Tu m'oublieras

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Intrigue/Objectif : Astriid fait une pause dans son voyage et décide de rester à Cael pour apprendre le métier auprès d'un maître chocolatier. Elle rencontrera également son Archontesse, Atae.
RP lié

☙ De la grande chanson française

Au bas d'une ruelle, les talons des sandales d'Astriid soulevèrent un nuage de poussière en freinant sa course. « Viiiite, tu as déjà trente minutes de retard ! » Paniquée, Carnage rebondit sur la joue de l'Elfe qui la chassa d'un geste impatient. Essoufflée, elle s'accorda quelques secondes pour retrouver un rythme cardiaque correct et s'autocongratuler de ne pas avoir plongé dans la marée humaine qui encombrait une des artères majeures de la ville et causé un accident qui aurait été fâcheux. Promesse d'un retard conséquent, le soleil se réverbérait sur les dalles pastel de Cael et l'Eskët émit une plainte sourde en mesurant la distance restante à parcourir avant d'arriver à destination. Vivre seule avait des avantages indéniables, mais c'était seulement en cette première lune qu'elle réalisait à quel point elle s'était reposée tout ce temps sur ses congénères, et cela se ressentait surtout le matin quand il n'y avait personne pour la réveiller. Néanmoins, jamais la rousse ne s'était sentie davantage libre qu'en cet instant, et un air réjoui se peignit sur son visage portant encore quelques traces de sommeil. Elle étreignit son sac contre son flanc pour se mêler à la foule des citoyens, s'emplissant les poumons de ce nouveau rythme de vie qui était devenu nécessaire. Après tout ce qu'il s'était passé, une césure devenait vitale, et voyager ne suffisait plus. Elle se sentait étouffer avec son groupe, et inutile. À un âge désormais adulte, elle ne savait rien faire de ses mains et questionnait l'intérêt de son existence. Après de longues délibérations, son groupe avait continué leur voyage en la laissant à Cael pour le temps qu'elle jugerait nécessaire avant qu'elle ne les retrouve à la fin de son apprentissage.

La clochette venait à peine de finir de tinter que la voix douce de Laurier s'éleva depuis le fond de la boutique, derrière une porte entrebâillée. « Tu es en retard. Encore. » Habituées, les abeilles rentrèrent sagement dans la ruche, se préparant à une sieste qui durerait le temps qu'Astriid passerait à l'atelier. Les côtes palpitantes, la rousse salua à mi-voix la vendeuse derrière le comptoir et s'empressa de rejoindre l'arrière-boutique pour retrouver la haute silhouette du Magicien, voûté au dessus de l'immense table de travail trônant au milieu de la pièce baignant d'une chaude clarté, rehaussée par les breloques dorées suspendues aux fenêtres. « Bonjour... Je suis... désolée... » Souffla Astriid, peignant maladroitement sa tignasse avec ses doigts dans un effort pour paraître davantage présentable. « Du mal à te réveiller le matin ? » Terminant de relever ses cheveux en chignon informe sur le sommet du crâne, elle alla nouer un tablier sur sa nuque et sa taille. D'un blanc immaculé car Laurier les faisait laver chaque soir magiquement, il ne le resterait pas longtemps s'il fallait en juger des prouesses de l'Elfe depuis ses débuts, étalant souvent davantage de chocolat dessus que sur la table où elle tentait de suivre les directives du maître chocolatier. « Un peu. J'ai lu tard hier, les livres que vous m'avez conseillés sont passionnants et je n'ai pas vu l'heure passer. » Ce n'était qu'un demi mensonge et Astriid écarta vivement de ses pensées la vraie raison de son insomnie, sous la forme d'une lettre aux couleurs de la ville. « C'est bien. Fais-moi penser à te donner un petit réveil ce soir, ça t'aidera à être à l'heure les prochains jours. » « Oui. Est-ce que vous avez avancer sur la confection de votre nouveau produit ? » « Non. Il faut que la préparation repose pendant encore quarante-huit heures avant d'être prête mais elle offre déjà une belle couleur indigo prometteuse pour la suite. Non, je t'attendais pour les commandes quotidiennes. J'aimerai que tu essayes de les faire par toi-même aujourd'hui. Je vais te guider, comme ce sera ta première fois. » Les iris émeraudes de l'Elfe scintillèrent à l'annonce du maître chocolatier et elle s'approcha avec tant d'enthousiasme que son coude heurta une pile de casseroles en fonte qui se seraient effondrées si Laurier n'avait pas usé de sa magie pour les rattraper. Avec un air faussement sévère, il les ramena d'un geste de la main sur la table. « La précipitation ne te mènera nulle part. Au contraire, tu risques d'oublier des étapes ou de ne pas les exécuter correctement. Ne te fie pas à ma rapidité, je fais ça depuis des années. Comme tu débutes, je veux que tu prennes ton temps. Va d'abord récupérer les moules, ceux en forme de dragons. »

