Tout ici m'appartient

The Animals - Inside Looking Out

Sans me presser, mon plateau dans les mains, je m'arrêtai au milieu de la cantine. J'avais fait le tour en promenant mon nez en l'air à la recherche de mon ami. Mes oreilles ne cessaient de s'agiter. Les couverts s'entrechoquaient en une symphonie dissonante qui s'accordait désagréablement sur les bavardages bruyants des élèves. Rapidement, j'avais placé le lieu tout en bas de ceux à éviter à Basphel. Trop bruyant, trop de monde, trop sale. Ma queue fouetta l'air. « Eden ! Par ici ! » Je me tournai vers le brun qui me faisait des signes depuis une baie vitrée donnant sur un jardin extérieur. Je le rejoignis tranquillement. « Désolé ! J'ai oublié de te prévenir qu'on s'était installés dehors pour déjeuner. » « Ça ne fait rien. Je venais juste d'arriver. » mentis-je en adoptant un air dégagé. « Je t'ai vu tourner en rond. » Je ne pris pas la peine de lui répondre et regardai par dessus son épaule. « Dehors ? » Instinctivement, je rentrai la tête entre mes épaules et enfouis mon visage dans mon écharpe jusqu'au nez. Le peu de poils présents sur mon échine se hérissèrent. « Il y a du vent. » observai-je enfin sans avancer d'un iota. « Ouais, mais on profite qu'il ne pleut pas pour prendre l'air ! Viens, on attendait plus que toi. Je vais te présenter aux autres. »

Les autres consistaient en quatre élèves attablés. Evan s'était poussé sur son banc pour me faire une place entre lui et une fille qui puait. À contrecœur, je pris place et me collai aussitôt à Evan, tant pour bénéficier de sa chaleur que pour mettre de la distance entre la puante et moi. Ma bouche s'était tordue en une grimace en m'asseyant. J'avais compris l'origine de l'odeur en lui jetant un coup d'oeil, à ses oreilles, puis à la queue touffue dans son dos. J'envoyai un regard chargé de reproches à mon camarade. « Tu ne m'avais pas parlé de tes amis. » lâchai-je, réussissant à faire preuve de tact pour une fois. Je voulais faire des efforts, car j'aimais bien Evan. C'était lui qui m'avait offert cette écharpe. Je la trouvais fantastique car elle était en forme de tube et si je me tortillais bien comme il faut, je pouvais y coincer tout le haut de mon corps, bras serrés le long de mes flancs et j'étais ainsi tout serré dans la laine, au chaud. J'adorais être compressé. Quand je visitais Mamie Bella, je lui demandais souvent de m'enrouler fort fort fort dans l'une de ses couvertures quand je m'installais devant la cheminée. Je restais ensuite des heures comme ça, les flammes se reflétant sur mes cornées, à ne faire absolument rien. Le bonheur.

« Oui, justement, c'est l'occasion ! Voici Melinda, Lou, Bernst et Walgan ! Et voici Eden, on est en binôme en Histoire pour un exposé. » expliqua Evan avant d'attaquer son repas avec un enthousiasme redoutable. « Salut. » fis-je simplement avant de tranquillement me servir dans le plateau de mon ami pour le délester d'un morceau de pain. Mon propre plateau était garni mais je préférais me servir dans l'assiette des autres. Tout m'appartenait. Je trouvais donc naturel qu'Evan ne proteste jamais. En vérité, je m'étais bien aperçu que le Lyrienn faisait preuve d'une gentillesse et d'une générosité hors du commun et dès que je l'avais compris, j'avais encouragé les racines de cette amitié à se renforcer. Il m'était utile au quotidien. « Tu veux mon maïs, Eden ? J'aime pas trop ça. » Qu'est-ce que je disais ? Il était parfait. Je picorai les grains de maïs avant d'aviser les haricots verts dans l'assiette de Melinda en face de moi. J'adorais les haricots verts. Quand leur texture de velours frôlait ma langue, c'est assez embarrassant à admettre, mais ça me rendait vraiment dingue. Sans me gêner, je me servis donc dans son assiette sous son regard stupéfait. Un petit gémissement de plaisir m'échappa quand je glissai les haricots dans ma bouche.

