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Sur le chemin du retour, à moitié défroqué et les mains sur la chaise de Priam pour l’aider à avancer, je finis par hausser les épaules.

« Il n’a pas tort après. Tu peux toujours retenter. Surtout que tu es toujours en vie. »

À mon avis, ce n’était pas une bonne idée mais je n’étais personne pour trop insister sur ce point. Je lui avais dit une fois et n’allais pas le répéter.

« Je me demande si les autres le sont aussi d’ailleurs… »

Il n’y avait pas eu qu’Ezechyel. La différence fondamentale tenait dans sa personne et dans l’amour que Freyja lui portait. Les autres n’avaient été que des exutoires. Si Kaahl les avait fait assassiner, l’Ange ne s’en rendrait probablement jamais compte. Ce ne serait pas la même chose pour le blond.

Mes yeux se posèrent sur les cheveux de Priam. Je n’avais pas cherché à m’opposer à sa remarque. Il avait raison en bien des aspects. Il oubliait simplement que Kaahl la rendait aussi heureuse. Dans tous les cas, je n’avais pas l’intention de m’en mêler. Chacun avait une vision différente des choses.

Une fois arrivés au campement, je lâchai le fauteuil pour inspecter les travaux finis. Mon regard tomba toutefois sur Kaahl. Il était seul et…

« C’est quoi ça ? »

Sur sa tête, deux cornes lui servaient de couvre-chef.

« Tu t’es fait mordre par un Eversha ? »

Vu sa mine, ce n’était pas ça. Pourtant, il ne faisait aucun doute qu’il subissait le phénomène.

J’étudiai sa position, l’absence de Freyja et divers éléments du décor comme le thé renversé sur une couverture, avant d’arriver à la conclusion que le campement avait été monté par magie et qu’ils avaient probablement dû se disputer.

Je m’approchai, me mis à genoux devant le Mage et approchai mon visage et l’une de mes mains. Mes doigts se refermèrent sur la corne de droite pour en tester la solidité. Je souris, lui volai un baiser et allai au bout de ma pensée en la vocalisant.

« Je saurai quoi saisir la prochaine fois comme ça. »

Je me redressai rapidement, un sourire espiègle aux lèvres, et m’occupai de nouer le dernier bouton de mon pantalon. Comme il ne faisait pas froid, je n’avais en revanche pas l’intention de remettre un vêtement sur mes épaules, à moins qu'un bataillon de moustiques n'arrive droit sur nous.

« Bon, on a qu’à faire à manger et si Freyja ne revient pas dans quelques minutes, j’irai la chercher avec ma Bague. Je ne suis pas pour les couvre-feux mais Ârès pourrait en profiter. »

Je l’avais dit l’air de rien, juste pour que l’idée s’infuse dans l’esprit du principal concerné. Il avait beau l'observer, le temps d'agir en cas d'attaque serait probablement insuffisant pour faire quoi que ce soit.

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Musique

Ezechyel soupira malgré lui. Bien sûr, il était toujours en vie. Pourtant, la situation actuelle le chagrinait. Il aurait aimé pouvoir arranger les choses mais n’avait aucune prise dessus. Il devait se comporter dignement, rester calme – malgré le fait qu’il y en eût d’autres, respecter les principes qu’on lui avait inculqués et attendre un signe, quel qu’il fût. Ses pulsions étaient ses ennemies. Son père ne cessait de le lui rappeler. Les Portes était un endroit instable et dangereux dans lequel la magie divine pulsait. Il devait donc d'autant plus rester prudent.

