Réajustant la sangle noire de mon masque, qui se fondait dans mes cheveux de la même couleur, je portai une oreille attentive aux réponses respectives de la fausse Yulenka ainsi qu’au sosie du Daedalus. Ainsi, nul d’entre eux ne connaissait l’identité de notre hôte. C’était un fait curieux, mais que j’assumais être commun dans les sphères de la société où j’aspirais être acceptée. La dame aux cheveux bleutés alla de supposition en supposition, tentant d’expliquer notre absence de connaissance sur l’identité du propriétaire du manoir où nous avions été conviés. J’hochai la tête alors qu’elle nous exposait sa théorie selon laquelle l’hôte avait peut-être choisi de demeurer anonyme pour éviter toute responsabilité si les festivités venaient à mal se finir. «Oui, cela semblerait être dans l’esprit de cette soirée. Un hôte anonyme conviant des gens afin qu’ils se rendent anonymes à leur tour…» gloussai-je, désignant chacun de nos masques d’un vague mouvement de la main gauche, «une idée insolite, mais bien digne de la royauté que nous sommes.» À ces propos, j’eus un sourire taquin et levai mon verre une nouvelle fois, prenant une gorgée presque timide. Par tous les Aetheri, cette coupe semblait descendre plus vite que je ne m’en rendais compte! Je décidai alors qu’elle serait ma dernière pour ce soir. Bien que je vienne d’arriver, je n’avais pas l’habitude de boire et, si je continuais à ce rythme, je perdrais bientôt toute inhibition. Je n’avais nulle envie d’être cataloguée comme l’ivrogne de la soirée. Je n’aurai qu’à me mettre à boire de l’eau après avoir vidé ce verre.

Après avoir avalé la gorgée du divin liquide rose, je secouai la tête, rapportant mon attention vers le sosie de Sieur Eerah, qui m’avait retourné la question que j’avais posée plus tôt. J’étais passablement soulagée que les franges dorées de mon masque cachent ma vision. Elles me permettaient d’éviter de regarder l’homme directement dans les yeux et, ainsi, me permettaient de garder une certaine contenance. Si je devais écarter les fines lamelles qui couvraient la partie supérieure de mon visage et lire dans les yeux de mon interlocuteur qu’il était réellement de noble lignée, je perdrais sans aucun doute mes moyens. L’homme m’intimidait, surtout que j’étais toujours dans le doute quant à ses origines. Je m’éclaircis la gorge avant de lui répondre, tentant de dissiper le rouge qui me montait aux joues. Sous mon apparence normale, ce rouge n’aurait pas été très visible sous ma peau mordore; hélas, sous les traits de dame Nilsson, qui était aussi pâle qu’un flocon de neige, j’avais l’impression d’être devenue aussi écarlate qu’une feuille d’érable l’était lors de la saison des récoltes. «Hélas, j’ai bien peur de ne pas avoir plus d’information que vous. Une missive m’a été adressée me conviant à cette soirée, à cette heure, à cette adresse. Je ne sais rien de plus.» Je ponctuai mes paroles d’un haussement d’épaules que je voulais nonchalant. J’attrapai le verre que me tendait la fausse Vampire et le plaçai sur le plateau, à la droite du mien, avec un sourire dirigé à son égard. J’eus le plaisir de noter un détail qui m’avait échappé jusqu’ici : mon interlocutrice avait un accent chantant, mélodieux, que je n’avais entendu qu'en de rares occasions auparavant. M’interrogeant silencieusement sur ses origines, je portai une nouvelle fois la boisson à mes lèvres pendant que le faux Souverain Déchu mentionnait le naufrage du Continent du Matin Calme. J’eus un bref mouvement en sa direction, comme si je voulais ouvrir la bouche pour lui apporter des paroles réconfortantes, mais me ravisai. Je n’avais pas été présente lors du cataclysme, mais j’éprouvais un grand vide lorsque je pensais à toutes les vies ayant été détruites lors de l’anéantissement du Continent.

