Assise sur un rocher au bord de l’eau, j’observais mon Ange. Elle s’était baignée en entier. Ses cheveux sombres coulaient dans son dos et sur ses seins. Elle ne pleurait plus, mais ses larmes avaient nourri le ventre du lac. Je n’en avais jamais vu de tel : sa surface irisée se noyait de nuances colorées qui oubliaient toutes de refléter le ciel comme la terre. Elle s’était laissée flotter à sa surface, le regard rivé sur les nuages, mon regard fixé sur elle, et je m’étais demandé à quoi elle songeait, quelles émotions l’habitaient, quels sentiments la berçaient. La violence du Duc était gravée dans ma mémoire. Si elle avait pu m’entendre, je lui aurais crié de s’enfuir. Quoiqu’elle m’eût paru affreusement défaite dans la solitude, il me semblait que ces moments esseulés n’étaient rien en comparaison de la souffrance qui avait battu ses traits quand il avait parlé. Ma soif d’aventure en avait immédiatement été étanchée et, depuis, je me sentais d’humeur maussade. Je regrettais les jours calmes que nous vivions à Lumnaar’Yuvon. Prenant appui sur mes mains pour me propulser, je me laissais tomber jusqu’au bas de mon assise. La roche râpa mes paumes, que je frictionnais en grimaçant à l’arrivée. Puis, je m’éloignais de plusieurs pas, à la recherche de quelques trésors qui pussent raviver son sourire.
Freyja quitta les eaux du lac car sous le jour déclinant, elles commençaient à lui paraître froides. Elle récupéra sa serviette et s’enroula dedans en soupirant doucement. Son pouls régulier s’harmonisait avec ses pensées apaisées. La fatigue chatouillait ses paupières et il lui tardait de pouvoir se coucher. Elle s’essuya, puis enfila son haut. Elle allait se pencher pour ramasser son pantalon lorsqu’une masse se matérialisa à quelques centimètres d’elle. Par réflexe, elle bondit en arrière et sa main se para de son épée, qui fila tout droit vers la gorge de l’intrus, sa magie bouillonnant autour d’elle, prête à la défendre ou à attaquer. Le souffle court et le cœur tambourinant, elle constata alors sa méprise. « Ezechyel. » L’Ange baissa sa garde puis fit disparaître l’arme gravée d’un flocon. « Excuse-moi. Tu m’as fait peur. » Elle regarda derrière lui, mais aucun des autres voyageurs ne l’accompagnait. Ses iris s’axèrent sur les siens, sur ce vert tendre qu’il avait perdu au profit d’éclats noisette. Une brise balaya la plaine et la ramena plusieurs mois en arrière, au Cœur Vert. Son palpitant se serra. Pourquoi était-il revenu ? Pourquoi était-il là, maintenant ? « Tu as toujours la manie d’apparaître et de disparaître quand on ne s’y attend pas. » souffla-t-elle en ponctuant ses lèvres d’un demi-sourire, autant pour désamorcer la situation que parce qu’elle se rappelait de la manière dont ils s’étaient quittés.
Message I – 456 mots
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Quand je vois une bêtise plus grosse que moi et que je décide de la faire.
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Jun Taiji ✞ Æther de la Mort ✞ ◈ Parchemins usagés : 5278 ◈ YinYanisé(e) le : 02/02/2012
Avant d’arriver, Ezechyel entendit comme un son prophétique. Le bruit d’une arme, exagéré. Lorsqu’il se matérialisa, sa vision auditive ne l’empêcha pas d’être surpris. Il écarquilla les yeux en même temps que son corps effectua un mouvement de recul. En miroir à celui de l’Ange, son cœur frappait dans sa poitrine. Il y avait plusieurs raisons à cela, parmi lesquelles il était possible de trouver le courage – la témérité – qu’il lui avait fallu pour mener à bien sa rébellion contre le brun, l’utilisation de sa magie ou encore la vision de Laëth. Freyja. Il se pinça les lèvres, embarrassé. « Ah… Oui. Désolé. Je ne sais pas comment faire pour avertir de mon arrivée. » Il avait d’ailleurs craint de ne pas réussir à se téléporter via le miroir. Entre sa venue dans ce temps et les utilisations qu’il avait déjà faites de sa magie, il redoutait de ne plus être capable de l’utiliser s’il continuait. Ses iris se baissèrent légèrement, assez pour constater que les jambes de l'Ange étaient nues. Il les vissa de nouveau dans les siennes. Il aurait peut-être dû réfléchir davantage avant de se lancer. Seulement, Kaahl l’agaçait. Ils l’agaçaient tous, sauf Adam peut-être. Malgré son âge réel, le Rehla gardait une candeur désarmante. Il savait que la justice et les autres valeurs qui portaient les battements du cœur des hommes et des femmes vertueux n’existaient pas sous le joug du Destin. Pourtant, il voulait y croire quand même ; changer les choses peut-être. « C’est que… je ne décide pas vraiment de… » Sa gêne ne faisait que croître. La dernière fois, il l’avait quittée sans la prévenir. « Enfin, ça n’a pas d’importance. » conclut-il, après avoir décidé qu’il ne servait à rien de revenir sur cet élément-là. Comme il cherchait une idée, il se rapprocha du lac. Depuis le début de leur aventure, il avait capté quelque chose ou, plutôt, quelqu’un. Sa présence lui était apparue comme une évidence, même s’il n’avait pas cherché à la révéler. Selon lui, elle ne présentait aucun danger.
Après quelques secondes, il s’assit dans l’herbe. Elle n’était pas semblable à celle du Cœur-Vert. Là-bas, elle était verte, grasse et dense. Ici, elle était jaune, abîmée par le soleil et rêche. « Je m’inquiétais pour toi, c’est pour ça que je suis venu. » Puis, il eut comme une illumination. Il hésita, les yeux dans l'eau, avant de se décider. « C’était le sien, hein ? » Lorsqu’ils s’étaient vus, à la ferme Dah Numen, il lui avait demandé si l’enfant qu’elle portait et qui avait glissé d’entre ses cuisses était le sien. Maintenant, il avait la certitude que la vie qui s’en était allée et s’était réincarnée avait été rendue possible grâce à l'union de Freyja et Kaahl. Tout ceci était une affaire d’Ombres mais, dans les faits, dans les croyances, il était préférable de nommer le père et la mère d’un nourrisson pour ne pas paraître étrange. Il soupira. C’était douloureux de le savoir. « Il n’a pas l’air facile à vivre. » Pourtant, c’était avec lui qu’elle était. Il changea de sujet. « Ils s’inquiètent tous pour toi au campement. »
Contrôler. Elle essaya de contrôler les battements de son cœur, de les forcer au silence. Mais face à lui comme face à Kaahl, son armure lui semblait n’être que de papier. Ils la brûlaient sans peine, ils l’enflammaient toute entière, ils incendiaient son âme. « Tout va bien. » souffla-t-elle, tant pour lui répondre que pour se rassurer. Elle se pencha pour ramasser son pantalon et l’enfiler. Sa question la fit tressaillir. Ses doigts nouèrent fébrilement le cordon du vêtement, puis elle marcha jusqu’au lac et, sans le regarder, s’assit près de lui. « Oui, c’était le sien. » Elle ramena ses genoux contre sa poitrine, les entoura de ses bras et posa son menton sur leur sommet. Ses orteils s’enfoncèrent dans la fine berge de sable. À cet instant, elle songea qu’il aurait sans doute été plus facile qu’il eût été d’Ezechyel. Il aurait partagé sa douleur. Elle avait très certainement mal choisi son moment, mais la stridence de sa peine avait été réelle, et malgré cela, Kaahl y était demeuré sourd ou, en tout cas, muet. Elle aurait aimé que ses bras se refermassent autour d’elle pour cette raison, qu’il cessât d’être cet homme ignoble et qu’il incarnât enfin le rôle qu’il avait tant voulu avoir. Qu’il la soutînt, qu’il prît en compte sa détresse. Elle inspira. « Non, il ne l’est pas. » En temps normal, elle aurait mis en avant quelque chose de positif pour contrebalancer cette vérité. Elle aurait dit qu’il n’était pas toujours ainsi, qu’il savait aussi la rendre heureuse, qu’il pouvait être tendre, passionné, parfois même drôle. Qu’il l’aimait. C’était vrai, mais pour autant, était-ce suffisant ? Freyja ne se laissait pas souvent abattre, mais ce soir-là, face au lac et sous l’œil du crépuscule, elle avait envie d’abandonner. De le laisser à sa violence, à sa feinte indifférence et à sa cruauté, et de briller loin de lui. Aussi loin que possible. Lui échapper aussi longtemps qu’elle en aurait la force, aussi longtemps qu’il le faudrait pour qu’il ne vînt plus la hanter. « J’allais rentrer. » Ses paupières se fermèrent. « Je suis désolée que tu aies à vivre tout ça. J’aurais voulu… » Elle soupira. Jun avait fait en sorte qu’elle se trouvât là. Quand elle n’avait plus su panser les plaies que lui infligeait son fils, il était venu et il l’avait soignée. Il avait passé du temps à réparer ce qu’il détruisait. À rendre possible cette union qui les tourmentait tant désormais. Sans lui, elle serait sans doute partie. Elle n’aurait même probablement jamais rencontré Kaahl, ou cette rencontre serait restée un événement anecdotique. « La vie est belle et cruelle à la fois. » répéta-t-elle, se remémorant les lignes qu’il lui avait laissées au creux d’une feuille soigneusement déposée sur la table de la cuisine, aux Jardins. Cela remontait à des années pour elle mais n’était pas encore advenu pour lui. Elle murmura : « Comme les étoiles, j’imagine. » Elle rouvrit les yeux et tourna la tête vers lui. Elle eut envie de franchir la distance qui les séparait et de l’enlacer, mais c’eût été cruel pour lui, pour elle. Elle le détailla, comme si elle cherchait à éprouver l’amour qu’elle ressentait. Il lui comprimait pourtant déjà la poitrine. Il existait partout, en permanence, dans chaque chose, dans chaque battement de palpitant, dans les yeux d’Ezechyel et dans ceux de Kaahl. « On ne va pas arrêter de se croiser. Mais la prochaine fois, j’essaierai de ne pas t’embrocher avec mon épée… » Son trait d’humour sonnait faux et elle s’en voulut. Ils étaient condamnés aux entrechats. Et dans ces croisements signés de la main du Destin, leurs cœurs se brûlaient.