La première chose qu’il remarqua lorsqu’ils arrivèrent au campement fut l’absence de Freyja. Les cornes vinrent ensuite mais ne suffirent pas à détourner son attention. Il la chercha des yeux une nouvelle fois puis, à l’image d’Adam, étudia les détails en quête de réponses. Son regard tomba sur la rose puis sur le miroir posés à côté du Sorcier. Les mots de l’Ange lui semblèrent lointains, comme ceux du Déchu. Il s’approcha et referma sa main sur l’objet. Il la vit, là où son reflet aurait dû apparaître. Il connaissait ces objets. Lui-même en possédait un. Beaucoup de ses visions passaient par leur biais. Il se méfiait pourtant. Les miroirs étaient dangereux. Les Reflets les utilisaient et ils n’étaient pas les seuls. Sa famille utilisait les yeux des individus pour se figurer le monde mais espionnait également par le biais des glaces. Le narcissisme de certains les perdaient à bien des égards. « Tu ne devrais pas l’utiliser… » murmura-t-il, à l’attention de Kaahl mais si bas qu’il semblait se parler à lui-même.

« Non. Elle va bien ! » Ezechyel venait de relever la tête, les yeux dirigés vers Priam. « Elle va bien. » répéta-t-il. Elle allait bien mais ce n’était pas une raison. Le blessé avait raison : ils devaient rester ensemble. Il inspira. Un mauvais pressentiment lui sciait la taille. Il ne savait pas comment l’interpréter. Peut-être était-ce la situation ? Les émotions qu’il ressentait de part et d’autre ? Il n’était pas habitué à vivre aux côtés du Sorcier. C’était peut-être simplement ça. Ou autre chose. Il ferma les yeux, tenta de se rappeler les paroles de son père mais ne réussit à créer dans ses pensées qu’un bourdonnement agaçant. « Et puis merde ! Je vais la chercher puisque personne ne bouge ! » s’exclama-t-il, le cœur tambourinant contre sa poitrine. Il était rarement grossier. Il fit un pas, sauta et disparut au sein même du miroir dans une traînée scintillante pour réapparaître à l’endroit exact où se trouvait Freyja. Les miroirs étaient dangereux. Ils servaient à voir mais ouvraient aussi des portails à ceux qui savaient les manier.  

440 mots
Oupsi  

Ma langue frotta contre mon palais. Un bruit sec caractéristique s’éleva. Le psychologue qui me suivait m’avait conseillé des exercices de respiration mais plus je m’y essayais, moins ils fonctionnaient. Comme si tout en moi rejetait la détente, le simple fait de songer passer outre me donnait de l’urticaire. Si ce lien n’existait pas, j’aurais probablement fait assassiner l’Ange à la moindre occasion. À Amestris, je n’aurais pas eu besoin de formuler l’ordre pour qu’on jugeât bon de lui régler son compte. Je me concentrai sur Adam lorsqu’il s'approcha et me tins immobile. Ce n’était pas le bon moment mais le Déchu était d’un naturel à toute épreuve et je me savais incapable de le brider sans lui faire physiquement du mal. Un souffle vif s’échappa de mon nez à sa remarque. J’étais entouré de trois trublions contre lesquels je ne pouvais presque rien. Les Génies m’avaient condamné à être l’Orine de Priam. Ma vie dépendait de celle d’Ezechyel. Quant à Adam, si aucune force mystique ne semblait l’accrocher à moi, c’était moi qui me cramponnais à lui. Le flux des émotions des uns et des autres passait en moi de façon désagréable. La seule manière d’améliorer nos rapports était de laisser des sentiments positifs advenir pour que le cercle vicieux devînt vertueux. Je n’étais cependant pas disposé à m’y employer. L’inquiétude de Priam m’était palpable. « Amusant que tu t’intéresses à ta sœur après l’avoir rejetée. » Celle de mon père également. Je posai mon regard sur lui et le miroir qu’il tenait. Je n’appréciais pas que l’on touchât à mes affaires, surtout pour admirer ma femme à travers elles. Adam était de loin le plus diplomate. Mes prunelles, cette fois, se jetèrent dans celles de l’Ange. « Parce que tu as déjà réussi à retenir Freyja, toi ? » J’aurais pu la retenir, et c’est ce que j’avais fait la première fois qu’elle s’était enfuie. Néanmoins, là n’était pas mon rôle.

