! Et surtout, manger ! Voilà de quoi terminer en beauté. Elle buvait son thé chaud en petites gorgées bruyantes tout en écoutant les explications de l’homme qui les avait accueillis avec une bonhomie fort bienvenue.

« Moi non plus, mais toujours plus qu’en course ou en nage ! » plaisanta Aubépine. « Chez moi, c’est mon père qui cuisinait. Je l’aidais de temps en temps... » Elle n’était pas tant intéressée par l’art culinaire que par les occasions de chiper un biscuit encore fumant ou de tremper le doigt dans une préparation. Le fumet d’un plat en train de cuire l’attirait toujours près des fourneaux et son père avait trop bon cœur pour l’empêcher de mettre le nez au-dessus des casseroles. «... mais je n’avais pas le droit d’utiliser le four ou les ustensiles pointus. » Soit-disant que, petite, elle avait failli incendier la maison en essayant de faire "mijoter" ses grenouilles en peluche.

« Une tarte à la tomate ? Oui, c'est dans mes cordes, je crois ! J’adore mettre la main à la pâte… littéralement ! » ajouta-t-elle avec un clin d’œil à son acolyte. « Plus c’est salissant, plus c’est amusant, je trouve ! Et puis pétrir, c’est relaxant. Quand à ce que je veux, hm... »

Un doigt sur le menton, sourcils froncés, elle réfléchissait tout en se dirigeant vers le bâtiment où étaient stockés les denrées alimentaires. Elle avait de nouveau très chaud ; le soleil avait séché sa serviette, ses vêtements et sa tignasse épaisse en moins de deux. La fraîcheur, a l’intérieur, lui soutira un soupir d’aise. Encore quelques minutes dehors, et ça se serait mit à sentir le cochon rôti.

Du cochon rôti, c’était une idée. Il y avait sans aucun doute de quoi en préparer, ici. Aubépine parcourut des yeux la multitude d’ingrédients dans la salle avec gourmandise. Il y en avait pléthore, se chevauchant sur des étals le long des murs et se déployant en couleurs vives sur des grandes tables.
« Pour moi, tu peux faire simple. J’aime tout ! Une soupe de légumes, peut-être ? » finit-elle par suggérer du bout des lèvres, incapable de faire un choix devant tant de savoureuses possibilités. Des gargouillements agitaient déjà son estomac. Elle se retroussa les manches et attrapa tout ce qu’il lui fallait avant de ressortir, non sans regrets, dans la chaleur étouffante du désert. Son panier débordait de tomates, de farine, d’œufs et de beurre.

Post V | 953 mots

Questionnaire: