Alþjófr leva les yeux du bocal qu'il était en train de remplir de poudre de safran au brouhaha qui commença à s'élever dans l'épicerie. Sur ses journées de libre, il aidait sa mère à la boutique. Il y avait toujours de l'activité à l'intérieur, néanmoins, aujourd'hui, l'ambiance était particulière. Différente même. Délaissant le bocal, le jeune Nain approcha l'un des clients, curieux de la raison de ces murmures. « Qu'est-ce qu'il se passe ? » - « Apparemment il y a des intrus dans la forêt, pas loin de Nidavellir. ». Le Guerrier ne comprenait pas en quoi c'était si étonnant. Ce n'était pas la première fois que des individus de la Surface approchait cette entrée. Souvent des êtres qui s'aventuraient dans les bois pour les mêmes raisons qu'eux d'ailleurs : la cueillette. Aussi, face à l'incompréhension d'Alþjófr, le Nain reprit. « Ils ont l'air de chercher quelque chose et certains disent que c'est justement Nidavellir. ». À nouveau Alþjófr ne saisit pas en quoi cette situation était si sujette à discussion. Les Sages racontaient qu'il y avait déjà eu des aventuriers qui avaient tenté de trouver la Terre de Feu. Chaque fois la magie des Nains, soutenue par Embla, les avait tenus éloignés de leur cachette. « C'est un groupe important qui est présent cette fois. Ils seraient bien une trentaine et auraient des enfants avec eux en plus. » - « Des enfants ? ». Alþjófr se tourna vers sa mère qui avait pris la parole. Si elle faisait mine de rien jusqu'alors, il découvrit qu'elle était en vérité tout aussi intéressée que lui par ce qu'il se passait. S'il y avait des enfants, cela voulait dire que les gardiens des portes ne pourraient se montrer aussi dissuasifs qu'ils ne l'étaient habituellement. Ces hommes et ces femmes les avaient-ils amenés pour se protéger d'une éventuelle attaque ? À présent, plus personne ne s'intéressait au contenu de l'épicerie. Seule la venue de ces étrangers était sur les lèvres et dans les esprits. Alþjófr décida ainsi de quitter la boutique pour rejoindre Þorinn. Le connaissant, s'il avait entendu ces rumeurs, il devait déjà être sur la place centrale à la recherche d'informations.

Comme il se l'était supposé, son ami était bel et bien présent sur la grande place du village. « Þorinn ! » l'interpella-t-il donc avec un signe de la main. « Alþjófr ! T'as entendu les rumeurs toi aussi ? » - « À propos des étrangers ? Ouai. Mais pourquoi tout le monde est si inquiet ? » interrogea-t-il son ami, toujours dans le doute de l'importance de cet événement et supposant que le brun avait surement déjà plus d'informations. « Ils ont trouvé le Temple d'Estella et y ont pénétré. ». Ce fut la voix de Án qui lui répondit plutôt, Þorinn lui-même surprit de cette information qu'il n'avait, à l'évidence, pas. « Comment tu sais ça toi ? » - « J'étais Là-Haut quand ils sont arrivés. Ils n'ont pas l'air dangereux mais.... C'est impressionnant à voir. » fit-elle en se lovant dans les bras d'Alþjófr. Contre lui, il pouvait sentir le choc qu'elle avait pu avoir en assistant à cela, ce qui était compréhensible. « Embla va les repousser, comme chaque fois. Et tout redeviendra normal. » voulut-il la rassurer. Elle nia d'un signe de tête. « Embla n'a pas réagi. On l'a vu, il était là à veiller sur le temple comme toujours lorsqu'une présence inconnue approche. Mais il les a laissés entrer quand même. ». Le cœur d'Alþjófr se mit à palpiter plus fort comme il échangea un regard ébahit avec Þorinn. Il était pourtant incapable de savoir s'il s'agissait de la crainte de cette situation exceptionnelle ou s'il s'agissait de l'excitation de faire enfin face à ces êtres qui faisait s'emballer son être. « Tu crois qu'il nous a abandonnés ? Qu'il en a assez de protéger notre peuple ? » - « Nan, ça serait ridicule. Depuis le temps qu'il est là pour nous ça serait pas logique. S'il en avait marre, ça fait longtemps qu'il se serait barré je pense. ». Pourtant, malgré cette affirmation, Þorinn était loin d'être certain de ce qu'il était en train de dire. « De toute façon ils ne sont qu'une trentaine, dont une partie ne sont que des enfants. Ils ne peuvent rien contre tout un peuple. ». À ces mots, Án se colla un peu plus à son aimant tandis que ce dernier levait les yeux vers l'entrée, à l'égal de nombreux autres. De ce que racontaient les Sages, jamais encore des êtres de l'extérieur n'avaient été aussi proches d'eux. En des termes plus clairs, jamais le secret de leur existence n'avait été si proche d'être révélé.

