Un instant, Elias se prit à penser, en un sourire, qu’il aurait fallu qu’elle lui présente Doc, même si l’enfant n’aurait quand même probablement pas voulu lui révéler sa véritable nature. « Je n’aime pas non plus remarquer le monde qui tourne comme si rien ne s’était jamais passé. » Répondit-elle doucement, entre deux brides de paroles, presque plus pour elle-même que véritablement dans l’idée de l’interrompre. Cela lui rappelait trop les nombreuses époques qu’elle avait vu inlassablement se dérouler sous ses yeux, exportant les mêmes schémas, les mêmes erreurs, dans une terre qui continue de tourner et les gens qui en suivent si simplement la danse que parfois – ou peut-être juste à cet instant – elle en vint à se demander si ce ne fut pas de la stupidité. Généralement, ce n’était qu’une perte de foi en eux… Dans un sens, cette femme ne devait pas avoir tort, mais est-ce que s’être dit une chose pareille l’empêcherait, la prochaine fois qu’il y aurait un désastre, de réitérer les mêmes erreurs qui y conduiraient inexorablement ? Probablement que non, elle en était même sûre. Malgré la gravité des échelons de leur conversion, Elias se prit à continuer de sourire doucement, autour de la nature qui les berçait, étonnamment sereine d’être en présence d’un être où elle se retrouvait si bien. « Les hommes répètent inlassablement les mêmes erreurs, les mêmes évènements… Généralement, les différences sont juste suffisamment minimes entre les mêmes scénarios pour les convaincre qu’ils avancent bel et bien à chaque.. réussite. » A nouveau, son timbre s’était exprimé dans le vague, cherchant le refuge des beautés enchanteresses des couleurs de cette forêt. Elle les avait méprisés un peu pour ça – et la nuance n’était dû qu’à son orgueil – mais autrement, cette constatation l’effrayait. L’effrayait de savoir jusqu’où le monde irait, les entraînant tous inexorablement. « Tu aurais le droit de l’être. » Contra-t-elle finalement, sans rien ajouter, mais le sondant avec apriori. Elle ne le jugeait pas, elle ne pouvait pas le faire en partageant cet avis fondé. Mais sa remarque sur sa présence l’interpela, mettant peut-être enfin un mot sur toute la mascarade étrange de cette fête. Elle ne releva à nouveau pas, trop plongée dans ses pensées où elles l’emmenaient.

« Qu’il m’obsède… » Répéta-t-elle finalement. Oui, un peu. C’était forcément quelque chose comme ça, quand bien même elle s’était forcée à ne pas y penser, l’ange devait reconnaître que ce nom avait tourné inconsciemment dans les tréfonds de son esprit. « Tu penses que .. cette demeure lui appartient ? » Elle-même ne savait rien de l’endroit où ils avaient atterri. « Tu en sais quelque chose ? » La vague de curiosité pressante qui l’avait envahie en était venu à enfin soulever son dos encré sur l’écorce. Toutes informations étaient bonnes à prendre dans cette situation, seulement... Son œil roula une brève alarme. « Tout va bien, Elros ? » S’enquit-elle soudainement, observant le si brusque changement d’expression qu’avait initié le vampire, sans qu’elle n’en comprenne la raison. Mais semblant se reprendre, la jeune femme conclut à un élan passager et se contenta de lui faire grâce de ne pas insister. La petite pique eut le don d’ouvrir un sourire malhabile sur ses lèvres, s’il savait. « Non, pas vraiment. » Réussit-elle à lui répondre, essayant de forcer ses lèvres à ne pas trop s’élargir dessus. Et pour cette fois, ce n’était pas l’actuel vampire présent qui l’avait manifesté. A vrai dire, elle n’avait pas vraiment eu le temps de s’y replonger depuis que… Depuis les incidents du Temple des Esprits. « Je n’ai pas encore réussi à trouver ce que je cherchais, mais en fait.. Je ne sais même pas vraiment où il faudrait que cherche… » Termina-t-elle, plus bas, propre dans un moment à réaliser à quel point elle baignait dans un vide intense. « Tu n’en aurais pas une idée à tout hasard ? » Après tout, qui ne tente rien n’a rien.

