Rp précédent : À la découverte de Juvaniel

Je sortis du halo le premier. Depuis la disparition d’Ârès, je n’avais pas dit un mot. À l’intérieur de moi, des violons chaotiques répandaient une musique dramatique. J’avais préféré me plonger dans le mutisme. Ne pas parler du tout m’empêchait de hurler. Le rien à la place du tout était préférable, surtout dans cette configuration. Autour de moi se tenaient deux personnes pour lesquelles mon cœur battait plus que de raison. Je n’aimais pas Adam et Freyja exactement de la même manière. Il y avait la compliquée et le simple. Pourtant, le Déchu avait beau être simple, dès qu’il était avec elle, tout devenait bien plus complexe. Ezechyel se rajoutait à ce duo, cet homme qui serait mon père sans l’être encore. Ses amours heurtaient les miennes. Cependant, plus je le regardais et moins je lui en voulais. Nos vies étaient imbriquées l’une dans l’autre et, finalement, il était bien plus que mon père. Il était comme une partie de moi. Je l’influençais et il m’influençait. Je me posais de nombreuses questions à son sujet, et à mon sujet également. Est-ce que j’aurais aimé Freyja s’il ne l’avait pas aimée ? À quel point devais-je tolérer ses actes ? Jusqu’où ces derniers iraient-ils jusqu’à ce qu’ils fussent séparés ? Pour quelle raison seraient-ils séparés ? Le seraient-ils vraiment à l’avenir ? Que pensait-il d’Adam ? Seul l’Æther possédait les réponses à mes questions. Je savais pourtant qu’il ne me les donnerait pas. Si on me les avait posées, je n’y aurais pas répondu. Il ne répondrait donc pas non plus. Priam clôturait les silhouettes des participants. Priam… Mon désir à son égard était symptomatique d’un sentiment bien plus irritant. D’une unique pensée, je compris que si je n’existais pas, le groupe dans son ensemble s’en porterait mieux. J’étais la clef de voûte du malaise ambiant. Je souris tout en longeant le long couloir du regard. J’aimais être le chaos de leur vie, celui qui apportait contrariété et larmes. Ça n’avait pas toujours été le cas. Ça ne l’était pas toujours. Pourtant, à cet instant, c’était exactement ce que je ressentais : un plaisir malsain à les empêcher de vivre sereinement. Tous autant qu’ils étaient ne le méritaient simplement pas. Peut-être l’amour d’un Sorcier était-il semblable à la haine d’un Magicien ?

En silence, je fis quelques pas. Chaque porte était décorée d’une façon différente. D’autres étaient apparues depuis ma dernière visite de ce lieu. Les chemins se croisaient dans un semblant de labyrinthe. Si Ezechyel avait raison et qu’Ârès avait réellement emmené Aliénor aux Portes, les possibilités étaient multiples. Laquelle avait-il choisie ? J’espérai que mon père le sût, sinon elle serait morte avant notre arrivée. Si le Lien ne m’avait pas enchaîné à Priam, cette perspective aurait pu me plaire.

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« Pour toutes les fois où c’est moi qui dévore des énormes vers… »

Je lui souris, un air tendancieux sur le visage. Mon expression se changea cependant vite en quelque chose de plus espiègle. Je n’étais plus aussi sensible que par le passé. Avant, la moindre contrariété ou le moindre stress me donnait envie de plonger dans la Luxure. À présent, même si j’avais une tendance naturelle à désirer m’y réfugier encore, je restais bel et bien maître de moi-même.

Mes yeux se posèrent sur la silhouette de Kaahl qui avançait devant nous. Vu la situation, j’avais préféré rester en retrait et ne pas chercher à le questionner. Lorsque nous n’étions que deux, c’était bien plus facile. Quand bien même il restait longtemps buté, il finissait par craquer et sa langue par se délier, que ce soit librement ou contre la mienne. Mettre son corps à rude épreuve lui permettait de lâcher du lest sur les tourments de son esprit. En groupe, je ne pouvais pas me le permettre. J’essaierais de le coincer seul à seul plus tard, loin de Freyja et des deux autres hommes.

« S’il était du genre à aimer les énormes tentacules, il serait moins tendu. »

Je souris encore.

