À la découverte de Juvaniel

« Papa ?
— Oui ?
— Pourquoi est-ce qu’il y a écrit Dame Noire sur ton haut ?
— Ah ça ? C’est rien. J’essaye de convaincre un Ange de coucher avec moi. Il ne couche qu’avec des Dames Noires aux dernières nouvelles. »

Je vis bien sur le visage de mon fils qu’il ne comprenait pas la manœuvre. Ça me fit rire. Je pensai soudainement que son air perplexe devait venir de sa mère. Jamais pareille expression n’avait vu le jour sur mon visage.

« Pourquoi est-ce que tu veux coucher avec un Ange ? Je croyais que les Anges et les Déchus ne s’entendaient pas.
— L’un n’empêche pas l’autre. En plus c’est un peu différent. Il est né de parents Réprouvés, comme sa sœur. Et je m’entends bien avec elle par ailleurs.
— C’est qui ?
— Qui ? Lui c’est Priam Belegad. Et elle c’est Laëth.
— La femme du Magicien avec qui t’es parti hier soir ? »

J'acquiesçai. Il commençait à aligner les faits pour former des idées. Étrangement, je sentis le jugement dans sa remarque. Je le laissai continuer.

« Et elle ? Tu veux faire l’amour avec elle ? »

Il était toujours gêné quand le sujet était abordé en temps normal. Il semblait l’être encore mais, pour une fois, il posait de réelles questions, sans chercher à se défiler.

« Oui, ça me dirait bien.
— Donc… Tu veux faire ça avec tout le monde ?
— Plus maintenant mais ça a été le cas autrefois. Les Péchés ne sont pas faciles à contrôler.
— Mais c’est pas bizarre de vouloir coucher avec le frère et la sœur ? Surtout qu’elle est mariée, elle. Enfin… »

Il s’embourbait un peu dans ses propos. Mon regard brilla d’un amusement que j’eus du mal à cacher.

« Enfin quoi ?
— C’est vrai que t’es avec lui ?
— Qui ça ?
— Le Magicien d’hier soir. Kaahl.
— Oui. On est ensemble, et lui est aussi avec sa femme.
— Et elle est d’accord avec ça ?
— Apparemment.
— Et ça ne la rend pas triste ? Elle ne te déteste pas ?
— Je ne pense pas qu’elle me déteste, non. La rendre triste… peut-être. Le problème c’est qu’on ne contrôle pas les sentiments des autres, comme on contrôle rarement les siens. Elle pourrait lui demander d’arrêter de me voir mais je ne suis pas sûr que ce serait une solution. Peut-être qu’il en serait malheureux. Peut-être qu’il devrait faire un choix.
— Et toi ? Tu aimerais qu’il arrête de la voir ?
— Non. J’essaye d’être honnête avec mes émotions et de donner la possibilité aux personnes que j’aime de pouvoir l’être aussi. Et puis, je n’apprécierais pas que l’on m’empêche de faire ce qui me plaît alors je ne fais pas vivre ça à autrui. »

Il sembla réfléchir.

« Et… Est-ce que t’as déjà eu des sentiments pour un personnage de livre ?
— J’ai souvent ressenti beaucoup d’émotions en lisant. Il y a des personnages que j’ai détesté, d’autres qui m’ont inspiré. Certains m’ont même excité. Je suppose qu’on peut tout ressentir. Il faut juste avoir conscience que ces personnages sont fictifs et que la réalité reste mieux que la fiction.
— Je suppose… »

Je l’observai.

« C’est à propos de ce Ludoric ?
— Oui…
— Rien ne t’empêche d’en être amoureux tu sais.
— Tu crois que j’aime les garçons ?
— Est-ce que ça a de l’importance, ce que tu aimes ?
— Je ne sais pas… La plupart des autres étudiants… C’est juste que…
— Tu ne devrais pas être embêté par ça. Qu’importe la race, le sexe ou que sais-je encore. Le plus important reste le sentiment en lui-même. Néanmoins, je te déconseille d’aimer un Sorcier. Ces choses-là sont difficiles à gérer. »

Je ris.

« Tu as déjà aimé un Sorcier ?
— Peut-être bien.
— Et il a essayé de te réduire en esclavage ?
— C’est probable. Par contre, ce qui est certain, c’est que je vais finir par être en retard à mon rendez-vous. On pourra en reparler plus tard si tu veux. »

Je m’approchai, lui ébouriffai les cheveux (ce qui me valut un son scandalisé) et le pressai de me suivre. Ensuite, nous nous séparerions car chacun de nous avait quelque chose de précis à faire.

**

Lorsque j’arrivai au lieu de rendez-vous, un brouillard de mauvaise foi semblait avoir pris place autour des deux protagonistes qui m’attendaient. Uniquement eux. Je glissai mon regard sur Kaahl, assis.

