« Oh oui, comme ça c'est bon... Continue, plus fort. N'arrête pas. » Un ronronnement profond ponctua ma prière. La main de Virginienne s'était faufilée sous mes vêtements et ses ongles produisaient des merveilles le long de ma colonne vertébrale. Il y avait dans sa façon de me toucher une magie qui me donnait envie d'arrêter le temps. Couplé à ses caresses, le ronflement des ailes du moulin me berçait peu à peu jusqu'à l'endormissement. Nous nous étions cachés au dernier étage pour échapper à la surveillance de sa chaperonne qui n'aurait pas manqué de me gifler et de nous dénoncer à nos parents si elle me surprenait les mains dans le giron de la Magicienne. Mes parents adoptifs, eux, avaient renoncé depuis longtemps à chercher à savoir où je me trouvais. Je disparaissais tout le temps, distrait par le ballet aérien d'une pie ou simplement parce que mes pattes ne pouvaient pas rester très longtemps au même endroit. L'air transportait des promesses d'explorations impossibles à ignorer, et je ne faisait même pas l'effort d'essayer. Par le passé, j'avais payé cher mes égarements. Le souvenir de ma première famille me hantait, ils me manquaient terriblement. Je n'avais jamais retrouvé le chemin de leur maison, et l'odeur de Claer s'était estompée avec le temps, laissant un vide béant en moi. Malgré cette expérience, l'extérieur continuait de m'attirer, sauf lorsque le temps était mauvais. J'avais la pluie et le vent en horreur. Dans ces moments, je volais la couverture tissée par Mamie Bellada, maintenue chaude en permanence par magie, et m'enroulais dedans pour dormir des heures durant.

J'aimais n'en faire qu'à ma tête. Lorsque j'avais compris que ma forme humaine était la raison poussant ma famille adoptive à me scolariser, j'avais tenté de revenir à ma forme naturelle et de rester ainsi, mais la magie n'obéissait qu'à ses propres caprices. À reculons, j'avais donc rejoint les bancs d'une école pour enfants afin d'apprendre au moins à lire et à écrire. Rester assis pendant des heures était si pénible que lorsque je ne dormais pas en classe, je m'échappais par la fenêtre dès que le professeur avait le dos tourné. La sévérité de mes parents s'était durcie, et au prix de nombreuses disputes, de larmoiements de ma part et aussi, je n'en étais pas fier, de coups de griffe vengeurs sur tous les rideaux  et les coussins de la maison, ils réussirent à m'inculquer le minimum pour devenir un adolescent à peu près normal, quoi que cela puisse signifier. Au moins, on ne me forçait plus à réciter l'alphabet avec des enfants.

Récemment, mes promenades sur mon temps libre - ce dernier se définissait selon mes propres termes, je continuais de m'échapper de l'école et ne rendais pas toujours mes devoirs - avaient pris un tournant plus intéressant. J'avais cru avoir déniché tous les trésors de mon voisinage, leurs réserves cachées de nourriture, les hamacs les plus confortables, les arbres parfaits pour l'escalade, les voisins qui me gratifiaient des gratouilles les plus qualitatives. Je n'avais juste pas fait attention aux bipèdes eux-mêmes jusqu'à ce que l'une d'entre eux m'invite à la suivre derrière un arbre alors que j'errais dans un verger, le nez levé sur un rouge-gorge qui me toisait du haut de sa branche. Ses lèvres s'étaient collées aux miennes et elle m'avait proposé de toucher ses seins. L'insolent oiseau était immédiatement tombé dans l'oubli. Après ce jour, il y avait eu Péronile, Marceline, Edmund aussi mais je n'avais pas aimé avec lui, et plus récemment Virginienne qui portait mal son nom car sa jupe n'avait pas été difficile à soulever et que je n'étais pas le premier à l'en débarrasser. Il y avait eu quelques chattes aussi, mais on ne se donnait pas nos noms.