Je rattrapai le miroir sans bouger, la télékinésie agissant pour moi. Il fallait absolument que je tuasse Résaire Monteverdi dès que l’occasion se présenterait s’il ne me proposait pas quelque chose de plus efficace que la méditation pour calmer mes pulsions. Je restai immobile quelques secondes, les yeux dans le vide, avant de prendre la décision d’ignorer purement et simplement ce qu’il venait de se produire. « Bien. » soufflai-je, aussi buté qu’un Bicorne. « Préparez le repas. Je vais me laver. » Je fis quelques pas avant d’ajouter un mot. « Seul. » Le constat était clair : je préférais de loin me retrouver au milieu des Chanceliers des Ténèbres et leurs complots incessants que pris en étau entre ces quatre-là. « Oh et… tu devrais faire attention, je crois que l’une des roues de ton fauteuil est légèrement désaxée. » Je souris et me retournai pour m’éloigner, laissant ma magie faire le reste. Le fauteuil de l’Ange bascula sur la droite après la chute de la roue désignée. La qualité du matériel se perdait, vraiment, à l'image du respect.

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J'espère que vous appréciez mes efforts pour tenir la bête  

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Mes mains se refermèrent sur les épaules de Priam pour l’empêcher de tomber et stabiliser le fauteuil. Une fois que ce fut fait, je soupirai et utilisai à mon tour la télékinésie. J’aurais pu le faire directement mais, en fonction du contexte et du pouvoir, j’avais parfois des réflexes plus physiques que magiques.

« Ça va ? »

Ma demande à l’Ange s’était faite sans le regarder. Mes yeux fixaient le dos de Kaahl qui s'éloignait. Tant qu’il ne se détendrait pas, la situation ne s’améliorerait pas. Puisqu’il m’avait interdit de le suivre, il me faudrait trouver un autre moyen d’agir pour l’apaiser.

« Attends, je vais essayer de remettre ta roue. »

J’attrapai l’objet pour tenter de le fixer, en vain.

« Il va peut-être falloir attendre que Freyja revienne pour la réparer, sauf si tu contrôles le métal ? »

Je reposai la roue et m’assis à côté de lui mais par terre. Je posai mes avant-bras sur mes genoux et soufflai un coup.

« Je sais que tu ne l’aimes pas mais si les choses ne s’améliorent pas entre nous tous, on risque d’échouer à retrouver Aliénor à temps. »

Je posai les yeux sur le paysage.

« Je ne sais pas si tu as entendu ce qu’il s’est passé avec Constantine. C’était une amie d’enfance de Kaahl. Elle est allée vivre chez lui. Je crois qu’il l’a sauvée, elle et sa fille, des griffes de son mari. Enfin, ça n’a duré qu’un temps parce qu’Ârès est intervenu. »

Je n’avais pas envie de lui raconter les détails. Ils avaient hanté Kaahl durant des mois.

« Ce que j’essaye de dire c’est que ce n’est peut-être pas le beau-frère idéal à tes yeux mais qu’il y a pire. Je pense aussi que sa relation avec Freyja connaît des torts partagés. En plus, vous avez grandi tous les deux chez les Réprouvés et je suis sûr que tu vois très bien ce que ça signifie. Il m’a suffi de me rendre à Lumnaar’Yuvon une fois pour comprendre que les caresses côtoient les coups. »

Je le regardai, l’air de dire que cette dynamique était un terreau parfait pour l’instabilité émotionnel et les abus. Réprouvés et Mages allaient très bien ensemble selon moi, que la relation soit vicieuse ou vertueuse.

« Mais ce n’est pas à nous de nous en mêler, ni de ça, ni de ce qu’il s’est passé avec Ezechyel. Et j’espère que tu ne te mêleras pas de ce qu’il se passera avec moi. En plus, malgré les apparences, je crois qu'il t'apprécie. »

Je lui souris.

