Tout avait changé, plus rien ne sera jamais comme dans le passé. Shiro, notre reine, n'était plus depuis un long moment parmi nous et je ne savais rien de ce qu'il était advenu d'elle... Quant au Royaume d'autrefois, ce dernier n'existait plus non plus… Agnus Dei avait ordonné la destruction des vestiges de notre passé, d'une ère révolue; et mes frères et sœurs œuvraient peu à peu à reconstruire un lieu de rassemblement pour toutes les Ombres, un nouveau sanctuaire au cœur duquel le Secret pourra être préserver de toute divulgation, de toute utilisation. Je me trouvais à présent au centre de la nouvelle place. Une statue imposante représentant l'équilibre de la Vie et de la Mort trônait en son centre.  Kirie m'avait chargé d'aider à l'organisation du nouveau Royaume, principalement du Quartier des Passeurs, et il y avait encore beaucoup à faire… Car si mes confrères et consœurs se virent majoritairement tous satisfait de posséder désormais leur propre lieu de réunion et de "vie", non loin du Château maintenant reconstruits, les Grands Faucheurs et les nouvelles Ombres s'habituaient difficilement à ce système méritoire récemment mit en place... En effet, afin de s'assurer que chacun œuvre à son rôle comme il se doit, des privilèges étaient désormais accordés selon son rang et sa masse de travail fournit. Nos précédentes Reines avaient voulu nous alléger notre peine en nous permettant de garder des habitudes de vie semblables à celle de n'importe quel autre peuple, mais il me semblait que désormais, le seul moyen de nous divertir de nos malheurs était de nous concentrer sur notre devoir d'Ombre, peut-importe à quel niveau celui-ci se trouvait. Mais beaucoup regrettaient les fêtes, les banquets et les visites que nous pouvions recevoir. Même si ce n'était qu'un tissus d'illusions, même si laisser la porte ouverte à notre Royaume était dangereux pour le secret, mes plus jeunes frères et sœurs aimaient ce temps révolue, et le changement s'était fait si brutalement que le temps d'adaptation sera long. Mais à mes yeux, tout était fait pour le mieux et j'étais satisfaite des choix de nos Gardiens. Car au final, quel autre but les Ombres ont-elles que de s'acquitter de leur tâche ? Et si se donner corps et âme pour le Cycle nous permettaient d'accéder à quelques privilèges, alors tout devenait des plus parfait. Les Ombres finiraient par s'y habituer, et notre peuple sera alors totalement uni pour l'éternité, pour la Vie et la Mort.

« Notre nouveau Quartier Général nous permettra de mieux structurer notre organisation. Il y a encore beaucoup trop de lieux dans lesquels les Passeurs ne se rendent pas assez souvent. Félicitation pour cette suggestion, Milady. » Absolom, un Passeur, tout comme moi, venait de s'arrêter à ma hauteur, alors qu'il transportait quelques poutres de bois sur son épaule. Il était impressionnant et je ne pouvais m'empêcher en l'observant de le comparer à un général… Cela ne m'avait d'ailleurs pas étonné lorsque j'avais appris quelles nouvelles responsabilités il s'était vu octroyé. Droit, autoritaire, juste… bien que comme nous tous, aucune lueur ne brillait au fond de ses yeux. « C'est plutôt toi qui mérite des félicitations. Devenir le Grand Passeur doit-être un honneur à tes yeux. Et je suis certaine que tu sera parfaitement en mesure de tous nous guider dans l'avenir. » Il acquiesça sobrement puis poursuivit sa route. Je ne sais plus depuis combien de temps je n'avais pas revue la lumière du soleil. Depuis que le Royaume s'était retrouvé sous terre et que notre source première de lumière nous provenait d'étranges cristaux, le jour et la nuit n'avaient plus leur place parmi les nôtres. Et ce n'était en sois pas un problème, puis-qu’aucune Ombre n'avait besoin de dormir, mais cela en était quelque peu déstabilisant. Je hélais ensuite une Ombre pressé, qui transportait bon nombre de livres et de parchemins. « Ephraim ! Tu as des nouvelles de Lamia ? Il parait qu'elle a eu quelques soucis avec les Ombres nouvellement arrivés. » Le jeune Passeur venait tout juste de rejoindre nos rangs, peu après la première rencontre avec la délégation des chamans. Garçon quelque peu timide, sa mort par pendaison lui avait laissé quelques traumatismes, si bien qu'il éprouvait quelques difficultés à s'exprimer. « Je… Oui… Ils voulaient… vivre au Château. Tu sais… comme avant, on avait… le droit… » Effectivement, c'était un problème plutôt délicat, que celui d'expliquer à ceux découvrant le Royaume que les règles y avaient changés… « Hum… Dis-lui que je viendrais l'aider si jamais elle en ressent le besoin. » Et il repartit, tête basse, accélérant le pas. Depuis que la rumeur s'était répandue que j'étais celle qui avait permit de signer le traité entre les Chamans et notre peuple, tous faisaient preuve d'une forme de… respect envers moi… ce qui me mettait plutôt mal à l'aise. Je n'avais jamais apprécié me retrouver sur le devant de la scène, préférant de loin œuvrer dans les ténèbres… Mais il m'avait été impossible de cacher cette nouvelle trop longtemps et j'en payais maintenant les fruits…

