« Je ne sais pas, tu aurais pu vouloir rester pour nourrir les Cerfeuils ou alors continuer à te promener en solitaire, dans le noir de la nuit, tel un mystérieux chevalier en peine ! » rétorqua la brune avec un sourire en coin. Plus tôt, elle l'avait décrit comme un chasseur sans remord. Maintenant, elle lui donnait le titre de chevalier. Il s'était vu promu sans grand effort. « Oh... Oui, pourquoi pas... ? » Sa réponse avait pris une inflexion interrogative. L'idée de ramener un étranger, un homme qui plus est, jusque chez sa cousine l'angoissait un peu. Bien sûr, ils s'étaient déjà rencontré une fois, alors il n'était pas réellement un étranger pour elle. Mais ils n'avaient pas pris le temps de faire connaissance à proprement parlé. Et puis, cet épisode l'avait tant dérangé qu'elle n'en avait parlé à personne. S'il l'avait obsédé tout ce temps, elle n'avait livré ses troubles à personne. Que dirait sa cousine ? Et ses amis ? Est ce qu'ils se moqueraient d'elle ? Et la gouvernante ? Nymeria fronça les sourcils et secoua imperceptiblement la tête. Peu importait ! Elle était grande, elle pouvait côtoyer qui elle voulait. Et puis, il ne lui avait pas demandé de passer la nuit là-bas et de rencontrer tout ce beau monde ! Il lui avait simplement proposé de la raccompagner sur le pas de sa porte ! Pas besoin de se monter le bourrichon pour si peu ! Il faudrait juste veiller à instaurer une distance plus convenable avant que ses camarades ne la surprenne. « Oh non ! Ca me ferait très plaisir que tu m'accompagnes jusqu'à chez moi ! » affirma la brunette. Aussi étonnant que cela puisse paraître, elle appréciait sa compagnie. Sans doute plus que celle de sa cousine et de ses amis. Non pas qu'ils soient méchants ou inintéressants mais... Ils se connaissaient tous depuis déjà longtemps et, d'une certaine manière, elle avait l'impression d'être mise à part.

« Oui, je partirai demain soir. » confirma la mage en acceptant la main du blond pour escalader la barrière. Elle trottina ensuite vers la grange pour récupérer la statuette et la tasse qu'elle avait posé plus tôt, avant de retourner vers son camarade. « Oui c'est vrai, c'était un coup de chance ! » répondit-elle en essayant de cacher son sourire. De la chance. Le pensait-il vraiment ? Que l'avoir revu ce soir était de la chance ? Elle prenait cela comme un compliment. Peut-être que cela voulait dire qu'il avait autant apprécié qu'elle la soirée qu'ils avaient passés ensemble. « Je suis heureuse de vous entendre dire ça. Ça signifie que mon "stage pour devenir gentil" ne vous a pas traumatisé ! » plaisanta-t-elle, acceptant enfin de sourire à pleine dent. « Très bon point d'ailleurs de me proposer de me raccompagner. » fit-elle en rigolant légèrement. « Mmh, magie de Borraür... C'est vrai que ça sonne plus faerique. » confirma-t-elle, plongeant son regard dans le ciel étoilé avec un air rêveur. « Oh, si ce n'est que ça, on peut trouver une solution ! Tu n'auras qu'à venir sur les Terres du Lac Bleu à la saison des neiges. Je suis certaine qu'on pourra remettre ça ! » Ca ne serait pas de sitôt non plus, ceci dit. Mais sans doute plus tôt que la prochaine occasion qu'ils puissent se rencontrer sur l'île du bonheur. « Mais ne crois pas que ça t'aidera à gagner ! » plaisanta-t-elle avec un air mutin. « Je gagnerai encore, la prochaine fois ! » assura-t-elle en relevant le menton d'un air provocateur, avant d'exploser de rire et de retrouver le couvert de son écharpe.