« Pour être honnête, je ne sais plus si je veux trouver ce que je cherche… » Son regard gris frôla la terre meuble qui s’écoulait sous eux, remplie d’une nouvelle appréhension d’être venue ici pour faire face à cette constatation effrayante. Toute son existence avait été semble-t-il voué à un même but, et se dire qu’elle aurait pu s’en écarter pour .. quelqu’un, était particulièrement effrayant. Alors que d’un autre côté, elle était aussi effrayée à l’idée de chercher. « Tu n’as jamais ressenti la même chose ? Si je les continue, je crains de ne pouvoir revenir en arrière... » Elle savait que le vampire creusait ses propres questions, de son passé avait-elle pu comprendre, un point qu’ils avaient en commun. Ses lèvres roses s’ouvrirent, et se refermèrent, pleine d’un sentiment étonnant. Celui de mettre à voix haute, rendant pleinement réelle, ce qu’elle allait dire. « Je crois que je suis tombée amoureuse. » Et ses doigts vissèrent profondément la pulpe de son front pour y chasser la gêne de l’ingénuité de ses paroles. Le vampire pouvait la comprendre, ou non, mais ce fait était presque dénué de sens pour la vie qu’elle avait jusqu’ici mené. « D’un des vôtres. » Compléta-t-elle rapidement, afin qu’il ne se méprenne pas complètement sur sa raison de lui avoir dit à lui. « Et ça m’effraie. » Ses pensées véhiculèrent alors jusqu’à leur précédent échange, accusant la sensation d’être elle-même prise dans les futilités qui portaient la coupe de ce monde. Et pourtant ça n’empêchait pas son cœur de battre tellement fort.

918 mots

Résumé :

Les Hommes répétaient inlassablement les mêmes erreurs. Le monde se résumait à un bocal ; bocal dans lequel eux, peuple ou poissons, tournaient en rond, rejoignant et le départ et l'arrivée, sans jamais se lasser de la terrible monotonie qui, arrangée par leurs sens, semblait découler de phénomènes fantasmagoriques et prenait des proportions excitantes et jouissives. C'était atroce. Pourtant... « Je préfère voir le bon côté des choses. » A l'instant même où il prononçait ces mots, il sut que l'incohérence émergeait de son raisonnement, qui jusque là ne lui avait que permis de dénigrer et d'exécrer, de rejeter et de détester. Néanmoins, par une infime gymnastique de l'esprit, il parvenait à se comprendre. Il percevait les bons côtés : la paix était là, les gens étaient heureux. Si lui n'était pas capable de faire de même, il devait se contenter de s'abreuver de la joie environnante. En vérité, il ne s'agissait pas d'incapacité. Il avait simplement d'autres préoccupations. Malgré tout, l'égoïsme étayait son caractère. Se concentrer sur ses problèmes, en ce temps, lui incombait suffisamment. Il n'imaginait pas qu'une vie consacrée à une lutte pouvait en sauver des milliers d'autres ; il n'imaginait pas que cette vie pût être la sienne. Aussi, très logiquement, il finit par hausser les épaules. « Non, je l'ignore. Peut-être. Il faudrait se renseigner. » Il observa encore un moment le Palais. C'était vraiment peu anodin. C'était peut-être à ce Sympan, oui. Et lui, qu'avait-il ? Il cligna péniblement des yeux. « Ça va, merci. »