« Je vois que t’es encore fatigué d’hier. »

Un rire espiègle m’échappa puis je remontai les yeux vers l’Ange.

« Salut ! Content de te revoir. J’espère qu’on va pouvoir parler longuement cette fois. On a plus eu tendance à se croiser qu’à se côtoyer jusqu’ici. Pour le reste… J’ai fait ce que j’ai pu pour correspondre à tes critères. »

Je lui montrai mon haut.

« On se trouve un endroit plus propice à l’intimité ? »

809 mots

Je passai ma langue sur la blessure. Le goût métallique du sang me rappelait celui de la vie. Je détestais le voir. Je haïssais la surprise de ses apparitions. Je préférais penser à lui lorsqu’il n’était pas présent, lorsque mon imagination ne pouvait pas s’attacher d’actes. Je le fixai s’approcher. Mon cœur était rempli de griefs silencieux. Il s’était cassé sans un mot de Seaghdha et n’avait pas répondu au problème mathématiques que je lui avais envoyé. Pour couronner le tout, il semblait encore plus solaire qu’auparavant. Il me donnait envie de m’enfoncer dans mes ténèbres, de m’en couvrir jusqu’à ce qu’il ne pût plus me trouver. Lui manquerais-je ? J’en doutais. Son peuple était incapable de subtilité. Il ne faisait que profiter d’aujourd’hui, sans songer à demain. Il ne pouvait pas aimer. Il pouvait encore moins aimer un Sorcier. « Généralement, elles aiment ça. » lui répondis-je, avant de jeter une œillade à la Princesse. Le présent la plaçait sur un rang hiérarchique supérieur au mien. Si elle parlait de ce baiser volé, je risquais d’en payer le prix. Je savais pourtant qu’elle ne dirait rien. Elle nierait même, lorsque les badauds se chargeraient de colporter mes actes pour elle. Elle désirait être puissante ou, au moins, faire en sorte que les Mages Noirs la crussent l’être. Elle ne pouvait pas se permettre de pleurnicher.

Je ne dis rien sur la suite, me contentant de suivre le regard descendant du Bipolaire et d’ignorer les réactions de mon corps. Néanmoins, lorsqu'il se rapprocha d'Eméliana, je levai les yeux au ciel et calai ma langue entre mes molaires d’agacement. Je me mis à l'observer, attendant de voir fleurir sur ses joues la rosée qu’il devait provoquer chez toutes les autres. Il n’en fut néanmoins rien. Sa peau devint encore plus pâle. Elle pinça ses lèvres et ses yeux se firent acérés. Ça me rassura presque. Il était clair que dans l’esprit de la Sorcière, Dastan était une punaise à éliminer au plus tôt. Si elle ne faisait pas le poids physiquement, elle n’était pas sotte. Parfois, je la soupçonnais de cacher son jeu. « Il y a quelques années, je t’aurais répondu que ce n’était pas possible puisqu’on ne mélange pas les torchons avec les serviettes mais, à présent que je sais à quel point Érasme tient à toi, je dois avouer avoir quelques doutes. » Je lui lançai un regard glacé. Elle jouait clairement contre moi, quitte à jouer contre elle-même aussi visiblement. « Ah oui, vraiment ? » Elle haussa les sourcils. « Moi j’aime bien les garçons intelligents. » rétorqua-t-elle, en le regardant soudainement comme s’il était doté de capacités intellectuelles étonnantes et qu’il lui plaisait réellement. Elle lui sourit. Je voyais bien, néanmoins, qu’elle adoptait une technique similaire à celle qu’elle maniait avec moi : elle faisait semblant de maîtriser la situation, tout en ayant conscience de ses nombreuses failles. Elle amena sa main sur la mèche de ses cheveux que le roux avait frôlée, comme si elle désirait effacer l’empreinte de ses doigts.