Message II – 615 mots
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Dernière édition par Priam et Laëth le Dim 10 Mar 2024, 21:26, édité 1 fois
Jun Taiji ✞ Æther de la Mort ✞ ◈ Parchemins usagés : 5278 ◈ YinYanisé(e) le : 02/02/2012
Les lèvres d’Ezechyel s’étirèrent d’un seul côté. Il laissa un rire désabusé lui échapper. Elle avait raison. La vie, comme les étoiles, était à la fois belle et cruelle. Il remonta les yeux sur elle et soutint son regard. Le temps lui sembla suspendu. Il l’imita, en restant parfaitement immobile. Pourtant, l’attraction était forte, presque palpable. Il se demanda où se situait le centre de gravité : en elle ou entre eux ? Il doutait d’être le seul à ressentir le besoin de toucher l’autre. Elle ne pouvait pas mentir, parce qu’elle était une Ange de ce temps-là et que la Luxure se serait propagée en elle s’ils avaient fait l’amour sans qu’elle n’en éprouvât le sentiment. Elle l’aimait vraiment, donc. Il soupira. L’amour était cruel aussi. Il sourit sans joie à sa remarque, sans chercher à se défausser de cet instant. Il baissa ses iris sur l’herbe. Il pensa à cette émotion qui enrobait son cœur. Il savait qu’il pourrait redresser le Temps, veiller à ce que tout se passât comme le Destin l’avait prévu, sauver des peuples et s’acharner dans sa fonction, ce même Temps aurait tôt fait de faire de ces moments des souvenirs sans saveur. Quelque chose lui disait, en revanche, que rien ne serait plus important pour lui que les liens qu’ils créeraient avec autrui, avec elle. Il voyait tous les jours les ravages du poids des années sur les peuples non éternels, ceux de la maladie, de la vieillesse. Certains se laissaient mourir après avoir perdu l’être aimé. D’autres disaient qu’il était possible d’oublier et que les années atténuaient la souffrance. La vérité, selon lui, est qu’il existait plusieurs façons d’aimer, plusieurs degrés. Tout donner à l’autre, sans aucune réserve, revenait à se condamner à vivre la plus belle histoire et la pire fin. Il eut envie de pleurer et concentra son regard sur l’eau quelques secondes avant de bouger. Il s’agenouilla derrière elle et l’enlaça. « Je suis désolé. J’aurais aimé rester plus longtemps, pour t’aider. » Il avait failli mourir en repartant tout en tentant de l'emmener avec lui. Son père lui avait ensuite imposé une discussion qui lui avait semblé interminable. Plus long que les écrits des grands sages, le discours de Luci s’était éternisé au point que le blond avait cru voir se former entre ses deux sourcils froncés une ride indélébile. Pourtant, l’homme avait raison. Que pouvait-il promettre à l’Ange hormis du vent ? Il devrait repartir et ne pouvait pas savoir dès maintenant quand est-ce qu’il la reverrait. Kaahl était là, lui. Là d’une manière qui le dérangeait profondément mais là quand même. « Désolé. » répéta-t-il. « Ça a dû être dur. Ça doit l’être encore. » Il déglutit. « J’aimerais te soulager de ta peine. » Mais il ne pouvait pas. Il était impuissant. Il connaissait le chemin du Cycle, il savait que l’enfant avait donné naissance à une Fae mais ce n’était pas la même chose. Il voulait juste aspirer son chagrin, quitte à devoir le ressentir lui-même durant des années à sa place.
Les bras d’Ezechyel se refermèrent autour d’elle ; et pourtant ils l’ouvrirent toute entière. Chaque brèche colmatée se rompit dans un grand fracas. De déchirants frissons parcoururent l’échine de l’Ange, qui ne chercha néanmoins pas à se dégager. Ses mains remontèrent jusqu’aux poignets du blond. Elle les serra avec douceur entre ses doigts, en épousa les contours avec une délicatesse infinie, hantée par l’idée que la moindre brusquerie pourrait le faire voler en éclats. Elle aurait aimé qu’il pût rester pour toujours. Qu’il fût encore présent, dans ce temps-là. Encore un peu humain, encore un peu amoureux. Pourquoi ne l’avait-il pas laissée d’abord l’aimer lui ? Pourquoi l’avait-il poussée vers Kaahl ? Pourquoi le Destin et le poids du devoir devaient-ils être si mesquins ? Un Dieu ne pouvait-il pas s’en absoudre ? Comment une vie auprès d’un Æther pouvait-elle être pire que les tortures que lui faisaient endurer le Sorcier ? Par moment, il n’existait plus aucune tendresse en lui. Lors de leur deuxième rencontre, il avait insisté sur l’importance et la beauté de la vulnérabilité, mais cette fois-là aussi, il s’était parjuré : il honnissait toute forme de vulnérabilité dès qu’elle émanait de sa poitrine. Il préférait être cruel et violent que d’admettre les émotions qui l’envahissaient. Il n’était pas insensible, il faisait simplement semblant de l’être, et cette dureté factice, brûlante et piquante, la heurtait. C’étaient ses bras à lui qui aurait dû