« Quoi que… »

Je plaisantai à voix basse, pour éviter que tout le monde entende. Priam ne semblait pas en état d’accepter ce genre de blagues alors que sa Magicienne était entre les mains de ce fou et Kaahl n’avait aucun attrait pour ce genre d’humour tant que je n’avais pas ma main dans son pantalon. Quant à Ezechyel… je ne le connaissais pas assez mais il semblait incarner une version plus naïve de celui qu'il deviendrait plus tard.

En soi, la situation ne prêtait pas à rire mais c’était une façon comme une autre de la gérer.

« Aucune idée… »

Peut-être que le blond saurait. Autrement, il faudrait toutes les tenter. J’aurais bien essayé de deviner mais le contenu des Portes en lui-même restait un mystère. Les décorations pouvaient constituer des indices mais ils n’étaient que parcellaires et rien ne garantissait qu’il n’y avait aucun piège. Certaines choses n’étaient pas ce qu’elles semblaient être.

« Si seulement il y avait une Porte représentant Ârès en train de capturer Aliénor… »

Mais ça ne semblait pas être le cas pour le moment et je ne savais pas quelles folies et lubies animaient le cerveau du brun.

« S’il est comme Kaahl, il préférera sans doute une Porte où il aura le contrôle sur la situation… quelque chose de stratégique ? »

Je parlais toujours en murmurant.

« Mais il a l’air plus… direct. »

Ou peut-être pas. C’était difficile à dire. Kaahl avait monté une stratégie parce que certaines choses lui importaient. Adolescent, la stratégie s’était même montée pour lui et il avait vécu avec parce qu’il n’avait plus eu le choix. Ârès ne semblait tenir à rien ni personne. Selon moi, il agissait sans logique autre que celle de détruire.

Je donnai un petit coup de coude à Freyja.

« Si un vers essaye de me dévorer, tu me sauveras encore hein ? »

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Musique

Ezechyel fixait en silence le dos de Kaahl. Il n’avait rien dit après qu’il se fût excusé, ni à lui, ni à nul autre. Peut-être avait-il raison de ne pas lui pardonner. Au fond, il n’était pas désolé. C’était arrivé et il ne regrettait pas la situation ; ni ses actes. Ce n’était pas comme si le choix lui avait appartenu. Néanmoins, si ça avait été le cas, s’il avait pu décider d’agir ou non, le résultat aurait été le même. Il en était convaincu. Ce qui s’était passé était l’une des choses les plus vraies de sa vie. Il n’avait à aucun moment fait semblant. Il n’avait pas non plus suivi de directives. Il s’était comme libéré de tout ce qui l’enchaînait habituellement, tout en restant pourtant à l’intérieur du scénario qui enfermait l’existence de chaque être. Il s’agissait d’une libération illusoire. Le Destin soufflait ses exigences, toujours, clairement ou non. Peut-être Kaahl l’avait-il déjà compris ? Peut-être lui tournait-il le dos uniquement pour garder intacte l’impression d’avoir un semblant de contrôle sur son existence ? Le blond soupira. Depuis qu’ils étaient au beau milieu du couloir des Portes, il évitait scrupuleusement de regarder Adam et Freyja. L’homme le faisait rougir et la femme produisait chez lui des symptômes similaires, à l’exception près que son cœur semblait soudain chercher à s’échapper de sa poitrine et ses jambes vouloir courir vers elle. Actuellement, il n’y avait plus que des non-dits, qu’un silence qui cachait toutes les vérités. Il les observa et s’observa lui-même. Les liens existaient tant entre eux qu’il se figurait presque la magie invisible des Orishas qui les unissaient tous.

Ponctué par les plaisanteries soufflées par l’Ange et le Déchu, le calme restait maître. Pour l’instant. Si Ezechyel pensa un moment forcer le contact avec Kaahl, en lui attrapant le bras ou en marchant simplement à ses côtés jusqu’à ce qu’il cessât de l’ignorer, il jugea préférable de rester près de Priam. Le Rehla tourna la tête vers lui lorsqu’il lui posa directement la question. Oui, il savait. Néanmoins, une fois à l’intérieur, il ne pourrait plus rien. Les Portes relevaient du Divin et lui y était, comme tous les autres, soumis. « Ce sera difficile. » répondit-il, avant de s’arrêter devant une grande porte. Des instruments de musique étaient sculptés sur le bois, ainsi que des scènes plus floues, appartenant aux domaines de la manipulation et du rêve. Ârès avait dû venir à bout de cet univers plusieurs fois pour s’y enfoncer sans hésitation. « Si nous retrouvons Aliénor vivante, elle aura probablement changé… » précisa-t-il. Il avait lu de nombreux ouvrages sur les Portes, des témoignages de survivants à travers le temps et des livres de chercheurs et d’analystes. Partager l’aventure avec Ârès n’était pas une chose anodine. Il continua. « En choisissant d’entrer, nos secrets voleront peut-être en éclats. » Il marqua une pause et reprit. « C’est tout ce que je peux vous dire. J’ignore la suite. » Il tenta une œillade en direction de Kaahl.