Je les quittai des yeux pour retrouver la chose que j’avais déjà rencontrée à Lumnaar’Yuvon. Je m’accroupis devant elle, amenai mon index sous son menton et l’observai. « Si c’est le cas, que vas-tu faire ? » lui demandai-je, un sourire joueur sur le coin des lèvres. Cette enfant me paraissait étrangement plus plaisante que par le passé, quand elle m’avait surpris dans les champs. Je n’eus néanmoins pas le temps de m’attarder sur elle. Mon regard remonta sur la silhouette de l’autre connard de Magicien. Je me redressai. Ce n’était pas moi qu’il observait mais le duo que Dastan formait avec Eméliana. À côté de lui, il y avait un garçon de son âge mais bien moins remarquable et un enfant aussi haut comme trois pommes que la Belegad miniature. Je vis clairement dans ses prunelles une once d’hésitation. Puis, elle se dissipa. Il avança et se plaça stratégiquement entre les deux roux, face à Dastan. « Je savais bien que c’était toi ! Tu m’as manqué ! » Ses mots semblaient sincères, tout comme le câlin impromptu qu’il lui offrit. L’une de ses mains tapota l’arrière de son dos avant qu’il ne se décalât. « J’ai l’impression que ça fait une éternité. T’as pris du muscle, la vache ! » déclara-t-il, la main sur le biceps du Réprouvé. J’eus soudainement envie de l’atomiser. « Tu devrais faire attention. » Il releva son haut. Une cicatrice striait son ventre. « Elle m’a planté un coupe-papier là par surprise. » Puis, il se tourna vers Eméliana. « Princesse Eméliana. » Elle inspecta la marque sans se détourner. « Vous le méritiez amplement. » décréta-t-elle, après l’avoir bien regardée ; la marque ou ses abdominaux. Bien sûr, lui, elle le vouvoyait. Je levai les yeux au ciel. « C’est vrai. » admit-il, joueur. Je les haïssais tous. « Fils de Duc. Bientôt Prince, peut-être ? » Il lui sourit en haussant les épaules. « Qui sait ? » Je soupirai et lâchai à la gamine : « Qu’est-ce qu’ils sont niais… » « Ouais c’est clair. » répondit le garçon avec aplomb. Il s’était rapproché. Ce fut le moment que Lucius choisit pour s’adresser à moi. « Oh salut Érasme. Je ne t’avais pas vu. » Je m’accroupis devant les deux enfants. « Il fait semblant de ne pas m’avoir vu avant pour se donner un genre. Ne faites jamais ça, c’est ridicule. » Je me relevai sans lui répondre et regardai le dernier protagoniste, celui qui paraissait maladif et restait en retrait. Ses cheveux étaient gris et ses yeux d’un bleu différent des miens. Quand il vit que je le fixais, il baissa les yeux, gêné. « C’est qui ? » demandai-je. « Ilias. Mon frère. » « Et ça ? » Je pointai du doigt le garçonnet. « Je ne suis pas un ça. Je m’appelle Jude et je vais devenir le Roi du Monde ! » Ok. « Ouais me demande pas. Mon père l’a ramené un jour apparemment... » Je ne l’écoutais plus vraiment. « Et toi tu es Yngvild, bien sûr. » Je la détaillai et fus pris d'une envie étrange. « Tu veux grimper sur mes épaules ? » lui proposai-je.

984 mots

Mes pensées s’égarèrent quelques heures en arrière sous l’assaut des mots du Déchu. S’il n’y avait que ses mots… Je tournai la tête vers l’Ange. « Intéressant. Les détails de tes frasques avec Dame Vaughan tendent pourtant à démontrer que la pudeur ne t’étouffe pas d’habitude. » J’avais évoqué Aliénor mais aurais pu prendre un autre exemple. Lui comme moi savions qu’il n’était pas un fabricant de dentelle. Il avait même plutôt tendance à la déchirer. Je le quittai des yeux pour contempler Adam. Inutile de lui demander à quoi il jouait. « Je suis d’accord avec lui. » approuvai-je les dires du brun esquinté.

Plus tard, ma magie réagit tranquillement face à celle de Freyja. Je ne bougeai pas et clignai doucement des paupières pour faire comprendre à ceux qui me suivaient que le danger était inexistant. La présence de ces êtres invisibles auprès de moi ne servait de toute façon à rien en cas de péril imminent. Ârès pouvait déjouer leur vigilance et il était de loin mon ennemi le plus féroce. Aodh et Beth arrivaient bien loin derrière. J’osais penser que je sentirais leur présence avant leur arrivée, au sens propre comme au figuré. Je souris au contact des mains, là où Priam sursauta. « Il ne voulait pas s’asseoir. » me défendis-je faussement. J’écoutai le reste, tout en posant mes doigts sur les siens. « Je te remercie mais je m’en occupe. » J’espérais ne pas avoir à éliminer la rouquine à la fin de l’entretien que nous aurions bientôt. Je ne pris pas part au reste de la conversation et notai simplement que certaines références m’échappaient, ce qui n’était pas normal. « Fais attention. » murmurai-je tout de même à l’Ange. Eméliana était le cadet de mes soucis. Elle ne tenterait probablement rien. Néanmoins, je connaissais quelqu’un qui rêvait de démembrer la brune et de l’exposer en place publique. Il n’était pas le seul mais il était le plus apte à y arriver.

Soucieux, je me levai, pivotai, fis quelques pas et laissai tomber mes mains de chaque côté de Priam. Je le fixai. « Tu devrais arrêter de faire la gueule. » Puis je me reculai vivement avant de modifier le banc pour qu’il pût se déplacer. Je fis la même chose avec une autre assise. « Je propose de faire la course jusqu’à notre destination. » dis-je, sans me départir de mon sérieux. J'aurais aimé l'aider mais je savais qu'il ne me laisserait pas faire. Le jeu échouerait probablement. Ne restait plus qu’à définir notre objectif.