Après un moment de silence où j’adressai une prière muette à Deimu pour le repos des âmes fauchées lors de la catastrophe, le faux Daedalus proposa un jeu qui m’enchanta. Avec un rire et dans un comportement entièrement féminin, je me tournai vers l’imitatrice de  Dame Yulenka, tentant de jauger sa réaction quant à la proposition de notre interlocuteur. «Eh bien! Que le perdant invite le gagnant à danser me semblerait tout indiqué. Ou encore, rajoutais-je, le perdant pourrait enlever son masque pendant quelques instants, nous révélant donc son identité.» Les yeux pétillants, ragaillardie par la proposition de l'homme, je marquai une pause, tendant l’oreille pour une intervention de l’un de mes interlocuteurs, puis je poursuivis. «J’aurais bien proposé que le perdant ne se resserve…» avec un léger rire, je désignai les deux verres vides sur le plateau d’or, «…mais cela ne serait pas sage.» Je balayai l’air du revers de la main. «Qu’importe.» Je vidai ce qui restait de ma coupe et la plaçai côte à côte avec les deux autres. «Je me propose pour commencer; vous n’aurez qu’à me donner le gage que vous jugez adéquat.» Mon humeur entreprenante devait sans doute être due à l’alcool qui se diluait tranquillement dans mes veines.

«Commençons par vous, monsieur,» fis-je, portant mon attention vers le sosie du souverain Déchu. «Votre costume est particulièrement réussi.» Je marquai une pause pour l'effet, puis poursuivis. «Il me semble même trop réel pour n’être qu'un déguisement,» gloussai-je. «C’est pourquoi ma réponse sera Eerah Von Dreth, Seigneur d’Avalon, Roi des Déchus.» Il y avait peu de chance qu’il ne fût réellement le Souverain en question, mais, faute d’indice supplémentaire sur sa véritable identité, je me résignai à donner cette réponse. «Et vous,» fis-je d’un ton joueur, en me retournant vers la fausse Yulenka, «votre identité demeure pour moi un mystère. Je ne crois pas vous avoir déjà rencontrée. Votre accent musical trahit cependant vos origines; une Fae, peut-être? Ou une Ondine?» Je marquai une pause en plissant les yeux. Sa voix était bien le seul indice dont je disposais, mon encombrant masque m’empêchant de bien distinguer les traits de son visage. « Oui, voilà, c’est décidé. Vous, madame, n’êtes pas Impératrice de la Nuit; je devine que vous êtes l’une de ces damoiselles vivant sous les vagues, dansant éternellement au rythme de l’Océan.» J’eus l’envie de prendre une gorgée de mon verre, avant de me rappeler que je l’avais vidé quelques minutes auparavant. Oscillant la tête vers mes deux interlocuteurs, j’attendais qu’ils démentent ou confirment mes propos.

HRP:

Babelda avait le nez fourré dans un épais ouvrage sur l'astrologie lorsque la missive arriva. Elle ne la remarqua pas tout de suite mais lorsque, pour des raisons de survie, elle dû arrêter sa lecture pour pouvoir se nourrir un minimum, l'élégance de l'enveloppe, la qualité du papier et le sceau qui ornait le cachet attirereattirèrent son attention. Lorsqu'elle ouvrit la lettre pour lire les lignes rédigés avec soin, elle fut étonnée de comprendre le but d'un tel courrier. Une invitation pour un bal costumé ?  C'était quelque chose de plutôt inhabituel, pour elle. C'était son père,  le magicien, qui recevait ce genre d'invitation... Peut être c'était-on trompé de destinataire ? Ou peut être Barnabé lui avait-il fait parvenir le carton pour lui changer les idées ? Peu importait... Elle n'avait pas l'attention de s'y rendre. Sans plus d'attention, elle jeta le parchemin sur un empilement de livres, retournant à ses occupations.

