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Il m’arrivait rarement de chercher à détailler et analyser les événements. Le plus souvent, les conclusions venaient instinctivement à moi. C’était comme regarder un tableau. Certains y passaient des heures, à la recherche des techniques utilisées, des indices présents sur la toile, vérifiant tout, jusqu’à l’exactitude de la perspective. D’autres, comme moi, se tenaient devant sans prétention et arrivaient à des conclusions inattendues, portés par l’instinct en question.

Sans m’attarder, je sus qu’il s’était passé quelque chose entre Freyja et Ezechyel, que celui-ci n’avait pas anticipé la venue de cette blonde qu’il connaissait, que Priam n’en savait pas plus que moi mais que sa colère était retombée, que Kaahl utilisait sa magie pour ne rien ressentir tout en se convainquant intérieurement qu’il n’avait pas besoin de tisser des liens affectifs, que Freyja était mortellement blessée et se comportait en conséquence, tout en tentant de garder la tête haute et hors de l’eau.

Je sentis également la suspension dans le geste de Kaahl. Je suivis son regard vers le nouvel arrivant. Il était puissant mais non belliqueux. Son aura me rappela certains partenaires avec lesquels j’avais couché. Il y avait ce filtre blanc sur lui, semblable à celui des Vampires mais différent en bien des aspects. Quand il s’approcha, l’idée germa dans mon esprit. Je fixai Kaahl, puis lui, avant de sentir mon bassin se tendre au contact de la main de l’étranger et à la vision de son sourire. Ses yeux ne trompaient pas non plus. Ils n’étaient pas communs.

Je tiquai sur sa première phrase. Nous n’étions pas neuf. Soit il se trompait, soit il avait raison et il manquait trois personnes. Étaient-elles déjà présentes sans que nous ne puissions les voir, ou allaient-elles arriver, me demandai-je en regardant la boite qu’il tendait au Sorcier. Je me concentrai sur ce dernier. L’autre se dirigea vers Freyja. Je n’avais plus aucun doute.

« Cette nuit alors. »

La concession ne me coûtait rien, même si j’aurais aimé obtenir quelques réponses entre deux gémissements de sa part. Je sentais une tension s’accumuler chez lui malgré les illusions. Elle devait retomber.

Je lui pris la main et me déplaçai avec lui jusqu’aux créations de l’Ange. Je le lâchai pour m’asseoir et pris une assiette.

« Merci. »

Je réfléchis à la question de Freyja.

« Nous avons évoqué plusieurs sujets : les Anges, l’Agbara et la déchéance bien sûr, mais ce n’est pas tout. Le Monarque Démoniaque sait pour Kaahl et il faut régler le problème. Il y en a un autre : l’usurpatrice sur le trône des Magiciens qui est de plus en plus dangereuse. On n’en a pas parlé mais je suppose qu’on peut supposer qu’elle pourrait être à l’origine de l’évasion d’Ârès, non ? On a également discuté de la situation d’Aliénor qui est devenue plus compliquée à cause de sa grossesse. On a été interrompus dans nos discussions par l’arrivée d’Ezechyel qui est descendu par la cheminée et tu connais la suite. »

Je relevai la tête vers l’autre Kaahl et souris, une lueur soudainement espiègle dans les yeux.  

« On couche encore ensemble ou pas ? Et qui sont les trois personnes manquantes ? »

Parce qu'à moins qu'Edelwyn ou Freyja ne soient enceintes, nous n'étions que six, sans le compter.

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Ezechyel observa les doigts de sa sœur s’activer sur le panais. « Edelwyn… » Le regard de la blonde le percuta. Sans qu’elle ne prononçât quoi que ce fût, il sut quelle était sa position : il était son jumeau et il n’avait aucun pouvoir sur elle ; par conséquent, la lueur dans ses yeux le conviait à arrêter de se comporter comme son père. « Tu sais que je dois te protéger. » La protéger et perpétuer la lignée, lorsque ce serait le bon moment. « Tu devrais commencer par te protéger toi-même. » trancha-t-elle. Il souffla par le nez et effleura son épaule, de la même façon que Kaahl l’avait fait plus tôt. « Tu sais que… » Elle lui échappa. « Arrête de l’aimer ! Elle ne t’apportera rien de bon ! Elle ne vit pas dans le même temps que nous. » Le blond se recula légèrement et son regard rejoignit la silhouette du Sorcier. Il le lui avait dit. Il déglutit et dut se retenir pour ne pas lui retourner la politesse. Il était évident que le brun nourrissait l’intérêt de sa jumelle bien au-delà du raisonnable. Il finit par soupirer. Ça ne servirait à rien de tenter de la convaincre. Quand bien même elle accepterait de partir, il n’avait actuellement aucun moyen de la ramener. Tant qu’ils resteraient à l’intérieur de cette Porte, ils ne pourraient s’échapper. Ils devaient la terminer pour espérer rejoindre le monde régit par les Lois qu’ils connaissaient. Il aurait apprécié qu’on l’avertît de la présence d’Edelwyn au préalable.

En relevant les yeux vers elle, il capta un trouble éphémère dans son regard. Elle tentait toujours de cacher ses émotions. Il regarda dans la même direction et le vit. Il l’aurait remarqué dans tous les cas. « Qui est-ce ? » demanda-t-il, pour combler le silence, alors que la nourriture leur échappait. Au fond de lui, il ressentait le lien, le même qui commandait ses relations avec Kaahl. La blonde ne répondit pas et devint aussi muette qu'une tombe. Elle finit par se lever et s’assit à côté de Kaahl. Ezechyel la suivit et se plaça près d’elle après avoir attrapé deux assiettes. Il lui en tendit une et écouta l’intervention d’Adam, en jetant des regards à Freyja de temps en temps. Il valait mieux qu’il n’intervînt pas. Il n’avait reçu aucun ordre concernant la situation des Anges ou encore celle des Magiciens. Il ignorait également ce que le Monarque Démoniaque deviendrait. Il avait peut-être effleuré la question mais les informations se comptaient en milliard et il n’avait pas intérêt à toutes les retenir. C’était impossible. Lorsque la question sexuelle d’Adam fusa, Edelwyn suspendit son mouvement de surprise. Ezechyel sourit. Si le Déchu n’avait pas été si impressionnant, elle l’aurait très certainement fusillé du regard en lui demandant de se tenir à l’avenir. Elle se contenta de prendre une mine concentrée sur le contenu de son assiette. Doucement, le Rehla transvasa quelques aliments de son plat en faveur de la blonde. « Mange. » lui dit-il simplement.

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Après la confirmation d’Adam, mes prunelles plongèrent sur le coffret en bois. Son contenu m’était connu. La Couronne du Savoir Sans Avenir s’y trouvait, accompagnée des sphères qui me condamneraient tôt ou tard. La chose était écrite. L’autre ne faisait que confirmer sa réalisation. Un sourire amer se dessina sur mon visage. Un jour, je ne serais plus un Mage. Je devais l’accepter, comme le reste, comme Freyja et mon père, comme cet enfant perdu, comme mon futur près d’elle, comme mon lien avec Priam, comme ma dépendance à Adam. Je devais accepter que mes enfants grandissent et m’échappassent, accepter mon lien singulier avec Cyrius ou encore la nécessité d’en finir avec Ârès. Mes yeux effleurèrent mon futur et l’Ange. Je pouvais entendre ce qu’ils se disaient. Les questions de l’ailée resteraient sans réponse. Je n’étais pas lui mais il avait été moi. Il n’était que mon prolongement et mon prolongement ne pouvait pas décemment tout lui avouer.

Lorsqu’elle revint, je me laissai guider par Adam et m’assis. Je regardai Priam. « Merci. » murmurai-je. Pour les œufs, pour son silence. Il était bien plus parlant que n’importe quel commentaire. Puis, alors que j’amenai une assiette à moi, mes iris percutèrent celles de Freyja. Contrairement aux siens, ils ne bifurquèrent pas. Je la fixai durant les explications d’Adam, jusqu’à sa question. L’autre, qui s’était assis, me regarda mais resta silencieux. « Bien sûr que vous couchez toujours ensemble. » répondis-je, pour tester sa réaction. Il ne laissa rien percevoir. Impossible de le savoir, pas plus que le reste. Pourquoi était-il désolé ? Pour mon comportement en général ? Pour autre chose ? Agacé, je coupai mon œuf en deux et plaçai une moitié dans l’assiette d’Edelwyn, imitant Ezechyel sans le remarquer. Je fixai ensuite les alentours. Je les avais déjà senties plus tôt mais n’avais pas jugé utile de m’en préoccuper. Une présence suivait l’Ange. Les deux autres s’étaient accrochées à Adam avant de se déplacer et de trouver refuge parmi nos affaires. Je n’en parlai pas et me levai après avoir mangé le quart de mon assiette. Je la déposai à ma place. « Merci pour le repas. Je vais me coucher. » leur fis-je savoir. Malgré le détachement que je tentais de maintenir, je n’arrivais pas à ne pas penser à la fausse-couche de la brune. Qu’Adam reprécisât qu’Aliénor était enceinte n’avait fait qu’ébranler davantage mes protections.