__________

J’observai l’intérieur de la bâtisse, à la recherche d’une magie intrusive. Mes doigts se lièrent et se délièrent ensuite dans la création d’un pentacle qui protégerait notre conversation des oreilles indiscrètes. Il ne me semblait pas nécessaire de cacher notre présence dans l’habitation puisque nous y étions arrivés ensemble. Néanmoins, le contenu de nos échanges devrait rester hors de portée. Une fois la protection en place, des volutes noirâtres s’échappèrent de mes paumes. Elles allèrent à la rencontre de chaque insecte vivant. Ils tombèrent l’un après l’autre, terrassés. Les Evershas jouissaient d’un corps d’espionnage spécialisé et fatal pour quiconque ne le connaissait pas. Seuls les Esprits échappaient à mon contrôle. J’avais appris à l’accepter.

Une fois mes vérifications et protections terminées, je m’appuyai contre le mur. Mon regard arpenta la musculature d’Adam puis s'en détacha pour se poser sur Priam. Je m’efforçais, tout comme je l’avais fait avec Freyja, de ne pas laisser libre cours aux sentiments qui traversaient mon cœur. Cette envie d’aider l’Ange me plaçait dans une position délicate. Je pouvais lutter contre, ou le soutenir l’air de rien. « Bien. » commençai-je, en croisant mes bras sur mon torse. « La situation des Anges semble s’améliorer avec le temps. La Terre Blanche est toujours en grande partie sous mon autorité. Je désirais m’en servir pour éliminer un politicien m’étant défavorable mais la situation a changé depuis que je l’ai nommé Talleb. » Autant parler franchement. « Je n’ai aucun grief contre les Anges. La situation s’améliore, comme déjà dit, mais rien qui serait susceptible de m’inquiéter outre mesure. Je n’ai aucun attachement à la Terre Blanche non plus et pourrais être amené à m'en détacher facilement. Cela pourrait profiter à certains. » Mon regard s’ancra dans celui de Priam puis dévia vers Adam. « La déchéance est un autre problème qui ne me concerne pas. Je n’ai rien à gagner à intervenir, plus à y perdre. La plupart des esclaves angéliques auraient dû être déchus il y a longtemps à cause des effets de la Magie des Ténèbres sur eux mais le fait qu’ils restent des Anges est un atout face aux Humains, puisqu’ils ne subissent par les effets du Ma’Ahid. Cela dit, entendons-nous bien : je ne crains pas non plus les Humains, ni ne désire les attaquer. » J’inspirai. « Mes préoccupations actuelles vont vers le Monarque Démoniaque qui connaît mon identité et risque de la révéler si je n’agis pas rapidement. Si le fait que j’ai contribué au génocide des siens lui a permis de se placer sur le trône, reste qu’il a tout intérêt à utiliser mes actes contre moi. Mon fils est marié avec sa fille mais ça ne suffira pas à maintenir la paix s’il souhaite la guerre. En l’état actuel des choses, je crois qu’il jouerait mal en visant les Sorciers. Il perdrait. Néanmoins, si mon identité fuite, cela créera un chaos sans précédent et tout le monde sait que les Démons se repaissent de ces situations. S'il venait à parler, je serais obligé de changer de stratégie et de prendre les territoires appartenant aux Mages Blancs par la force. En conclusion, je peux aider pour restaurer la déchéance mais je vais avoir besoin d’aide pour assassiner Aodh. Il se peut que cette aide doive s’étendre à l’usurpatrice au sommet du trône des Magiciens également. Les Chanceliers d'Ivoire seront trop lents à agir contre elle. » Je regardai Priam. Allait-il enfin se comporter comme il le devait ?

