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 Une dernière nuit | Fin

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Jeu 13 Déc 2018, 23:54


Seul, le visage sombre, les mains glacées, Mickey alla s’agenouiller devant l’autel de la déesse, lui aussi sombre et glacé, en cette nuit d’hiver. Sa respiration se matérialisait devant lui, vapeur lente et lourde dans l’air immobile. Il leva ses yeux mauves délavés à l’encontre de la statue de Cléophée, de son manteau piqueté d’étoiles et de son visage neutre, placide. Du bout des lèvres, il embrassa le bout de ses doigts, avant d’effleurer les pieds de la sculpture. Quelques murmures soufflés, et il soupira longuement, en grimaçant. La douleur sourde de ses côtes brisées ne le quittait pas ; et ses extrémités engelées étaient comme une brûlure.

— « Cléophée, entends mon appel, car c’est sûrement le dernier. Je crois que cette fois, je ne vais pas m’en tirer. Tant pis, ça aura été amusant, pour la plupart. »

Ses phalanges blanchirent et sa mâchoire se contracta. Quelle injustice, quelle sombre et stupide injustice qu’après autant d’années, la première négligence cause sa perte. Il n’avait eu de cesse de perfectionner sa technique, il avait gagné en précision, en rapidité, en efficacité. Mais il avait suffi d’un rien, une seconde de malchance pour qu’un garde décide de changer de routine, de passer par une autre rue, une ruelle sans attrait, sans importance. Il aurait pu… Il aurait dû… Son poing s’écrasa contre la dalle. Au loin, loin derrière les murs en pierre du temple, la clameur d’un village en furie montait, tempête qui ne mourrait qu’avec lui.

— « J’ai vécu si longtemps, mais il me semble que je ne suis éveillé que depuis quelques jours. Quand j’étais encore humain, encore bébé, mon géniteur est parti, ou peut-être qu’il n’avait jamais été là, je ne me souviens plus. Ma mère était seule, pauvre et probablement pas assez éduquée pour m’offrir quoi que ce soit, pas même le luxe de m’abandonner quelque part où ne pas mourir. Mais non, pas pour moi. Son seul cadeau aura été de me nourrir de sa chair, de me laisser juste assez de temps pour être mis au bûcher par ceux qui ne comprennent pas mon appétit. »

Quelle ironie, c’était probablement le même sort qui l’attendait à présent. Mourir deux fois, deux fois par le feu, deux fois par l’idiotie des ignorants, n’est-ce pas un échec en soit ? N’était-il pas idiot, lui, de ne pas avoir su s’en protéger ? Il était là, meurtri, roué de coups, n’avait pas assez de force pour fuir, pas assez de courage pour tous les combattre. Le sang qui s’écoulait le long de sa jambe n’était qu’un rappel amer de l’inextricabilité de la situation dans laquelle il s’était fourré. La présence d’autant d’humains aux alentours nullifiait sa magie et ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils ne le trouvent. Peut-être était-ce son égo qui l’avait poussé à choisir un terrain de chasse aussi risqué ; lui qui pensait s’approcher un peu davantage du sommet de son art chaque jour. Il toussa, cracha dans sa main un peu de salive rougeâtre, un reste du sang de sa dernière victime, un peu du sien aussi, probablement.

— « On m’a donné une deuxième vie, une vie de Démon, on m’a donné des pouvoirs, de la magie, une puissance que je n’aurais jamais pu effleurer sinon ; et j’ai gâché mon temps. J’ai tué et mangé durant des siècles, sans penser à rien d’autre, sans réfléchir à où j’allais, ni d’où je venais. »

Son regard dériva vers une tenture rouge qui ornait un pilier du temple. Un instant, il avait crû y voir le mouvement subtil d’une robe cramoisie. Un instant, son cœur avait fait un bond, une flamme d’espoir bien vite étouffée, le temps d’un battement de cil, le temps de se rendre compte qu’il n’y avait là ni robe, ni aide, ni espoir.