Une fois dans la tente, je posai le coffret, ajustai ma place de façon qu’elle fût confortable, me mis en sous-vêtement et me couchai. Il faisait chaud. Je plaçai le drap sur mes hanches et mon avant-bras devant mes yeux. Là, je respirai plusieurs fois, le plus calmement possible. J’aurais dû accepter de voir Adam. Plus tard, lorsque Freyja dormirait et que mes mots et mes soupirs ne pourraient pas l'atteindre. Je me concentrai sur Aliénor. Dame Vaughan ? M’entendez-vous ? Je n’eus pas de réponse. Je n’avais jamais tenté ce canal. Il existait entre la Magicienne et moi, tout comme il me semblait le percevoir entre Priam et moi. Il était une conséquence de ces rêves que nous avions faits ensemble. Priam ? Un sourire stupidement amusé apparut sur mes lèvres. J’étais à bout de nerfs, je m’en rendais bien compte. Ce genre d’idées délirantes ne m’emprisonnaient jamais normalement. Je voulais juste tout oublier. Freyja m’a dit que tu avais une voix douce quand tu ne râlais pas mais je peine à la croire. Est-ce qu'il te serait possible de venir me chanter une berceuse pour vérifier ? Ça t'entraînera. Si réponse il y avait, cela voulait dire qu’il me serait possible de communiquer également avec Aliénor. Quant à dormir, je n'y arrivais déjà pas en temps normal. Je doutais d'y parvenir dans une situation comme celle-ci. Je ferais semblant.

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Je décalai mon avant-bras de mes yeux à mon front, afin de regarder Priam. Son affirmation me fit fermer les paupières et hausser rapidement les sourcils en raison de l’évidence désagréable qu’elle soulevait. Lui et moi n’avions pas le choix. Le Lien existait, qu’importassent nos tentatives pour le supprimer. Les Rêves étaient parfois comme le Destin : impossibles à briser. Je tournai légèrement la tête vers lui pour le contempler de nouveau. Sa silhouette se dessinait dans la pénombre relative de la tente. Moi aussi, je ressentais ce qu’il éprouvait. Je déplaçai mon bras afin de me redresser. Mon geste fut néanmoins suspendu par sa question et, plus tard, par sa main sur l’une de mes cornes. Mon sourire apparut, reflet du sien. Il avait raison. Le petit côté Eversha ne m’allait pas. Je finis par me redresser. Je me débarrassai du drap et enroulai mes bras autour de mes jambes. J’acquiesçai. Je sentais l’envie de me confier enrober mon cœur. Le Lien. J’inspirai et soupirai, incapable de m’y résoudre pour le moment. « J’essayai de communiquer avec Aliénor avant de tenter le faire avec toi. » Je me concentrai. Au fond, je la sentais, mais peut-être ne savait-elle pas comment faire pour me répondre. « Je sais qu’elle est vivante. » Je me tournai vers lui, l’une de mes jambes s’affaissant d’un même temps. « Le lien que nous avons, je l’ai aussi avec elle. » Dans l’autre sens. « Elle est vivante mais elle ne me répond pas. » Ârès l’effrayait peut-être trop. Ma voix était sans doute trop semblable à la sienne.

