Dans les ombres de mon âme, j'aperçois un renouveau

Alisha traversait les rues d'un pas rapide en direction du Lagon. Le soleil était sur sa pente descendante et déjà bien bas. Aussi, elle ne doutait pas qu'elle ne serait pas dérangée dans ce qu'elle prévoyait. Une fois sur place, elle se défit de ses affaires qu'elle délaissa sur un rocher, avant de se plonger dans l'eau tiède. La Colérique s'avança de plusieurs mètres, de façon à être immergée jusqu'à la poitrine. Là, elle s'arrêta quelques instants, profitant simplement du silence et de la solitude. Il y avait quelque chose d'apaisant dans le calme qu'offrait les lieux en soirée. Un apaisement bien utile lorsque l'on vivait avec le péché qui était le sien. Elle pencha doucement la tête en arrière comme elle fermai les yeux, noyant ses cheveux dans l'onde claire. Elle inspira profondément et se laissa lentement aspirer par le milieu aqueux, se plongeant entièrement dans l'eau. Après quelques secondes passée sous l'eau, elle s'en extirpa tout comme elle y était entrée, reprenant par la même une profonde inspiration avant de l'expirer tout autant. Finalement elle rouvrit ses paupières et se fixait sur l'horizon. Une question lui trottait en tête depuis un certain temps. Elle la chassait vivement de son esprit. Elle était venue ici pour une toute autre raison qui n'avait rien à voir avec cela. Ce qu'il s'était passé lors de l'apparition des Ur'Welluffs lui était restée en tête trop longtemps après l'événement. Elle ignorait exactement comment la créature avait fini par s'effondrer de cette manière ce soir-là, et ça la perturbait. Quelle force avait été mise à l'oeuvre ? Quelle magie avait bien pu assommer la créature ? Elle avait cherché, s'était renseignée, sur les différentes causes et possibilités. Ce n'avait pas été le fermier. Il était trop loin et n'avait fait que s'inquiéter pour sa bête à cet instant, lui avait-il dit. Après une longue réflexion, et une discussion tout aussi interminable avec Kyra, la dernière hypothèse qu'elle ait retenue avait été celle-ci : l'adrénaline. Cette dernière avait dû booster ses capacités magiques et un sort sur lequel elle avait pu s'être renseignée, ou qu'elle avait pu essayer d'utiliser, avait alors fonctionné, notamment parce qu'il lui avait été utile à l'instant présent. Alors elle sût. Une magie capable d’anesthésier la cible. Et ça se tenait. L'animal, bien qu'inanimé, était bien vivant et ne présentait aucune blessure quelconque. Au contraire, après quelques minutes, il avait repris sa forme de Wëltpuff et dormait profondément, comme si sa transformation l'avait épuisé. Peut-être était-ce le sort qui avait été la cause de ce sommeil finalement ? En temps normal, peut-être n'aurait-elle pas été capable de réaliser un tel acte sur l'animal maudit. Les dés avaient été pipé avec la situation. Mais au final, même si cette hypothèse était pour l'instant la plus probable, elle ne restait encore qu'une hypothèse. Elle désirait voir si elle était réellement capable d'une telle chose. Ce serait formidable. Le nombre de personne qui parlaient pour ne rien dire et qui, soudainement, trouveraient le silence.

La Colérique s'éloigna un peu plus du bord, se rapprochant des poissons et autres bestioles marines qui vagabondaient dans le lagon à la recherche de calme, elles aussi. Les mouvements dans l'eau firent fuir la majorité d'entre elles. Aussi, Alisha s'appliqua-t-elle à bouger le moins possible afin que la crainte des poissons s'estompe et que la curiosité vienne remplacer cette dernière. Peu s'approchèrent assez pour qu'il puisse réellement y avoir contact, mais quelques petits d'entre-eux s'habituèrent assez à sa présence pour commencer à slalomer entre ses jambes et tourner autour de son corps, chatouillant sa peau des frétillements de leurs nageoires. C'est à cet instant que la Déchue se concentra afin de pouvoir faire appel à ce pouvoir qu'elle était soit-disant sensée pouvoir maîtriser. Et, après de longue minutes où rien ne se passa, elle observa d'un œil acéré le poissons qui continuaient leur course autour d'elle. « Cassez-vous, j'ai plus besoin de vous la friture. », lâchait-elle, contrariée de ce nouvel échec. Elle n'était clairement pas douée en magie. Ce nouvel essai venait de le lui prouver. Parfois elle enviait Kyra. Il lui fallait si peu de temps pour comprendre, apprendre, puis réussir un sortilège. Elle n'imaginait pas une seconde qu'il ne s'agissait que d'une histoire de patience et de répétition. Quelque chose qu'Alisha ne maîtrisait clairement pas. Elle chassa d'un revers de main, qu'elle plongeai dans l'eau, la dizaine de petits poissons avant de faire demi-tour et revenir sur la berge. Encore trempée, elle se rhabilla tout de même. De toute manière, le premier Luxurieux, quel qu'il soit, qui prendrai cette tenue pour une provocation aura l'occasion de voir de près sa contrariété. Il était bien dommage qu'il aient trouvé un moyen de le empêcher d'accéder à la statue du Bhūta Rāja. Au moins ça les occupait.

Après être rapidement repassée à l'appartement afin de troquer ses vêtements contre une tenue sèche, Alisha le quitta à nouveau et descendit les rues et ruelles d'Avalon, au fil de la course du Soleil qui se faisait toujours moins visible. Lorsqu'elle arriva à la porte de Phah, il s'était totalement effacé de la ligne de l'horizon, le visage ensanglanté de Phoebe étant alors plus visible qu'à n'importe quel instant de la journée. La Déchue tourna le visage vers cette dernière. Inutile. Les hauteurs d'Avalon cachaient le ciel nocturne depuis sa position. Alors elle reprit sa marche comme elle reportait son attention vers le chemin menant à la capitale déchue.

Il ne fallait pas se leurrer. Tout le monde pouvait se rendre dans l'ancienne Avalon, en effet. Toutefois, tout le monde n'y était pas égaux. Alisha avait rapidement compris ce principe la première fois qu'elle s'était rendue dans les bas-fonds. A force de visites, elle avait fini par intégrer les mécanismes qui régissaient ce monde sous-terrain. Elle pénétra dans une échoppe, faiblement éclairée, et s'installait une la banquette, au fond de la salle. Un homme était déjà présent et afficha un mince rictus en la voyant s'asseoir à ses côtés. « Te revoilà. Tu pourrais avoir des problèmes si quelqu'un savait pour tes petits séjours. Mais t'as l'air de carrément t'en foutre. », conclut-il en dévisagent la Colérique. « Carrément. En plus, je vois pas pourquoi j'aurai des problèmes. Je me suis officiellement engagée avec rien ni personne. », répliqua cette dernière sèchement en ce saisissant du petit verre sur la table basse. La seule personne qui pourrait la sermonner pour ses pratiques, ce serait Kyra. Ce n'est pas comme si elle avait un quelconque pouvoir décisionnaire dans la communauté Déchue. Et puis, elle adoptait une autre apparence exprès. Le seul pouvoir qu'elle maîtrisait probablement. « Et puis, ne joue pas les étonné. Tu savais que je viendrai, problèmes ou pas. », ajouta-t-elle en tendant le verre sans changer de ton. « Santé. », terminait-elle enfin avant d'avaler d'une gorgée le breuvage. Son compère répondit en écho d'un mince sourire, tendant à son tour le verre pour le vider de la même manière. Alisha ferma alors quelques instant les yeux dans une longue inspiration. Plus efficace encore que le calme du lagon.

Après quelque secondes de silences, chacun profitant de la drogue diluée circulant à présent dans leur corps, Alisha fut la première à reprendre la parole. « C'est vrai ces histoires qu'on raconte ? Des morceaux de corps qu'on retrouve aux quatre coins du monde. ». Un air amusé se dessinait sur le visage d'Isgard. « Oh. Alors même là-haut on en parle de ça ? » - « Si même le pecnot lambda peut ramasser un morceau de rein au détour d'une rivière, alors oui même là-haut on en parle. Ça doit même être un sujet en vogue dans les cours. » - « Un pecnot... Les cours... Ce serait drôle que ce soit justement une de ces commères caquetantes qui ramasse un rein. », fit le Déchu dans un rire grave. Alisha l'observa quelques secondes, s'imagina la scène et rit à son tour. En effet, ce serait très amusant. Puis elle se souvint. « Peuh... Par contre faut que ce soit un de ceux qui ont toujours grandit dans les jupons de mamans avec la cuillère en or dans la bouche et qui ont jamais eu besoin de rien... », fit-elle alors d'un air dédaigneux. Elle capta le regard de son confrère qui semblait ne pas comprendre le sous-entendu. « Avec tous ces gars qui gagnent des titres pour un rien... Des fois c'est des gens ils sortent de nul part et, HOP ! Toi ! Tu seras Grand Duc des Cornouailles ! », finit-elle d'une voix pompeuse en indiquant le vide de l'index, comme si quelqu'un s'y trouvait. Elle marqua une pause, le Déchu en profitant pour reprendre deux verres. « Non, même s'ils en portent le titre, on transforme pas un paysan en lord du jour au lendemain. », ajouta-t-elle en saisissant le verre qu'Isgard lui tendait. « Tu n'es pas heureuse ici, hein ? », fit-il soudainement. Alisha resta muette, fixant le verre qu'elle venait de vider. Mais, avant même qu'il ne reprenne la paroles, elle lui répondit doucement, sans pour autant détacher son regard du récipient. « C'est possible... » - « Moi je te le garantie. Tu viens régulièrement te shooter et pourtant tu restes là-haut. Tu me fais un peu penser à un animal domestique qu'on laisse enfermé chez soi parce qu'il fait trop de grabuge à l'extérieur. Mais comme tout animal, il faut bien le laisser sortir de temps à autre si on ne veut pas qu'il devienne fou. ». Il attarda son regard sur elle. « Moi je te dis, si tu continue à jouer à ce jeu, soit tu deviendra folle, soit tu finiras par mordre ton maître. », conclut-il avec un sourire moqueur. La Colérique poussa un soupir. « Parce que t'as une autre solution peut-être ? ». Il y eu un instant de flottement avant qu'Alisha ne reprenne. « De toute façon, si je mords, je sais que Kyra me pardonnera. ». Isgard la fixa, un rictus aux lèvres, avant de rétorquer. « T'es sure que c'est à cause d'elle que tu te sens obligée de revenir là-haut ? ». La Colérique plongea son regard d'acier dans les noisettes de son vis-à-vis. «OK, j'ai rien dis. Ah si ! J'ai dis que j'avais une solution. ». Alisha dévisagea l'homme qui ferma les yeux, laissant sa tête reposer sur le dossier de la banquette. « C'est de tout recommencer. Mais ça signifier également tout abandonner. Y compris ta fille. ». Il laissa un temps s'écouler avant de reprendre. « Enfin, de ce que j'ai cru comprendre, elle devrait pas trop t'en vouloir. ».