l’entourer. Aimer n’était pas suffisant. « Ce n’est pas de ta faute. » articula-t-elle, la gorge nouée. Elle inclina la tête pour que sa joue vînt s’appuyer contre son avant-bras. « Ça va passer. » Une fois de plus, il pansait les plaies causées par un autre. Cet autre, le sien. Le lien qui les unissait dépassait la filiation. Elle l’avait compris lorsqu’elle avait su qu’Aimé était Kaahl et que c’était donc son corps qu’Ezechyel avait habité. Elle l’avait compris quand elle avait entendu son cœur battre l’exact même rythme en leur présence. Freyja inspira. Son souffle vacillait au gré de trémolos et ses prunelles floutaient tout autour d’elle. « Je sais que je ne peux pas partir avec toi et que tu ne peux pas rester. Ça changerait le passé et le futur. Alors ne t’excuse pas. » Ses pouces caressèrent sa peau. Quelques secondes flottèrent. « Je ne sais pas ce qu’on est, dans mon présent. Peut-être que tu as oublié tout ça ou que tu t’en rappelles très bien. C’est difficile de savoir. » Elle appuya davantage sa pommette contre lui. Que pouvait-elle lui révéler ? À quel point pouvait-elle détailler celui qu’il était devenu ? Ses mots l’enfermeraient-ils dans une version viciée de ce qu’il devait réellement devenir, de ce qu’il ressentait véritablement, dans cette réalité-ci ? Quel pouvoir avaient les paroles ? « Mais je t’attends et je t’attendrai, que tu viennes du passé ou de maintenant. Tu me manques souvent. » Ses paupières se fermèrent. Elle sut qu’il valait mieux changer de sujet, tenter d’alléger leurs cœurs. Sa magie se répandit en volutes autour d’eux. « À quoi est-ce que ça ressemble, d’où tu viens ? Comment est-ce que tu occupes tes journées ? » Elle voulait se remplir d’impressions, d’images, de sensations, se saturer de lui pour l’ancrer à tout jamais en elle.
Message III – 546 mots
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Quand je vois une bêtise plus grosse que moi et que je décide de la faire.
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Jun Taiji ✞ Æther de la Mort ✞ ◈ Parchemins usagés : 5278 ◈ YinYanisé(e) le : 02/02/2012
Ezechyel se décala pour s’asseoir de nouveau à côté d’elle. Il posa son regard sur la surface de l’eau et soupira. Il devait penser à autre chose qu'à eux. Il songea que s'il était curieux vis-à-vis des paroles de l'Ange sur ce qu'il était devenu, il devait les oublier aussi. Il préférait ne pas s’envisager dans ce temps. Il s’était déjà rencontré lui-même et cela adviendrait probablement encore. Son futur l’interrogeait ; il questionnait tous ceux qui étaient comme lui. Néanmoins, ce savoir était dangereux. Il valait mieux s’en passer autant que possible. Son existence n’avait déjà aucune logique à force de valser entre les époques. Quant au reste, il aurait pu tenter de répondre à sa question silencieuse mais n’était pas en mesure de le faire. Il ne se connaissait pas assez pour envisager cette version bien plus âgée de lui-même et ses sentiments envers elle. Il savait simplement qu’à force de vivre trop longtemps, la mémoire avait naturellement tendance à se déliter. C’était d’autant plus vrai chez les Maîtres du Temps. Les voyages qu’ils entreprenaient laissaient souvent des séquelles et pouvaient créer l’impression d’être en dehors de la réalité. Il subissait déjà ces conséquences. Parfois, lorsqu’il rentrait chez lui, les pièces et le mobilier lui semblaient appartenir à un vieux souvenir enfoui.
Il réfléchit à quoi lui dire en tentant de se détacher de ses émotions. Il valait mieux qu’il se contentât de décrire sa famille, sans inclure le reste. « Hum… Je n’habite pas toujours au même endroit mais disons que certaines choses ne bougent pas… mes sœurs surtout. » Cent ans pour lui pouvaient représenter dix jours pour Edelwyn. « J’ai une sœur jumelle. Sa chambre est immense et mes parents lui offrent de quoi s’occuper mais elle s’ennuie souvent. Je pense qu’elle se sent seule. Elle ne le dit jamais franchement mais je crois qu’elle m’en veut lorsque je pars. » Il choisit de ne pas mentionner Kaahl. « Ma chambre à moi est plus petite. Comme je ne suis pas souvent là, elle ne me ressemble pas vraiment. Mon frère aîné aime s’y rendre quand je suis absent. Quand je rentre, elle est souvent piégée à cause de ses jeux. Heureusement, il part beaucoup aussi ; comme mon père… En fait, ma mère et mes deux sœurs sont plus souvent chez nous, parce qu’elles n’ont pas les mêmes obligations. » Il avait l’impression de balancer des informations sans aucun lien entre elles. « Mon frère aîné aussi a une jumelle. Ils ne s’entendent pas franchement. Et hum… dans notre maison principale, il n’y a pas de magie. Ma sœur déteste y vivre aussi pour cette raison. Sinon… quand je suis là-bas, le