J'allais me diriger vers le Château, afin de rendre un état de la situation à la Gardienne du Sceau du Rêve, quand… quelque chose d'étrange se produisit. De la magie, puissante, se répandit autour de moi. Je crus d'abord à une manifestation de la Couronne Noire… mais c'était tout autre chose… Et avant même que je n’eus le temps de comprendre ce qui m'arrivait, je me fis happer par le… néant. Je me retrouvais là, devant cet immense rocher. Téléportée ? Mais pourquoi ? Je regardais tout autour de moi, inlassablement. D'autres Ombres, toutes sous leur forme spectrale, se trouvaient autour de moi. Aucune n'avait un visage qui permettait de l'identifier, pas même moi. Mais une puissance attira bien vite mon attention… et ma curiosité. Un homme se tenait en haut du rocher et nous observait. Il émanait de lui une incroyable aura, digne de celle d'un Aether. Si cette invocation pouvait signifier plusieurs choses, l'une de mes hypothèses aurait pu faire repartir mon cœur dans ma poitrine. Notre nouveau souverain allait-il enfin nous être révélé ?

Au fur et à mesure que le temps s'écoulait, tous mes frères et sœurs présents cessèrent leurs murmures tantôt teinté d'angoisse, tantôt teinté de curiosité. Et une fois que le silence ses fit, que toutes les Ombres étaient passés dans un état d'attente impassible, l'homme perché en haut du Rocher au Clair de Lune s'exprima. Sa voix envoûtante me parvenait distinctement, comme si ce dernier se trouvait être en réalité en face de mon regard interrogateur. Chacun de ces mots, chacune de ces paroles, je les buvais comme la plus précieuses eau provenant de la plus pure des sources. Ce n'était pas la première fois que cela m'arrivait. Jadis, d'autres Aether s'étaient exprimés à des foules dont je faisais partit… toujours avec cette puissance émanant d'eux qui ne donnait pas d'autres choix aux auditeurs que de les écouter. Chacun de ces pas était emplis d'une grâce mystique, et bien que je ne pouvais pas détourner mon regard de sa silhouette, une intime conviction m'amenait à penser qu'il en était de même pour toutes les Ombres présentes. Pourtant, le silence qui régnait au sein de nos rangs n'en était pas pesant… bien que je ne pouvais ignorer la tension palpable qui émanait des plus peureux d'entre nous… Tout ceci me laissait dans une perplexité qu'il me tardait d'être en mesure d'éclaircir.