Le front plissé par la concentration, Astriid remuait avec énergie le mélange onctueux sous l'oeil inquiet de son mentor. L'apprentie en était à sa troisième fournée et sa vivacité leur avait valu à leurs visages et tabliers une constellation d'étoiles brunâtres, avec en supplément, une brûlure sur le tranchant de la main de la maladroite. « Doucement... » Répéta-t-il pour ce qui semblait être la millième fois. Il renifla soudainement. « Je pense que tu devrais aller sortir ta deuxième série du four. » Annonça-t-il avec un calme feint. Toutefois, il se forçait à ne pas reprendre la main. S'il souhaitait que son élève progresse, il devait la laisser commettre des erreurs et se débrouiller. Le lendemain, elle ferait davantage attention et saurait se montrer plus efficace et attentive afin de pouvoir gérer plusieurs choses en même temps. En attendant, telle une flamme virevoltante, elle lâcha la spatule dans la casserole et ne s'aperçut pas que cette dernière basculait au sol, projetant des gouttelettes de chocolats sur les alentours. Laurier grimaça en voyant les murs crèmes de son atelier essuyer les bévues de l'Elfe. « Ouf ! Juste à temps ! » Astriid se redressait, tenant à bout de bras l'immense plateau fumant. Elle souffla sur une mèche rebelle venue chatouiller le bout de son nez et déposa le fruit de son travail sur la table. Ravie, elle souffla dessus pour les refroidir plus vite avant de pousser un cri catastrophé en se souvenant du chocolat resté sur le feu. « Non non non... » Geignit-elle en essayant de remuer le chocolat qui s'était figé, devenant aussi dur que de la pierre tandis qu'une épaisse fumée s'échappait de la mixture odorante devenue irrécupérable.

Message I | 1079 mots

Tu m'oublieras

☙ De la grande chanson française

Même si manger du chocolat était plus facile que d'en confectionner, Astriid ne regrettait pas une seule seconde sa décision d'apprendre le métier. Il était infiniment plus drôle d'apprendre à faire quelque chose de ses mains, et satisfaisant d'en voir le fruit, même lorsqu'il était raté, que de se contenter de profiter des talents des autres. Pour la première fois, elle se sentait utile et se projetait sur les prochaines années, imaginant les clients s'aligner devant sa boutique pour s'arracher ses chocolats. De plus, Laurier était un maître talentueux, d'une patience extraordinaire et elle n'aurait échangé sa place pour rien au monde. Ahanant, elle parvint avec soulagement à la porte de son logement. Son statut d'apprentie et la valeur minime de ses services rendus lui avaient valu un minuscule appartement situé dans les hauteurs de la ville. Astriid ne se plaignait pas, cette nouvelle vie avait un goût de paradis et rien ne saurait entacher son bonheur, ou presque. La présence de la lettre de Kitoe chez elle lui faisait l'effet d'un monstre énorme endormi chez elle qui se jetterait à sa gorge à n'importe quel moment. Elle secoua la tête pour ne plus y penser et songea à son petit fauteuil qui l'attendait, offert par sa gentille voisine quand elle avait vu l'Ygdraë emménager avec pour seules affaires ce qu'elle avait dans son sac de voyage, et à ses pieds et ses mollets gonflés qui ne demandaient que du repos bien mérité après la journée passée à piétiner et courir partout.