« Bref. L’amour n’est vraiment pas raisonnable. »

Kaahl compliquait simplement tout en ne voulant pas perdre le contrôle. D’un côté, je le comprenais. De l’autre, ça rendait les choses plus difficiles. Ezechyel, lui, ne semblait pas encore souffrir d’expériences négatives dans le domaine. Malgré son calme apparent, il semblait plutôt fougueux et déterminé. Freyja, elle, débordait d'émotions et avait des blessures aux cicatrices si fragiles qu'il suffisait d'un rien pour les rouvrir.

« Ça se saurait sinon : tu ne serais pas amoureux d’une femme dévolue à la Couronne Noire et elle ne t’aimerait pas non plus. D’ailleurs je me demande, si elle devenait Sorcière, l’aimerais-tu toujours ? »

Je pensais que oui mais préférais lui poser la question. Peut-être qu’il comprendrait des évidences à propos de sa sœur.

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La réponse de l’Ange étira mes lèvres légèrement, comme le faisaient parfois les vieillards des races qui vivaient une centaine d’années devant les propos des jeunes encore bercés par leurs illusions. Je savais qu’il était plus évident de s’imaginer agir de telle ou telle façon plutôt que de s’y tenir. Les sentiments balayaient souvent la raison et il fallait une force à toute épreuve pour parvenir à les dompter, la force de se condamner soi-même au malheur.

« Peut-être qu’elle l’est… »

L’envisager me fit sourire un peu plus.

« Après tout, il y a un réel attrait pour les Mages dans ta famille. Freyja avec Kaahl, Dastan avec Érasme… »

Je m’interrompis. Les histoires sur les deux garçons défrayaient les chroniques d’Avalon. Des pièces de théâtre leur étaient dévolues. Malgré leur jeune âge, ils étaient magnétiques. On les remarquait facilement et si la censure régnait à Amestris, ce n’était pas le cas de tous les territoires. On pouvait argumenter qu’il s’agissait là d’un fantasme malvenue de certains Déchus (et ça l’était dans certains cas) mais il y avait une grosse part de vérité là-dedans.

« Toi avec Aliénor. »

Je lui souris. Elle était peut-être une Magicienne mais il avait fait un choix compliqué. Si sa dulcinée avait vécu à Vervallée, dans une famille normale, loin des Sorciers, ça aurait pu être valide. Ce n’était pas le cas. Je n’avais rien contre ça car chacun faisait ce qu’il voulait mais je me demandais vraiment si Priam avait conscience des problématiques soulevées par le choix de son cœur. Il pouvait croire Aliénor innocente (et sans doute l’était-elle) mais d’un point de vue extérieur, il n’en était pas moins un Ange qui flirtait avec la Couronne Noire.

J’écoutai la suite de son discours en regardant le sol. Les paroles de Priam respiraient une seule chose : l’inquiétude. S’il s’inquiétait, c’était parce qu’il était attaché à sa sœur.

Alors que le silence s’installait, je posai une main sur son épaule.

« Ce que je vais dire n’engage que moi mais tu ne penses pas qu’il serait temps de faire la paix avec elle ? Certains frères et sœurs sont irréconciliables mais quand je t’entends parler, j’entends surtout tes craintes. J’ai l’impression que son absence te pèse et je pense que la tienne lui pèse aussi. »

Je le regardai.

« Tu l’as dit toi-même : la famille est plus importante que l’amour. »

Je n’étais pas d’accord mais je n’avais pas l’intention de l’ébranler dans ses conceptions.

« Elle est ta famille, ce que tu dis vouloir prioriser et protéger, au même titre que ton peuple. »

Je lâchai son épaule et arrachai un brin d’herbe.

« Personnellement, je compte être là pour elle, comme je suis là pour lui. Alors si c’est trop dur pour toi d’apaiser ta colère la concernant, je serai là pour deux. »

J’inspirai.

« Après, je suis aussi préoccupé par ton état. Je t’en fais part parce que je sais que tu es important pour elle et que, malgré le fait qu’on ne se connaisse pas tant que ça, j’ai de l’estime pour toi. En fait, je crois que si tu restes dans ton état actuel et que tu ne cherches pas à arranger les choses, la Colère va gagner la guerre qu’elle te mène. »

Pardonner le délivrerait d’une partie de son fardeau.