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J’observai la porte choisie par mon père. Je savais mieux que quiconque à quel point la musique pouvait s’avérer terrible. Chaque instrument, chaque voix, résonnait à l’intérieur des individus. L’ensemble emportait des émotions qui se répercutaient jusqu’à leur esprit, capables de manipuler leur jugement et de ranimer des souvenirs enfouis. Les Sirènes utilisaient ce pouvoir depuis des siècles. Il n’y avait pas qu’elles. Cyrius avait développé cette magie et me l’avait apprise. Comme si les cordes d’un violon habitaient chaque silhouette, le musicien pouvait jouer avec à desseins. Tout était musique et lors des enseignements de mon frère, j’avais compris que nos destins étaient liés. Sa magie avait entouré la mienne si profondément… Je soupirai et avançai vers le bois sculpté tout en bousculant Ezechyel au passage. Je m’arrêtai juste devant lui. « Autrement dit, tu ne sers à rien. » murmurai-je, sans le regarder. Était-ce un art de vivre, chez lui ? De toujours créer des problèmes qu’il s’entêtait à ne pas résoudre ? Je me tournai pour lui faire face et plantai mes prunelles dans les siennes. Le pressentiment latent que cet homme me ferait souffrir à l’avenir ne me quittait plus depuis la scène du Cœur-Vert que j’avais perçue. Je ne pouvais néanmoins pas le tuer. Je n’en avais, en plus, pas envie. « Tu sais ce qui me console ? » lui demandai-je. Je n’attendis aucune réponse. « C’est que je sais que tu ne seras jamais véritablement heureux. » Tout comme je ne le serais probablement jamais non plus. « L’amour est tellement futile face au devoir, n’est-ce pas ? » Ceux qui ne l’avaient jamais enduré ne pouvaient pas comprendre. Lui était parfaitement au courant. Je soufflai par le nez. Ma main se leva pour se poser sur son épaule. « Comme tu n’as jamais rien eu d’un père, je vais te considérer, à partir de maintenant, comme mon frère. » Ma paume remonta ensuite sur sa joue sans violence. Mes doigts se resserrent contre sa peau pour le forcer à incliner correctement la tête vers moi et je souris. « Un frère franchement irritant. » S’il n’était pas sage, rien ne m’interdisait de lui retirer quelques parties anatomiques problématiques. Il se débrouillerait pour les faire repousser. « Bref. » Bref : pour lui, pour les deux abrutis qui plaisantaient l’un avec l’autre dans des murmures que j’entendais parfaitement et pour cet Ange incapable de se tenir debout. Je regardai Priam et ris doucement. « Au fait, c’est Jun Taiji. » lui révélai-je, en désignant le blond. Je tournai les talons et passai la porte, sensiblement hilare. Parfois, je comprenais Érasme, lorsqu’il se perdait dans la droguet et l’alcool. Néanmoins, je ne pouvais pas me le permettre. Le devoir me retenait. Peut-être était-ce ça, la solution ? Récupérer le trône avant que Val’Aimé tentât de massacrer Cyrius et le nommer officiellement héritier ? Elias était vieux. Ce ne serait que pure logique. Ainsi, il n’aurait d’autre choix que de se reprendre, au risque de se faire assassiner dans le cas contraire.

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« Non, je préfère que tu me sauves. Je vais finir par faire une indigestion à force d'avaler. En plus, c'est ton rôle de venir à ma rescousse. »

Je souris en l’imaginant batailler pour me sauver la vie. Les Anges devaient parfois avoir de sacrées sueurs froides à tenter de protéger leurs Humains. Il suffisait probablement que l’un d’eux soit maladroit pour créer le chaos dans le cœur de son gardien. Heureusement que Freyja était une Ange et non une Humaine. Son Ange serait mort d’inquiétude depuis longtemps si ça avait été le cas.

