Le malotru à la ronflette malvenue

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Razhul était loin, très loin, de se douter des événements qui s’étaient déroulés à Nementa Corum. Elle n’avait d’ailleurs jamais véritablement retenu le nom du quartier général infernal des ennemis de son peuple. Si elle avait su, elle aurait sans nul doute pris son épée en bois et serait partie à l’assaut de ces vils moches aux pieds puants. Peut-être aurait-elle pleuré avant et peut-être se serait-elle perdue en chemin. Elle serait probablement morte dans un fossé très loin d’Amestris aussi mais son jeune cœur enfantin ne se préoccupait absolument pas des méandres de la réalité. Son monde était fait d’imagination et de défis à braver. Dans sa tête, elle sortait victorieuse de chaque situation parce qu’elle était trop forte. La preuve ? Des non Réprouvés la logeaient gratuitement, lui faisaient à manger et la laissaient faire à peu près ce qu’elle voulait, à condition qu’elle ne rentrât pas trop tard. Elle était traitée comme une reine, parce que c’était ce qu’elle était. Razhul Khan, la Reine de Basphel ! L’idée la fit rire et elle reprit de plus belle ses trottinements. Elle n’avait pas revu Dastan depuis le Fessetival, ce qui était une honte parce qu’il devait devenir son Roi. Ça ne pouvait pas être autrement. Yngvild ne serait peut-être pas d’accord mais le roux était le plus beau des garçons qu’elle connaissait. À côté de lui, Rozo faisait pâle figure. Le seul souci qu’elle avait, c’est que Dastan faisait des bisous à tout le monde, même aux grandes asperges qui faisaient peur, des grandes asperges même pas musclées et mêmes pas Réprouvées. C’était honteux ! Si elle n’avait aucune idée d’où elle se trouvait – et, surtout, si elle ne se trouvait pas en haut d’une île flottant dans les cieux – elle serait rentrée à Lumnaar’Yuvon illico pour en parler avec Asha et Vrael !

Si elle trottait dans cet étrange endroit rempli de grands, c’est parce qu’elle avait fini par comprendre qu’il était interdit d’entrer dans les énormes bâtiments surplombants le village. Razhul n’aimait pas trop qu’on lui interdît quoi que ce fût. Dans son cerveau d’enfant, elle pouvait aller partout. Surtout, si elle arrivait à dire des phrases simples en langage commun – à base de « je veux » et de nourriture – elle était très loin de tout comprendre. Quand elle faisait des bêtises, elle faisait donc sa tête d’innocente et les adultes chez qui elle était lui pardonnaient. De toute façon, ils n’étaient pas des Réprouvés. Cela signifiait qu’elle leur était supérieure et qu’ils ne pouvaient faire autrement que de plier le genou devant sa grandeur. Pour les heures de sommeil, elle s’y pliait que parce qu’elle le voulait bien.

La tête haute, faisant fi des regards interloqués, et son épée en bois à la ceinture, elle entra dans une pièce au hasard. Elle remarqua qu’il y avait des lits et que l’un d’eux était encore occupé. « C’est qui ce gros BÉBÉ qui se lève pas le matin ? » se questionna-t-elle en Zul’Dov à voix haute. Puis elle eut une idée ! Elle allait jouer aux voleurs ! Elle était maintenant Razhul Khan, la Reine des Voleuses, et elle allait détrousser ce malotru à la ronflette malvenue.  

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Le malotru à la ronflette malvenue

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La langue pointant vers le haut, sa concentration à son maximum, Razhul cherchait les trésors qu’avait bien pu cacher le malotru. On n’avait pas idée de ronfler aussi fort ! Même sa maman ne ronflait pas comme ça – alors même qu’elle était capable de réveiller les voisins. Bon, peut-être que la blondinette exagérait mais elle s’était convaincue depuis longtemps que la Réprouvée était capable de repousser ses ennemis de cette manière. C’était peut-être Yngvild qui lui avait raconté une histoire dans cette veine, à moins que la défaite fût due à la consommation excessive de fromage qui pue ? Elle ne se rappelait plus vraiment.