Plus que de chercher le peuple disparu, Yovan portait son regard sur chaque détail de la forêt avec l'idée de s'imprégner de son ambiance et ses particularités. À l'extérieur, le monde grondait avec la rage des fanatiques rejetant les croyances contraires et préférant voir ceux qu'ils considéraient hérétiques comme morts plutôt que soumit. À l'inverse, cet endroit respirait la sérénité. Le borgne doutait pourtant que les guerres n'aient pas atteint ces terres. Leurs feux ravageaient tout sans distinction. « J'ai quelque chose ! ». L'An'sarna porta son intention sur le Voyageur qui venait de lancer l'appel. Tout le groupe le rejoint alors, découvrant ce dont il parlait. Un puits, aussi large qu'il semblait profond, trônait au cœur de la forêt, loin de Daletas, comme oublié. Aucune structure permettant d'en remonter l'eau n'était présente, probablement dévorée par la moisissure avec le temps, ce qui appuyait cette dernière hypothèse. Le nomade passa la tête par-dessus le bord. Il n'y vit que les ténèbres. « Je vais prévenir Mandragore. ». Le Voyageur tourna les talons sitôt ces mots prononcés pour revenir au point de ralliement, là où avait atterri le navire volant. Il s'écoula un court silence où tous fixaient le fond du puits avant qu'enfin quelqu'un prenne la parole. « Vous croyez que c'est profond comment ? » questionna une jeune Basphélienne. L'un de ses camarades se pencha au sol pour se saisir d'un caillou qu'il jeta dans le trou. Celui-ci rebondit une première fois sur la paroi. Puis une seconde fois. Puis une troisième. Puis il finit sa chute en silence. Encore. Encore. Et encore. Un écho lointain leur parvint enfin, signe qu'il avait enfin atteint le fond. « C'est profond de beaucoup. » répondit alors l'adolescent. Ce n'était cependant pas ça qui avait retenu l'attention du borgne. Les yeux plissés, il fixait en silence le premier lieu d'impact du caillou. Il n'avait pas rebondi sur la paroi en fait. Il ne l'avait, en vérité, même pas touché. D'ailleurs, pendant un instant, le caillou avait plutôt semblé rouler au lieu de tomber. Toujours muet, il posa la main sur le mur intérieur du puits, puis se mit à en faire le tour jusqu'à ce qu'il rencontre un obstacle. Il y avait quelque chose dans ce puits. Quelque chose qui leur était dissimulé. « Vous connaissez un sort pour révéler ce qui est caché ? » interrogea-t-il le groupe qui nia d'un signe de la tête. « Mais j'ai un autre moyen de découvrir ce que vous voulez. », ajouta une femme, intervenante à Basphel, en comprenant ce qu'avait en tête son vis-à-vis. Une main tendue en avant, une lueur claire émana un instant de sa paume. Le lierre déjà installé se mut alors, s'étalant sur tout le rebord du puits pour ramper ensuite à l'intérieur. « Un escalier. » constata-t-elle en voyant la plante se heurter au vide et descendre de façon saccadée mais régulière sur cette chose invisible. « Va prévenir Mandragore. » fit-elle en se tournant vers l'un des écoliers. « Dis-lui qu'on commence à y descendre également. » - « Tous ? ». Yovan se tourna vers la jeune fille s'étant exprimé plus tôt. Elle semblait terrifiée à l'idée d'entrer là-dedans. « Non. Tu n'es pas obligée de venir si tu ne le veux pas, évidemment. » rassura son aînée en prenant les devants dans le trou.