Au commencement de son monologue, je ne pus deviner où l'être d'un autre monde voulait nus mener. Pourtant, mon instinct - qui jusqu'ici ne m'avait jamais fait défaut -donna pouvoir à cette petite voix dans mon esprit qui me murmura une solution qui me parut dans un premier temps absurde… avant que celle-là même ne soit affirmer par celui que certains d'entre nous avaient reconnus comme notre Aether de la Mort, Ezechyel. Voilà pour quelle véritable raison Agnus Dei n'était pas devenu notre nouveau souverain… Le nommer n'était bel et bien pas du ressort des Gardiens… C'était en tout cas ce à quoi je croyais. Mais la satisfaction personnelle d'avoir pu élucider un premier mystère fut écourtée par une autre question de taille, plutôt légitime dans de telles circonstances et pourtant si banale. Pourquoi moi ? Pourquoi m'avoir appelé moi parmi toutes les Ombres qui peuplaient notre Royaume ? Je n'avais pourtant rien de spécial ! Certes, de mon vivant, j'ai été en mesure de prouver mes capacités de Maîtresse de Maison, mais cela n'avait rien à voir avec la régence de tout un peuple ! Des murmures s'élevaient de toutes part, formant bientôt un brouhaha semblable aux vrombissements d'une ruche. Toutes se posaient probablement les mêmes questions que moi…

L'Aether fit soudain un pas en avant, comme si ce dernier marchait sur un sol qui nous était invisible, et tous se turent à nouveau. Et c'est alors qu'il nous fit à tous à la fois les plus belles offres de nos vies mais aussi les opportunités les plus difficiles à choisir de saisir à pleine main. Mon esprit, à peine eut-il finit, s'échauffa comme jamais il ne l'avait encore fait, alors que mes frères et sœurs s'exprimaient enfin à voix haute. Redevenir… vivante ? Comme lorsque la magie s'était éteinte sur tous les continents qui peuplent notre monde ? Beaucoup d'entre nous avaient vécus cela, car seul les plus puissantes Ombres avaient survécus à la catastrophe. Et tous avaient réagis différemment. Je me rappelais alors de la détresse dans laquelle j'avais sombré dans un premier temps, moi qui venait tout juste de m'habituer à ma nouvelle condition… La tentation était si grande… Alors que de petits groupes se formaient et que je m'apprêtais à prendre ma décision – comment refuser ? – quelque chose que je n'avais pas compris à l'époque me frappa l'esprit. Si toutes les Ombres les plus puissantes, rassemblées ici, décidaient de retourner à la vie… Qui s'attèlera à la lourde tâche de maintenir le Cycle actif ? Sans Passeurs, il n'y aurait plus d'âme recyclées, ni de nouvelles recrues formés. Et bien que je me doutais que nous n'ayons pas toutes étés appelées, je ne pouvais cependant m'accrocher à cette idée. Cela ne me ressemblait pas.

Et d'autres Ombres devaient penser de la même façon, car l'une d'entre elle sortit d'un groupe et vint dans ma direction. Sa voix ne m'était pas inconnue… « Eh toi ! Nous sommes de ceux qui allons refuser la proposition, que compte tu faire ? » Cette même Passeuse qui m'avait permit de comprendre les rudiments du métier… J'étais il y a seulement quelques secondes encore hésitante, mais son ton, sûre d'elle, me fit trancher ma décision. « Je vais vous rejoindre. Je préfère mourir en Ombre que de revivre. » A quoi cela me servirait-il de redevenir mortelle, sans aucun but existentiel réel ? La raison de mon mal-être n'avait jamais été ma différence avec les vivants. « Bien parler ! T'es peut-être pas là pour le pouvoir, mais au moins ça me fait une rivale de moins ! » Et je la suivis en silence. Au final, deux groupes distincts s'étaient formés, et deux porte-paroles s'étaient désignés. Je n'étais pas là pour l'accès au trône, car je ne me sentais pas l'étoffe d'une reine… Mais en revanche, j'étais là pour ma race. Pour les Ombres, et pour l'avenir, peut-importe lequel sera-t-il. La réponse fut donnée, et le temps s'arrêta de nouveau.