J’écoutai Ezechyel en détaillant la porte. Tout ça ne me disait rien qu’il vaille. Néanmoins, je n’avais aucun secret à cacher. Je ne dissimulais même pas à Kaahl le fait que j’aie couché avec Jun. Je ne le disais simplement pas. S’il me posait la question, je lui avouerais sans détour. Je faisais ce que je voulais et il le savait. C’était la même chose pour mes sentiments envers l’Ange. Je ne les lui avais pas avoués mais je ne les considérais pas comme un secret. Je ne cherchais pas à les cacher. Si elle m’observait assez, elle s’en rendrait compte. Ça ne m’importait pas. Qu’elle sache ou non ne changerait rien pour moi.

En regardant les quatre autres, j’eus cependant la sensation qu’il n’en serait pas de même pour eux. Les secrets criblaient la vie de Kaahl. Freyja devait en avoir aussi. Ezechyel également. Priam tout autant. Ils ne se disaient pas tout. Il n’y avait qu’à les observer, eux et leur dynamique, pour le comprendre. C’était d’ailleurs pour cela que leurs relations étaient si compliquées. Les non-dits assassinaient la confiance et lorsqu’ils étaient prononcés, c’était trop tard pour réparer les pots cassés.

En silence, j’observai ensuite la confrontation entre le fils et le père, conclue par l’intervention de l’Ange. Je soupirai avant de m’avancer à mon tour vers le blond. Je posai aussi ma main sur son épaule, en restant à côté de lui.

« Au moins, on ne s’ennuie pas. C’est déjà ça. »

Je lui décochai un sourire avant de me diriger vers Priam. Je le contournai et me plaçai dans son dos, les mains sur le dossier de son fauteuil.

« Allez, on y va. »

Comme je ne savais pas ce qu’il y avait derrière la porte, je préférais rester à côté de lui. Dans son état, il valait mieux que quelqu’un s’occupe de veiller sur lui.

« Je ne t’aide pas gratuitement pour ta gouverne. Je me dis qu’avec un peu de chance, tu pourrais tomber amoureux de moi et qu’on pourrait coucher ensemble. J’ai d'ailleurs l’intention de réussir à le faire avec tous les membres du groupe. »

Je rigolai et avançai vers la porte.

« Au fait, tu l’as rencontrée comment Aliénor ? Et t’as eu le coup de foudre ou c’est venu progressivement ? »

Je m’adressai ensuite à Ezechyel.

« Tu peux la maintenir ouverte le temps que je fasse passer l’Ange à roulettes s’il te plaît ? »

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Je haussai les épaules.

« Je mourrai bien un jour alors autant prendre du plaisir jusque-là, non ? »

J’avais déjà envisagé l’hypothèse dans laquelle Kaahl finissait par me tuer. Elle me faisait rire. Une fois mort, je ne manquerais pas de venir le hanter sans lui laisser aucun répit. Je lui murmurerais des cochonneries en plein conseil. Il regretterait amèrement de m’avoir enlevé au monde des vivants. De toute façon, cette théorie était bancale. Qui s’occuperait de sa prostate une fois que je ne serais plus là ?  

Je souris, le regard pétillant. J’étais trop doué pour qu’il puisse se passer de moi.

« Je vois ! C’est souvent la première image que renvoient les Magiciennes mais une fois les présentations faites, les illusions éclatent. Elles sont presque aussi chaudes que les Réprouvées. Les Sorcières sont pas mal dans leur genre, surtout que les Mages Noirs sont vraiment mauvais pour le sexe. On dirait soit qu’ils cherchent à passer leurs frustrations dans l’acte, soit que ça les dégoûte profondément. »

Le souci des Sorciers, c’est qu’ils avaient tendance à refiler des maladies pour leur simple plaisir, comme si les faire jouir les avait mis en danger et qu’ils éprouvaient le besoin de se venger d’avoir perdu pied.

Je remerciai Ezechyel et passai la porte. Derrière, des herbes hautes jaunies par le soleil nous attendaient. Au loin, des collines servaient d’horizon. Quelques sapins s’égrenaient par ci par là, comme s’ils n’auraient pas supporté de vivre en groupe. Ce n’était pas très engageant. Retrouver Aliénor là-dedans risquait de prendre un moment.

Tout en rejoignant les autres, je commençai mon histoire.