La conversation continua. Elias fut visiblement gênée par son allusion à leur dernière rencontre, ce qui le fit sourire. S'introduire, démunie de presque tout, dans une forteresse peuplée de Vampires, seulement accompagnée d'un réseau de veines et d'artères était pour le moins... risqué. Tout ça pour une bibliothèque qui ne leur avait apporté que des ennuis. « Hum... Peut-être dans la bibliothèque de l'université de magie ? Je sais qu'il y a beaucoup de livres là-bas, dont les pages ne sont pas seulement couvertes de formules magiques... » Il y était allé une seule fois pour mener quelques banales recherches, selon sa mémoire. Cette mémoire, bon sang. Cette fichue mémoire ! Dès qu'il y songeait, il sentait poindre l'énervement et la colère, sans savoir contre qui les tourner, ce qui ne faisait qu'ajouter à sa frustration. Il fut surpris par les remarques et questionnements d'Elias. Il se permit une courte réflexion. « Oui... Je crois que je vois ce que tu veux dire. » Apprendre des choses qui changeraient tout, absolument tout. Il savait que cela lui arriverait aussi. De temps en temps, il avait peur de ce qu'il pourrait découvrir. Mais l'envie était trop forte. « C'est sans doute triste à dire, Elias, mais je crois que je ne puisse pas vivre si je n'apprends pas la vérité. Je me le dois tout comme je le dois à ceux que j'ai laissés derrière moi. Je sais qu'un retour en arrière sera impossible, mais j'ai besoin de savoir, c'est quasiment... un besoin viscéral. Tu vois ? » Il en doutait. Il n'avait pas osé, ni voulu, se répandre en confidences lors de leur précédente rencontre.

La phrase tomba à plat. Décrochée du contexte, lancée comme on jetterait une pièce en l'air, sur un pari peu fructueux, elle ne manqua pas d'étonner le Vampire. Il inclina la tête sur le côté, considérant la jeune femme d'une tout autre manière, l’œil inquisiteur. Il n'ignorait pas qu'elle avait été déchue par l'orgueil ; il n'ignorait pas que ce vice entravait le déchaînement de nombreuses passions. D'un être de la nuit, qui plus est... Il n'était, eux-mêmes, et il fallait le reconnaître, pas réputés pour leur humilité et leur propension à s'exalter face aux joies de l'amour. Il eut, bien malgré lui, un sursaut de tendresse, une envie de protection, face à l'air à la fois gêné et accablé de l'Ange. Cependant, il ne savait comment accueillir la chose. Il ne savait quoi lui dire. Il n'était malheureusement qu'un homme parmi tant d'autres, livrés aux mêmes aléas sentimentaux, émotionnels et moraux... Il sentait son cœur pencher, parfois ; dictant un nom, se contractant, instillant une pointe de souffrance, cette souffrance dont il ignorait encore la valeur, dont il n'avait même pas conscience de la cause. Ce n'était qu'un murmure soufflé, une brève caresse qui aussitôt s'estompait, une gifle qui emportait la douleur avec elle. « Je ne suis sûrement pas celui à qui il faudrait en parler, sans vouloir être rude... Sans compter que je suis très mauvais conseiller. » Un furtif sourire vint masquer sa propre gêne. Un petit instant s'écoula, durant lequel il se demanda s'il devait demeurer sur sa position, ou aller dans son sens. Il opta pour la deuxième possibilité. « J'imagine que tu ne sais pas si c'est réciproque. » Nonobstant, il se demandait, agité par une curiosité qu'il trouvait relativement malsaine, qui était cet homme dont elle était éprise. « Comment s'appelle-t-il ? Peut-être que je le connais... ou que je le connaissais. » Il émit cette dernière hypothèse sans avoir vraiment réfléchi à ses paroles. Peut-être était-ce l'air nocturne, la voie lactée, les festivités, l'atmosphère qui le conduisaient à s'épancher sur une telle question. Aussi, poussé par la nécessité d'enfin déclarer la vérité, ponctuant la soirée d'une nouvelle annonce impromptue, il finit par lâcher : « Je suis privé de mes souvenirs. »

948 mots - Message 7/7

Résumé et gains :