« J'adore ici, oui, plus bas. » La base de ma queue était mon endroit préféré pour les gratouilles. Nous nous étions affalés sur sa cape étalée sur le sol. Ce n'était pas très confortable alors je m'étais débrouillé pour m'allonger à moitié sur elle. Ce n'était pas évident avec ma taille humaine, mais j'avais réussi. « J'espère qu'à Basphel, je trouverais quelqu'un qui me fasse pareil. » soupirai-je, les yeux semi - clos. Virginienne interrompit ses mouvements. J'entendis les échos de son cœur changer de cadence. Mes oreilles bougèrent. « Pourquoi tu t'es arrêtée ? » « Tu vas à Basphel ? » « Oui. » J'avais peut-être oublié de le lui dire. « J'ai pas envie. Il paraît que le niveau là-bas est difficile. » geignis-je. J'aimais me lamenter, car j'obtenais ainsi des consolations sous formes de câlins ou de sucreries. Doucement, je donnai un coup de tête contre son ventre pour qu'elle reprenne. À la place, la Magicienne s'écarta et mon crâne fit un bruit sourd en heurtant le sol. « Aïe ! Hé ! » « Alors, je ne te verrais plus ? » Une main sur le front, je la fixai avec une expression stupide, et un peu irritée aussi. Je m'assis, mécontent d'avoir quitté le confort de ses cuisses moelleuses. « Oui, je suppose. » « Mais je ne suis pas d'accord. » Son pied frappa le sol et me fit sursauter. Je n'aimais pas les bruits soudains. Ma queue battit l'air comme un fouet et mes pupilles s'assombrirent. Son attitude me déplaisait. « Ben moi non plus, mais c'est comme ça. » Je finis par me lever. Je ne trouvais plus aucun plaisir à rester. « À plus tard. Enfin, non, pas vraiment, du coup. » Je ne me justifiais jamais pour quitter un lieu et une personne. Je ne comprenais pas le concept. Si j'en avais envie, je m'en allais, sinon, je restais. Je n'aimais pas devoir rendre des comptes. Je pris l'échelle et alors que ma tête dépassait encore au niveau du plancher, je n'eus pas assez de réflexes pour éviter le soulier que me lança la Magicienne en m'injuriant de noms d'oiseaux.

Ma chère Pralinette,
Je sais que tu n'aimes pas dire au revoir mais je ne pouvais pas laisser ma douceur quitter la maison sans te dire quelques mots. Tout d'abord, je suis très très fière de toi. Avec ton père, nous n'avons pas été surpris lorsque Basphel a proposé de te faire passer un entretien. Nous savions que tu irais loin. Nous croyons en toi ! Ce n'est que le début !
Tu nous manques déjà, reviens-vite nous voir pendant les vacances, ma petite Praline. Sois bien sage et obéissante, comme tu l'as toujours été. Tu ne nous décevras jamais.
Ta maman qui t'aime.
Papa t'embrasse aussi.
PS: Je t'ai glissé un nouveau carnet dans ta valise, j'espère que tu placeras dans tes listes de choses à faire de nous envoyer une petite lettre de temps en temps. Je sais que tu es économe mais n'hésite pas à nous dire si tu as besoin d'un petit pécule. Je ne connais pas les prix pratiqués par la ville de Basphel.
Je t'ai aussi mis des friandises dans le pochon rose, essaie de ne pas tout manger en une seule fois.

L'adolescent donna un coup de coude à sa comparse et lui tendit la lettre. « Regarde ce que j'ai trouvé. J'attendais dans la salle d'accueil avec cette fille, avec des oreilles de chien, et y a ça qui est tombé de son sac. » Il ricana tandis que son amie lisait le contenu sans éprouver une once de culpabilité. Un lent sourire se dessina sur ses lèvres. « Pralinette ? » répéta-t-elle. « On va lui rendre sa lettre, attends. »