955 mots

À la découverte de Juvaniel
Lana & Susannah

☙ Future Cello & Tom Evans - Dangerous Woman

Susannah laissa ses doigts glisser sur le liseré argenté courant le long du mur. Les couloirs dans les ailes réservées aux chambres étaient plus étroits que dans le reste du château, mais le plafond restait haut. Elle s'arrêta près d'une statue en marbre qu'elle détailla avec minutie, comme si elle suspectait qu'il ne s'agisse que d'une banale imitation. Pour le moment, aucune critique ne réussit à se hisser sur ses lèvres, aussi se taisait-elle, attendant de déceler le moindre faux-pas qui lui permettrait de crier à l'arnaque et au mensonge. Comme pour répondre à moitié à ses attentes, deux têtes apparurent face à elle, une blonde et une brune. La Sirène les dévisagea lentement, de haut en bas, avec un déplaisir croissant. Alors que l'écart se réduisait, ses sourcils s'abaissèrent de plus belle dans une mimique belliqueuse. Susannah s'arrêta avant elles de marcher, parvenue à la chambre où Lana avait disparu plus tôt. Après un dernier regard dédaigneux décoché dans leur direction, elle frappa un coup avant d'entrer. « C'est fou comme c'est mal fréquenté ici. Ils ont vraiment accepté n'importe qui. C'est à craindre qu'on ne cohabite avec des mendiants et autres abominations. » lâcha-t-elle distinctement à haute voix avant de refermer la porte derrière elle. Elle se tourna vers Lana et roula des yeux, ennuyée. « Je viens de croiser Claer et Blu. Quelle plaie. » Avec un peu de chance, un tri serait fait plus tard pour refouler à la porte les indésirables. « J'aurais pensé que pour un château, ils se montreraient plus exigeants dans les critères d'admission. C'est n'importe quoi. Je te parie qu'à tous les coups, ce château appartient à un Magicien ou à un de ces Gælyan amateur de charité. »

Un gloussement moqueur plus tard, la bleue s'avança et observa la chambre de son amie. Elle effleura la commode et rencontra son reflet dans le miroir suspendu au dessus, exactement comme dans sa propre chambre. Rassurée de ne pas avoir été logée dans une chambre de qualité inférieure à celle de Lana, elle se débarrassa de ses chaussures et alla s'allonger sur le lit pour éprouver la fermeté du matelas. Un grand lit était un luxe dont elles étaient privées à Basphel. « Alors ? Tu en penses quoi ? » Songeuse, elle fixa le plafond avant de ramener ses prunelles sur la blanche. « C'est un peu étrange d'avoir soudainement une chambre à soi. Malgré moi, je me suis habituée à ce qu'on dorme toutes ensemble. Si je me sens trop seule, je n'aurais qu'à venir ici. On peut facilement dormir à deux dans ces lits. Dormir, ou profiter de l'absence des autres pour se raconter des secrets. » Un sourire de requin se profila sur ses traits. Peut-être que pour une fois, elle n'aurait Lana que pour elle. Il lui semblait qu'elles s'étaient rapprochées dernièrement, que le contact tactile s'établissait plus naturellement, mais elle se faisait peut-être des idées.

« L'autre jour, j'ai entendu des filles dans les toilettes qui établissaient un classement des plus beaux garçons de l'école. Ton frère a beaucoup de succès, il peut remercier ses gènes pour cela. » Pourtant, son charme ne résidait pas dans son apparence. Lorsqu'elle le croisait, elle le toisait par habitude, mais ne disait rien. Le frère comme la soeur avaient troublé ses nuits et elle avait préféré ne rien mentionner tant qu'elle n'avait pas mieux décortiqué son ressenti, et ainsi l'annihiler. Éviter de parler à Adriæn résolvait cet épineux problème, pour le moment. Pour Lana, c'était une autre paire de manches, mais ce n'était pas déplaisant. Elles s'entendaient bien, et peut-être n'y avait-il rien de plus à comprendre que ça.

Message I | 648 mots

Mon regard rejoignit le visage du Réprouvé, comme j’aurais pu le faire si mon père avait commencé à parler de l’âge auquel j’avais arrêté de faire pipi au lit devant des invités. « Est-ce vrai ? » demanda Eméliana. Il allait m’entendre lorsque nous serions seuls. Quant à savoir comment il était au courant, je n'avais aucun mal à l'imaginer : Kaahl l’avait dit à Freyja qui l’avait dit à Dastan. « Ce n’est pas encore fait. » répondis-je, vaguement. J’avais les morts. Mes prunelles se figèrent dans celles de la Sorcière alors que Dastan était occupé à surveiller sa sœur. « Quand alors ? » « Après les fêtes d'Ësse’Aellun. » Le visage de la rousse était toujours pâle. Je n’arrivais pas à déterminer si elle était contrariée ou non. J’aurais aimé qu’elle le fût. Je baissai la voix et m’adressai à elle sans les usages, comme nous l’avions fait plus d’une fois lorsque nous étions seuls. « Je t’assure que je n’ai pas le choix. C’est mon père qui a décidé. » Elle ne répondit pas et se contenta de remonter doucement le menton avant de tourner la tête vers ce qu’il se jouait plus loin. Je pinçai mes lèvres et changeai de cible. Je me rapprochai de Dastan et l’attrapai par les épaules. « Pas merci hein. » lui dis-je dans un murmure rancunier. Je ne savais pas comment j’allais pouvoir rattraper le coup avec elle. Pourtant, j’étais convaincu que le désir existait de son côté aussi. Qu’elle m’eût enfoncé mon coupe-papier dans le ventre n’y changeait rien. Je l’avais senti et elle ne me ferait pas croire le contraire.  