A peine m'étais-je remise du précédent choc qu'un autre me saisit à la gorge. Je savais les Aetheri capables de bien des prouesses, mais être la spectatrice de cette sinistre démonstration de puissance ne me laissa pas de marbre. Eux tous, tout ce petit groupe qui avait choisit de redevenir mortel, avait eu le privilège, cette nuit, de recouvrer un corps et des émotions… au prix de leur mémoire. Moi qui avait longtemps vécu sans me souvenir des évènements qui avaient précédés ma mort, je savais à quel point se voir atrophier d'une partie ou de la totalité de son passé était à la fois douloureux et perturbant pour l'âme. A voir mes anciens frères et sœurs fuir, effrayés, perdue… leur nouvelle vie était-elle véritablement un cadeau ? Nous étions tous – les restants – interloqués et pour certains, effrayés de ce qui venait de se produire sous nos yeux. Et pourtant, nous n'étions pas au bout de nos surprises… Car les véritables testes allaient finalement commencer et je ne sus dire à cet instant si je n'ai pas l'espace d'une infime seconde regretté mon choix de rester.

De nouveau, je buvais les paroles de l'Aether, ne tentant même pas de me soustraire à l'attraction divine qu'il exerçait sur moi et sur les autres… mais les propos qu'il venait de tenir me firent tressaillir. Un vent de panique souffla parmi nous et de nombreux regards se croisèrent. Étais-ce vraiment cela ? Notre prochaine mission ? Elle m'apparaissait comme terriblement suicidaire, un comble pour un Ombre. Et ce discours, sur la confiance, à quoi servait-il ? Ezechyel était-il en train de nous rappeler que l'on de devait pas suivre aveuglement ses ordres ? Je n'étais pas en désaccord quant à ses propos sur nos anciens souverains, loin de là… Mais de telles paroles ne pouvaient qu'annoncer un futur bien sombre pour notre race… à moins qu'il n'en soit que plus serein ? Je me sentais particulièrement perdue, en proie aux vertiges de mes questionnements, mais le simple fait de savoir que de jeunes Ombres soient en ce moment même à Utopia extirpa vite ces sombres pensées de mon esprit. Je ne pouvais pas les abandonner à cette mort indécente. Et mon corps parla pour moi.

Me rendre jusqu'aux portes de la cité des humains ne me prit guère de temps, et tous, nous étions face à ce tombeau qui nous tendait les bras. J'entendais même certains se dire qu'ils abandonneraient. Des "nous n'avons de toute manière pas besoin de ces ombres faibles" en passant par "je ne risquerais pas mon existence pour elles"… Mais ils avaient tord. Qui était en charge de la naissance de nos futurs frères et sœurs ? Les Ombres et les Grands Faucheurs. Sans eux, la force notre race finira pas s'amoindrir. Nous avions besoin de ces "êtres faibles". Ils pouvaient bien les abandonner, moi pas. D'autant plus que j'avais un atout, certes dangereux, qu'ils ne possédaient pas. La couronne des Sorciers. Depuis mon appel, je la sentais vibrer, comme si elle avait une… personnalité… comme si elle répondais à la demande silencieuse de cette autre moi qui ne désirait qu'une seule chose, participer à tout cela. Je connaissais son but, gagner en puissance, et je savais qu'elle ne reculerait devant aucun obstacle. Allais-je commettre cette erreur ? Oui. Au nom de la survie de mes semblables piégés à Utopia.