Il avait fallu du temps au groupe avant de trouver l'entrée du tunnel. Un des explorateurs s'était lui aussi détaché de l'assemblée pour prévenir l'instigateur cette expédition de leur découverte. La grotte, dissimulée derrière un épais mur végétal, aurait pu passer inaperçue sans la magie des uns. Un sort permettant à son utilisateur de prendre conscience des formes de vie à proximité les avait aidés à faire cette découverte. C'était ainsi qu'un Voyageur avait pu discerner la présence d'une flore au-delà de ce mur et, de ce fait, deviner la présence de cette caverne. Torche à la main pour certains, usage d'un sort de création de lumière pour d'autres, ils avançaient lentement dans le tunnel, s'extasiant devant la mousse et les fleurs qui s'illuminaient d'une lueur bleutée à mesure qu'ils s'enfonçaient dans la pénombre. « Stop. Arrêtez-vous. » enjoint l'un des explorateurs avant de tendre l'oreille. Oui, il ne faisait pas erreur. Il entendait bien quelqu'un approcher. Tous retinrent leur souffle dans l'attente de voir qui ils venaient de déranger et prêt à répliquer ou partir si le danger menaçait. Le temps leur paru alors interminable. « Sympan tout-puissant » laissa échapper un jeune Déchu, s'attirant par ces mots quelques regards méprisants et assassins. L'exclamation lui avait cependant échappé, trop saisi pour réfléchir à ce genre de chose. Dans l'obscurité, une silhouette commençait à se dessiner. Petite. Trapue. Barbue. « Gardez-vous de vous aller plus au loin, Étrangers. » ordonna une voix dans un commun approximatif. Son ton était cependant posé, presque amical.

Au même instant Yovan, en compagnie de l'intervenante et des quelques courageux les ayant suivis, approcha du fond du puits. Nulle réserve d'eau à l'horizon néanmoins. En fait, le chemin se prolongeait à présent à l'horizontale en une cavité propre, comme taillée par des êtres intelligents. Ils s'engouffrèrent ainsi dans le passage à pas prudent, mais la curiosité croissante. Ils ne purent aller bien loin toutefois. Devant eux, venait d'apparaître un homme, petit, aussi large de carrure qu'il n'était haut. « Ce fou d'Ygdraë avait raison... » souffla la jeune femme, ébahie par ce qu'elle était en train d'observer. « Gardez-vous d'aller plus loin encore, Étrangers. » fit-il à son tour, dans la langue de son peuple toutefois. Si les mots furent incompréhensibles au groupe, le contenu de sa phrase leur était des plus clairs. Il suffisait de constater le ton employé, plus sévère que son pair à la surface, ainsi que de détailler sa posture et ses expressions. S'il semblait seul à première vue, Yovan ne douta pas un instant que d'autres, comme lui, étaient camouflés dans les environs, et les surveillaient.

A l'égal des plus curieux — mais surtout des plus fous selon le point de vue d'une majorité — Alþjófr avait rejoint le couloir principal en compagnie de Án et de Þorinn. Ils assistèrent ainsi à l'arrivée de la garde royale venue à la rencontre du groupe étranger pour les guider auprès de l'Élu d'Estella. « Qu'est-ce qu'il va se passer maintenant ? » fit la Naine en se tournant vers son aimant. Ce ne fut pas lui qui répondit cependant. « Qui sait ? C'en est fini avec le secret en tout cas. » déclara Þorinn sans détacher son regard du chemin que prit le groupe. Un silence ponctua la réplique. La Terre de Feu n'avait jamais été aussi silencieuse que depuis la venue de ces gens venus d'ailleurs. Alþjófr, lui, n'avait jamais été aussi excité que ce jour. Il avait toujours rêvé le monde d'En-Haut, d'aussi loin qu'il puisse se souvenir. Il était ainsi toujours en verve lorsqu'il quittait la Terre de Feu pour subvenir aux besoins de son peuple. Mais cette fois c'était différent. Pour la première fois il avait pu observer réellement des êtres venus de ces terres méconnues. Pour la première depuis des ères, ces êtres avaient pu venir à leur rencontre. Plus que la fin d'un secret, rien ne pourra plus jamais être comme avant maintenant.