Je me replaçai correctement et fixai un point devant moi quelques secondes. Mon regard tomba ensuite sur le sol. « Freyja et moi… » La suspension dura longtemps. « Je n’y arrive plus. » Je serrai les dents. Lux in Tenebris me murmurait toujours des solutions chaotiques qui fragilisaient mes sentiments. « C’est depuis Amestris. » Mes doigts se posèrent sur mon front. Leurs pulpes tracèrent plusieurs traits invisibles d’avant en arrière et inversement. Je m’en fis presque mal à cause du frottement. « Il y a eu mon père puis le mariage… » Un rire court et tendu sortit de ma gorge. « C’est comme avec Alya. Ce n’est pas vraiment moi. Pourtant j’ai plus de contrôle sur elle que sur le Démon. Lui… il m’échappe totalement. » C’était décousu. « C’est avec lui qu’elle s’est mariée, pendant que j’étais enfermé dans un endroit inconnu. » Mon bras retomba. « Je ne pouvais rien faire. Et c’est de plus en plus ainsi… Je ne peux rien faire. Je ne peux rien éviter. » Alors même que je régnais officieusement sur les Sorciers et que je me rapprochais dangereusement de la couronne des Magiciens. « Et… elle a fait une fausse couche. » Je ris encore, les yeux humides. Je déglutis et réussis à me reprendre. « Freyja. Elle a fait une fausse couche. Je viens juste de l’apprendre après lui avoir dit des horreurs. » Tout se cumulait, sans aucun répit. Seul Adam était capable de me supporter et de me soutenir actuellement. Le reste me précipitait droit en Enfer. Si je ne prenais pas soin de Cyrius, il s’ouvrirait les veines. Si je n’étais pas à la hauteur avec Freyja, elle dépérirait. Je n’étais pas à la hauteur. Elle dépérissait. « J’ai l’impression que je l’aime à cause de mon père et qu’elle ne m’aime qu’à cause de lui. Parce qu’on vit dans le même temps alors que lui appartient au passé. » Je soupirai douloureusement. « Et je ne peux rien y faire. Je n’arrive pas à la consoler ou à la faire rire. » J’avais envie de la détruire, à cause de Lux in Tenebris, par vengeance ou pour n’importe quelle autre raison. Juste pour la punir d’exister et de m’acculer. « J’ai l’impression que je vais la briser, que je ne pourrai pas faire autrement... » Peut-être que Lagherta m’avait menti. Peut-être que notre union resterait stérile. Je posai les yeux sur le coffret en bois. J'avalai ma salive. « Je l'aime tellement qu'être potentiellement l'instrument de sa perte me terrifie. » Je n'arrivais simplement pas à faire autrement.

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Heureusement que je suis bon élève

Oui, c’était là. C’était là à cause de mon père. La suggestion de Priam pouvait néanmoins s’avérer juste : elle l’aimait peut-être parce qu’elle m’aimait moi. Pourtant, j’étais certain que mes sentiments n’auraient pas pu se développer sans Ezechyel. J’avais toujours été attiré par les hommes. Toucher les femmes me dégoûtait et j’avais à chaque fois dû me forcer, mentalement, physiquement et magiquement. Il n’y avait qu’avec elle que les choses fonctionnaient, que mon corps réagissait et que mon cœur battait. Restait que, pour moi, mon père et les rêves étaient les seuls coupables. J’inspirai pour mieux expirer mon mal être. Malgré tout, il avait raison. C’était là, je ne pouvais m'y soustraire et, oui, elle m’avait toujours choisi. Pourtant, Priam ne savait pas tout. Mon père n’était pas fait de la même matière que nous. Il n’était pas une option pour elle. Je soupirai. Les actes de Jun m’étaient incompréhensibles. J’avais parfois l’impression qu’il me soutenait puis, comme le vent qui change de sens soudainement, il créait le chaos et détruisait ma vie. Je savais que lui en vouloir était vain car le lien qui nous unissait rendait mes colères futiles. Mais la rancœur existait bel et bien, qu'importât la logique.

Coupé dans mes réflexions, je tournai les yeux vers Priam lorsqu’il parla du bébé. Je m’immobilisai. Ma mâchoire se contracta. J’avais beau avoir connaissance du sort réservé à ce qui avait commencé à vivre dans le ventre de Freyja, la douleur liée à la perte ne diminuait pas. Elle avait même tendance à se propager davantage le temps passant. Mettre des mots dessus, avouer l’existence de la fausse couche, l’avait rendu plus réelle. Je pouvais opposer l’argument du Destin mais cette vision ne fonctionnait pas. Je n’arrivais pas à me détacher de mes émotions. J’arrivais simplement à les enfermer, à les nier. Elles ressortaient toujours, transformées, dangereuses. Lux in Tenebris n’admettait pas les faiblesses de mon cœur. Elle haïssait l’amour que je ressentais. Elle me voulait dénué de liens, solide et puissant. Détruire était plus facile sans la peur associée aux sentiments et sans empathie pour les victimes. « Merci. » répondis-je, d’une voix blanche. Je suivis le mouvement de sa main puis le fixai. Ma gorge se serra mais je maintins mon état stable. Peut-être avait-il raison. Peut-être fallait-il évacuer ce qui me comprimait la poitrine. C’était risible, que je fusse à ce point ébranlé par ma vie privée, par une femme.