plus souvent j’étudie ou je joue à des jeux de stratégie avec elle. Je la laisse souvent gagner mais il vaut mieux qu’elle ne le sache jamais, sinon elle serait bien capable de m’assassiner. » Il sourit. « En fait, nous sommes très différents. Pour elle, toute action doit mener à un résultat. Elle ne fait rien sans une idée en tête. Tout doit être défini en superlatifs et tout ce qu’elle ne contrôle pas l’énerve profondément. Moi je suis… » Il soupira. « Je suis juste différent. » conclut-il. Edelwyn jouait de la musique pour briller en société, pour être meilleure que les autres, pour recevoir des récompenses, pour tout un tas de raisons. Lui jouait de la musique parce qu’il aimait ça. « Et toi, comment est-ce que tu occupes tes journées ? »
Tandis qu’Ezechyel se mettait à parler, Freyja pensa à Kaahl. Elle essaya de se rappeler la dernière fois qu’ils avaient vraiment discuté, qu’ils avaient passé du temps ensemble, qu’ils avaient pu se sentir suffisamment légers et confiants pour se partager quelque chose. Ses souvenirs se noyaient dans les mots du blond. Elle ne retrouvait pas trace de ce qu’elle cherchait dans sa mémoire. Elle possédait des centaines de souvenirs de conversations plus ou moins intimes avec la majorité de ses proches, et elle savait qu’elle en avait aussi avec le Sorcier, mais à cet instant, tout lui échappait. C’était comme s’il avait toujours érigé un mur entre eux, comme si elle n’avait jamais eu accès qu’à sa surface, comme s’il avait choisi de s’isoler d’elle et de ne lui offrir de lui-même qu’une image à peine écaillée de vérité. Ce n’était pas parfaitement vrai, il y avait eu des instants où elle avait pu entendre son âme chanter, pourtant, il ne lui restait alors que la sensation du silence. À ce constat, son cœur se serra. Elle laissa sa magie s’y engouffrer et le gonfler pour lui rendre sa forme originelle. Elle voulait arrêter de penser à tout ça. S’il n’y avait pas eu Aliénor, elle serait partie, mais la survie de la Magicienne dépendait d’eux tous et des efforts qu’ils fourniraient pour s’entendre.
Elle inspira et posa sa tête sur l’épaule d’Ezechyel. Elle connaissait ses sœurs. L’une d’elles était la mère de Kaahl, et l’autre celle de Devaraj. La première était morte, tuée par son fils ; la seconde… elle l’ignorait. Jun ne lui avait jamais parlé d’Edelwyn. Ni de son frère, qu’elle ne connaissait pas, mais dont elle avait deviné l’existence grâce au rêve. Sa vie ne l’avait pas autant marquée que celle de Stanislas Dementiæ, mais elle avait soufflé en elle suffisamment de sensations et d’impressions pour qu’elle eût le sentiment qu’elle lui appartînt presque. L’Ange l’écoutait et les visages, les scènes, les décors se dessinaient avec facilité. Elle aurait aimé pouvoir l’y accompagner, au moins une fois. Découvrir son monde à travers son propre regard, le parcourir au-delà des mots et de l’imaginaire. Avec douceur, son pouce caressa brièvement le dessus de sa main. « Ça dépend. Aujourd’hui, ma vie est assez décousue. Avant, j’avais une routine régulière, notamment quand j’étais dans l’armée angélique, mais depuis que je suis partie, et depuis la guerre… » Depuis lui, aussi. « Il y a quelques invariables. Je m’entraîne tous les jours, que ce soit juste du sport ou plus particulièrement pour le combat. Quand je suis chez moi, à Lumnaar’Yuvon, je participe aux travaux dans les champs. Et quand mon petit frère, Dastan, est là-bas, je m’entraîne avec lui. Il veut devenir Roi. » Elle sourit, presque mélancolique. Récemment, son rêve s’était heurté à la réalité. « J’ai aussi une petite sœur, Yngvild. Elle est encore très jeune, mais souvent elle veut participer à nos séances. C’est une vraie boute-en-train, elle laisse peu de répit. » Ses doigts s’enroulèrent autour de quelques brins d’herbe secs. « Après notre rencontre, je suis retournée quelques temps chez les Anges, puis j’ai été à Sceptelinôst, qui appartient aussi aux Réprouvés, et finalement, chez Adam, à Avalon. Là-bas… » Un petit sourire plissa ses lèvres. « J’ai fait quelques bêtises. Je n’ai jamais été une Ange très exemplaire, et je crois que si je retourne chez eux, ils voudront me couper les ailes. » Son sourire s’élargit et une fausse étincelle malicieuse brilla dans son regard.
Elle laissa filer quelques secondes, puis se redressa. « On devrait peut-être retourner au campement, maintenant ? » L’idée de clore leur parenthèse lui fendait le cœur, mais ce n’était là rien d’autre que ce poids du devoir qu’il lui avait transmis, dans ce rêve où elle avait été si proche de lui.
Message IV – 637 mots
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Quand je vois une bêtise plus grosse que moi et que je décide de la faire.
