Fonille était très contente de participer aux activités. La femme avait une telle poigne qu’elle doutait au fur et à mesure si elle pourrait être comme elle un jour. Avec réflexion, elle se dit qu’elle serait comme elle serait. Elle leva son petit nez en direction de la femme qui lui tenait toujours la main pour la guider et pour forcer le métal à se plier à ses exigences. Sous les traits noirs de la dame, Fonille y vit de la jeunesse. Cette femme était jeune même si les traits lui disaient le contraire, en tout cas, elle était plus jeune que Fonille qui elle avait déjà atteint la soixantaine. L’elfe savait que tout le monde n’était pas comme elle et que la longévité dépendait grandement de la nation auxquelles les personnes appartenaient. Avec observation, Fonille se dit que la femme était sans doute un grand artisan et qu’elle était passée maître dans son métier malgré l’âge qu’elle pouvait aborder.

« Vous ressemblez au feu, madame !! » dit gaiement l’elfe. En effet, la dame embrassait les flammes comme une femme embrasserait passionnément son époux. Ses yeux n’avaient certainement jamais eu peur du feu, comme Ophalee n’avait jamais eu peur des forêts noires car elle savait que c’était son habitat. Fonille se reprochait d’un coup d’être née dans une situation bien peu adéquate aux grandes aventures. Elle voulait elle aussi devenir l’héroïne d’une épée perdue au fin fond de nulle part, elle aussi voulait voyager à dos de bête et affronter les créatures les plus dangereuses de la terre pour la gloire de sa mère.

L’elfe rigola lorsque la femme fit une grimace qui lui montrait bien qu’elle n’était pas une elfe. Tant pis, pourtant le nom lui allait bien. Avec expertise, Fonille finit par lâcher alors que la dame lui montrait une dernière fois comment plier le métal sous sa volonté « Fënáro. Vous me faites penser à Fënáro, vous savez, dans mon histoire, Fënáro est l’esprit du feu, celui qui embrasa le ciel pour l’amour de la terre. » Il n’y avait aucun doute à présent pour la petite elfe quant au surnom qu’elle pouvait donner à la belle dame. Fënáro lui irait sacrément bien.

Le monde s’agglutinait autour du stand et bientôt Fonille ne put plus voir la sortie. Tous les regards étaient portés pour Fënáro, et d’autres pour elle. Alors que la dame s’en allait accueillir un client, Fonille prit le marteau des deux mains et voulut le soulever. Elle réussit à demi et l’abandonna bientôt. Il frappa fortement le métal qui manqua de quitter le socle. Elle tira une moue et rattrapa l’outil qui tenait le métal de l’autre main. Elle lança un regard désespéré en direction de la femme qui revint l’aider. De nouveau, la joie emplit son cœur et elle continua un peu à jouer avec les éléments.

Finalement, le client et Fënáro partirent dans un grand débat, entre ce qui était bien et ce qui était mal. Fonille quitta la place que lui avait prêtée la forgeronne car sans elle, elle n’arriverait à rien puis elle sentait ses muscles lâcher. Autant ne pas prendre de risque alors l’elfe porta son regard sur les diverses armes du magasin. Elle écoutait silencieusement chaque mot comme s’ils étaient cruciaux. Alors Fënáro était une élémentale ! Eh bien, Fonille fut surprise de ne pas savoir ce que c’était ! Toutefois, en réfléchissant à l’etymologie, elle se rendit compte que son premier jugement avait été correct : élémental, élément, donc qui dit élément, dit ce qui compose la mer, le ciel et la terre. Il semblait que la femme ait une appartenance au feu et au métal.

De fil et en aiguille, Fonille se rendit compte que la conversation qu’elle écoutait secretement allait prendre des tournures catastrophiques et qu’il n’y aurait aucun vainqueur. Des paroles qui semblaient être une simple discussion puisque la femme prêtait à son tempérament un calme qui permettait sans doute de contenir la rage qui bouillait en elle. Et la magie, oh ça oui, Fonille sentit la magie remplir ses narines et monter jusqu’à son cerveau pour tirer la ficelle de l’alarme. La petite elfe de nature gaie et joyeuse se tourna vers les deux protagonistes qui se disputaient par des mots acérés et des impressions leur point de vue. Le magicien, maintenant que le client l’avait dit, était en parfait désaccord avec Fënáro, cela ne mit que de l’huile sur le feu.