Je fermai les yeux, tout en continuant d’écouter l’Ange. Je les rouvris lorsqu’il parla de bouderie. Je n’étais pas le seul fautif dans cette tente. N’était-ce pas ce qu’il avait fait, depuis Amestris : la bouder ? Je lui souris néanmoins. Je le comprenais. C’était plus facile de se barricader plutôt que de s’ouvrir. Restait que nous n’appartenions pas au même peuple. Je n’avais pas été éduqué en ce sens. Chez les Sorciers, se confier était synonyme de folie. La trahison n’était jamais loin. Se découvrir amenait fatalement la chute. J’y arrivais pourtant avec Adam... et avec Priam actuellement. J’avais réussi à le faire avec Freyja après la guerre. Peut-être était-ce pour ça ? Parce que la suite avait détruit la confiance que je lui portais ? Parce que j’avais été blessé et n’arrivais pas à le gérer ? C’était stupide mais les émotions l’étaient souvent.

Je laissai un son s’échapper de ma gorge, d’approbation peut-être. Peut-être. Je devais lui parler mais je n’étais pas certain d’y parvenir. Je redoutais que mes mots m’échappassent encore, qu’ils portassent des vérités enrobées de méchanceté et des mensonges plus cruels encore. Je le regardai et restai muet quelques temps. Il avait beaucoup parlé, ce qui m’avait poussé à me taire en retour. Mes yeux se figèrent de nouveau devant moi. J'attendis puis finis par articuler mes pensées. « La première fois que j’ai vu Freyja, elle était enfant. Asha venait de la rejeter et elle pleurait. » J’omis de lui signaler qu’il s’agissait d’un rêve. Ça n’avait aucune importance, comme en témoignait la rose blanche qu’elle avait fait sécher. Elle n’avait pas oublié et la fleur s’était liée autour de son cœur, comme les significations s'étaient liées à la fleur avec le temps. Que représentait-elle pour elle, à présent ? « Je lui ai dit que tu l’aimais et que tu l’aimerais toujours. Je lui ai murmuré que je l’aimais aussi et que je serais toujours là pour elle. » Les promesses d’ébènes emprisonnent les cœurs, me rappelai-je. Je le regardai. Mes yeux s’humidifièrent. Je contrôlai ma voix. « Toi aussi tu dois promettre d’être toujours là pour elle, pour toutes les fois où je me parjurerai et où Adam ne pourra pas la consoler. » Je souris difficilement. Je me sentais déjà coupable. J’avançai finalement ma main et la posai sur son épaule. « Parle-lui d’abord. Ça lui fera plaisir. » Je l’observai et, pour chasser les émotions qui cherchaient à me chavirer, je ris. « C’est vrai que tu as une voix douce. » Je redevins pourtant sérieux et resserrai légèrement mes doigts sur lui. « Merci. » lui dis-je, avant de le lâcher. Peut-être que nous pourrions, tous ensemble, réussir à trouver notre équilibre, un équilibre où personne ne se sentirait lésé, une bulle dans laquelle l'horreur des agissements de chacun n'existerait pas. Parce que, malgré notre discussion, je restais l'Empereur Noir. Demain, il me faudrait peut-être perpétrer un génocide dans l'intérêt des Sorciers, un génocide qu'il n'approuverait jamais. Que personne n'approuverait.