Mais c'était sans compter sur son génie de compagnie. Désormais, le mage blanc avait retrouvé sa santé et sa vie n'était plus en danger, même s'il n'avait toujours pas retrouvé sa puissance d'antan. Le vieillard avait donc insisté pour que sa fille reparte avec son protecteur -qui lui créait en réalité plus de souci qu'autre chose. Alors qu'il était, comme souvent, plongé dans un ennui mortel puisque sa protegée refusait de sortir, Asgard gambadait dans la petite maisonnée, cherchant un autre méfait à commettre. Il tomba alors sur l'invitation. "Chouette, enfin un peu d'action ! Pourquoi ne m'as tu pas prévenu que nous étions invités ?" -"Parce que nous n'y allons pas". La Rehla évitait le regard du génie, fixant obstinément les pages de son livre. Elle ne voulait pas se confier mais l'enfant de Pandore savait, sans qu'elle ne le dise tout haut, que les souvenirs de la réception de Cael hantaient encore ses nuits. S'il avait pu dormir, il en ferait sans doute encore des cauchemars.

Même s'il éprouvait un peu  de compassion pour la quinquagénaire, il était hors de questions qu'ils restent enfermés dans cette maison tandis qu'une telle fête se déroulait en territoire allié ! Les jours passèrent, et sans que Babelda ne s'aperçoivent de rien, Asgard commença les préparatifs. Il commanda une somptueuse robe avec le peu d'argent dont disposait la Rehla, créa une perruque à partir de crins de chevaux qu'il rendit soyeuse grâce à quelques tours de magie, et transforma une paire de chaussure en souliers dignes des plus riches monarques. Ou tout du moins le pensait-il. Le jour du départ, il arracha la brune à ses lectures hebdomadaires et la fit montre sur un bateau puis, lorsqu'ils eurent retrouvé la terre ferme plusieurs jours plus tard -des jours interminables plus tard- ils empruntèrent  une calèche pour arriver à destination.

Babelda, un bras fébrile reposant sur le sien, revêtait une robe d'une blancheur immaculée. Les cheveux de la même couleur étaient redressés en un complexe chignon qu'Asgard avait fait apparaître par enchantement, et ses pieds étaient torturés par des talons trop haut pour elle, qui lui donnait du mal à marcher. Son visage était à moitié caché par un masque donnant l'impression d'être taillé dans la glace, que le génie lui avait trouvé en cours de route. Elle était censée incarner la   nouvelle Impératrice du tout, mais seul le masque pouvait vraiment indiquer sa fausse identité...

Asgard, lui, n'avait eut aucun mal à changer d'apparence, son corps n'était rien de plus qu'une illusion, pour adopter les trais du Pandragon. Il avait eu le plaisir de l'apercevoir à la réception organisé l'Ultimage -ce même bal qui avait traumatisé Babelda- et il avait donc pris plaisir à revêtir les mêmes vêtements et le même visage que le dragonnier. Ses traits étaient pourtant dissimulés derrière un grotesque masqué de dragon, d'une couleur rouge qui denottait avec le soin qu'il avait apporté à sa copie du souverain...

Il senti la main frêle de sa protéger se resserrer sur son poignet, tandis qu'ils s'apprêtaient à entrer. La tension montait à chaque pas qu'ils faisaient en direction de l'agitation. "Tout va bien se passer. Je suis sûr que tu vas passer une agréable soirée..." La Rehla ne dit rien et se contenta de poser son regard dans le lointain, sa mâchoire ne se desserrant pas. Pourtant, dès qu'ils passèrent la porte, la brune sembla se détendre. Ses yeux, derrière le masque de chouette, inspectaient avec émerveillement la décoration de la salle de réception. "Allez, va t'amuser." Avec une légère pression dans le bas du dos, il l'incita à se mêler à la  foule. Du coup de l'oeil, il la vit pourtant aller s'assoir sur un banc. Il soupira, on ne la referait jamais...