« Mmh... Dis moi, ça fait quoi, de voler ? » demanda-t-elle d'un seul coup. « Je n'ai pas d'aile, alors je n'ai pas la moindre idée de ce que ça peut faire. » Elle l'avait rêvé un millions de fois, cependant. « Nous, les magiciens, nous utilisons les portails, la plupart du temps. Ou alors les pontons du Lac Bleu. Ils sont très pratique. La première fois, c'est un peu étrange ceci dit. As-tu déjà eut l'occasion de les essayer ? » Elle-même ne l'avait pas souvent fait. Pour dire la vérité, elle était impressionnée par les contrôleurs -les douaniers- et n'usait de ce moyen de transport que lorsqu'elle n'avait pas d'autre façon de se déplacer rapidement. Ceci-dit, en tant que domestique, elle n'avait pas réellement de raison de beaucoup voyager. « Et d'ailleurs... tu es né déchu, ou tu l'es devenu ? Est ce que ça a été difficile, d'apprendre à voler ? »

Il aurait été mensonger de prétendre que la magicienne n'avait pas espéré que l'ailé l'emmène dans les airs avec lui. Pourtant, la jeune femme possédait une inclinaison naturelle à s'interdire de croire trop fortement à ces rêveries, son esprit ripostant avec des pensées repoussant au plus loin ses envies silencieuses. Il y avait forcément quelque chose pour lui interdire de demander : il était sans doute fatigué ; elle était trop lourde pour qu'il puisse la porter ; la distance était trop longue pour la parcourir en vol ; il n'en avait sans doute pas envie. Autant d'arguments nécessaires pour la tenir dans un silence déçu, prétextes reflétant davantage son manque de confiance en elle qu’une véritable raison. La brune fut donc sincèrement surprise lorsqu’elle sentit la main de son nouvel ami se glisser dans son dos pour l’attirer à lui, lui arrachant un petit couinement confus. Cette nouvelle proximité lui coupa le souffle, son cœur s’emballant tellement qu’elle craignit qu’on puisse l’entendre. L’appréhension lui fit d’abord froncer les sourcils : elle s’imaginait que le Luxurieux tenterait une autre action déplacée qui la contrarierait. Pourtant, elle finit par obéir et passa ses bras autour des épaules du garçon, ses yeux s’étant accrochés aux siens. L’impulsion du décollage la força à resserrer son étreinte, et elle plongea instinctivement son visage contre le torse du Déchu. Elle resta ainsi plusieurs secondes, jusqu’à constater qu’elle s’était bien envolée et que Rajiv ne la lâcherait pas. Ce qu’elle découvrit alors lui coupa le souffle. La peur avait laissé place à une joie ingénue, qui se peignait sur son visage à l’aide d’yeux ébahis et d’un sourire émerveillé, lui donnant un air enfantin. Elle riait, s’extasiait à mesure qu’elle découvrait de nouvelles sensations. L’air froid engourdissait sa peau, fouettait son visage, claquait dans ses boucles brunes, s’engouffrait dans ses poumons avec un goût nouveau. « C’est magnifique ! » s’extasia la néophyte alors qu’elle observait le village sous un angle neuf. Les silhouettes des maisons se découpaient sur le fond de la nuit, offrant un décor épatant, mais c’était l’horizon que cherchait la magicienne. « Oui, c’est bien celle-ci. » confirma-t-elle à la question du blond. Elle ressentit un petit pincement au cœur en l’apercevant, partagée entre la beauté du paysage et la déception de devoir redescendre, de voir cette soirée se terminer.

De retour sur la terre ferme, Nymeria laissa échapper un gloussement embarrassé. « Woah ! » Elle se maintint quelques secondes à son camarade : son corps était engourdi de leur ballade aérienne et ses jambes semblaient protester à l’idée de devoir à nouveau la supporter. Une fois de nouveau décollée, elle s’accorda quelques secondes pour réorganiser ses boucles chaotiques, son visage toujours illuminé par son sourire. « Merci beaucoup de m’avoir fait partager ça ! » La mage bleue monta les quelques marches du perron puis s’arrêta sur la pas de la porte, se tournant pour faire face au blond. Là, elle inspira profondément puis retint sa respiration. Elle ne savait pas ce qu’il convenait de faire. Devait-elle se contenter de lui dire au revoir puis rentrer à l’intérieur ? Devait-elle rester à discuter dehors jusqu’à ce qu’il décide de partir ? Ou bien l’inviter à l’intérieur pour le remercier de l’avoir raccompagné ? Mais comment faire pour enlever toute ambiguïté et ne pas laisser de faux espoirs au coquin ? Finalement, le concerné s’occupa de prendre les choses en mains. « Oui, mais il y aura d’autres occasions. » Seulement s’il avait envie de la revoir un jour. « Oh non, on ne fait pas ça ! » C’était faux : bon nombre de magiciens ne se gênaient pas pour épier discrètement leurs voisins et récolter des ragots à répéter à leurs amis. Ici néanmoins, les gens semblaient un peu plus raisonnables et les rideaux restaient sagement fermés. « Des… Avantages ? » Sa voix était légèrement partie dans un timbre aiguë. A force de le voir franchir les distances protocolaires, Nymeria aurait sans doute dû s’habituer à leur proximité. Mais non. Cette fois encore, elle sentit son cœur s’affoler, au bord de l’explosion. Elle sentit la morsure de l’embarras à mesure que le rouge pigmentait ses joues. Lorsque le doigt de Rajiv se glissa sous son écharpe, elle lutta contre son instinct naturel d’y replonger aussitôt le menton jusqu’au nez. Elle braqua son regard aux perles dorées qui la toisaient en retour. Avec quelques difficultés, elle déglutit, sentant son corps devenir une fois de plus fébrile. A mesure qu’il se rapprochait, il devenait de plus en plus compliqué pour la magicienne de faire la différence entre l’embarras, l’excitation et l’envie. Allait-il l’embrasser ? Elle lui avait demandé de ne rien tenter d’inapproprié, et un baiser rentrait définitivement dans cette catégorie. Pourtant, une partie d’elle, celle qui n’était pas raisonnable et qui ne demandait qu’à s’exprimer, souhaitait secrètement ravaler ses paroles et réduire à néant l’espace qu’il maintenait sournoisement entre eux. Elle voulait sentir la pression de ses lèvres contre les siennes, elle désirait passer ses mains dans sa chevelure dorée, coller son corps contre celui du déchu. Pourtant, la voix acerbe de la culpabilité venait ternir cet instant. Au lieu de se laisser aller, la brune se contenta de rester immobile et de ne pas s’enfuir, ce qui était déjà en soi une sacrée victoire pour le Déchu. Lorsqu’enfin il déposa un baiser au coin de ses lèvres, la timide laissa échapper un soupir, à mi-chemin entre le soulagement et la déception. « Bonne nuit, Rajiv… » répondit-elle dans un filet de voix, alors que le garçon s’en allait déjà.

Nymeria s’adossa à la porte d’entrée. Elle observa la silhouette du tentateur s’éloigner dans la nuit, son cœur tambourinant dans sa poitrine résonnant tel une cacophonie dans le silence nocturne. Elle avait l’impression d’avoir rêvé tout cela. Ses nerfs se détendant légèrement, elle partit dans un petit rire nerveux. Fébrile, elle approcha ses doigts de l’endroit où il avait déposé son baiser, effleurant la zone avec timidité, comme si elle craignait de briser le charme en le faisant. Lentement, elle bascula la tête en arrière, observant les étoiles quelques secondes, un sourire montant jusqu’aux oreilles toujours placardé sur son visage. Elle resta quelques secondes ainsi avant d’enfin rentrer à l’intérieur.

On remet ça quand tu veux. 8D