Quelques mètres plus loin, Philomena était à deux doigts de réussir l'exploit de porter son sac sans qu'il touche ses vêtements qu'elle avait réussi à ne pas froisser pendant le voyage, tout en portant les clés de son dortoir, une liasse de papiers d'intégration, ainsi qu'une carte des lieux qu'elle brandissait sous le nez d'une étudiante. « Bonjour. Je m'appelle Philomena Hanove et je suis nouvelle ici. » Elle avait parlé très vite, mais avec une élocution sans défaut. Ses répétitions face à son miroir avant de venir portaient leurs fruits. Ses parents avaient payé cher le tuteur pour faire d'elle une jeune fille bien éduquée. Philomena avait fourni beaucoup d'efforts pour en arriver là. Le chemin avait été long et difficile. Sans le soutien et l'amour de sa famille d'adoption, elle savait qu'elle aurait baissé les bras. Aujourd'hui, bien qu'elle s'aidât d'une liste spéciale routine du matin, elle ne sortait pas de sa chambre sans s'être lavée (y compris l'intérieur des oreilles et le visage), coiffée et assurée que ses vêtements ne présentaient pas le moindre pli disgrâcieux. Sans ses oreilles et la queue qui dépassait de sous sa jupe, on aurait dit une parfaite Magicienne, aux manières délicates et policées.

« Je cherche ce dortoir, dans quelle direction puis-je le trouver ? » « Praline ! Pralinette ! » Par réflexe, la tête de la brune vira sur le côté dans la direction de l'appel, ses oreilles dressées, la bouche entrouverte et la queue frétillante. Puis tout aussi rapidement que la réalisation de son erreur survenait, ses sourcils se froncèrent et ses lèvres se pincèrent. « C'est toi, non ? Pralinette ? » Goguenard, le garçon lui tendit sa lettre. « Je crois qu't'as laissé tomber ça tout à l'heure. » Son regard la détailla de haut en bas, s'attardant sans gêne sur ses attributs. « Je m'appelle Philomena Hanove. » le corrigea-t-elle d'un ton sec et sans appel. Les joues cuisantes de honte, la nouvelle arracha la lettre de ses mains pour la récupérer. Le mouvement vif fit vaciller tout son équilibre et la liasse de papiers lui glissa des mains en même temps que la lanière de son sac à bandoulière glissait de son épaule. Un cri rauque, proche de l'aboiement, lui échappa alors qu'elle essayait de tout rattraper en même temps. « Tu veux de l'aide ? » fit le garçon, comme pris de remords. « Non, merci. » souffla-t-elle, fièrement, chose assez difficile à mettre en pratique mais qu'elle réussit, sans oublier d'être polie, toujours. « Je vais me débrouiller. » Ses affaires remises en bon ordre, elle planta son regard avec autorité dans celui de l'élève. « On ne lit pas le courrier des autres, et encore moins celui d'une femme. C'est très malpoli. » « D'une... femme ? » Incrédule, il fixa les oreilles de chien dressées sur sa tête. Sans qu'elle en prenne conscience, les lèvres de la brune se retroussèrent pour révéler ses dents dans une mimique qui aurait pu être menaçante sous une autre forme. « Parfaitement, oui ! J'aimerais que cela ne se reproduise plus à l'avenir. Est-ce que tu peux te pousser maintenant ? J'aimerais passer. Et qu'est-ce que c'est que cette odeu-... » À cet instant, deux choses se produisirent simultanément. Tout son faciès se plissa comme si elle s'apprêtait à éternuer, et un brun déboula dans le couloir, sourire malin dans les yeux, des tâches de son constellant un visage au teint halé, des oreilles de chat plantées entre ses mèches aux reflets cuivrés. Ce fut tout ce que Philomena eut le temps de voir avant d'être percutée par le sac de l'élève qui ballotait dangereusement dans son sillage. Elle se rattrapa comme elle put au col de celui qu'elle était occupée à sermonner. Le temps de se redresser, le turbulent avait déjà disparu. « Mais il ne s'excuse même pas ?! » suffoqua-t-elle, scandalisée par le comportement du rustre. « Pas son genre, non. »