De son côté, Asgard attrapa deux coupes de champagne, et se dirigea vers une demoiselle, seule. "Comment une telle beauté peut elle rester seule ?" Il tendit l'un des verres, un sourire taquin aux lèvres.

J’hochais la tête en souriant suite à la plaisanterie, cependant plutôt vraie, de Dame Nilsson. L’anonymat semblait en effet être le thème de la soirée. L’homme masqué n’avait cependant pas tords. Il y avait surement une raison à ces déguisements de souverain. Avec mon esprit plutôt lent j’essayais de répondre mentalement à cette question. Finalement je ne réussis qu’à arrivait à une conclusion plutôt commune. Cette soirée était peut-être organisée pour dénigrer l’image des souverains et les masques étaient là pour ne pas en subir les conséquences. Cette soirée était bien la soirée de tous les excès.

Suite à la question de la partie virile de notre échange, j’eus un sourire malicieux. « Je pourrais moi-même fanfaronner que je suis une invité de marque. Cependant j’ai peur que cette information ne soit vérité que de là où je viens. Dans cette région, je serais surpris d’entendre mon nom en marchant dans les rues. » J’hochais les épaules, étonnée de ne pas me refermer sur moi-même suite à cette information peu élogieuse sur ma personne. Soit les effets de l’alcool commençait peut-être à avoir des effets sur moi soit c’était l’ambiance qui régnait au manoir qui me décomplexait de mon orgueil légèrement démesuré. «  Je dirais donc que j’ai reçu cette invitation par pur hasard. » gloussais-je doucement. Je jetais un regard vers la belle femme au masque original. Ses joues devenaient de plus en plus rose. La présence de l’homme la gênait-elle ? Cette émotion qu’elle dégageait encourageait encore plus ma curiosité. Quel était donc cet homme ? Ou du moins en qui était-il costumé ? Je me mordais la lèvre inférieure en proie à un conflit intérieur. Devais-je poser la question même si cela devait me faire passer pour l’idiote de la soirée ?

La guerre cessait lorsque Dame Nilsson détournait mon attention en attrapant ma coupe vide. « Merci » disais-je par obligeance. Lorsque l’homme nous informa qu’il était présent lors de la chute du continent désormais trépassé, je ne pus m’empêchais d’avoir une moue d’étonnement. J’allais lui dire que j’étais assez surprise  qu’il est survécu à cela mais je me ravisais. Cela aurait peut-être été pris comme une marque d’impolitesse. J’étais tout de même stupéfaite qu’il soit là pour nous en parler. L’homme devait-être plutôt puissant.

Je me penchais un peu en avant comme ci, ainsi, j’allais pouvoir mettre à jour le secret de cette personne à la carrure plutôt élégante. Finalement mes effort étaient vains et je me redressais comme si de rien n’était. Je me mis ensuite à chercher ma coupe du regard avant de me rappelait que j’avais fini celle-ci.

Ah l’évocation du jeu proposé, je fronçais mes sourcils sous mon masque. Je n’aimais pas que l’on sache que j’étais une ondine. Les gens, lorsqu’il apprenait cela, avaient deux réactions différentes. Soit ils étaient complètement fasciné, soit ils étaient complètement indigné. Enfin, c’était ce que j’imaginais, un de mes nombreux préjugés sur les Gælyan.

Les lèvres fermées, j’hochais cependant la tête. Je ne voulais pas être le mouton noir de la soirée, aussi, j’acceptais le jeu. Deviner que j’étais une ondine n’étais pas simple. Nous ne courrions pas les rues et nous essayons de rester plutôt discrètes. Nous entretenions le mystère et nourrissions les légendes. J’écoutais les propositions de la jeune femme. « Je serais en effet enchanté de découvrir vos réel visages sous vos masques. Cependant ce gage n’aurait lieu qu’une fois l’identité définitivement révélé. Je pense qu’il faudrait donner quelques gages à la personne qui affirme un fait erroné ou alors, si l’affirmation se révèle juste, que le gagnant donne un gage au perdant. » Je pris quelques seconde pour réfléchir à un exemple. «  Par exemple : Dame Nilsson affirme qu’en réalité je suis blonde. Si c’est vrai elle peut me demander de … Hum… » Je regardais nos verres vides. « Elle peut me demander de chanter une chanson tout en ayant la bouche remplie d’une boisson. Si elle a faux c’est moi qui peux lui demander une telle chose ! » Je souris, m’imaginant chanter dans de telle condition. Au revoir honneur et gloire ! Bonjour ridicule et rire ! Cependant, l’idée ne me réfutait pas comme elle l’aurait dû.