552 mots

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Je souris.

« C’est vrai que je joue contre mon camp en t’avertissant. »

Si la déchéance était toujours en vigueur, je ne l’aurais probablement pas prévenu. Néanmoins, je ne souhaitais l’Agbara à personne. De mon point de vue, il valait mieux que les Anges restent dans le « droit » chemin actuellement. Les Vertus n’entraient plus en ligne de compte chez la plupart des Ailes Blanches. Avant, ces derniers acceptaient la déchéance comme étant un processus naturel. Ils laissaient s’en aller les pécheurs parce qu’ils savaient que c’était pour leur bien. Plus tard, après avoir dompté le Péché, ils pouvaient toujours se repentir et revenir. Ce n’était malheureusement plus le cas. Le Bien, aujourd’hui, me paraissait terrible.

« Bonne idée. »

Après avoir maté les fesses de l'Ange, je me penchai pour attraper les ustensiles. J’aurais pu retourner à Priam la question qu’il venait de poser à propos de Kaahl mais m’abstins de le faire. Je savais qu’ils l’aimaient tous les deux mais l’un comme l’autre avaient des façons de le montrer qui pouvaient laisser penser le contraire.

Je fis jaillir du feu entre mes doigts afin de faire chauffer de l’eau. Vu la dose de magie qui avait été utilisée jusqu’ici, un peu plus ou un peu moins ne changerait en rien notre situation. S’il avait dû se passer quelque chose, ladite chose aurait déjà eu lieu.

« Ne me remercie pas, je le fais surtout pour moi. »

Malgré sa gêne et son enchaînement soudain, j’avais décidé de répondre sur ce point. Voir l’embarras chez les autres me faisait souvent rire. Il pointait souvent le bout de son nez au moment des remerciements ou après un compliment offert par autrui. C’était aussi valable après des pleurs, après une colère non maîtrisée, après des paroles regrettées. C’était comme si dire pardon ou merci avait quelque chose de tabou ou de faible.

« Ah ça ? L’enfer. »

Je souris, en me remémorant les moments passés avec elle.

« J’avais toujours peur de rentrer et de voir ma maison totalement détruite. J’ai vieilli de six siècles d’un coup. »

Je ris puis me concentrai sur ce que je faisais. Après un moment, j’avouai la vérité.

« En fait, j’aimerais qu’elle revienne vivre avec moi. J’étais heureux quand elle était là. Je le suis souvent, heureux, mais c’est vrai que sa présence me manque, même si mes placards se vidaient cinq fois plus vide qu’à l’accoutumée. Depuis, je me demande où est-ce qu’elle met ce qu’elle avale. »

Mes lèvres frémirent puis je ris encore, cette fois à cause de ma dernière phrase. Ce n’était pas du meilleur goût de plaisanter sur ce genre de choses avec son frère mais il avait vécu chez les Réprouvés alors il ne devrait pas s’en offusquer. Au pire, ce n’était pas grave. Être le seul à rire ne m’avait jamais dérangé.

« Peut-être que si je mettais ma bague plus souvent, elle reviendrait chez moi ? Qu’est-ce que t’en penses ? »

Je lui montrai l’anneau que j’avais fait apparaître entre mes doigts.

« On pourrait l’utiliser contre Ârès. Si Kaahl la mettait, Freyja et toi pourriez peut-être réussir à le tuer. En fait, ça dépend. Aliénor est douée en magie ? Il faudrait éloigner ceux qui pourraient potentiellement faire baisser les effets du Ma’Ahid. »

Je m’interrompis un instant. Ce que j’avais à dire était plus délicat.