« Oh toi qui me ressemble, j'en appel à tes pouvoirs. Aide moi à mener à bien cette mission qui te conduira vers le pouvoir. Aide moi à sauver ces innocents. » De nouveau, je sentis sa force malfaisante m'envahir… Elle me répondait… Et pour la première fois depuis que j'avais pris conscience de son existence, je laissais cette femme me posséder totalement. Et le vide se fit dans mon esprit. « Oui, toi qui possède le corps que je désire, as en elle le potentiel qui m'attire… Je vais t'aider. Pour le pouvoir. Pour que tu deviennes Reine. Pour que je puisse étendre ma folie sur le monde. » Et j'enfilais la couronne sur ma tête… Je n'aimais pas particulièrement me retrouver sans magie. C'était… handicapant. Mais il fallait sauver ces Ombres, et je comptais même en profiter pour me débarrasser de quelques gêneurs… C'est donc d'un pas sûre, sous le nez de ces mauviettes, que je pénétrais dans la ville, suivis de plusieurs inconscients…

Retrouver des ombres en train de dépérir, ça n'a pas été aussi facile que ce que j'imaginais. Les pauvres demeurés s'étaient cachés dans des caves ! Comme si ça allait les sauver de l'anti-magie ! J'en ai sortit deux, le troisième m'a clamsé entre les doigts. Dommage pour lui, dommage pour Milady qui ne pourra même pas profiter  de ce nouveau traumatisme… Mais le plus drôle dans toute cette histoire, ça restera ces "frères et sœurs", comme elle les appel, que j'ai baladé dans toute la ville. « Je me sens maaaal… mais il y a une ombre tout là bas qui appel à l'aide…» « J'y cours !» Ouais, et ne reviens pas surtout. Les idiotes… Si mon hôte réussit à gravir les marches jusqu'en haut, au moins, elle sera crainte si la rumeur de ce que j'ai fais ici leur parvient. J'étais plutôt… fière de moi. Et il était temps de retourner à la base. A moi le pouvoir !

J'ouvrais les yeux, alors que je faisais de nouveau face au Rocher. Un pressentiment mauvais m'enserrait l'esprit… Je n'avais aucune idée de ce qu'avait bien pu effectuer la sorcière en moi, mais les regards que me lançaient les ombres autour de moi ne me disaient rien de bon. Elles étaient… suspicieuses… et parfois même effrayés. Je craignais le pire, et en même temps… Nos cadets semblaient là. Pas tous, mais les sauver dans leur intégralité aurait relevé du pur miracle. Tous s'écartaient désormais de moi. Et ma mémoire me faisait encore défaut. Qu'avais-je fait ? Le silence m'apportera-t-il mes réponses ?

Décimés... L’étymologie de ce mot signifiait bien que des Ombres n'étaient pas morte à cause de l'anti-magie mais par la main de quelqu'un d'autre... De moi ? J'aurais aimé être en mesure de m'adresser à cette autre moi sans crainte, d'accepter et d'assumer les conséquences de ces actes par mon corps... au lieu de me terrer dans l'ignorance sous le prétexte de l'oubli. J'étais plus puissante qu'elle, je le savais. Sa magie était censé ne rien pouvoir me faire... et pourtant, je la craignais tout autant que la colère d'un Aether et je courbais l'échine devant sa figure. Je me sentais pathétique, honteuse. Des Passeurs étaient probablement morts par la faute de ma faiblesse et cette autre pourra bien me dire que "seule leur stupidité" les a tués, je n'en ai cure... Combien de temps encore la laisserais-je en moi, parasite pouvant disposer de mon physique comme bon lui semble ? Je manquais de force, l'intelligence n'étant pas la seule de mes spécialités sur laquelle je devais me reposer désormais. Et déjà, l'Aether repris la parole. Le ton qu'il employa pour s'adresser de nouveau à nous aurait pu me glacer le sang... L'atmosphère était devenu lourde, désagréable, et je remarquais même que certains d'entre nous reculais peu à peu, effrayés. Et elles eurent raison, car elle disparurent aussitôt, à cause de leur négligence. Beaucoup s'insurgeraient en disant que chacun était libre de sa pensée, qu'après tout, il n'étaient pas obligés de sauver nos cadets... Mais je n'étais pas de cet avis, même si le sort qui venait d'être le leur n'était que peu enviable. Nous étions bien plus qu'un peuple, une Famille. Et laisse-t-on nos enfants périr sans lever le petit doigt ? Non. Si je nomme les Ombres mes frères et sœurs, c'est bien parce que je les considèrent réellement comme tel. Ils avaient mérités une punition pour être de ceux qui seraient capable de nous mettre tous en danger. Pas celle-ci.