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Dernière édition par Priam et Laëth le Mar 19 Mar 2024, 20:50, édité 1 fois
Jun Taiji ✞ Æther de la Mort ✞ ◈ Parchemins usagés : 5278 ◈ YinYanisé(e) le : 02/02/2012
Ezechyel tourna légèrement la tête, comme pour constater la réalité de la présence de l’Ange contre lui. Il releva ensuite le menton. Il aurait aimé rester avec elle ; se marier avec elle, même si l’idée pouvait sembler folle. Il aurait pu la regarder dormir et l’entendre rire. Il aurait pu être là pour essuyer ses larmes et l’observer s’entraîner à combattre. Il aurait pu la soutenir et lui raconter ses voyages et les légendes qui parfois s’y rattachaient. Il sourit lorsqu’elle lui raconta que Dastan désirait devenir Roi. Il pouvait comprendre mais ne l’avait jamais désiré lui-même. Roi de quoi ? Des Rehlas ? Il espérait que jamais le Destin ne l’obligerait à assumer une telle tâche. À vrai dire, il souhaitait souvent être privé de ses dons et recouvrer sa liberté d’esprit et d’action. Il désirait avoir l’impression d’agir par et pour lui-même, sans aucune obligation que celles qu’il aurait provoquées. Il imagina Yngvild comme une version miniature de Freyja. Elle aussi, devait avoir été un sacré boute-en-train. « Vraiment ? » demanda-t-il, quand elle avoua avoir fait des bêtises. Il imagina plusieurs choses, sans jamais tomber sur la vérité. « Je me dois d’être inquiet pour les Anges alors. » Un petit sourire habilla ses lèvres. En observant les relations de la jeune femme avec les membres de leur groupe, il s’était rapidement aperçu qu’elle comptait pour chacun des hommes présents. Il n’était pas au fait de la position de chacun d’eux mais il savait évaluer la puissance de ses interlocuteurs. Plus un individu l’était, plus il y avait de chances pour qu’il fût important au sein de son peuple. Si les Anges décidaient de couper les ailes de Freyja, il supposait qu’une catastrophe adviendrait. « Tu ne devrais pas y retourner. » murmura-t-il après un temps, soucieux de son bien-être.
« Oui, on devrait… » Sa voix laissait penser qu’il n’en avait pas envie. Ils devaient, mais il ne voulait pas. Il inspira et soupira. « Je ne sais pas quand est-ce que je devrai partir cette fois. Peut-être qu’après notre mission, nous aurons la possibilité de passer du temps ensemble ; si tu en as envie. » Il se leva et lui tendit la main pour l’aider à faire de même. Une fois qu’elle fut debout, il s’approcha plus et effleura ses cheveux avec ses doigts, pour remettre une mèche derrière son oreille. Il sourit. « Je sais qu’il risque de finir par me tuer mais… » Il ne finit pas sa phrase. Le problème c’est qu’il oscillait entre la raison et la passion ; la raison ne lui allait pas, si bien qu'il pensa que, quitte à mourir, autant mourir pour ça. Il rit, amusé et gêné à la fois. Puis, comme si la menace de la mort ne le faisait plus trembler, il descendit ses phalanges pour kidnapper la main de l’Ange. L’air de rien, il se mit à marcher et la regarda. « Tu sais... mes sentiments n'ont pas changé depuis la dernière fois. Il n'y a pas eu d'autres femmes dans ma vie. » Il détourna les yeux, heureux de son aveu.
Silencieuse, Freyja laissa les doigts d’Ezechyel toucher ses cheveux, effleurer son oreille, secouer son cœur. Sa lâcheté lui labourait les flancs : elle aurait préféré qu’il n’abordât jamais le sujet. Proposer une suite, c’était devoir se souvenir qu’aucun avenir viable ne pouvait la lier à cette version de lui. Il n’existait que par moments. Chaque seconde avec lui constituait un instant volé au passé, un ersatz de présent bafoué, et préparait un futur erroné. Leurs rencontres troublaient l’espace et le temps ; elles troublaient peut-être le Destin, ce qui devait être, ce qui aurait dû être. L’Ange pressentait les anomalies engendrées par la présence du blond sans être capable de les identifier. Elle les discernait comme elle percevait vaguement ce qui le liait à Kaahl, ce qui n’était pas que filiation et ce qui guidait le rythme des pas dansants de son palpitant sur ses côtes, qu’il semblait gravir et dévaler comme s’il s’agissait d’escaliers. Elle lui en voulut de parler de ce devoir qui le lui arracherait à nouveau, parce que cela impliquait de se rappeler de toutes ces petites choses dont la force jointe creusait entre eux un fossé qu’ils ne pouvaient pas ignorer.
Elle inspira, les yeux baissés, avant de les relever quand il reprit la parole. Elle détestait qu’il évoquât tout ça, parce qu’à ce moment-là, elle aurait donné n’importe quoi pour construire sa vie avec quelqu’un qui n’essaierait pas d’anéantir leurs fondations à la moindre occasion – pour la construire avec lui. Elle se sentait fatiguée, lasse. L’impression de porter seule une montagne prête à s’écrouler ne quittait pas ses épaules. Sa magie atténuait les sensations, mais elle n’arrivait pas à les annihiler. L’envie de claquer la porte et de ne jamais revenir auprès de Kaahl s’était enroulée progressivement autour de sa poitrine tandis qu’elle scrutait le ciel, étendue à la surface des eaux du lac. Elle aurait voulu ne plus rien ressentir ; pourtant, face à son rire, elle ne parvint pas à retenir un sourire, puis elle se laissa guider. Que se passerait-il si elle lui demandait de l’entraîner plus loin ? Si elle partait avec lui, dans ce passé où elle n’aurait pas dû exister ? Si elle défiait ces lois qui semblaient régir le temps et l’espace ? La réalité se fracassa contre ses rêves. « Ezechyel… » Elle s’arrêta et le regarda. « Ne m’attends pas. » Ses doigts quittèrent les siens pour que ses mains pussent encadrer son visage. « Je suis trop loin de toi. » Sa gorge se noua. Ses yeux verts, dans les siens, tentaient de rester à flot. Elle caressa doucement ses joues de ses pouces. « Je t’aime, mais je ne peux rien t’offrir d’autre que des instants volés, et je… » Ses prunelles descendirent sur l’herbe jaune. Elle déglutit. Les mots ne trouvèrent aucun chemin ; alors elle rompit la distance qui les séparait et l’enlaça. « Ne m’attends pas. » chuchota-t-elle. Ses bras se crochetèrent davantage derrière sa nuque et elle enfouit son visage dans son cou. Sa magie les enveloppait, pour les soutenir et les guérir. Freyja savait, pourtant, que certaines plaies ne pouvaient pas même être guéries par le temps.
Message V – 529 mots
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Merci Kaahlinou
Jun Taiji ✞ Æther de la Mort ✞ ◈ Parchemins usagés : 5278 ◈ YinYanisé(e) le : 02/02/2012
Ezechyel referma ses bras sur Freyja à son tour. Il déglutit, serra ses lèvres entre elles et finit par sourire timidement, le regard tourné vers le sol. Il resta ainsi sans parler un moment. Il sentait les effets de la magie de l’Ange et ne cherchait pas à les repousser malgré tout. On lui avait appris que pour canaliser ses émotions, il fallait d’abord les ressentir pleinement. Les ressentir ne voulait pas dire agir en conséquence, simplement prendre conscience des vagues qui le traversaient afin de les analyser et de les calmer, les réduire à un murmure. Cependant, là où Freyja avait sa vision des choses, il ne partageait pas la même. Ils ne venaient pas du même Temps et n’avaient pas la même approche de ce dernier. Autant derrière lui que devant lui, il voyait de multiples possibles. Il n’était personne pour parler au nom du Destin et n’avait accès qu’à quelques bribes de ce dernier. Ses missions l’obligeaient. Elles constituaient la feuille de route de son existence. Peut-être qu’un jour, il serait obligé de la tuer ou de se marier avec elle. Peut-être qu’il ne serait jamais question d’elle et qu’il aurait toujours la surprise de leurs rencontres, de ce qu’ils se diraient et de ce qu’ils feraient. Il l’espérait.
Tranquillement, il se recula. « Je ne t’attends pas. » lui affirma-t-il. Il n’était pas maître de son propre cœur. Tout ceci existait pour servir d’autres desseins. Peut-être qu’un jour, il ne l’aimerait plus mais ce n’était pas encore le bon moment. Peut-être devrait-il aussi faire semblant d’en aimer une autre et devenir père d’un enfant pour servir le Destin. Il l’ignorait. Tout ce qu’il savait c’est qu’Edelwyn et lui devraient donner la vie pour perpétrer les dons familiaux. Ce jour n’était pas fixé et il l’espérait aussi tardif que possible. Il était certain que sa jumelle partageait ce sentiment. Il attrapa la main de la brune et plongea ses yeux verts dans les siens. « Laisse-moi juste t’aimer le temps que ça durera, même si tu construis tout avec lui et rien avec moi. » lui dit-il. Elle pouvait refuser ses émotions mais le rejet ne changerait rien. Il ne pourrait pas arrêter de l’aimer pour si peu et n’avait aucune prise sur le futur, sur ce qu’il adviendrait de sa relation avec Kaahl, sur ce qu’il adviendrait de leur relation à tous les deux. Tout ce qu’il savait, c’est qu’il était amoureux d’elle et n’éprouvait aucune envie de cesser de l’être. Il soupira en la quittant des yeux puis, lorsqu’il les accrocha de nouveau à son visage, lui sourit. Il lui tendit la main. « Allons-y. »
Les mâchoires scellées, Freyja dardait sur Ezechyel un regard terrible, empreint d’autant de douceur que de douleur. Ses iris verts ressortaient au centre de ses rétines rougies par les larmes qu’elle tentait de retenir. Elle ne voulait pas le faire souffrir. C’était une pensée idiote parce qu’elle n’était pas maîtresse de ce qu’il ressentait. Parce que même si elle l’avait repoussé, au Cœur Vert, elle était à peu près certaine que cela n’aurait rien changé. Il aurait souffert du rejet, peut-être autant ou peut-être plus que de son amour. Elle ne pouvait pas contrôler ces choses-là, pas plus qu’elle ne pouvait contrôler les sentiments qui siégeaient à la table de son âme, vraisemblablement déterminés à la marquer au-delà de toute sanité. La haine frappa son cœur ; elle haït le devoir, le Destin et les étoiles comme il les haïrait plus tard, comme il lui avait appris à les haïr. Elle les haït de ne pas être justes, de se moquer du hasard pour ne procéder qu’avec une méthode cruelle. Ses doigts se nouèrent à ceux d’Ezechyel, mais elle n’entama aucun mouvement pour partir. Elle l’attira doucement vers elle et l’enlaça à nouveau. Elle aurait pu clamer qu’elle refusait son amour, protester contre ce ressenti qu’il lui imposait, déclarer qu’elle ne voulait pas plus de souffrance qu’elle n’en éprouvait déjà ; mais ça n’étaient pas des arguments, ça n’étaient même pas des raisons, et ça n’aurait pas été sincère. L’amour et la souffrance existeraient indépendamment de ce qu’elle pouvait exiger. Elle voulait tout de lui, tout en sachant qu’elle n’en aurait que des fragments. En définitive, elle n’avait rien à opposer. Arrêteraient-ils de s’aimer, un jour ? Que ressentait Jun ? Et si elle ne l’aimait plus, aimerait-elle encore Kaahl ? Si elle faisait taire ses sentiments à l’égard du Sorcier, qu’adviendraient-ils de ceux qu’elle entretenait pour le blond ? Un sourire moqueur ourla ses lèvres. Elle délirait. Ses paupières se fermèrent et elle appuya un peu plus sa tête contre sa clavicule. Elle demeura ainsi un moment, éprise de silence.