T'es sûr de toi ? Entre ce qui se raconte et la réalité y a toujours un monde. Tu seras peut-être déçu. ». Mótsognir ne partageait pas la vision de son ami. Il ne voyait pas d'un bon œil ce qu'il était en train de se passer et les bouleversements qu'ils impliquaient. Il craignait que le pire ne leur arrivât, considérant le peu de ce qu'il avait vu et entendu des terres du dessus. « Je ne le serais pas. » nia Alþjófr, assuré de sa réponse. Il n'avait pas d'attente particulière concernant le monde et sa population. Il ne la connaissait pas assez pour ça. Au contraire donc, il serait bien plus surprit qu'autre chose. Le simple fait de pouvoir marcher normalement, sans se cacher d'eux, de pouvoir aller à leur rencontre, de découvrir leurs coutumes suffisait à son contentement. « Et toi tu seras pas déçu de pas voir à quoi ça ressemble vraiment ? » renvoya-t-il la question, ce à quoi Mótsognir répondit par un rire franc. « Oh que non. Je suis bien plus à l'aise ici qu'à crapahuter Là-Haut. ». L'intention d'Alþjófr se détourna du brun en captant un mouvement par-dessus l'épaule du brun. Son visage s'illumina en voyant la silhouette d'Án lui faire signe. Mótsognir se tourna également face à ce changement d'humeur. « Même pour Án tu resterais pas ? » fit-il alors avec plus de sérieux, faisant par la même planer l'ombre de la culpabilité sur les épaules de son ami. « Je reviens. » rétorqua-t-il plutôt, sans répondre à l'interrogation, pour rejoindre son aimée. « Je suis content que tu sois là. » fit-il avant de l'embrasser. « Tu croyais réellement que je ne serais pas là à votre départ ? » rétorqua-t-elle moqueuse. « Tu es sûre de ne pas  vouloir venir avec nous ? » lui demanda Alþjófr après ça, attristé de se retrouver ainsi séparé d'elle. La Naine nia d'un signe de tête. « Non. Il faut bien que des Nains restent ici pour s'occuper des plus jeunes. » sourit-elle avant de rapidement ajouter, afin d'empêcher Alþjófr de reprendre la parole. « Et toi ne te retiens pas pour moi. Je sais que tu rêves d'aller Là-Haut. Ça fait si longtemps que tu regardes le ciel, même lorsque le plafond des cavernes le cache. Je ne veux pas te savoir malheureux parce que tu seras resté ici à cause de moi. ». La prévenance de sa partenaire fit fleurir un tendre sourire sur les lèvres du Nain. Elle était la plus formidable d'entre toute. Personne ne pourrais le faire douter de cela, encore moins à présent. « J'ai quelque chose pour toi. » fit-elle sans transition en s'écartant d'un pas pour fouiller dans le pochon accroché à sa taille. Elle s'empara d'une main d'Alþjófr et y déposa son présent. Une pierre d'Estak. « Comme ça je suis certaine que tu reviendras pour moi. » sourit-elle. « Et quand tu reviendras, tout sera prêt pour notre mariage. ». Sur ses mots, elle s'accrocha à la nuque du Nain pour ponctuer sa phrase d'un baiser.

Debout sur une caisse, Alþjófr avalait du regard le paysage en contrebas. Le Continent Naturel comme jamais il ne l'avait encore vu. L'air était frais dans les nuages. Un air qu'il n'avait encore jamais senti, d'une pureté époustouflante. Quant aux nuages, il avait été persuadé jusque-là qu'ils avaient une texture cotonneuse. Il leva les yeux sur les voiles du navire volant. Il avait déjà observé depuis la terre des silhouettes parcourir le ciel. La majeure partie du temps, il s'agissait d'animaux, d'oiseaux ou autres créatures pourvues d'ailes. Parfois c'étaient des êtres Humanoïdes ailés, résidents de la ville qui avait poussé dans la forêt. Jamais il n'avait vu de bateaux volants. Il n'avait juste jamais vu de bateaux tout court. À côté de la coque du vaisseau un oiseau au plumage semblable aux nuages dans lesquels il jouait s'amusait à y disparaitre et réapparaitre aux yeux de l'équipage. Il avait fait tout le trajet avec eux. « On va encore monter haut comme ça ? ». Þorinn s'était joint à Alþjófr pour l'aventure, en compagnie d'Aurvangr également. « Jusqu'aux îles Suspendues. On ne va pas tarder à arriver à destination d'ailleurs. » répondit l'un des explorateurs en pointant de l'index une destination plus en hauteur encore. Mandragore avait anticipé les conséquences de la réclusion du peuple Nain et la barrière que pouvait constituer la méconnaissance d'un langage commun, aussi avait-il fait appel à ses pairs de Yanna pour créer des artefacts permettant de traduire instantanément ce qu'il se disait et répondre aux interrogations du Petit Peuple. Le trio leva la tête. « Par Estella... » loua Aurvangr dans un souffle en constatant les terres flottantes au-dessus de leur tête. .« Tu sais ce que m'a demandé Mótsognir avant de partir ? » ria Alþjófr en y repensant. « Il m'a demandé si j'avais pas peur d'être déçu du voyage. ». La révélation fit sourire ses amis. « Je suis sûr qu'il aurait jamais imaginé ce genre de chose, il t'aurait pas dit ça sinon. » - « Il vaut mieux être déçu que d'espérer dans le vague*, de toute façon.». Ça, c'était une certitude.

Lorsqu'ils aérirent, Mandragore introduit les Nains à la cité école. Ils étaient une curiosité pour le monde présent et ces derniers s'en trouvaient mal à l'aise. Ils n'avaient pas pour habitude d'être au centre de l'intérêt de tous, bien au contraire. « Que comptez-vous faire à présent ? » les interrogea un garçon ayant pris part à l'aventure . Les Nains à proximité révélèrent leurs envies et leurs doutes. Alþjófr n'était lui-même pas des plus certains sur la route à prendre. Le monde était vaste et il ne savait trop par où commencer tant il y avait de chose à découvrir. « Il y a un peu de toutes les ethnies ici. Commencez par visiter l'école et ses alentours. Vous n'aurez qu'à descendre ensuite sur le territoire d'une race à laquelle vous aurez plus accroché. » proposa le jeune homme en voyant l'incertitude de ses interlocuteurs. « Profitez d'être ici pour apprendre la langue commune surtout. » intervint une Voyageuse. « Tout le monde ne possède pas d'artefact de traduction. Vous pouvez suivre les cours de langue commune en candidat libre ici, ne serait-ce que pour avoir les bases et pouvoir vous aventurer avec une moindre contrainte. Il n'y a pas meilleur lieu d'apprentissage pour ça. ». Elle n'avait pas tort et ça même les Nains pouvait s'en rendre compte.

Les sourcils froncés, Alþjófr tentait difficilement de lire et comprendre le texte qu'il avait entre les mains. Il s'agissait d'un conte pour enfants et pourtant la chose lui paraissait aussi compliquée qu'un traité de philosophie. « Quoi ça signifie ? » demanda-t-il à l'étudiante, une jeune Magicienne, qui l'aidait. « Qu'est-ce que ça signifie. » le corrigea-t-elle avant de lui expliquer le terme. « Le nadir c'est le pôle inverse du zénith. ». Le Nain papillonna des yeux. Il n'avait rien compris de ce qu'elle lui avait dit. Elle avait été trop vite et avait utilisé trop de mots inconnus. « Pardon. » se reprit-elle en diminuant le débit de ses paroles et en articulant plus, un sourire aux lèvres. « Dans ce genre de livre on parle de zénith pour parler du moment où le soleil est le plus haut dans le ciel. ». Elle marqua un temps pour s'assurer que son vis-à-vis suivît et comprît ce qu'elle essayait de lui expliquer. « Le nadir, toujours dans ces livres, c'est le contraire. Quand le soleil est au plus bas, que l'on est au plus noir de la nuit. ». À nouveau elle marqua une pause avant de conclure. « Mais c'est un peu plus compliqué que ça en vérité. Et c'est un peu tôt pour essayer de t'expliquer la réelle définition. ». L'astronomie était bien trop technique pour un individu s'exprimant comme un enfant et ayant toujours vécu caché du ciel. Après un court silence, Alþjófr répéta ce nouveau mot. « Na. Dir. C'est joli. ». Ils n'avaient pas de terme du genre dans la Terre de Feu. Les astres avaient un rôle mineur dans la vie de tous les jours et le vocabulaire s'en trouvait réduit. Ces mots avaient donc un air d'exotisme à ses oreilles..

À l'arrière d'une charrette, peu soucieux de la direction que son conducteur prenait, Alþjófr avait le nez levé au ciel. Il n'avait pas réussi à se décider sur la première destination à prendre une fois sur le continent, alors il s'était contenté de suivre le chemin d'un autre. Les rayons du soleil lui réchauffait la peau comme jamais auparavant. Il lui semblait plus grand, plus brillant encore. L'observer librement, suivre le vol des oiseaux sans regarder toutes les trente secondes ses pieds, sentir le souffle du vent sur son épiderme sans prendre garde à ce qu'il pouvait charrier avec lui rendait la nature des Terres d'Emeraudes plus magiques qu'elles ne le lui avaient jamais paru par le passé. « Où trouver la Noire Forêt ? » demanda-t-il finalement en se retournant vers l'homme. Le Nain n'avait pas prit le temps d'étudier la géographie lorsqu'il se trouvait à Basphel et ce genre de détail ne faisait pas parti des apprentissages qu'il avait reçu sur la Terre de Feu. Tous les humanoïdes de la surface étaient, jusqu'alors, logés à la même enseigne : des êtres qu'il fallait éviter. « La Forêt Noire ? Ça me dit rien ça. ». Alþjófr dû chercher à comprendre ce qu'il lui répondait avant de se trouver étonné par cette réponse. Il insista alors, précisant difficilement sa pensée. « C'est la forêt où le nuit est plus là que le jour. Avec la arbres très gros et nuage très bas. » tenta-t-il d'expliquer. « Ah ! Vous devez parler de la Forêt des Murmures. C'est plus au nord d'ici, à l'est des Côtes de Maübee là où on va. C'est pas un coin réputé fréquentable. Pourquoi vouloir savoir ça ? ». Le conducteur s'était exprimé lentement de sorte à ce que son passager puisse le comprendre. « Juste pour savoir. ». C'était cette forêt qui avait attisée un peu plus sa curiosité pour le monde de la surface. Il avait clairement senti le danger qui s'y trouvait, oui, néanmoins l'étrangeté du lieu avait eu de quoi le fasciner. « Tenez, regardez. On aperçoit enfin Avalon. » fit le conducteur en pointant du doigt la ville déjà visible. Elle était difficile à louper cela dit. Alþjófr se trouva béat en constatant la hauteur de la cité. Il n'avait jamais songé à ce qu'une ville puisse tant s'élever vers le ciel. Était-ce une ville de géant ? Son sommet touchait-il les étoiles ? Un millier de questions fusèrent à son esprit.

Étrangement la route sembla s'être faite beaucoup plus rapidement lorsqu'ils eurent pénétrés les côtes de Maübee. Le conducteur lui avait expliqué que ce territoire était comme doué de vie et qu'il avait tendance à se modeler en fonction du visiteur qui approchait, lui facilitant ou non la route jusqu'à la cité. Il l'avait ainsi déposé aux portes de la ville tandis que lui continua sa route le long de l'artère principale. « Une dernière chose : je vous conseille de rester dans les rues principales, vous risqueriez de rapidement vous perdre, c'est un vrai dédale cette ville. » - « Merci. » répondit le Nain bien qu'il ne s'inquiétât que peu de ce détail. Plus heureux que jamais, il commença donc son aventure au sein de la capitale Déchue.

Alþjófr dévorait des yeux, ébahit, tous les étals devant lesquels il passait. À pas lent il dévisageait chacun des résidents ou visiteurs qu'il croisait. Son conducteur lui avait également expliqué qu'Avalon, le nom de ce lieu, était un endroit très cosmopolite et qu'il s'agissait d'une ville où on y trouvait le plus de races différentes, hors Basphel. Toutefois, aux yeux du Nain, ils étaient tous les mêmes. Les terrasses des bars et des cafés se remplissaient rapidement et les boutiques se faisaient toutes assaillir par toute sorte d'hommes et de femmes. Il marqua un temps devant l'une d'elle, intrigué par la harangue de son propriétaire. À ses côtés, surélevée, une femme posait de façon sensuelle dans une longue robe aux milles couleurs. Il ne comprenait pas tout ce que racontait l'homme mais ce devait être intéressant, ou a minima intrigant, considérant les regards qu'il s'attirait. D'un geste ample, la jeune femme dessina sa silhouette en balayant l'air d'une main le long de sa ligne. En même temps le vêtement s'évanouit, sa peau n'étant alors plus couverte que de deux morceaux de tissus légers carmin et sertis de perles roses. La surprise cloua le Petit Être sur place avant qu'il ne détourne le regard, gêné d'avoir reluqué impunément cette inconnue. Il prit alors tristement conscience de l'appât qu'elle était, de nombreux individus, hommes et femmes, s'arrêtant devant la devanture, certains tout aussi surprit qu'il le fut. La mannequin, elle, semblait bien plus à l'aise malgré tous ces regards qui s'accrochèrent à sa silhouette. Du coin de l'œil, Alþjófr la vit exécuter un tour rapide et gracieux sur elle-même. Lorsqu'elle revint face à la foule, une nouvelle pièce l'habillait en un corset mauve, quasi transparent et piqué de strass. Cette fois il se trouva épaté par l'agilité de cette femme. Il n'avait rien vu du changement. Ce monde était réellement curieux. Ce moment de surprise lui donna ainsi plus envie encore de s'aventurer dans la ville et s'y attarder quelques jours.

Quand bien même le monde d'En-Haut soit particulièrement différent de celui duquel il venait, il y avait un fait qui ne changeait pas : le haut lieu social de toute ville était le bar. En vérité, Alþjófr n'était entré dans cette taverne qu'après avoir été interpellé par un individu alors qu'il se promenait au sein de ce qu'ils appelaient les Halls des Titans. D'abord il avait été méfiant. Depuis sa plus jeune enfance il avait entendu des tas de discours négatifs à propos des êtres de la Surface. S'il avait pu constater qu'ils n'étaient pas tous vrais, le Nain demeurait prudent, surtout après avoir appris que les peuples se déchiraient entre eux pour une histoire de légitimité divine. L'inconnu avait pourtant su gagner sa confiance en se montrant sincère envers sa personne. L'espérait-il du moins. C'était ainsi qu'ils avaient fini ensemble autour d'une table d'une taverne non loin, pour faire plus ample connaissance. « Patron, sers-nous la petite sœur s'il-te plaît ! » interpella l'homme, un natif, Lloyd de son nom, en se tournant vers le bar pour interpeller le gérant de l'établissement. « Un peuple pacifique, c'est assez étonnant comme histoire. Mais si tu veux mon avis, c'est compliqué d'avoir cette philosophie dans ce monde, surtout en ce moment. » reprit-il ensuite en reportant son intention sur son vis-à-vis- « À cause guerre des dieux ? ». Ça ne plaisait pas au Guerrier cette histoire. Le monde n'était donc pas moins cruel que par le passé ? « Entre autres. Même si cette guerre ne va pas tarder à toucher à sa fin j'ai l'impression. » - « Pourquoi ? » - « D'après les journaux, l'influence de Sympan prend de plus en plus d'importance et dépasse celle de tous les Ætheri réunis. Enfin, tous ceux s'étant levés contre lui. ». Si toute la phrase ne lui fut pas compréhensible, Alþjófr su en tirer les mots-clés pour deviner ce qu'il lui était dit. « Tu crois paix arriver après ça ? ». Le Déchu haussa des épaules. « Espérons-le. ». Enfin on leur apporta les bières, troquant les verres vides contre des verres pleins. Après avoir trinqué, le Déchu reprit la conversation. « Et donc tu es forgeron ? » - « Tous les Nains est forgerons. » - « Tu devrais aller voir Marius tant que t'es dans le coin. Il est forgeron lui aussi. Enfin, maréchal-ferrant d'abord. Mais comme on dit, il faut savoir s'adapter à son époque. » - « Maréchal-ferrant ? ». Voilà bien une activité dont il n'avait jamais entendu parler. Constatant l'ignorance de son nouveau compagnon Lloyd prit décision d'emmener sur le champ le Petit Homme voir le forgeron. « Avale ça, je suis sûr que vous allez rapidement vous entendre. ».