Après avoir fouillé toute la chambre, la Bipolaire en quête d’aventures avait fini par escalader le garçon pour le détrousser directement au corps. Dans la pièce, elle n’avait rien trouvé d’intéressant hormis quelques gâteaux au chocolat sous un lit. Elle les avait mangés et avait repris sa mission, en vain. Pleins d’objets avec des gribouillis incompréhensibles étaient rangés ici et là. Sans importance. Quant au reste, il s’agissait surtout de vêtements et de machins dont elle ne comprenait pas l’utilité. Il n'y avait même pas d'armes ! C’était louche, trop pour qu’il n’y eût pas de fourberies. Il devait garder ses pièces d’or sur lui ! C’était elles que Razhul était en train de chercher lorsque la colline que représentait le corps de l’adolescent se mut et l’envoya rouler bouler par terre. Sa chute fut amortie par la couette et, même si elle faillit se faire écrabouiller par la grande asperge, elle trouva quand même la force de se redresser : il fallait toujours faire face à l’ennemi ! Quand elle le vit s’écrouler, elle écarquilla les yeux puis, fière de sa victoire, elle laissa un hoquet satisfait lui échapper. Ils étaient vraiment nuls, ces étrangers. En plus, le garçon était tellement froissé qu’il ressemblait à la face d’un Goled qui avait été piétinée par un Bicorne.

Comme elle ne comprenait rien à ce qu’il disait, elle garda sa stature. « Pourquoi tu te couvres, gros nigaud qui pue ? Tu ferais mieux de faire du sport ! » commenta-t-elle, en Zul’Dov. Dastan, lui, il était musclé comme un vrai Bipolaire au moins. Elle se dit que l’inconnu devait appartenir au même peuple que la madame rousse aux grandes oreilles. Elle le regarda. Ses oreilles n’avaient même pas poussé… Il était un échec complet « Pfff. Y a vraiment rien qui a grandi chez toi ! » continua-t-elle, en réponse à son charabia. « Comment tu vas faire pour faire des bébés ? » Ouais. Parce que bon, personne ne voulait d’une branche de céleri comme partenaire. Il n’allait pas pouvoir se reproduire et sa lignée s’éteindrait. C’était ça quand on était un bon à rien. À Gona’Halv, il serait mort dès le premier jour, c’était sûr ! De toute façon, elle, elle ferait des bébés avec Dastan.

Comme elle devina qu’il lui posait une question, elle crut que c’était le moment d’entrer en communication avec l’asticot. Elle le fixa. « Moi je veux des gâteaux ! » lui dit-elle en langage commun, avec son accent inimitable, tout en s’approchant. Elle papillonna des yeux et entoura ses bras autour de ses jambes. Elle avait remarqué que ça marchait, généralement. Par contre, s’il ne lui donnait pas ce qu’elle voulait, elle lui donnerait un coup de pied pour le punir !

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Le malotru à la ronflette malvenue

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Quand il pointa son doigt vers elle, Razhul eut envie de mordre dedans jusqu’à l’os ! Un jour, elle avait entendu deux femmes parler des gros doigts des messieurs. L’une d’elle avait dit en ricanant que, une fois, elle avait mordu dedans jusqu’à l’arracher. Le type était mort quelques temps plus tard, en se vidant de son sang. La petite Réprouvée n’avait juste pas compris ce qui se cachait derrière le fameux « doigt ». Premièrement : un organe sexuel. Deuxièmement : de la moquerie envers un homme qui n’était pas un Réprouvé et qui en avait donc une petite. Néanmoins, cette histoire avait inspiré l’enfant qui rêvait, depuis, d’arracher le doigt d’un malotru d’un coup sec de la mâchoire. Sauf qu’elle ne le recracherait pas, elle : elle l’avalerait tout rond. Heureusement pour le drôle de céleri, elle préférait quand même les gâteaux.

« Hé ! » s’exclama Razhul. Il lui apparut clairement qu’il cherchait à se débarrasser d’elle. Ah oui ? C’était comme ça ? Très bien ! Il allait regretter d’être venu au monde avec une aussi sale dégaine. Elle, elle voulait des gâteaux ! S’il ne lui en donnait pas, elle allait le tuer, découper sa tête et la planter sur une pique qu’elle mettrait à l’entrée de cet endroit nul qui puait le slip de péteux ! « AH ! » hurla-t-elle, lorsqu’elle sentit sa grosse masse bleue sur elle. Il était trop nul. Elle prit un air remonté, en tentant de faire fi de son petit corps meurtri. Elle croisa les bras et l’attendit, plantée dans sa fierté de Réprouvée.

