A première vue, il aimait mon café. Je ne savais trop comment j'étais parvenue à un résultat satisfaisant dans mon état actuel de fumigène, mais c'était réussis. Une fois la précipitation de remplir mon devoir de Maîtresse de Maison envers son invité passé, je prenais le temps d'analyser ce qui venait de se produire et je dois dire que ce n'était pas chose aisée. Premièrement, un homme - élémental de surcroit - était entré chez moi, sans rien demander. Il avait donc le statut d'intrus indésirable.... Puis je ne me souvenais pas exactement de quelle manière cela avait débuté mais... nous nous étions "attaqués", si l'on pouvait qualifier nos maigres et pâles tentatives d'agression... Enfin, ce dernier c'était présenté en tant que Vincent. Il était donc devenu... quoi exactement ? Un homme cherchant asile par ce mauvais temps ? Et donc mon invité ? Je me penchais pour cette réponse là. Et peut importe mon absence de physique, il était de mon devoir de le servir comme il se doit.

Je me rappelais alors un vague compliment entendue lors de mon intense activité de rangement.... Un joli prénom pour un nuage grisâtre ? L'expression me fit un peu tiqué mais il avait pourtant bel et bien raison... J'étais cette... chose... par ma faute... pour m'être ôtée la vie... Mes idées noires m'assaillaient de nouveau... Il s'était excusé d'être entré ? Soit... peu importe... de toute façon je ne pouvais même plus prétendre posséder ce lieu... autrement que comme un fantôme le ferait. Condamnée à hanter ce lieu ? C'était ça mon avenir ? Mon seul et unique avenir ? Peu glorieux... Je ne savais encore pourquoi j'en étais venue à commettre ce crime... Mais ma faute devait être bien grande pour devoir subir un tel sort pour l'éternité. Pouvais-je seulement mourir sous cette forme et me libérer de ma prison maudite ? J'en doutais fortement et ne souhaitais de toute façon pas prendre ce risque.

Mais il me fallait revenir au présent, m'occuper de mon invité puisque c'était la seule chose qui était en ma mesure. Il avait aimé mon café. Cette simple idée me... rassurait ? Je ne crois pas... plutôt... me mettait du baume au cœur. J'étais peut être incapable d'avoir un corps humain normal mais au moins... je faisais du bon café. Maigre consolation dont j'allais devoir me contenter pour le moment. Vint ensuite le problème de la communication... Écrire sur une feuille me semblait un peu trop difficile pour moi pour le moment. Réaliser des gestes simples comme déplacer des objets avec ma main devenait possible... mais avoir assez de dextérité pour me servir d'un stylo ? Non, impossible. J'allais devoir trouver un autre moyen.

Je parcourais la pièce à la recherche d'un quelconque outil et celui-ci faillit littéralement me tomber dessus. Voilà ce qui arrive lorsque l'on passe un peu trop près d'un objet avec une main difforme et griffue que l'on contrôle très mal... J'avais par mégarde bousculé un livre, que je sentis me traverser avant de s'écraser dans un nuage de poussières sur le sol. Sensation... particulière... que je n'arrivais pas à définir comme agréable ou non. Mais passons, j'avais un livre. UN LIVRE ! Avec des mots. Je trainais péniblement ce dernier sur le haut de la table, non loin de Vincent. Puis à l'aide d'une fourchette que je venais de saisir, je lui fis signe de s'avancer. Commençons donc par lui en dire un peu plus sur ma personne grâce à ce nouveau moyen de communication hautement performant... Un à un, je pointais du bout des dents de mon instrument en argent plusieurs mots de ce roman, tournant parfois longuement les pages avant de dénicher ce que je cherchais.

<< Je suis la Maîtresse de ce Manoir. >>

Puis, délaissant ma fourchette, je me dirigeais vers l'une des étagères pour en saisir l'un de mes portraits et le lui déposer sous le nez. Une fois la jeune fille que j'étais désignée par la pointe d'un couteau, je marquais une pause, laissant la petite boule de fumée flottante que je suis attendre la suite des évènements. Au moins, le dialogue était lancé...

Remarquant qu'il ignorait royalement le portrait que je lui avais glissé sous le nez, je tapais un peu trop énergiquement avec la pointe du couteau sur le verre qui le recouvrait. Et comme une action en amène une autre, celui-ci finit par se briser. Je regardais avec dépit la fissure qui cachait maintenant le visage de mon mari. Je ne sais pourquoi, mais ce simple accident provoqua un malêtre que je ne savais gérer en moi. Même si je n'avais aucun souvenir de cet homme... mes sentiments pour lui devaient être inchangés... et il me manquait, maintenant je m'en rendais compte... C'était pourtant égoïste de ma part de souhaiter le retrouver après tout le mal que je lui avais fait ! Oui... égoïste... comme la raison du geste contre nature que j'avais fais. J'étais morte pour échapper à ma culpabilité, sans me soucier de mon maris, et j'en payais désormais le prix fort, condamnée à être rongée par ce sentiments que j'ai voulu fuir. Le destin est juste, mais bien cruel.