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Tu me fais fauter... je ne te remercie pas  

J’acquiesçai. Il me faudrait lui parler également. Demain. Je ne pensais pas dormir sans l’aide d’Adam mais je n’étais pas en état pour discuter autrement que comme nous l'avions fait avec Priam, de façon calme. Les confidences étaient bien plus aisées à formuler dans la pénombre, lorsque la fatigue s’agrippait au cœur et au corps. Les mots se déliaient ainsi. J’en avais abusé lorsque j’étais encore espion. Il y avait quelque chose d’intime à l’obscurité, comme si elle était capable de protéger les aveux et ceux qui les prononçaient. Lorsqu’il s’arrêta pour me parler, je l’écoutai. « Ce sont des choses que l’on regrette souvent, d’être proche des Sorciers. » Je lui souris. « Mais je consens à le promettre. Je ferai au mieux. » L’on m’avait appris que les promesses n’engageaient que ceux qui les écoutaient. Ce n’était pourtant pas ma position en la matière. J’essayais de ne pas me parjurer autant que possible. Même dans le chaos, il était bien plus viable d’avoir des alliés, dument choisis. Les Anges étaient bien plus sûrs que les Mages Noirs. Je ne doutais pourtant pas du fait qu’il fût capable de tenter de me tuer si j’abusais de mon statut. Il n’y arriverait pas, tout comme je ne pourrais pas l’assassiner non plus. Nous étions bloqués dans ce lien et la seule solution viable était, selon moi, de nous rapprocher et d’agir ensemble autant que possible. Je devais simplement oublier les réactions de mon corps en sa présence et pensais l’exercice relativement aisé. Son absence d'appétence pour les hommes rendait les choses claires et définitives.

Je relevai les yeux vers lui lorsqu'il fit mention d’Ârès et d’Adam dans la même phrase. Il y avait également ce on qui y trainait. Je hochai la tête, en signe d’acceptation. En réfléchissant à ce qu’avait pu proposer le Déchu, plusieurs hypothèses me vinrent. La plus probable était celle dans laquelle la Bague des Humains apparaissait. Le Ma’Ahid était un poison efficace contre tout ce qui était doté de magie. Pourtant, Ârès n’était pas dénué de capacités. Physiquement, il était résistant. Surtout, il risquait d’avoir envisagé la chose. Je me laissai de nouveau tomber sur le matelas, tout en songeant à Cyrius. Il l’avait blessé sans aucun effort et n’avait pas désiré m’en dire plus. Mon frère recelait des capacités qui me dépassaient. Il était fort et fragile à la fois. Cette combinaison paradoxale le rendait difficile à gérer. Ses lubies passaient avant la raison et il se servait de sa puissance uniquement pour agir selon ce qui lui plaisait à un instant donné. Je doutais qu’Ârès survécût à Cyrius. Pourtant, celui-ci ne l’avait pas tué lorsqu’il en avait eu l’occasion. Pourquoi ? Je repositionnai mon avant-bras devant mes yeux et soupirai. Lorsque tout le monde dormirait, Adam et moi nous retrouverons, dehors.

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Edelwyn observait son assiette et ce qui avait été ajouté dedans. Cette situation était complexe et elle se doutait qu’elle ne réussirait pas à la démêler seule. Il lui manquait des éléments et quand bien même elle aurait réussi à faire parler chacune des parties, elle savait que le plus important ne lui serait pas livré. La blonde observa la silhouette de Kaahl s’éloigner et abandonna son regard sur son autre lui, comme si elle y cherchait des réponses. L’homme demeura pourtant silencieux. Il était comme Ezechyel. Ils étaient comme elle n’était pas. Elle jalousait les dons qu’ils possédaient, ceux qui étaient liés au Temps et au Destin. Elle aurait aimé les obtenir. Elle aurait préféré être le garçon de leur duo. Les gènes Eorgor étaient stupides. Ils enfermaient les hommes et obligeaient les femmes à prendre le pouvoir. Elle fixa son frère un instant. Un sourire mesquin se traça sur ses lèvres. Il n’aurait pas pu être à sa place. Il se complaisait bien mieux en victime de son devoir. S’il avait dû agir sans indice, il aurait été perdu. Elle mangea ce qui le brun lui avait donné et laissa les offrandes du blond. Elle ne voulait pas qu’il prît soin d’elle. Il l’irritait.

Le silence s’installa définitivement lorsque Priam partit dans la tente pour rejoindre Kaahl. Elle soupira discrètement. Elle aurait dû y aller avant lui, même si elle avait remarqué l’interruption soudaine dans le discours de l’Ange. Quelque chose l’avait troublé. De la télépathie ? Probablement. Freyja se déplaça pour se rapprocher d’Adam, si bien qu’Edelwyn commença à réfléchir à leur lien. A priori, entre les trois hommes encore présents, le Déchu représentait une forme de stabilité et de refuge. Le Sorcier avait dit qu’il l’aimait. Comment vivait-il le fait d’être considéré uniquement comme un protecteur ? Si l’Ange avait été une chienne, le Déchu aurait été sa niche. On ne couche pas avec une niche. On ne se marie pas avec non plus.