J’écoutais alors la femme qui interrogeait alors l’homme. J’appris donc que ce dernier s’était déguisé en Roi des déchus. Rapidement, je me déconcentrais du jeu en pensant aux péchés. Nous avions tous des pêcheurs mais je me demandais lequel des sept pêchés s’exprimait le plus en moi. L’orgueil ? L’envie ? Je ne savais trop… La jeune femme s’intéressa alors à mon cas et je dus me reconcentrer sur la conversation. J’étais confiante. Sans doute ne trouvera-t-elle pas. Cependant, ma confiance s’évapora bien vite lorsqu’elle releva mon accent chantant, exotique. Dans un réflexe je mettais ma main sur mes lèvres. Elle affirma alors que j’étais une ondine. J’étais surprise, stupéfaite. Je ne m’attendais pas à être découverte aussi facilement.

Je retenais un soupir avant de pencher la tête légèrement sur le côté. J’étais défaite. « En effet, je viens de l’océan. Je fais partie de ce peuple enchanteur, de ses femmes aux cheveux de soie et au chant mélodieux. Je suis une Næphina. Si j'ignorais qui était représenté par votre costume, Dame Nilsson, c'était que toute la politique du monde terrestre mets assez inconnue. » J’hésitais à retirer mon masque. Sans doute aucune des deux personnes ne connaissait mon nom. Cependant un détail me revint en mémoire. Les gestes de la femme étaient gracieux et me rappelait étrangement un groupe de personne. « Si je puis me le permettre, ne feriez-vous pas partie des Geishas gente Dame ? » Je décroisais les jambes lentement pour de nouveau les recroiser dans l’autre sens. Je n’aimais pas rester trop longtemps dans la même position. « Bien sûr, vous avez le pouvoir de me donner un gage maintenant. » Disais-je en souriant alors que je croisais mes mains pour les faire reposer sur mes cuisses. Je me tournais ensuite vers l’homme. Il était tant que j’essaye de deviner son identité s’il s’avérait qu’il n’était pas le Roi de Déchus. « Je pense que… » J’essayais de le détailler plus longuement mais la seule chose qui était risible était qu’il avait usé de magie pour se transformer. « Je pense que vous êtes une femme ! » m’exclamais-je sans aucune explication. A faute d’informations et de mieux, j’essayais au moins de réduire son identité à une moitié de la population.

Spoiler:

Résumé:

Résumé:

Lorsque j’eus finis d’exposer mon avis – que mon interlocuteur était bel et bien le véritable Dædalus – je fus accueillie par le rire de ce dernier. Sans trop de surprise, il démentit ma proposition en se déclarant flatté. J’accompagnai son rire du mien, adoptant une expression faussement peinée. «Meilleure chance la prochaine fois, j’imagine,» articulai-je, toujours hilare. L’idée qu’il fut le Souverain Déchu me paraissait passablement ridicule, désormais, mais je ne pouvais m’empêcher d’éprouver un léger désappointement. Aussi puéril que cela puisse paraître, l’idée qu’un puissant Seigneur me trouve digne de conversation m’avait enchantée. L’homme déclara attendre la réponse de la femme se trouvant à mes côtés avant de dévoiler le gage dont je serais victime. Je me tournai donc vers elle, exposant ma théorie quant à son bagage racial.