Finalement l’homme s’écarta de la trajectoire de la femme, il avait sans doute remarqué qu’il n’y aurait pas de fin juste à cet échange. Les flammes qui léchaient le bras de Fënáro cessèrent peu à peu et elle put remarquer une présence dans son dos. L’elfe n’était pas si petite que ça mais elle paraissait jeune et ses courbes filiformes n’aidaient certainement pas à la grandir. Toutefois ses mots n’étaient pas tous empreints de la candeur qui lui était propre et elle savait, quand il le fallait, faire preuve de réfléchi. Alors elle posa sa douce main sur l’épaule très chaude de la femme et la contourna pour qu’elle la voie. « Vous savez, dans l’histoire, Fënáro a réussi à consommer le ciel pour l’amour de sa tendre aimée mais il se rendit bien compte qu’au bout d’un moment, sans le ciel, il mourrait, car l’air lui permettait de vivre et de se propager sur sa bien-aimée. Malheureusement il ne s’en rendit compte que trop tard et sa dernière flamme s’éteignit. Avec l’émotion, il avait tout consommé : les enfants de sa bien-aimée, ce qui lui permettait de vivre et lui-même. » L’excès engendrait bien plus que la mort. « Mais sa bien-aimée, la terre était encore là pour voir les dégâts causés et c’est la tristesse éternelle qui lui fut infligé car elle mourrait bien trop lentement en ayant perdu la flamme qu’elle aimait. » Le désarroi et la solitude éternelles étaient bien pire que la mort car à jamais elle vivrait seule. « Ma maman me raconte ça quand je pleure, et ça me fait encore plus pleurer en fait mais là où je veux en venir est que tant qu’il n’y a pas de fin, la vie continue. » La haine et l’amour se partageait à un fil près et il ne fallait mettre qu’un pas sur le côté pour avoir accès à l’autre sentiment.

La femme semblait être consumée d’un feu bien plus fort que l’autre et Fonille lui souhaita un équilibre intérieur. Elle avait dit savoir se maîtriser mais si cela était bien le cas, elle n’aurait pas parlé de mort, elle n’aurait pas annoncé les malheurs d’une telle évidence. Sa voix avait été empreinte d’une certaine amertume envers la vie et envers les gens qui l’avaient mené à être ce qu’elle était à présent. « Fënáro serait bien fier d’avoir une fille comme vous, madame, et j’ai à peu près pas beaucoup compris mais vous êtes ce que vous êtes à présent et je suis bien contente d’avoir assisté à votre art. » La haine ne pouvait engendrer que la haine, il était certain et l’homme qui avait affronté le regard de la forgeronne avait eu bien du courage. Peu en aurait fait autant, quelle que soit la réelle nature de la jeune femme ou sa fonction.

Pour apaiser le feu ardent, Fonille dit d’une voix un peu plus forte qu’à l’accoutumée, comme pour attirer l’attention du client mais pas que. « Je vais chanter tout à l’heure, enfin maintenant dans pas longtemps et j’espère que vous viendrez me voir ! » Fonille avait repris sa gaieté et avait laissé le voile de la sagesse retomber. Elle tapa rapidement dans ses mains. La tension dans l’air était retombée et la magie aussi.

Résumé:

6e post

Voilà, elle venait de faire officiellement une autre annonce et espérait avoir du monde en face d'elle. Ses jambes flageolèrent un peu, quelle idée avait-elle eu d'attirer autant de monde ! En avait-elle seulement la force d'affronter un si large public ? Et si elle tombait violemment ? Si elle trébuchait ? Ou même pire ! Si elle n'arrivait plus à chanter ? Qu'est-ce qu'elle ferait ? Ses jambes flageolèrent de plus en plus. Elle s'écarta un peu de Fenaro (du moins, la femme qu'elle avait décidé de surnommer ainsi), du drôle de monsieur et … par magie, Nath apparut à ses côtés. L'ange déposa une main réconfortante sur son épaule et lui souffla à l'oreille « Il serait peut-être plus sage que tu chante bientôt. » Elle acquiesça sans mot avant d'être rejointe par Mérédith qui semblait la chercher.