« Moi je veux des gâteaux ! » répéta-t-elle, lorsqu’il lui adressa la parole. Puis, quand le drôle d’oiseau sembla enfin avoir compris qu’il devait lui obéir, elle se mit à trotter à côté de lui. Dans le couloir, elle l’imita dans sa démarche et dans ses mots car le ton employé lui plut. « TROLL ROSE ! » braya-t-elle. « Ouais dégage ! » Elle ne savait pas exactement ce qu’elle articulait mais elle avait compris l’idée. C’était des insultes ! Chaque jour, son vocabulaire en langage de nullos s’améliorait. Gâteau, je veux, moi, troll rose, dégage. Razhul était fière d’elle.

Alors qu’ils continuaient leur chemin, le regard de la petite blonde accosta le visage d’une fille. Elle fit la moue. Elle n’aimait pas trop l’aura qu’elle dégageait. Sans réfléchir, elle lui lança au visage un énorme « TROLL ROSE DÉGAGE ! ». Elle n’assuma néanmoins pas lorsque la blanche tourna les yeux vers elle et pointa son doigt sur Lazare tout en l'accusant en Zul’Dov d’être à l’origine de ces mots.

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Le malotru à la ronflette malvenue

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Razhul l’écouta objecter mais se dit que c’était de sa faute et qu’il l’avait bien cherché. Après tout, s’il n’avait pas commencé à dire « troll rose » et « dégage », elle ne l’aurait pas répété et ils ne se trouveraient pas dans une situation imminemment dangereuse. Cette fille, vraiment, elle ne lui disait rien qui valût. Elle préférait mille fois l’allure débraillée de Lazare à la tenue impeccable de la blanche. Encore une qui ne devait pas beaucoup aider aux champs. Franchement, à quoi ça servait d’être belle si on ne savait même pas soulever une meule de foin ou retourner la terre ? Dastan l’aurait retournée en moins de deux, lui.

Alors que Razhul rouspétait dans sa tête face à la grande tige qu’était la fille, celle-ci s’approcha. L’enfant recula légèrement et se rapprocha de Lazare. Elle n’avait pas peur, non, mais elle ne voulait pas être contaminée par l’élégance. Plutôt mourir ! « Quoi ? » fit-elle, en entendant le ronfleur d’antan bafouiller. Les garçons, c’était vraiment tous des bébés. Sauf Dastan, son papa et quelques autres. Tous étaient des Réprouvés, bien entendu. Elle repensa au grand bleu ténébreux qu’elle avait croisé au Fessetival. Elle grimaça. Lui aussi c’était un bébé. Si elle le revoyait, elle lui referait le portrait ! « Hein ? » fit-elle, comme si elle ne comprenait pas ce que pardon signifiait. C’est vrai ça. Elle n’allait pas s’excuser. Les excuses, c’est pour les faibles, pensa-t-elle. C’était à eux de s’excuser ! Elle fronça les sourcils, du moins, jusqu’à ce que la main de la Sirène ne s’ouvrît sur un tas de sucreries. Le visage de Razhul changea du tout au tout. Elle était facile à acheter. Sa mimine se tendit pour attraper le contenu. Elle le fourra dans sa bouche sans préavis et croqua dedans. Le mélange réglisse chocolat n’était pas très bon mais elle ne fit pas étalage de sa propre débilité. C’était toujours moins pire que le goût que devaient avoir le Goled grillé.

La petite Réprouvée se mit à ricaner lorsqu’elle eut vidé sa bouche, remonta les yeux et balança à Lazare : « Troll rose ! Dégage ! » avant de se mettre à courir dans le couloir, très fière d’elle. Il ne la retrouverait jamais ! Elle allait dévaliser la cantine toute seule ! À elle les gâteaux ! Pas de pitié pour les sucreries ! Au fur et à mesure de sa course, pourtant, la figure du Magicien s’imposa à elle. Bizarrement, elle n’était plus très sûre de vouloir se passer de ses services. Il pourrait peut-être devenir son serviteur… ou son apprenti ? Elle lui enseignerait à traire les bicornes et il resterait avec elle…

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Ce sera Lazare alors, pauvre de lui 8D