699 mots

Tout ici m'appartient

Pocahontas - Des sauvages

À la seconde où le fameux Eden s’assit à côté d’elle, Lou fronça le nez. Elle lui jeta un énième regard à la dérobée. Elle n’avait rien contre les chats. À Avalon, quand elle avait vécu dans les rues, certains avaient été adorables avec elle. Ils s’étaient tenus chaud en dormant les uns contre les autres, avaient partagé leurs repas et fui ensemble lorsqu’un boucher les poursuivait pour rattraper les saucisses qui pendaient de leurs gueules. D’autres, en revanche, s’étaient montrés détestables. Depuis qu’elle avait trouvé refuge chez les Deadel, son rapport aux félins avait un peu changé. Milo oscillait entre les deux camps, tantôt sympathique, tantôt exécrable. Elle détestait son imprévisibilité, mais oubliait trop souvent de se méfier. La chienne rentra sa tête entre ses épaules, puis attrapa sa capuche et la rabattit sur son front. Elle mangeait avec eux parce qu’elle n’avait pas envie d’être seule, cependant elle ne les connaissait pas assez pour être à l’aise, et l’arrivée de l’inconnu la perturbait. Elle n’aimait pas les étrangers ; or, Basphel en était saturée. « Salut. » répondit-elle dans un marmonnement presque inaudible. Elle glissa une œillade vers son voisin de table. De quelle équipe faisait-il partie ? Les gentils ou les méchants ? Les autres commencèrent à faire la discussion, et pour son plus grand bonheur, elle put rester murée dans son mutisme, le nez dans son assiette. Elle ne comptait pas passer le repas autrement.

Pourtant, quand un mouvement fila sous ses yeux, elle cligna des paupières et se redressa. Stupéfaite, elle regarda le morceau de pain qu’Eden avait transféré depuis le plateau d’Evan jusqu’au sien. Il était déjà plein. Elle fronça les sourcils. Le vol lui était familier ; elle l’avait pratiqué par nécessité durant plusieurs mois, et il arrivait que, lorsque le souvenir de son errance devenait trop prégnant, elle recommençât. Elle détestait quand cela lui arrivait, parce que ce n’était pas correct, et elle culpabilisait. En conséquence, elle exécrait quand les autres se permettaient de commettre des larcins en toute impunité et dans la plus grande insouciance. Tandis que les haricots verts coulaient dans le gosier du chat, elle planta sur lui un regard furibond. Sa main vola jusqu’à son poignet, dont elle stoppa le geste. « Qu’est-ce que tu fais ? C’est pas à toi. » grogna-t-elle, dévoilant ses crocs. « Ton assiette est pleine, mange ce que t’as. » « Lou, c’est rien, t’inquiète p- » « Non ! On n’est pas chez les sauvages. Excuse-toi. » exigea-t-elle, son regard jaune planté dans celui du chat, ses oreilles plaquées vers l’arrière.

430 mots

Tout ceci est à moi

The Animals - Inside Looking Out

Il y avait des moments où je détestais vraiment tout le monde. Bipèdes ou animaux, il y avait toujours quelqu'un pour pourrir la vie des autres. Dans le cas de la fille, ce fut double peine car son odeur polluait mon air en plus de gâcher mon repas. Je détestais être interrompu lorsque je mangeais. Sous ma forme préférée, j'avais vite fait comprendre cela à mes maîtres qui avaient fini par apprendre à ne pas me toucher lorsque je fourrais mon museau dans ma pâtée. Ma réaction ne se fit pas attendre. L'échine hérissée de mes poils humains, mes ongles tracèrent vivement trois estafilades blanchâtres sur le dos de la main qui venait d'attraper mon poignet. C'était agaçant, mes griffes auraient été bien plus efficaces et le sang aurait alors coulé. Être un Eversha ne me plaisait pas beaucoup au fond, cette enveloppe était vraiment nulle et maladroite. L'hostilité manifeste de Lou ne me rassurait pas et dès que j'eus contre-attaqué, je me jetai en arrière pour atterrir de tout mon poids sur les genoux d'Evan. Mon coude atterri dans son plat et je feulai, dégoûté, agacé, et un peu beaucoup inquiet. Je n'avais jamais beaucoup brillé par mon courage. J'avais tendance à m'enfuir dès que je sentais mon intégrité menacée et cette chienne allait clairement me sauter à la gorge. Mon bras s'enroula autour du cou de mon ami et je me recroquevillai sur lui malgré nos morphologies respectives. « Me touche pas, tu pues ! » crachai-je en direction de Lou, les oreilles plaquées contre mon crâne. « Eden ! Lou ! Stop ! » fit Evan d'une voix quelque peu étouffée. Je me serrai davantage contre lui et attrapai une fourchette. C'était ce qui se rapprochait le plus de mes attributs perdus. Pourtant, dès le premier mouvement que j'interprétai comme une potentielle attaque, j'abandonnai tout et tombai en arrière dans un enchevêtrement de membres trop longs à mon goût, renversant le plateau de mon ami dans le même temps. Je roulai au sol pour me remettre sur mes pattes, avant de me souvenir qu'il serait plus simple de courir sur mes pieds plutôt qu'à quatre pattes sous cette forme. « Puante ! » lançai-je imprudemment avant de tourner les talons et de prendre la fuite aussi vite que possible. J'avisai un arbre et poussai un soupir salvateur. D'un bond que je considérai comme ridicule, loin de mes aptitudes réelles, je réussi à attraper une des branches basses et à m'y hisser. L'écorce s'accrochait à mon uniforme et je miaulai d'agacement et de peur mêlés. Le front brillant de sueur, les cheveux truffés de feuilles, je réussis à m'élever dans l'arbre et finis par m'allonger à plat ventre sur une branche un peu fine pour mon poids. Je voulus jeter un coup d'oeil en contrebas mais un vertige me happa à la vue du sol quelques mètres plus bas. Ma vision se troubla et je fermai les yeux en appuyant mon front à l'écorce. Grimper n'était jamais un problème. Descendre en revanche...