Et comme si mes idées noires de l'instant ne me déclenchait pas une souffrance assez suffisante, Vincent vint malgré lui remuer ce couteau de mon crime dans ma plaie. Bien entendue, je ne pouvais l'en blâmer. Sa curiosité de rencontrer un être tel que moi et d'essayer d'en savoir un peu plus sur comment j'en étais arrivée là était tout naturel. Mais que lui dire exactement ? Annoncer de but en blanc que je m'étais suicidée ? Non... Ce n'étais ni politiquement correcte, ni possible pour moi d'avouer moralement cet affront impardonnable envers la vie. Mais... que devais-je lui dire alors ? Mentir ? Nier ? Ignorer la question ? Aucunes de ces chose étaient dignes du rang que je me devais de tenir face à un invité. Et puis en y réfléchissant bien... cela me ferait peut être du bien d'en parler et peut être que cela m'aiderait à éclaircir mes idées...

J'approchais alors lentement ma main griffue de fumée du livre, pointant lentement une à une les lettres qui allaient former ce mot interdit...

<< Suicide >>

Je ne savais comment Vincent allait réagir face à cette macabre révélation et cela m'effrayait. J'avais l'intime conviction d'avoir fait le mauvais choix, celui de lui révéler la raison de mon état.... Semer le mal partout autour de moi, voilà ce qu'était ma nouvelle raison d'exister ? Je le refusais, le niais en bloc, tout en sachant parfaitement que dans tous les cas, peut importe quelle était mon rôle dans se monde, je n'aurais que le choix de le jouer. Pantin maudit des ténèbres... voilà ce qu'il me semblait être à ce moment là.

Une suicidée... Ces mots tournaient et sonnaient dans mon esprit comme une malédiction, un poison existentiel. Je me sentais à nouveau mal, en proie à ma culpabilité, que je ne réussissais à contrôler. C'était comme si une épée se tenait toujours au dessus de ma tête, et que je savais parfaitement qu'elle ne tomberait jamais. Le repos éternel, la réincarnation... toutes ces choses dont parlaient la religion... n'étaient que mensonges. Il n'y avait pas de repos après la mort. Il n'y avait qu’errance sans fin ni but... C'était affreux... Qu'avais-je fais pour mériter ça ? Ah oui... j'avais oublié... j'avais outrepassé les lois élémentaires de la vie et de la mort... Nous ne sommes pas censé décider de notre destin, et par déduction logique, de notre fin. Offenser les dieux ? Voilà ce que j'avais fait en me suicidant ? Voilà pourquoi j'étais réduite à l'état de brume incapable de réaliser quoi que ce soit ? Je devais trouver.

Vincent semblait mal à l'aise par la réponse à ma question et me remercia pour ma franchise, tout en se montrant désolé des évènements qui avaient traversés ce pauvre manoir maudit. C'était assez curieux que mon mari ne s'en soit pas séparé... Peut être le fera-t-il lorsqu'il aura le courage de le vider dans un premier temps... Je vois mal une personne se débarrasser d'autant de livres de valeurs comme ça. La bibliothèque... Les réponses à mes questions s'y trouvaient peut être... Mais je ne devais pas laisser mon invité ainsi pour retourner à mes recherches. Mais alors qu'il semblait perdu dans sa réflexion, ce dernier me posa une nouvelle question... à laquelle j'aimerais bien pouvoir répondre également. Je ne savais si il possédait un pouvoir d'intuition télépathique, mais dans tous les cas, son interrogation arrivait au bon moment. Et cette fois-ci, les mots qui me permirent de lui répondre étaient facilement trouvables sur les pages de notre livre intermédiaire...

<< Aucune idée ! >>

Mais une idée me vint alors... Pourquoi ne pas lui demander mon aide afin d'effectuer mes recherches ? Il serait surement plus efficace que moi avec mon unique main griffue pour attraper des ouvrages et tourner des pages. Mais oui ! Il allait pouvoir m'aider ! Et si il m'avait demandé ce que j'étais, assurément que l'idée de le découvrir en ma compagnie l'intéresserais ! Mon petit corps se déplaça de haut en bas, d’excitation, comme un enfant qui sautillait sur place. Alors, en tentant de l'effectuer lentement, je lui proposais de m'accompagner.

<< Mais on peut trouver la réponse à la bibliothèque, au premier étage ! >>

J'attendais sa réponse, que je savais finalement positive. Et même si le problème de la porte verrouillée subsistais, ni lui ni moi n'aurions de problème pour la traverser, au vu de ce qu'il avait été capable de faire pour entrer dans ma maison. Si j'avais pu sourire, alors à ce moment, Vincent aurait pu regarder une large expression de joie rayonnante se dessiner sur mon visage. Oui, avec lui, j'allais pouvoir apprendre ce que j'étais.