« On s’est rencontrés à Basphel. J’avais ramené une conquête dans les bains de l’école. Kaahl y était déjà et tu vois le genre… il a jugé bon de me sermonner vis-à-vis de mon comportement inacceptable. »

M’en souvenir me fit rire.

« Je lui avais envoyé la fille, Shae, pour l’émoustiller. Je ne connaissais pas ses préférences sexuelles. »

Et lui était dans un profond déni à ce moment-là. Il avait fini par m’avouer avoir été attiré par un garçon lors de son adolescence mais l’éducation sorcière ne laissait pas de place pour les fantasmes de cet ordre. Il l’avait oublié longtemps et avait refoulé ses désirs pour se conformer aux attentes des siens.

« Bref, ça n’a pas fonctionné, d'où le sermon, et c’est surtout moi qui aie fini émoustillé. Pour l’embêter j’ai utilisé le souffle des Nephilim pour faire resurgir les Péchés en lui… puis je l’ai embrassé. Pour voir. Je n’ai pas été déçu… La Colère a surgi et il a tenté de m’étrangler ! Un vrai sauvage. »

Je ris encore.

« Mais je suis trop séduisant alors il a fini par me rendre mon baiser. »

Un air goguenard apparut sur mon visage avant que je ne passe ma main dans mes cheveux.

« Ça l’a embarrassé et il m’a frappé avant de prendre la fuite… »

J’avais ri longtemps après, bien que Shae ait été assommée dans le processus. Je me voyais encore rigoler dans mon lit, ma curiosité piquée à vif.

« Puis je l’ai invité chez moi et on a commencé à se voir pour de bon. »

Je passai sous silence mon entretien avec Jun, ses aveux sur son fils et la promesse de notre mariage futur. Il avait eu raison. Nous étions mariés à présent. L’union n’avait aucune valeur en dehors de Maggie mais elle existait.

« Quelqu’un d’autre veut-il raconter sa rencontre avec un membre du groupe tout en avançant ? »

Après tout… pourquoi pas.

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Musique

« Hein ? » Ezechyel baissa les yeux pour rejoindre ceux de Kaahl. Un instant, il crut avoir mal entendu mais les mots avaient réussi à le mordre. Ses sensations lui montraient généralement le chemin de la vérité. Il lui en voulait encore. Il comprenait. Tu ne seras jamais heureux. Le pouvoir des paroles était omnipotent sur le blond. Il avait trop étudié pour que le langage le laissât de marbre. Et puis, au-delà de son assiduité en cours, il y avait aussi le fait que ces mots-là vinssent de lui, son autre. Ça l’attrista, encore plus lorsqu’il parla du devoir. Il avait raison. Toutes ces heures passées à suivre les enseignements de son père, des autres Rehlas et des Maîtres du Temps lui avaient inculqué le sens des responsabilités. Il ne pouvait pas faire ce qu’il désirait. Parfois, aucune directive lui était donnée et il se sentait libre mais ces moments avaient toujours une fin. « … » Était-il réellement son père ? N’était-ce pas plutôt une image ? Il avait du mal à savoir. Le savait-il ? L’avait-il su puis oublié ? Il n’aimait pas penser au temps et aux connaissances qu’il détenait. Elles se transformaient en fonction de ses missions. S’il paraissait jeune, ce n’était pas le cas. Il passait parfois plusieurs décennies à étudier au même endroit avant de se rendre à un point précis du temps mettre en pratique ce qu’il avait appris. Pourtant, il y avait des choses et des personnes qu’il n’oubliait pas. Freyja en faisait partie. Et Kaahl aussi. Du moins, il le pensait.

Ezechyel se tourna vers Priam et lui fit un petit sourire désolé, bien qu’il ne fût pas sûr de savoir ce que l’Ange aurait pu lui reprocher avec cette nouvelle information. Ses mots, pourtant, claquèrent. Empereur Noir. Tout ça était flou, non encore arrivé. Il fit de son mieux pour ne pas retenir ce qu’il apprenait, pour laisser les mots filer et se perdre dans un lointain qu’il toucherait à nouveau du doigt dans le futur. Il devait laisser lui échapper ses émotions également, la brèche dans son cœur. Il déglutit lorsque Freyja se déplaça jusqu’à lui. Il avait le sentiment qu’il valait mieux ne pas l’approcher ; ne plus l’approcher. Il tenta de se dérober à son regard et fut soulagé lorsqu’elle disparut et que les choses reprirent un cours plus ou moins normal.