526 mots

Tout ici m'appartient

Pocahontas - Des sauvages

Une douleur vive cingla la main de Lou, qui poussa un grognement. Elle montra immédiatement les crocs, prête à les planter entre les côtes de cette sale bête mal éduquée. Elle n’avait pas peur de se battre puisqu’elle avait passé des mois à devoir le faire pour manger, trouver un endroit où dormir ou simplement se défendre. Peu douée, elle l’était néanmoins certainement plus qu’Eden, déjà recroquevillé sur les genoux d’Evan. Quel pleutre ! « Quoi ? N’importe quoi ! » Depuis qu’elle vivait chez les Dëadel, elle se lavait tous les jours. Dans les rues, son hygiène avait grandement laissé à désirer et, à son entrée dans la maison, il avait fallu la traiter contre les puces, veiller à ce que sa peau retrouvât un aspect sain et nettoyer son pelage souillé. Ces moments lui avaient laissé un goût doux-amer, entre la honte d’être aussi sale et le bonheur d’avoir trouvé un foyer chaleureux ; si bien que désormais, elle prêtait une attention toute particulière à sa propreté, désireuse d’oublier ces moments d’errance et de rendre fière sa famille, et se vexait facilement qu’on pût la remettre en doute. « C’est toi qui pues ! » trouva-t-elle seulement à répondre en s’élançant vers l’avant, peu soucieuse de la fourchette ou des tentatives diverses et variées de leurs camarades pour les calmer. Comme le chat quittait maladroitement son assise pour mieux l’insulter, elle se leva d’un bond. Sa chaise tomba dans un sourd fracas. La main d’Evan enserra son poignet. « Eh, ça sert à rien. C’est pas grave. » Elle baissa sur lui des yeux enflammés. « Mais il a… » « On s’en fiche, on en reprendra au besoin. Reste là. » « Il m’a insultée ! » Et lui n’avait aucun ordre à lui donner. Ils se connaissaient à peine. Elle arracha son avant-bras à sa prise et s’éloigna vivement dans la direction empruntée par le chat. Le temps qu’il grimpât à l’arbre, elle était parvenue au pied de celui-ci. Elle voulut l’imiter mais, loin d’être suffisamment agile, elle fut contrainte de rester au sol. D’entre les racines, elle lui jeta un regard noir. Elle fit plusieurs fois le tour du tronc, avant de s’appuyer contre celui-ci et de croiser les bras. D’un naturel taiseux, elle ne dit rien. Il viendrait bien un moment où le félin devrait descendre. D’ici là, il pouvait réfléchir aux excuses qu’il serait judicieux de formuler. Elle espérait qu’il avait encore très faim, ça lui ferait les pattes. La chienne était loin de se douter qu’il risquait d’avoir besoin de son aide pour justement mettre pattes à terre.

Fin - 436 mots