Elle lui sourit, lui faisant un coucou avec sa main et elles parlèrent un peu, s'écartant du stand. Avant de partir totalement, Fonille salua la charmante femme qui le tenait et lui sourit, en même temps qu'à l'homme. « J'ai un peu peur j'avoue... » - « Ca ira, Fonille, ce n'est pas comme si tu ne savais pas chanter. » - « Mais je chantais avec les enfants, avant... Enfin même pas, j'orchestrais. » - « Eh bien tu l'as plutôt bien fait, ma chère ! » lui avoua-t-il. Elle se sentit rougir. « Non, toi t'as bien joué du piano ! » - « Ce n'est pas pareil. » - « Si ça l'est, car sans toi je n'aurai rien été. » Nath ajouta avant de conclure la discussion qui ne servait pas à grand chose « J'étais le cadre et les enfants et toi le tableau, vous n'aviez pas besoin de moi, comme là tu n'as pas besoin de moi, Fonille. » - « Si. »

Mérédith était amusée et n'avait rien dit, attendant qu'ils terminent. Enfin, elle l'assura à son tour. Après tout, Fonille lui avait promis de chanter et c'est ce qu'elle allait faire, elle n'avait pas fui devant ses promesses et c'était plutôt une bonne chose pour tous. Alors elle lui devait bien un peu de réconfort, après tout Fonille était encore jeune. Et encore plus jeune dans sa tête ce qui lui donnait un petit charme d'enfant, adorable.

Ainsi, elle fut bien vite sur l'estrade. Elle joint timidement ses mains alors que Mérédith appelait l'attention des gens qui étaient à proximité. Ceux qui purent s'asseoir le firent. Fonille quant à elle était bien debout et elle se raidit un peu plus avant de décontracter les muscles de son dos et de son cou. Elle sourit rapidement à Nath qui s'asseyait devant le piano du Sanctuaire.

L'elfe passa sa main dans son propre dos et en ressortit une timbale de Megido. Elle se mit à donner des claques au cuir de chèvre qui habillait essentiellement l'instrument. La magie de la musique s'insuffla dans ses poumons puis dans son cœur. Nath commença à son tour, l'accompagnant au même rythme sans en jouer de trop histoire qu'on entende clairement la voix de Fonille qui allait certainement dérailler.

Au final, Fonille tint bon. Lorsqu'elle leva la voix, celle-ci couvrit une large surface devant la scène, assez pour que les gens l'entendent dans un bruit moins constant. Sa chanson était dans une langue inconnue de la plupart ; le niaiseis pour lequel l'elfe se passionnait timidement. La langue des orines. Elle ne savait pas rouler les « r » à la perfection, néanmoins, le timbre de sa voix, à la fois doux et puissant – puisqu'elle cherchait dans son cœur les notes de musiques – suffirent à masquer les quelques fautes de grammaires et d'intonations produites. Alors elle enchaîna. Plus elle chantait, plus elle était à l'aise. Elle se mit même à faire des pas en même temps qu'elle caressait l'instrument du bout de ses doigts.

Au bout de la troisième chanson en Niaiseis, Fonille s'arrêta. Elle salua le public plusieurs fois, accompagnée de Nath le pianiste avant qu'elle ne décide de descendre de la scène, un grand sourire aux lèvres. Cela lui avait fait beaucoup de bien, de se dévoiler ainsi.

Sa mère avait été présente dans le fameux public et lui apparut. Nath s'écarta poliment, Fonille bondit alors dans ses bras. « C'était bien, ma fille. T'as fait quand même quelques fautes et... Non je rigole ! » La grande elfe déposa sa fine main sur le front de son enfant qu'elle caressa avant d'aller saluer la gérante du Sanctuaire et de lui dire le plus grand bien de cette immense organisation.

Tout était bien qui finissait bien.