« Je crois que Kaahl pense que ça devra se finir entre Ârès et lui mais je ne suis pas d’accord. Je crois également qu’il ne réussira pas à le tuer et je ne suis même pas sûr qu’il le veuille vraiment au fond malgré la haine qu’il éprouve à son égard et la situation. Mais bon, si déjà on réussissait à utiliser la bague contre lui, on pourrait au moins espérer le blesser et récupérer Aliénor. Le problème c’est que rien ne l’empêchera de recommencer ensuite. »

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« Peut-être bien. Je lui manque trop alors elle acceptera sans doute. »

Je fis un clin d’œil à l’Ange. Lui aussi aurait pu demander à sa sœur de revenir. Je ne fis que le penser sans le formuler. La situation de chacun d’entre nous avec elle était différente. Peut-être serait-elle condamnée à passer sa vie entre plusieurs pôles distincts.

« Je ne risque rien. Je suis trop bon au lit pour qu’il m’arrache la tête. »

Sans parler du fait que j’étais son meilleur somnifère. Ça pouvait paraître péjoratif mais c’était loin de l’être en prenant en compte la manière dont j’arrivais à le faire sombrer dans le sommeil.

« C’est sûr qu’il pourrait s’en prendre à n’importe qui, n’importe quand. »

Il avait raison. Le fait qu’il organise une chasse au trésor était un phénomène étrange. Avec Constantine, il ne s’était pas donné cette peine.

J’acquiesçai deux fois, pour l’idée d’agir de concert et pour celle de nous allier à ceux qui cherchaient aussi Aliénor. Ces derniers devaient être essentiellement des Sorciers et des Magiciens. Je doutais qu’Ârès se soit rendu chez la famille de la Dame Noire mais ce n’était pas à exclure. Cependant, je gardais en tête que celui à qui il désirait s’en prendre était Kaahl avant tout. Il m’avait raconté les cauchemars qu’il avait fait en présence de son double, sa perte de contrôle sur le Monde des Rêves et l’espoir que représentait Aimé dans ce tableau macabre. Je ne savais pas quoi en penser. Si Aimé possédait une ascendance sur Ârès, Kaahl en possédait également une. Elle me semblait simplement inconsciente ou non assumée de son côté.

« Moi ? »

Je souris.

« Je pourrai toujours partir me promener, m’allonger au soleil et faire une sieste pendant ce temps-là, non ? »

Je lui avais épargné l’utilisation probable de mes deux mains pour me faire du bien avant le plongeon dans l’inconscience. Comme Kaahl le savait, la jouissance aidait à trouver le sommeil.

Je relevai les yeux lorsque je sentis une présence non loin. Mon regard se fixa sur Kaahl et ses cornes de bicorne avant de glisser sur la jeune femme qui l’accompagnait.

« On aura tout le temps de voir le moment venu. En attendant, on a une invitée. »

Celle-ci me disait vaguement quelque chose, sans que je ne sache quoi exactement. Je réfléchis. J’avais croisé beaucoup de gens dans ma vie, des gens que j’oubliais fréquemment. Il y avait cependant quelques personnalités qui me restaient en mémoire.

« Elle ressemble un peu à Erza non ? »

Une Erza miniature amputée de tous ses muscles. En analysant sa silhouette, je me dis qu’elle serait aisée à manipuler pendant l’amour. Néanmoins, certaines positions seraient clairement à proscrire, à moins de la porter ou de la faire grimper sur quelques marches.

Je me relevai pour les accueillir et écoutai Kaahl. Je souris à Edelwyn. Ce nom ne m’était pas non plus étranger mais je n’arrivai pas à savoir où est-ce que je l’avais entendu ou vu. Le fait qu’elle soit la sœur d’Ezechyel ne m’aida pas plus. La sœur de Jun.

« Enchanté. »

Je revins sur Kaahl.

« Est-ce que je peux te parler seul à seul ? »

Il fallait que je lui demande qui était cette femme, entre autres. Je n'étais néanmoins pas certain qu'il accepte de me suivre où que ce soit, surtout s'il se doutait que mes mains risquaient de courir sur lui au même titre que mes lèvres. Depuis que nous étions tous ensemble, il était bien plus distant.

547 mots

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Musique

Edelwyn revint au campement avec bien plus de questions que de réponses. Pour quelle tâche Kaahl avait-il besoin de la coopération des autres membres du groupe ? Comment ces derniers le percevaient-ils ? Elle avait eu une brève explication des forces et des faiblesses de chacun mais le tableau restait parcellaire. Elle ne pouvait comprendre les relations qu’entretenaient chacun avec les seules paroles du joueur d’échecs. Il était fatalement biaisé, même si elle aurait aimé qu’il ne le fût pas. Depuis qu’ils avaient joué ensemble, elle ne cessait de penser à lui. Elle était heureuse d’avoir pu placer un visage sur son idée ; même si celui-ci lui disait vaguement quelque chose. Pour le reste : pourquoi n’y avait-il qu’une seule tente ? Elle n’avait pas forcément envie de dormir avec tous ceux qu’il avait décrits, surtout si elle devait constater l’amour transit de son frère pour cette Freyja. Ce serait gênant. Elle comprit soudain que Kaahl n’avait jamais précisé de qui la jeune femme était amoureuse. Il n’avait fait qu’énumérer les élans du cœur des autres vis-à-vis d’elle. Était-ce une question gênante ? Lui était-il difficile d’en parler ? Ou n’était-ce qu’un oubli malheureux ? Elle leva les yeux vers lui. Ce que les personnes disaient était important, mais beaucoup moins que ce qu’elles ne disaient pas. Il l’intriguait.

Lorsqu’ils arrivèrent et se retrouvèrent confrontés à Adam et Priam, Edelwyn les fixa. Elle se sentit brutalement intimidée par l’ensemble de leurs auras. Les trois hommes auraient pu avoir leur place dans un panthéon divin. Objectivement, ils étaient beaux par le jeu de leurs proportions. Elle reconnut Priam Belegad avant même que Kaahl ne les présentât. C’était le handicapé du groupe, il l’avait spécifié. Comme l’autre homme n’était pas son frère, il s’agissait forcément d’Adam Pendragon. Les deux la regardaient, celui du soi-disant pion fixé sur elle avec plus d’intensité que celui de l’évêque. « Enchantée. » Elle n’était pas sûre de l’être, surtout lorsqu’Adam demanda à Kaahl un entretien privé et qu'elle s'imagina seule avec le fils de Réprouvés. Elle tourna la tête vers le Sorcier, l’espoir qu’il refusât ancré dans les yeux, jusqu’à l’apparition de Freyja et d’Ezechyel. Elle observa le duo. Elle connaissait son frère et il ne faisait aucun doute que Kaahl avait eu raison lorsqu’il avait précisé qu’il était amoureux d’elle. Malgré la douce culpabilité qu’elle pouvait apercevoir chez son jumeau – ou de la gêne peut-être – le sentiment principal dominait largement. Edelwyn salua aussi Freyja. Et elle, l’aimait-elle ? Ils ne semblaient pas appartenir au même monde. Il lui paraissait incohérent que cette femme pût éprouver des sentiments pour lui en retour. Elle brillait là où il clignotait vaguement.

La blonde ressentit l’hésitation de son jumeau vis-à-vis de sa présence. Finalement, lorsque Priam eut terminé de clamer les tâches à effectuer, il s’approcha et referma ses mains sur ses bras. Elle avait toujours détesté qu’il fût plus grand qu’elle. « Il faut que tu rentres à la maison. » Il ne semblait pas convaincu. Seule la peur qu’il lui arrivât quelque chose parlait pour lui. « Qu’est-ce que tu fais là ? » demanda-t-il, comme elle restait muette. Elle attendit quelques secondes avant de déclarer à haute voix. « Je suis venue voir mon partenaire d’échecs favori et maintenant je vais couper les panais. » Elle lui sourit puis partit en direction de l’endroit désigné par Priam. C’était une mise en scène. Pour rien au monde elle n’aurait souhaité approcher l’Ange – qui visiblement avait été dévolu à la cuisine et y retournerait – son regard scrutateur, ses carottes, ses panais, sa viande et ses œufs.