À la confirmation de mes doutes quant aux origines de ma voisine, je poussai un «Aha!» satisfait. Mes deux interlocuteurs avaient bien dit qu’ils ne souhaitaient pas discuter de politique en un tel évènement. Bien que m’accordant avec eux sur ce point, l’existence même du peuple des mers était devenue un sujet politique, depuis les évènements ayant été déclenchés par la Sirène portant le surnom de Khaleesi. Bien sûr, l’hégémonie de la race avait désormais changé de main, mais plusieurs associaient toujours le chaos et la destruction au peuple ondin en entier, le pensant complice des maux affligeant les Terres. Ayant été élevée dans le respect des autres et de la différence, je voyais là une attitude bigote et synonyme d’une mauvaise éducation. Par contre, chose que je n’avouerais jamais à voix haute, je demeurais méfiante des ondins qu’il m’arrivait de croiser. Sans vouer guère une haine sans nom à la race comme certains, je croyais bel et bien qu’une réconciliation entre le peuple des mers et celui de la terre prendrait du temps et de l’effort des deux partis. Cependant, je ne pus m’empêcher d’être secouée dans mes préjugés au fur et à mesure que je faisais connaissance de l’ondine se trouvant à mes côtés, qui avait avoué son ignorance de la politique terrienne sans la moindre honte. Elle ne semblait pas mesquine et ne se complaisait pas dans les stéréotypes que je me faisais de la race. «Votre accent est divin, soit dit en passant, madame. Je l’ai uniquement relevé parce qu’il était si inusuel et…» Je marquai une pause, tentant de trouver le bon mot. «…et ravissant.»

Je commençais à avoir la gorge sèche, mais, me rappelant ma résolution de ne plus boire, j’élus d’écouter attentivement la phrase suivante de mon interlocutrice. À sa surprenante déduction, j’ouvris grandement les yeux, quoi que cela fût probablement impossible à distinguer sous mon masque. «Oh!» Je laissai s’échapper un petit rire nerveux, flattée des connotations qu’une telle déduction avait sur ma personne. «Oui, je fais bel et bien partie des Geishas.» Étonnée que l’Ordre des Risa’xy ait une renommée s’étant faite jusque sous les mers, je ne pus dissimuler mon plaisir d’être reconnue en tant que l’une de ses membres. Gardant pour moi le fait que je ne sois encore qu’en apprentissage, suivant des cours sur divers Arts dans le Manoir de Maëlith, je laissai encore une fois le rouge m’empourprer les joues. «Excellent raisonnement, très chère. Je vous dois un gage, désormais.» Mon interlocutrice me rappela alors mon pouvoir de lui en donner un à mon tour. «Oui, bien sûr.» Ne voulant pas bredouiller quelque vague réponse, j’imitai le faux Eerah en préférant prendre un moment pour réfléchir.

J’éclatai cependant de rire devant la surprise de ce dernier lorsque l’Ondine s’exclama qu’il était en fait une femme. La déclaration n’était pas hilarante en elle-même; ce qui me faisait pouffer ainsi était l’honnête réaction de l’homme qui semblait tout à fait incrédule de voir sa virilité mise en question. Portant la main devant ma bouche, je continuai de glousser jusqu’à ce que l’homme annonce mon gage : enlever mon masque! Sans hésitation, je passai les mains derrière ma tête et pris un moment pour en défaire la délicate sangle, puis à le passer par-dessus mes cheveux. Les lamelles dorées tintèrent légèrement alors que je posai sagement l’ornement sur mes cuisses. Recouvrant la vision, je poussai un soupir de contentement. «Voilà qui est fait,» souris-je, les yeux pétillants. Ma magie faisant toujours effet, c’était mon interprétation des traits d’Edwina Nilsson qu’ils voyaient s’éclairer devant eux et non les miens. Je portais donc, d’une certaine façon, toujours un masque. L’homme posa une question à l’Ondine en guise de gage et j’écoutai nonchalamment sa réponse alors que je passai une main distraite dans mes cheveux. Une fois qu’elle eut finit de relever son défi, je posai délicatement ma main sur son bras afin qu’elle porte son attention sur moi. «J’ai trouvé votre gage.» Je retirai ma main, puis continuai. «Dites-nous un secret sur vous. Rien de trop grave évidemment; uniquement un fait à propos de votre personne que vous n’avez jamais partagé avec quiconque,» souris-je. J’espérais qu’elle acquiesce à relever le défi, que je lui avais donné sans arrière-pensées. «Après tout, la franchise, les masques servent aussi à cela, non?»