Lloyd fit marcher son compagnon plusieurs longues minutes durant. Le trajet parut interminable à ce dernier, en partie due au fait qu'il lui fallait trois enjambées pour une seule de l'Aile Noire. C'est ainsi qu'ils rejoignirent l'extérieur de la ville pour se diriger vers une habitation à l'entrée de la capitale. « Marius ! Je t'emmène un invité ! » appela le Déchu en poussant la porte de la chaumière. Face à l'absence de réponse, il s'enfonça dans la maison jusqu'à rejoindre la porte arrière qu'il poussa comme la première. « Marius ! ». Un individu se tenait là, marteau en main, pince dans l'autre. Le nommé cessa de frapper sur l'enclume et dressa la tête. « Lloyd. Me dit pas que l'armée à encore besoin d'armes ? Je vais finir par croire que la montagne les gobe. ». Il s'arrêta en constatant la présence du Nain légèrement en retrait. « Non, rien à voir. Un messager est arrivé de là-haut en plus, ils ont réussi à repousser les Démons. Non, je viens pour te présenter ce gars. ». Alþjófr se détourna des pièces de métal exposées pour porter son intention sur le maître des lieux, son regard brillant s'étant jusqu'à présent perdu sur la cour et ce qu'abritait la hutte ouverte où brûlait un feu à l'intérieur d'un large âtre. « Bonjour, moi être Alþjófr. » - « Tu as déjà entendu parler des Nains ? ». Le forgeron nia d'un signe de la tête. « Nains être race à moi. Venir de ventre de la terre. » - « Quoi ? ». Marius n'était pas sûr de tout comprendre, notamment à cause du langage de l'étranger. « Vous aurez le temps d'en parler. Son peuple est entièrement composé de forgeron, tu te rends compte. Des as en matière d'armes en plus. Je me suis dit que vous aimeriez discuter ensemble de vos passions. » - « Tu sais qu'à la base j'équipe les chevaux, pas les soldats ? » déclara l'hôte avec cynisme. Le Nain, lui, s'était totalement détaché de la conversation dont il ne comprenait de toute façon pas grand-chose. Son regard était tombé sur un objet précieusement emballé dans un tissu de soie sombre, ce qui le rendait bien plus intéressant que quoi que ce soit ici. Son absence ne fut d'ailleurs remarquée que trop tard pour que Marius proteste. Lorsqu'il le vit, déjà le Nain avait fait tombé le tissu pour révéler ce qu'il dissimulait. Ce fut le son du métal glissant dans son fourreau qui fit remarquer au duo que le mi-homme les avait quittés. « Reposes ça s'il-te plait. J'ai passé trop de temps dessus pour devoir recommencer si elle devait être abîmée. ». Alþjófr se tourna vers le forgeron et leva des yeux surprit sur lui. « Vous avoir fait ça ? » demanda-t-il. « Oui. ». Le Nain reporta son regard sur l'épée qu'il manipulait avec la plus grande précaution. Il n'était peut-être pas encore expert dans le domaine, mais son ego de forgeron, et celui de tous ses frères avec, était en train d'en prendre un coup. Il était en train de se rendre compte d'une terrible chose. Leur art n'était pas ce qu'il croyait. À l'abri du monde, il avait toujours considéré que les créations de son peuple étaient ce qui se faisait de mieux. Qualitativement, c'était peut-être le cas. Esthétiquement néanmoins, il se rendait compte du peu de diversité dans ce qu'il avait pu voir sortir des Forges. « Moi avoir prendre épée. » déclara-t-il. « Quoi ? ». Aucun des deux Déchus n'avaient compris ce que leur avait dit le Nain. « Je, euh, devoir prendre elle épée. » - « Ah ! Non. Vous ne pouvez pas. » répondit le forgeron avec sévérité. « C'est une commande particulière pour un membre du gouvernement. Je lui ai fait savoir qu'elle était prête et il passera la chercher demain. Alors à moins de payer le prix fort, je ne peux pas vous la céder. Et encore moins vous la donner. Je veux bien être parfois généreux, mais sûrement pas en affaires. » - « La raison pour laquelle on a rarement vu un Avare faire faillite. » se moqua Lloyd. Le forgeron fusilla du regard son comparse. Alþjófr fronça des sourcils, puis prit sa décision. « Alors moi en forger une même à l'aide de vous. ». Le forgeron détailla son vis-à-vis. « Vous avez déjà forgé une épée ? » - « Plusieurs. » répondit sans hésitation l'apprenti. « Ça peut se faire alors, pourquoi pas. » déclara l'Avare après un temps.