— « Lorsque je l’ai rencontrée, elle a changé tout ce que je connaissais, tout ce que j’étais. Aujourd’hui je comprends comment elle a pu se servir de moi, comment elle a pu m’utiliser ; mais je ne suis pas certain qu’elle ait eu tort. Elle m’a fourni une éducation, elle m’a donné l’envie de faire mieux – d’être mieux. Aria Taiji. Jamais je ne me serais trouvé ici, si je ne l’avais pas rencontrée, et pourtant je ne pense pas que je voudrais refaire les choses autrement. Lorsqu’elle m’a confié aux mains des professeurs de Basphel, elle se débarrassait simplement de moi, peut-être pour pouvoir mieux tirer parti de moi une fois formé. Je ne l’ai jamais revue, je n’ai jamais cherché à la revoir. »

Le souvenir de Violette s’imposa à lui, surement plus douloureux que tout le reste. Elle n’apprendrait peut-être jamais comment il avait fini. Elle ne saurait peut-être jamais qu’il était mort. Est-ce qu’elle en ressentira de la tristesse ? Du soulagement ? De l’indifférence ? Il était incapable de savoir si la seule femme qui avait su lui faire éprouver autre chose que la faim et la colère l’estimait autant qu’elle comptait à ses yeux. Ils s’étaient séparés parce que sa race avait besoin d’elle, et leurs espèces étaient foncièrement incompatibles. Il n’avait jamais pu lui avouer qu’il l’aimait, n’était même pas sûr d’en être capable. Il tentait vainement de se convaincre que c’était mieux ainsi, mais savait qu’il allait mourir avec ce regret au creux du ventre.

— « J’ai aimé une femme, une seule femme, et pour la première fois, j’ai vu en quelqu’un autre chose qu’une proie. J’ai vieilli à ses côtés, quelques années, les plus belles de mes années. J’aurais voulu pouvoir l’embrasser, arrêter d’être moi, arrêter d’être ça. Est-ce que c’est une mauvaise chose ? »

Le silence de plomb qui régnait dans le temple n’était brisé que par la litanie du vent et les cris lointains des villageois à sa poursuite.

— « Cléophée, aujourd’hui, je suis usé, et bientôt, je serais mort. Aide-moi, une dernière fois. »

Ses yeux, ses prunelles mauves, étaient habitées par la peur, l’anticipation de l’angoisse. Une frayeur enfantine qui ne lui était que trop familière.  

— « Je ne désire qu’une nuit, une nuit sans cauchemar, une nuit douce au creux de tes bras, à l’écart de toute peur, une nuit d’oubli et de paix, une dernière nuit avant la dernière nuit. »

Du bout de ses doigts tremblants, il agrippa le tissu rouge, le décrocha, et se logea au centre de ce cocon ensanglanté, la buée formée par sa respiration comme unique preuve de sa présence. Le regard braqué sur le visage de la déesse, il répéta sa prière encore une fois, et laissa la fatigue le rattraper, le sommeil l’engloutir.

Mickey dormit comme jamais il n’avait dormi depuis sa deuxième naissance ; il ne reçu la visite d’aucun cauchemar. Son unique rêve, il le passa assit dans l’herbe d’une immense plaine, aux côtés d’une belle et grande femme au visage neutre, enveloppée dans un manteau d’étoiles.

Ils discutèrent sans but, riant paisiblement. Il sourit, et n’eut plus peur, n’eut plus faim.

Le lendemain, lorsque le soleil entra par l’unique vitrail du temple, le Démon ouvrit les yeux, serein comme jamais il n’avait pu l’être. Quelques secondes d’un étrange calme s’écoulèrent, puis la porte s’ouvrit dans un fracas assourdissant. Plusieurs hommes se ruèrent sur lui, en hurlant ; il se redressa et sourit, un sourire rouge, et des dents si pointues.

Il était couvert de sang, et quatre cadavres fumaient à ses pieds lorsque la hampe d’une fourche l’assomma pour de bon. Il fut emmené, hué, attaché. On l’amena jusqu’à un bûcher, et tout alla étrangement vite. Mickey ne se débattait plus. Il observait les rictus déformés de ce gibier, sonda leurs regards terrifiés, et sourit lorsqu’on vint allumer les fagots sur lesquels il reposait.

Il cria, pas longtemps, et ce fut fini.

L’Ombre vint récupérer son dû. L’âme ne fut pas réincarnée, l’esprit relâché. Lorsqu’il rouvrit les yeux, éthérés, l’esprit de Mickey n’était habité que d’une seule et unique pensée. Il joua de la mâchoire, puis, doucement :

— « J’ai faim. »
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Une dernière nuit | Fin

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