Une fois arrivée, elle observa les légumes et les ustensiles. Elle détestait passer pour une idiote ou une incapable. Elle analysa donc et, une fois qu’elle fut sûre d’arriver à un résultat potable, commença à s’exécuter, tout en continuant d’observer le groupe. Son frère regarda en direction de Freyja puis finit par se résigner et la rejoignit. « Saraquiel sait-il que tu es là ? » Elle inspira, agacée, et se concentra sur le panais afin d'éviter qu'il ne ressemblât à une vieille femme ridée à force de maladresse.

635 mots

Les herbes hautes bruissèrent du fait du mouvement de mes pas. Mon majeur bougea légèrement pour que la végétation s’écartât de mon chemin en silence. Je n’avais pas jugé bon de me changer. J’avais modifié légèrement mon apparence pour effectuer la mission qui était la mienne jusqu’ici, chez les Orines. Je n’avais jamais autant ressemblé à mon père qu’à cet instant. La Lune Blanche couvrait néanmoins mon teint et mes cheveux d’un voile nacré. Malgré les vêtements amples qui caressaient la flore et que je n’aurais jamais portés en temps normal, j’étais reconnaissable pour les yeux inquisiteurs. Je n’avais pas tant vieilli. Peut-être même paraissais-je plus jeune. J’entrai dans le cercle que le groupe formait au moment où Kaahl posa sa main sur le dos de celle d’Adam. Il immobilisa son geste en devinant ma présence. Nos regards se croisèrent. Je me rappelais cet instant pour l’avoir vécu, des années auparavant. Je ne lui souris pas, pas plus qu’il ne le fit. Nous nous étions déjà rencontrés par le passé, dans mon passé et dans son futur pour être exact. Pour lui, ce jour marquait notre première rencontre. Pour moi, il s’agissait de la énième. L’espace entre nous se réduisit progressivement. Sur mon passage, les aliments se coupèrent et cuisirent sans avoir besoin de feu. Ils furent prêts avant que je ne l’atteignisse. Dans ma marche, mes prunelles détaillèrent la situation et les protagonistes. Je verrouillai mes émotions afin de ne rien laisser paraître de leur avenir. La musique que je contrôlais conférait à mon regard une lueur dorée semblable à la sienne. Mes doigts se posèrent sur le bras d’Adam, à qui je souris, avant de retomber contre ma cuisse. Kaahl avait compris. Je le voyais dans ses yeux. Je le savais aussi. Les autres comprendraient également, chacun à leur rythme, car la présence d’Ezechyel rendait l’idée plus atteignable pour eux. Je me déplaçai de façon à pouvoir tous les avoir dans mon champ de vision. « Je me dois de vous accompagner tous les neuf jusqu’à votre destination. » dis-je. Priam, Freyja, Kaahl, Ezechyel, Edelwyn, Adam, Primrose, Lyra et Tara. Je plaçai ensuite mes mains l’une à côté de l’autre, paumes vers le ciel. Une boite y apparut. Je la tendis au Sorcier tout en lui murmurant de la placer sur sa tête. Elle venait d’un autre temps, un temps où Ârès ne l’avait plus en sa possession. « Je vous propose de manger. » suggérai-je, tout en avançant vers l’Ange esseulée. Je m’arrêtai à ses côtés. Mes doigts effleurèrent presque son dos. Je ne la touchai pourtant pas. Derrière moi, la voix de Kaahl résonna, comme un écho. « Oui, mangeons. » Puis, il chuchota quelque chose à Adam qui ne me parvint pas mais que je me remémorai sans difficulté. « Nous nous verrons cette nuit. » Certaines parties de mon passé m’échappaient à cause de la Couronne des Objets Précieux, d’autres étaient parfaitement claires. Je regardai Freyja. « Je suis désolé. »

490 mots