Si Jude tenta d’expliquer ce qu’était qu’être Roi du Monde à Yngvild, mon attention ne se déplaça de Dastan à la rouquine que lorsque je la vis filer sur le dos d’Érasme. « Depuis quand il se prend pour un Ange celui-là ? » me questionnai-je moi-même en fronçant les sourcils. Je fus frappé par un constat : d’ici quelques années, je risquais de faire la même chose avec mon enfant. Je serrai les dents et attendis la moindre occasion pour me sortir cette pensée de la tête. Quand elle advint, je croisai les bras sur mon torse, un air soudain moqueur sur le visage. « En même temps, si tu lui grimpais dessus, il s’écroulerait sous ton poids tellement il est maigre. » commentai-je tout en jugeant la silhouette longiligne du Sorcier. Mon regard fusa ensuite vers Dastan. « Tu perds ton temps : elle est fiancée aussi. » Je ne savais juste pas à qui. Elle ne me l’avait jamais révélé. Je l’avais plusieurs fois suspectée de mentir pour mieux me fuir. Je me plaçai entre les deux et m’adressai à elle. « Que diriez-vous de marcher en ma compagnie ? » « Je suis attendue. » « Dans ce cas, je peux peut-être vous accompagner jusqu’à votre rendez-vous ? » « Très bien. » Elle se décala afin de pouvoir s’adresser au rouquin plus facilement. « Je crains fort de devoir te quitter. Ne pleure pas trop, pas déjà. » Je plissai les yeux, incertain quant à ce qu’elle entendait par là. Dans le doute, il valait mieux couper court à toute interaction. « Allons-y. » Je fis signe à Jude et à Ilias de me suivre, en espérant qu’ils resteraient bien sagement derrière nous. Ce n’était peut-être pas très sympa mais j’avais besoin de parler à la Princesse. « On se voit plus tard ! » lançai-je en direction du Réprouvé. Je n’avais aucune envie de rencontrer une nouvelle fois l’autre connard.

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Isak Danielson - Love Me Wrong

Je fis quelques pas supplémentaire avec l’enfant sur mes épaules et finis par me rendre peu de temps après le départ de Lucius. Je m’accroupis afin qu’elle pût descendre et me relevai pour poser de nouveau les yeux sur le Bipolaire. Je passai une main sur ma nuque pour la détendre après l'effort. Mes doigts ne bougèrent néanmoins que quelques secondes, le temps de me perdre dans l'ambre. J’avais l’impression que les silhouettes qui se mouvaient autour de nous n’existaient pas vraiment. Tout ceci n’était peut-être qu’un rêve. Je lui en voulais d’être parti, tellement que mes yeux me piquaient sans raison. Je me sentais fatigué rien qu’à poser mon regard sur lui. Il aspirait mon énergie à force de complexité.

Depuis qu’ils avaient tous commencé à parler, j’avais fait mine de me désintéresser d’eux mais n’avais en fait rien perdu de la conversation. « Elle va se marier à mon père. » lui appris-je. Ce n’était pas officiel mais personne ne m’avait demandé de garder un quelconque secret à ce sujet. Je regardai ailleurs et finis par déglutir. « Tu… » Je soupirai vivement. Ce n'était pas une bonne idée. « Tu veux m’accompagner jusqu’à chez moi ou t’as peur qu’on te voie en ma compagnie ? » J’étais pris entre des sentiments contraires. J’avais envie de le confronter à propos de son comportement de la dernière fois, de ses refus et de son départ empreint de lâcheté. En même temps, je ne préférais pas évoquer la soirée, ce qu’il s’y était passé et comment j’avais failli finir. Lucius n’avait pas dû lui en parler. J’espérais qu’il se la fermerait. « Tu fais quoi ici ? Je pensais que t’étais parti t'entrainer je ne sais pas où. » Je le savais. Je m'étais renseigné. À Gona'Halv. Il y était sans nul doute allé. C'était visible, si bien que je préférais éviter scrupuleusement de le regarder ailleurs que dans les yeux depuis plusieurs minutes.

840 mots

À la découverte de Juvaniel

En regardant Priam après l’intervention de mon amant, je m’interrogeai sur la manière dont l’Ange faisait l’amour. Comme les Réprouvés, sans doute, en y ajoutant la chaleur propre aux sentiments qu’il était obligé de ressentir. Quoi que... lui aussi possédait un artefact.

« Tout est bon alors. Je ne suis ni le petit-copain, ni l’ex-petit-copain, ni le futur petit-copain, ni le c’est-compliqué-petit-copain ou autre affilié de ta sœur. »

Je lui souris d’un œil taquin et lui fis un clin d’œil. Bien sûr, Kaahl préférait que je me tienne éloigné de Priam mais je n’avais jamais signé pour la fidélité. Il le savait.

« Oh Freyja ! »

J’avais sursauté en même temps que Priam, à croire que le commun des mortels se laissaient berner par ce genre de jeu, aussi vieux que l’univers. J’admirais le calme du Mage, même si le voir ainsi me questionnait toujours sur ce qu’il pouvait connaître à l’avance ou non. Comment sentait-il son environnement ? J'eus envie de l'interroger durant des heures.

« Non pas encore mais j’y travaille. C’est toujours plus long avec les Anges. »

Mes lèvres s’étirèrent à la mention d’Aliénor. Je préférais jouer franc jeu, même si je ne m’interdisais pas non plus, dans un tout autre ordre d’idée, de tenter de charmer la Magicienne à côté. Une chance pour Priam : je n’avais jamais été autant occupé qu’en ce moment, ce qui limitait aussi mes partenaires. En réalité, je ne savais pas si c’était le travail qui était à l’origine du changement ou bien mes goûts qui évoluaient. La Luxure m’amusait plus qu’elle ne me contraignait. Je pouvais l’utiliser mais n’y étais plus dépendant. Écrire de longues heures me procurait un plaisir presque similaire à celui de la séduction.

« Peut-être qu’à force de squatter chez moi, t’as fini par me contaminer ? Je compte sur toi pour venir vérifier si j’en ai ou pas plus tard. »

Je me rappelais très bien ce moment au début du bal où Priam et Freyja s’étaient croisés. Le climat était toujours polaire entre les deux.

« Ramène-nous à manger et à boire si tu peux ! »

Une fois qu’elle fut partie, je me mis à observer le duo. Il y avait quelque chose d’étrange chez Kaahl et sa proposition conforta mon pressentiment. Ce n’était pas son genre de se lancer dans une course de fauteuil au milieu d’une foule. Il aimait trop l’ordre et tenait à son image. C’était totalement incongru en dehors de Boraür.

« On va où ? »

**

Je trouvai le canapé et m’installai dessus, en position couchée. Je relevai légèrement la tête pour regarder le Mage. Son air sérieux me posait toujours de gros problèmes de concentration. J’avais tellement joué à le troubler et à lui faire perdre ses mots qu’à chaque fois qu’il parlait sur ce ton-là, mes pensées dérivaient vers des actes qu’il valait mieux ne pas partager avec l’Ange. Je me râclai la gorge et posai mes yeux sur le plafond.

« Depuis t’es devenu Magicien et Cyrius est devenu Roi. »

Après avoir vu sa magie opérer, plus tôt, je n’étais plus sûr que la première information soit encore vraie. Je me demandai si Freyja savait quelque chose à ce sujet. Peut-être pas. Je pensais être le dernier à l’avoir vu en tête à tête.

« Tu aiderais Priam ? Pourquoi ? »

Quelque chose entre eux m’échappait et je notai de poser la question une fois qu’il aurait fini de parler.

« Oui, ni les Anges ni les Humains ne sont trop à craindre mais j’aimerais autant rétablir la déchéance sans tuer qui que ce soit. Le problème c’est que la discussion ne semble pas fonctionner. C’est fou d’être à ce point buté sur quelque chose qui a toujours existé et qui, en plus, est bénéfique pour les concernés. »

Les Ailes Blanches me semblaient être devenus stupides depuis qu’ils s’étaient fait décimer.

Je me redressai lorsqu’il parla de prendre le contrôle des Magiciens par la force. Il avait raison, ça risquait de déboucher sur une guerre totale si les alliés des uns et des autres se rangeaient derrière eux. S’il faisait ça, je savais déjà que les Déchus soutiendraient les bénéfiques.

« Il n’y a pas un autre moyen de le faire taire que de le tuer ? Pareil pour l’Impératrice Blanche. Ça ne m’enchante pas de devoir assassiner qui que ce soit même si je comprends les enjeux. »

J’étais maintenant assis totalement dans le canapé, les bras sur les genoux.

« Ce que je dis c’est que j’ai conscience que dans les autres camps le jeu est déjà pipé. L’Agbara s’apparente à de la torture, tout comme le fait de rester Ange alors que la déchéance devrait advenir. Certains le vivent très mal et deviennent fous. Je sais aussi que la fausse Edwina risque de gangréner son peuple et que le Monarque Démoniaque ne se retiendra pas d’agir, même si ses actes causent des milliers de morts. Néanmoins, on pourrait peut-être réfléchir à des méthodes plus subtiles que des assassinats pour obtenir ce qu’on veut. »

Je tournai la tête vers Priam.