Ce fut maintenant au tour de l’homme d’y aller de suppositions quant à nos identités respectives. Je ne pus cacher ma surprise lorsqu’il choisit de déclarer que j’avais déjà abusé de la boisson à outrance. Avoir de tels comportements n’était pas du tout dans mes habitudes et je grimaçai. La remarque m’avait gênée. Était-ce une manière de me faire remarquer que je buvais beaucoup trop? Le rouge me montant une nouvelle fois aux joues, je pris un air faussement outré, tentant de dissimuler mon malaise sous une couche d’ironie. «M’accuser, moi, d’un tel excès! Je suis forcée de vous annoncer que vous êtes dans l’erreur, cher Dædalus. Je ne bois normalement pas grande quantité d’alcool. Ce soir est l’exception qui confirme la règle,» ris-je nerveusement. «Vous avez perdu!» Triturant avec mon masque, j’attendis que l’Ondine réponde à la question de l’homme, tout en songeant au gage que je pourrais infliger à celui-ci.

Ayant trouvé gage me satisfaisant, j’attendis qu’un serveur s’approche de nous avec un plateau rempli de coupes en tout genre avant d’en faire part au faux Déchu. Je n’eus pas à patienter longtemps, un domestique tendant plusieurs coupes à notre petit groupe alors que je venais à peine de m’articuler mes propres pensées. Mouvement simple qui, l’espace d’un instant, défit la concentration qui avait maintenu mon costume en place jusqu’alors. Mes véritables traits furent donc visibles durant quelques secondes, alors que je m’appliquais à tendre une coupe emplie d’un liquide bordeaux au sosie du Déchu. Je m’en rendis à peine compte, marquant un temps toutefois avant de prendre la parole, histoire de m’assurer que mon déguisement était de nouveau en place. Lorsque je fus sûre que mes traits se fondaient de nouveau avec ceux de l’Ultimage, j’inspirai. «L’ivrogne que je suis, souris-je sarcastiquement, ne supporte pas de boire seule. Aussi, votre  gage sera simple : pour chaque coupe que je consommerai, durant la soirée, vous devrez en boire une à votre tour.» Mon regard acier se porta vers les coupes vides abandonnées à ma droite, puis revinrent se plonger dans les yeux de ma victime. «Il me semblerait même que vous soyez déjà un tantinet derrière, mon cher,» ris-je, faisant référence aux deux coupes que j’avais avalées, alors qu’il n’en avait finie qu’une.  

«Allez, à mon tour,» annonçais-je en tapant des mains. Je réfléchis un instant à des questions adéquates, puis me tournai vers l’Ondine. «Il ne fait aucun doute; vous, madame, êtes mariée et ce depuis longtemps. L’objet de votre amour n’est pas présent ce soir, mais vous continuez sans relâche de penser à lui.» J’observai un instant le sosie du Seigneur d’Avalon, puis continuai sur la même lancée. «Quant à vous, monsieur, je devine que vous êtes célibataire! Peut-être même êtes-vous venu chercher ce soir l’âme sœur ou, si elle ne se montre pas, simplement une personne étant digne de votre affection… pour un temps?» La politesse ainsi que ma propre timidité m’empêchait ici de rendre la blague – que je voulais grivoise – plus explicite, mais, dégrisée par l’alcool, je me permis de ricaner légèrement.

HRP: