Une fine pluie tombait sur la forêt des murmures. Ici, le temps ne changeait pas. On se faisait à lui et pas l’inverse. La mousse des arbres était spongieuse et les pas de Mwayer étaient étouffés par les bruits du bois. Il savait exactement où il était. Il n’avait jamais eu vraiment besoin de réfléchir pour marcher dans ces lieux, il lui suffisait de le faire. Il s’arrêta l’espace d’un instant puis repéra celui qui devait être son laisser-passer pour la ville. Le marchand était un Alfar qui passait ici environ une fois par année sans récurrence de période. Il restait parfois deux heures parfois deux mois et vendait des bijoux qu’il fabriquait lui-même. Jamais celui qui le guettait n’avait pu en approcher un. En effet, ce bijoutier était apprécié des deux plateaux les plus hauts de la ville et vendait sa marchandise uniquement aux plus riches. Il présentait un avantage pour Mwayer, il ne se ressemblait jamais. Certains disaient qu’il envoyait ses apprentis, car il avait trop de travail, d’autres affirmaient qu’il se transformaient parce que cela changeait d’apparence et quelques langues téméraire disait qu’il se faisait tuer à chaque sortie pour la qualité de ses bijoux et que celui ou celle qui l’avait assassiné reprenait son rôle. Ils ne pensaient pas si bien croire.

Le bijoutier, que tout le monde appelait comme tel, était arrêté dans la dernière clairière avant de terminer le chemin principal qui menait à la ville. Comme à son habitude, il était seul et transportait sur lui un sac sans fond dans lequel il y avait son étal. Il était affairé à trouer ses habits de voyage contre ses habits d’apparats. Drosera avait besoin de fêtes et de fioritures en ces temps troublés. A ce qui se murmurait, la ville avait été complètement fermée sur ordre des Amarantes et seuls quelques rares privilégiés pouvaient entrer ou sortir grâce à un papier accordé par le pouvoir en place. Ce n’étaient pas les seuls murmures qui étaient parvenus aux oreille de Mwayer ; ce n’était d’ailleurs pas pour cela qu’il avait décidé de revenir. Les plus courageux des Alfars prétendaient qu’une rébellion était en train de se mettre en place. C’était sa chance. Il ne voulait pas forcément la rejoindre, l’aider ou la contrecarrer, mais cela impliquait que des contrepouvoirs émergeaient et que les cinq usurpateurs allaient peut-être devoir craindre pour leur vie. Malgré ses suppositions, Mwayer savait très bien que renverser un pouvoir n’était pas une mince affaire et que peut-être cela ne se ferait jamais, mais il fallait espérer, c’était d’ailleurs tout ce qui lui restait.

Sa longue période d’éloignement lui avait fait se rendre compte qu’il allait devoir se tenir informé de ce qui se passait dans la capitale des Alfars s’il voulait être prêt à frapper au meilleur moment lorsqu’il en aurait les compétences. Il allait donc devoir entrer et fureter quitte à y rester coincé, il devait comprendre tout ce qui se passait et maintenant qu’un début de toile avait été tissé hors de la ville, il devait l’étendre à celle dont il sentait la présence, celle qui s’appelait peut-être aujourd’hui à tort « La Majestueuse », son éternelle et indissociable amante, Drosera.

Au moment où le bijoutier se déshabilla complètement, Mwayer n’hésita pas. Il leva les deux mains depuis le buisson où il se trouvait et la mousse du sol monta immédiatement sur l’homme qui comprit assez vite ce qu’il arriva. Il tenta de hurler, mais pour une fois l’Alfar avait réussi ce qu’il voulait faire. Le lichen occupait maintenant tout l’espace de la gorge de celui qui avait le laisser-passer pour entrer dans la ville. Mwayer lança son pinceau dans le but qu’il lui arrive à la place du cœur, mais son arme alla misérablement s’écraser contre un arbre. Il soupira, manqua de se prendre les pieds dans des ronces qu’il écarta d’un tour de main et reprit son pinceau.

- Puisqu’apparemment seule la magie fonctionne…

Il regarda un instant autour de lui et se concentra pour faire sortir du sol des lianes épineuses qui commencèrent à lacérer tout le corps du bijoutier. Il s’assit à côté en observait la végétation qu’il contrôlait manquer ses coups plus que de raison puis après dix minutes de tentative de meurtre, le bijoutier s’écrasa dans le duvet vert du sol de la Forêt.

Mwayer relâcha ses efforts, prit les habits d’apparat du marchand, les enfila et modela rapidement son corps pour qu’il rentrent à l’intérieur. Il grandit de plusieurs dizaines de centimètres, il faisait peut-être maintenant un mètre huitante-cinq et son visage était devenu celui d’un jeune homme plus que d’un enfant. Il restait fin à l’extrême, car il n’arrivait pas encore à agit énormément sur ses muscles. Lorsqu’il tenta de faire passer ses cheveux en une couleur sombre, il ressentit un vertige et comprit qu’il allait devoir rester comme ça. Au moins il ne rentrerait pas dans Drosera comme un enfant. Il trouva dans les habits du Bijoutier le papier qu’il souhaitait, laissa le cadavre sous la mousse et avança calmement sur le chemin.

Après une centaine de pas, elle s’élevait devant lui. Ses constructions étaient toujours impressionnantes et il apercevait Eilenwë depuis le chemin où il se trouvait. La ville était restée aussi magnifique et après plusieurs mois d’errance, Mwayer eut tout de même cette sensation de retour chez lui. Il n’avait plus de logement à Drosera et sûrement encore très peu de contacts, mais il revenait plus fort qu’il n’était parti et dans un but précis. Comprendre.

Sur présentation du décret royal accordé au bijoutier, les gardes ne lui posèrent pas de question et lui entrouvrirent les portes pour qu’il puisse entrer. Le crépuscule commençait à tomber, les gens sortaient de chez eux. Personne ou presque n’avait fait attention au bruit des portes qui s’ouvraient et heureusement pour lui. Il se trouva une ruelle pour enfiler les habits de voyage du marchand et sortit de la venelle. Les rues de Drosera s’offraient à lui.

- Me revoilà…