« T’en penses quoi ? D'ailleurs, sans vouloir être indiscret, il y a quoi entre vous deux hormis votre escapade olé olé à Avalon où vous avez failli niquer ? »

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Je déviai mon regard sur la rouquine, perchée sur son frère. Elle semblait ridiculement petite par rapport à lui. Je laissai un sourire timide déformer mes lèvres lorsqu’elle s’exclama, sans pour autant ressentir de joie particulière. Au contraire. J’avais l’impression que nous nous tenions sur un fil et qu’un seul mouvement briserait l’instant… l’instant et tout le reste. Je n’osais plus bouger. « Je vois. » articulai-je. Les secondes me semblaient lourdes. Elles portaient un sous-texte qui ne me plaisait pas. Je le suspectais même de chercher à me formuler ses adieux. Le Fessetival me paraissait lointain. Depuis, il y avait eu d’autres actes, bien plus graves. Je restai silencieux. Ça s’était su chez les Sorciers aussi, mais il le savait déjà. Je soufflai par le nez. C’était ça son rêve : devenir Seigneur des Deux Rives, porter la Couronne du Milieu et aiguiser la haine des siens à l'égard de mon peuple jusqu’à réussir à les venger. « Moi ? » Je quittai son visage pour fixer les pavés à mon tour. Je déglutis. Il fallait que je le laissasse partir. Ce serait pour le mieux. J’avais envisagé naïvement qu’il me suivrait mais c’était idiot. Il s’était déjà éclipsé auparavant. Il m’avait laissé seul au milieu des autres, sans un au revoir, avec l’idée saugrenue en tête que ma mort le sauverait de la sienne. Je relevai mes prunelles. Je haussai les épaules à mon tour, pour cacher tout ce qui me traversait actuellement. « Comme d’habitude. » Je changeais d’avis tous les jours le concernant. Mes sentiments étaient fatigants. Mes pensées se perdaient trop souvent sur des possibles que j’adorais saborder. J’aimais me faire du mal en songeant à lui. J’avais envie de tout détruire et, surtout, de me détruire moi-même. J’avais la sensation absurde d’avoir besoin de lui au-delà du reste, malgré ses tirades à la limite du supportable, malgré ses taquineries incessantes, malgré ses envies de meurtres qui revenaient comme un refrain séparant des couplets potentiellement fertiles. Je sentis mon souffle s’expirer de ma poitrine, comme si la vie me quittait soudainement. J’avais l’impression d’être engourdi. Quand il était là, je n’arrivais plus à être cruel. Je ne l’étais qu’envers une seule personne : moi-même. Je ne pouvais rien lui dire. Je ne pouvais pas lui avouer que je l’imaginais souvent, que lorsque je buvais trop, parfois je m’adressais à lui en tanguant. Je ne pouvais pas lui cracher qu’il me hantait et faisait de ma vie un cauchemar duquel je ne désirais plus me séparer. Et personne n’avait le pouvoir de changer ça, de changer ma nature, de changer ce qu’il éveillait chez moi. Rien que pour ça, il ne méritait pas d’être en paix.

« Bon… » dis-je, en adoptant une tonalité identique à celle qu’il avait prise plus tôt. C’était un mot de séparation, une résolution qui devait trouver à s’appliquer cette fois. Je me fichais de mourir mais je ne voulais pas qu’il mourût, lui. Si me voir le poussait aux portes du trépas, il valait mieux qu’il ne me vît plus. « Je vais y aller. On m’a offert une maison aussi. Je suis venu pour ça. » S’il ne restait pas longtemps à Boraür, je pourrais arriver après lui. Ce ne serait qu’une question d’organisation. Je me tus. Mon corps ne voulait pas bouger. Mes pieds étaient comme ancrés au sol. J’inspirai pour me décider. « J’espère que tu… » Qu’il quoi ? Qu’il s’entraînerait bien ? Qu’il réussirait à se racheter ? Qu’il deviendrait Seigneur des Deux Rives ? Je ne voulais pas lui souhaiter un quelconque bonheur sans moi. Je ne pouvais pas penser franchement tout ça. Je ne le voulais pas. J’avais envie de le maudire pour l’éternité. Mes mâchoires se pressèrent l’une contre l’autre. Mon regard harponna les silhouettes qui se mouvaient autour de nous. « Tu sais. » abandonnai-je ma phrase. Je soupirai et amenai mon index sur ma lèvre inférieure. C’était douloureux, même si je n’avais pas ressenti le mal tout de suite. « Je dois me soigner aussi alors… » Je devais lâcher, juste lâcher. Pourquoi était-ce si dur ? Lui et moi n’avions rien à faire ensemble. Je montai ma main à hauteur de mon visage pour faire un signe à l’enfant. Elle était la meilleure échappatoire. « Au revoir Yngvild. » lui dis-je, avant de noyer mon océan dans la forêt automnale de son frère. Je pinçai mes lèvres et finis par pivoter. Lui tourner le dos, c’était comme se perdre dans le néant.

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