C'est trempé que Mwayer rentra à sa tente alors que la nuit était déjà bien avancée. Les peintures de son corps ne s'étaient pas enlevées, comme il l'avait songé. La fatigue de toutes ces épreuves se faisait fortement ressentir et il ne prit pas le temps, lors du repas, de socialiser. Il alla directement s'allonger en priant pour que les épreuves du lendemain soient plus calmes. Sa nuit fut sans rêve. Sauf peut-être celui où il revit pendant des heures sa chute depuis le phare. Il arrivait d'ailleurs à contrôler ses mouvements, il ne faisait qu'un avec l'air. Il volait. Il essayait d'atteindre quelque chose en bas, une silhouette peut-être, ou alors était-ce ce que cette silhouette portait. Il n'en savait que trop rien. Il voyait juste, en train de le suivre dans sa folle course à la mort un oiseau avec un énorme oeil qui le dévisageait en tournoyant autour de lui. A part celui-ci, dont il ne se rappela en rien, sa nuit fut sans rêve. Sauf peut-être celui où il s'imaginait en train de commettre un massacre à Drosera, poignardant allégrement tous les gens qui s'opposaient à son règne. Il ne s'en rendit pas compte, mais ce rêve là lui procura des sueurs froides et trempa les draps dans lesquels il s'était endormi. Ce n'était pas le genre de roi qu'il voulait être, il voulait être l'Amarante fine et élégante que La Merveilleuse attend, mais cela était hardi. Quoi de plus hardi d'ailleurs que de gouverner avec raison et tempérance lorsque l'on mettait, entre les mains d'une seule fleur, le sort de tout un bouquet composé des plus belles roses et des chardons les plus laids. A part ceux-ci, dont il ne se rappela en rien, sa nuit fut sans rêve.

Il se réveilla avec les premiers avant qu'on ne les réveille, il prit le temps d'aller se laver quelque peu avec de l'eau qu'il y avait dans le campement et fut ensuite emmené, comme tous les autres, dans un groupe de quatre personne. On peint sur son front une marque rouge, il n'eut pas le temps de protester que son groupe - composé d'un homme musclé au regard d'azur, d'un homme plus fin qui conversait à voix basse avec une femme - fut emmené dans une caverne dont l'entrée se referma derrière eux. Ils étaient alors armés d'une "Bonne chance" et d'une machette chacun. L'homme le plus grand du groupe fit signe aux autres d'avancer d'un geste de machettes et Mwayer comprit, après quelques mètres, ce qui se tramait, c'était encore cette guerre, c'était encore cette opposition divine, ils allaient massacrer des adorateurs de l'Unique à grand coup de machettes et cela ne le dérangeait pas vraiment en fait.

Le chemin était relativement obscur et assez vite l'Alfar prit la tête de son groupe sans regarder si les gens suivaient derrière. Ce fut après quelques mètres que le jeune homme se mit à fondre en larmes sans raison apparente. Il lui vint à l'idée des choses auxquelles il n'avait jamais pris le temps de réfléchir jusqu'alors et qui ne lui réussissait pas. En réalité, il savait que ces événements étaient arrivés, mais jamais ils ne l'avaient submergés ainsi. Il revit la mort de sa mère chez eux à Drosera, mais, chose encore plus surprenante, il imagine la mort de Layne, alors son seul ami. Cette pensée ne fit qu'accentuer sa tristesse et pourtant il continuait, les yeux embués.

Après quelques minutes de marche où il tenta tant bien que mal de cacher ses larmes, ils arrivèrent devant un autre groupe. Chacun venait d'un chemin différent et Mwayer entendit le cliquetis d'une machette qui devait être tombée au sol ainsi que des voix. Il fit un signe de main pour dire aux gens de se taire et de se plaquer contre le mur. Il ne regarda pas s'ils le firent ou non, mais il montra l'exemple.

- Je crois que c'est parti, chuchota-t-il.