Alors qu’elle songeait, les couverts du Rehla attaquèrent son assiette. Elle se détourna du duo pour poser des yeux mécontents sur le blond. Il sourit, l’air de dire que si elle ne voulait pas de la nourriture qu’il lui avait offerte, il la mangerait pour elle. Elle soupira, chassa sa fourchette avec la sienne et finit par avaler le présent. Ce qu’elle lut ensuite dans les yeux de son frère ne lui plut pas. C’était rare, qu’il se montrât aussi clair. Il l’avait manipulée en connaissance de cause. Heureusement, Priam sortit de la tente à ce moment-là. Elle se leva, tendit le reste de son assiette à Ezechyel et déclara un « Je vais me coucher. » appuyé, pour lui faire comprendre qu’elle n’avait pas besoin de lui et qu’elle préférait la compagnie de gens plus développés et intéressants. Elle crut entendre un petit rire étouffé dans son dos mais ne se retourna pas. En silence, elle se coucha à côté de Kaahl. Il lui sembla qu’il ne dormait pas mais elle préféra ne rien dire. Elle ne dormirait pas non plus.

Ezechyel regarda Adam, puis l'autre Kaahl. Il ne restait plus qu’eux trois. « Ma sœur a un caractère difficile. Si vous avez des conseils… » Il rit. Il la cernait bien en réalité. Elle lui résistait, en vain. Leur futur ne changerait pas.

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Je regardai Ezechyel lorsqu’il parla de sa sœur. Je pensais depuis longtemps que la famille était un sujet sensible. Les enfants étaient souvent obligés de supporter leurs parents jusqu’à pouvoir voler de leurs propres ailes. Les parents, eux, avaient la possibilité de s’en défaire, légalement ou non. Il suffisait de les abandonner ou de s’en décharger sur l’autre parent, une sorte d’abandon déguisé. Entre les frères et les sœurs, les choses étaient différentes.

« Si tu l’aimes, fais simplement de ton mieux tout en te fixant des limites et en respectant les siennes. Le reste ne sera que de l’improvisation. »

C’était dur de prévoir quoi que ce soit. Priam n’aurait jamais pu se douter que sa sœur était en couple avec l’Empereur Noir. Il avait dû aviser une fois l’annonce faite. Certaines blessures étaient irréparables. D’autres mettaient du temps à se combler. Les relations dépendaient aussi des peuples de chacun. Les Anges avaient, selon moi, plus de chances de se pardonner que les Sorciers.

« Et de la communication aussi. »

Ce que j’avais noté, en les observant, c’est qu’Edelwyn ne semblait pas ouverte à la discussion. Elle se fermait ou le provoquait. Je souris.

« Néanmoins, si tu veux mon avis, tu devrais tenter de la laisser se gérer elle-même quelques temps, tout en restant ouvert si elle désire discuter ou te demander de l’aide. Considère-la comme n’importe quelle autre personne du groupe, même si elle n’a pas autant d’expérience. Garde un œil sur elle mais n’intervient que s’il y a urgence. »

Je tournai les yeux vers l’autre Kaahl avant de me pencher en avant. Mon coude trouva appui sur mon genou et je l’observai, comme si je le jaugeais.

« Cette nuit, je dois discuter avec lui mais je suis libre maintenant si une promenade te dit. »

Je n’étais pas plus fatigué que ça et le soleil se couchait. La nuit était toujours une période propice aux confidences et à d’autres activités annexes. Je me redressai. Il était différent de Kaahl, plus puissant mais pas seulement. L’homme que je connaissais était déjà criblé de responsabilités. Ses angoisses se muaient en dessous d’un lac qu’il avait gelé pour que rien ne passe ou presque. Parfois, la glace craquait et le reste le submergeait. Je me dis que cet homme avait soit appris à gérer ses émotions, soit renforcé la glace de manière qu’elle ne se fende plus jamais. C’était intéressant.

Je me levai.

« Si tu me cherches… »

La proposition faite, je me dirigeai vers un chemin opposé à celui qu’avait emprunté les deux Anges.

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