Poussant la porte en sifflotant, elle se figea sur le seuil en constatant une présence inconnue et imprévue. Des cheveux d'un bleu terne tirant sur le vert au contact des rayons du soleil couchant, une enfant se tenait accroupie et lisait les titres des livres empilés au sol dans un coin du salon. « Euh... Bonsoir ? » Astriid n'était pas inquiète, Cael étant une des villes les plus sécurisées des terres du Yin et du Yang - sans quoi, jamais Raïm et les autres ne l'auraient laissé habiter seule ici. « Tu apprends à faire des potions ? » Fit la petite fille sans la saluer en retour. Décontenancée, l'Elfe ferma la porte et posa son sac à terre. « Je... Euh... Oui mais... » « Mmh c'est une bonne idée. Ça pourra t'être utile en dehors de faire des chocolats spéciaux. » Sa voix était endormie, traînante comme si elle n'avait pas dormi depuis plusieurs jours. Elle résonna brusquement aux côtés d'Astriid qui sursauta en voyant que l'enfant était désormais juste à côté d'elle. Toujours accroupie, elle souleva le rabat du sac de l'Elfe pour fouiller dedans. « Je suis Atae, une Archontesse. » Répondit-elle aux nombreuses questions muettes qui tournoyaient dans son esprit. « Oh parfait, j'avais faim. » Sans cérémonie, la bleue enfourna une poignée pleine de minuscules dragons en chocolat dans la bouche. « Je ne comprends pas. » Parvint à souffler Astriid, éberluée. « Ouais, normal. Tu ne comprends pas grand chose hein ? » « Hey ! » Un sourire malicieux étira les lèvres de l'enfant qui disparut soudainement. Le temps de cligner des yeux, et Astriid entendit une voix depuis sa chambre lire à haute voix le contenu de la lettre de Kitoe. Elle pâlit violemment et couru jusqu'à la chambre pour arracher la lettre de ses mains. « C'est privé ! » Elle savait qu'elle aurait dû jeter la lettre dès l'instant où elle l'avait reçue et lu le nom inscrit tout en bas, sans même la lire. Elle n'avait pu s'y résoudre. « Bof, de toute façon, je l'ai lue tout à l'heure en t'attendant. » Atae plaça les mains sur ses hanches. « Tu devrais t'estimer heureuse, c'est rare que j'attende après quelqu'un. Mais bon, ça m'a permis d'en apprendre davantage sur toi. » « Que... Quoi ? » Mais l'Archontesse avait de nouveau disparu. Une seconde plus tard, elle bondissait sur le matelas avec de petits cris excités. « C'est rigolo, on dirait un ouragan dans ta tête avec toutes les questions qui y tournent. C'est très chaotique. » Elle parut songeuse, s'abîmant dans une réflexion qui se conclut en un haussement d'épaules. « Mais bon, c'est ce que j'ai tout de suite apprécié chez toi. Cette vivacité d'esprit. Enfin ça ne veut pas dire que tu es intelligente pour autant. Tu es même assez bête pour quelqu'un de ta race. Mais ça peut toujours s'arranger avec le temps et de la volonté, ce dont tu ne manques pas. Avec un coup de pouce de ma part, on va pouvoir rebattre les cartes en ce qui te concerne, et par extension, pour moi. Je suis pour ainsi dire invisible aux yeux d'Isemli, et les autres se moquent de moi. Donc, tu vas m'aider à leur montrer. » « Je... Hein ? » À court de mots, Astriid contemplait avec des yeux ronds Atae qui avait cessé de sauter sur le lit pour passer devant elle différentes robes de l'Elfe. « Tu vas répondre quoi à Kitoe ? » Le brusque changement de sujet surprit Astriid et son visage se ferma. La lettre se froissa dans son poing. « Rien du tout. Si j'ignore sa lettre, elle finira par m'oublier. » « Ce n'est pas très poli. » Remarqua son interlocutrice d'un ton sceptique. « Elle te considère comme ton amie, tu sais ? Enfin, je sais que tu sais, et très franchement... » « Arrêtez de lire dans mes pensées ! » S'emporta Astriid.

Comme si elles avaient senti l'humeur de la rousse changer, un bourdonnement agita la petite ruche attachée à sa ceinture et les cinq abeilles jaillirent de l'abri. « C'est qui ça ? » Atae porta son regard sur l'abeille comme si elle avait entendu sa question et son sourire s'élargit. L'Archontesse avait comprit en une seconde de quoi il s'agissait, et surtout qu'Astriid n'avait pas la moindre idée de la provenance de ses petites amies bicolores. « J'l'aime pas. » Déclara Bisou, toujours aussi grincheux. « Elle met mal à l'aise Astriidou, on devrait essayer de lui faire peur pour la faire partir. » « Je ne suis pas d'accord, elle a proposé de répondre à la lettre. Alors, tu vas y répondre Astriidou ? Dis ouiiii. » Surexcitée, Bonbon volait à toute vitesse sous son nez. « Taisez-vous tous ! » Eclata Astriid, deux tâches rouges de colère colorant ses joues. « Sortez de chez moi ! » La boulette de papier quitta son poing pour traverser le corps de l'Archontesse. « Nan. J'ai pas envie. » Rétorqua Atae d'un air blasé sans même réagir à l'attaque. « J'vais plutôt t'aider pour apprendre à fabriquer tes potions. Faut bien que je sois un peu utile si je veux que tu me sois utile en retour. » Et les livres qui étaient dans le salon apparurent entre ses mains. « C'est du niveau de premier cycle pour les Mages, même pour toi ça ne devrait pas être trop dur d'acquérir les bases. Cite-moi les vingt principes régissant l'élaboration de n'importe quelle potion. »

Message II | 1195 mots