Il acquiesça à la demande d’Adam, ouvrit la porte et la maintint. Sans réellement le vouloir, il écouta l’histoire de Priam. Lorsqu’il passa devant lui, il faillit ouvrir la bouche pour lui raconter sa rencontre avec Freyja. Il se retint et demeura muet et attentif à la voix du Déchu. Il avait une belle voix. Ça devait être terrible lorsqu’il murmurait des paroles moins sages. Ezechyel ouvrit finalement la bouche et, doucement, raconta brièvement comment il avait connu chacun d’eux. « J’ai rencontré Kaahl lorsque nous étions enfants, dans un rêve. J’ai rencontré Freyja au Cœur-Vert et… toi je… » Il fixa le Luxurieux. Il n’était plus si sûr. Peut-être avait-il vu Freyja avant ? En même temps qu’Adam ? « À Lagherta ? Ou… avant ? » Il s’arrêta et souffla par le nez. « Peut-être qu’il vaut mieux ne pas savoir en réalité… » Parce que lorsque le temps se mélangeait, tout devenait compliqué. Il ne voulait pas commettre d’impair. De toutes, seule sa rencontre avec Kaahl lui paraissait solidement ancrée quelque part ; peut-être parce qu'elle échappait au jeu normal du Temps ? Il l'avait rencontré dans un rêve. Il en était certain.

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Je restai parfaitement immobile le temps pour les trois autres de nous rejoindre. Je n’avais pas besoin de la voir pour être conscient de la présence de Freyja dans mon dos. Je l’ignorais sciemment, les yeux perdus sur le paysage. Cette situation me rappelait les débuts d’Omi’Ake. L’espace était ouvert et imprévisible. Nous n’avions reçu aucune directive précise et aucun indice, hormis les sculptures qui recouvraient la porte, ne permettait de présupposer du déroulement de l’intrigue. L’aura d’Ârès était inexistante et sa magie absente. Autre point : les Esprits ne foulaient pas ce monde. Je ne les entendais pas. Ce qui percuta mon oreille, en revanche, fut la voix d’Adam, occupée à raconter notre première rencontre. Mes mâchoires se contractèrent et mon regard sur l’horizon devint acéré. Lentement, alors qu’Ezechyel articulait d’autres vérités, je me retournai. Ce voyage allait être éreintant. Je le sentais depuis le début. « Peut-on se concentrer sur Aliénor Vaughan ou va-t-il falloir conter chaque rencontre avant de pouvoir avancer ? » Ma voix avait claqué comme le fouet sur la peau d’un esclave. Je baissai les yeux sur Priam, dans sa chaise. Si notre premier face à face n’avait rien de notable, il valait mieux que le secret de notre deuxième rencontre demeurât profondément enfoui. Quant à Freyja et moi, je n’étais pas certain qu’elle s’en souvînt. Face au doute, il était préférable de ne rien dire. Je n’avais, de toute façon, pas l’intention d’étaler ma vie privée devant qui que ce fût, quand bien même ils étaient beaucoup ici à partager mon intimité. Si j’avais pris soin de compartimenter, ce n’était pas pour que tout se mélangeât. Plus que l’enlèvement d’Aliénor, je soupçonnais Ârès de chercher à me placer dans une position délicate. Dans la configuration actuelle, il valait mieux que je ne cherchasse pas à me rapprocher ni d’Adam ni de Freyja. Ezechyel et Priam étaient les interlocuteurs les plus faciles à appréhender, Priam parce qu’il ne m’appréciait pas et Ezechyel parce qu’il n’avait pas la puissance de me résister. J’aurais pu me détendre, rebondir sur les phrases d’Adam pour initier une plaisanterie et, ensuite, confirmer les dires de mon père. Ce comportement aurait permis à la tension palpable de s’apaiser. Or, je n’avais pas la moindre envie que le malaise cessât. « Je ne sens pas la présence d’Ârès, ni celle d’Aliénor ou d’une quelconque magie ou personne capable de nous renseigner. Il va donc falloir continuer en aveugle. » Les secrets. La musique. Les manipulations. J’avais l’impression que cette porte était une épreuve tournée vers l’intériorité de chacun. Je me retournai et me mis en route, tout en me demandant pendant combien de temps l’Ange tiendrait sous le poids de mon ignorance.

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