Lorsqu’elle se redressa, ses lèvres trouvèrent immédiatement les siennes. Elle l’embrassa avec tendresse, puis se détacha. Son pouce caressa sa pommette, puis se perdit dans ses cheveux. « Rentrons. » Après avoir ramassé ses affaires, elle prit le chemin du campement, sa main liée à la sienne. J’étais accrochée à sa ceinture, et il me semblait entendre son cœur frapper contre ses côtes. Je me sentais moi-même dans un état particulier. Je regardais pensivement leurs doigts entremêlés, et les vis se défaire quelques minutes avant notre retour, et la distance s’accroître entre eux.
Fin
Message VI – 434 mots
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Quand je vois une bêtise plus grosse que moi et que je décide de la faire.
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Merci Kaahlinou
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Chapitre III - Les Liés | Ezechyel, Freyja & Primerose
Assise sur un rocher au bord de l’eau, j’observais mon Ange. Elle s’était baignée en entier. Ses cheveux sombres coulaient dans son dos et sur ses seins. Elle ne pleurait plus, mais ses larmes avaient nourri le ventre du lac. Je n’en avais jamais vu de tel : sa surface irisée se noyait de nuances colorées qui oubliaient toutes de refléter le ciel comme la terre. Elle s’était laissée flotter à sa surface, le regard rivé sur les nuages, mon regard fixé sur elle, et je m’étais demandé à quoi elle songeait, quelles émotions l’habitaient, quels sentiments la berçaient. La violence du Duc était gravée dans ma mémoire. Si elle avait pu m’entendre, je lui aurais crié de s’enfuir. Quoiqu’elle m’eût paru affreusement défaite dans la solitude, il me semblait que ces moments esseulés n’étaient rien en comparaison de la souffrance qui avait battu ses traits quand il avait parlé. Ma soif d’aventure en avait immédiatement été étanchée et, depuis, je me sentais d’humeur maussade. Je regrettais les jours calmes que nous vivions à Lumnaar’Yuvon. Prenant appui sur mes mains pour me propulser, je me laissais tomber jusqu’au bas de mon assise. La roche râpa mes paumes, que je frictionnais en grimaçant à l’arrivée. Puis, je m’éloignais de plusieurs pas, à la recherche de quelques trésors qui pussent raviver son sourire.
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Avant d’arriver, Ezechyel entendit comme un son prophétique. Le bruit d’une arme, exagéré. Lorsqu’il se matérialisa, sa vision auditive ne l’empêcha pas d’être surpris. Il écarquilla les yeux en même temps que son corps effectua un mouvement de recul. En miroir à celui de l’Ange, son cœur frappait dans sa poitrine. Il y avait plusieurs raisons à cela, parmi lesquelles il était possible de trouver le courage – la témérité – qu’il lui avait fallu pour mener à bien sa rébellion contre le brun, l’utilisation de sa magie ou encore la vision de Laëth. Freyja. Il se pinça les lèvres, embarrassé. « Ah… Oui. Désolé. Je ne sais pas comment faire pour avertir de mon arrivée. » Il avait d’ailleurs craint de ne pas réussir à se téléporter via le miroir. Entre sa venue dans ce temps et les utilisations qu’il avait déjà faites de sa magie, il redoutait de ne plus être capable de l’utiliser s’il continuait. Ses iris se baissèrent légèrement, assez pour constater que les jambes de l'Ange étaient nues. Il les vissa de nouveau dans les siennes. Il aurait peut-être dû réfléchir davantage avant de se lancer. Seulement, Kaahl l’agaçait. Ils l’agaçaient tous, sauf Adam peut-être. Malgré son âge réel, le Rehla gardait une candeur désarmante. Il savait que la justice et les autres valeurs qui portaient les battements du cœur des hommes et des femmes vertueux n’existaient pas sous le joug du Destin. Pourtant, il voulait y croire quand même ; changer les choses peut-être. « C’est que… je ne décide pas vraiment de… » Sa gêne ne faisait que croître. La dernière fois, il l’avait quittée sans la prévenir. « Enfin, ça n’a pas d’importance. » conclut-il, après avoir décidé qu’il ne servait à rien de revenir sur cet élément-là. Comme il cherchait une idée, il se rapprocha du lac. Depuis le début de leur aventure, il avait capté quelque chose ou, plutôt, quelqu’un. Sa présence lui était apparue comme une évidence, même s’il n’avait pas cherché à la révéler. Selon lui, elle ne présentait aucun danger. 