Mais le temps reprit son cours habituel, alors que la peur de disparaître définitivement saisissaient certains d'entre nous. Je craignais même que certains tente de fuir cette épreuve où les seuls issus étaient la disparition ou la victoire. Pitié, ne faites pas cela... Je regardais alors la liste qui était mienne, comportant ces centaines de noms qu'il me faudra trouver et juger. Je ne savais rien d'eux, rien de leur histoire... Comment pouvais-je alors décider de leur mort ? Je me remémorais, mécaniquement, les différents domaines des Sceaux... Le Rêve, la Justice, la Nature, la Trahison, le Sacrifice, les Armes et... la Vengeance... Mais il ne fallait pas non plus omettre de donner naissances à de nouvelles Ombres... Je disparus alors à travers les ténèbres, me dirigeant rapidement vers le Royaume. Une nouvelle salle avait vu le jour, propre à la discussion. Il me fallait être la première sur place, rassembler les Gardiens et les convaincre. Cela n'allait pas être une mince à faire, car l'on pouvait parier que ces derniers n'avaient pas conscience de ce que l'Aether de la Mort était en train de nous faire subir... Et la dernière épreuve, bien que désolante, m'avait au moins appris quelque chose. En cette nuit mémorable, seul le chacun pour soit était de mise. Je devais réfléchir. Comment répartir les morts ? Comment les Gardiens s'y prenaient-ils en temps normal ? Le temps m'était compté, et je ne pouvais pas perdre une minute à observer tous ces noms inscrits à l'encre rouge sur mon parchemin. Devais-je, dans ce cas, les séparer tout simplement équitablement ? Cela donnerait environ douze âmes pour chaque domaine ainsi que douze ou treize nouvelles ombres... Étais-ce... juste ? Je me sentais perdu et ne pouvait qu'espérer que mon entrevu face à nos ainés m'apportera la réponse.

Lorsque je parvenais enfin jusqu'au château, des bruits de voix m'indiquèrent que je n'étais malheureusement pas la première arrivée sur les lieux. Je traversais rapidement la coure intérieur et arrivait dans la Salle du Conseil. Au centre du cercle se trouvait une Ombre qui tendait son parchemin aux yeux d'Agnus Dei. Ce dernier me semblait... perplexe... « Et vous pensez réellement, en partant du principe que nous accordons foi à vos propos, que nous pourrions déployer tant d'ombre pour observer ces centaines d'âmes ? » Le candidat au trône resta sans voix. Il semblait soudain prit de panique, balbutiait et parlais de manière décousue. « Il... va nous tuer si... si on ne... Pitié... écoutez... moi... Il faut... Je... Sauvez moi ! » Mon instinct me dicta une seule pensée à cet instant. Cette Ombre doit se taire. Je fondis alors sur elle, lui cachant les yeux et la bouche, alors que je venais de reprendre ma forme de vivante. « Tais-toi... » Il tremblait, alors que je le ramenais sur les gradins. C'était à mon tour de prendre la parole, et son intervention ainsi que son erreur m'avait révélé ce que je n'avais jusqu'ici pas soupçonné. Je revenais donc au centre du cercle, entourée par les Gardiens. Et d'une voix que je voulu assurée, je commençais ma plaidoirie. « Gardiens des Sceaux ! Vous qui êtes nos ainés, nos guides et nos modèles ! J'en appel aujourd'hui à votre compréhension et votre sagesse ! Nous sommes une poignée de Passeurs à avoir reçus ces lettres de noms, anonymement, ainsi que des instructions précise. Il nous faut assigner à ces centaines d'âmes leur Domaine de Mort, ainsi que le destin de nous rejoindre. Cela représente pas moins de douze être vivant par Gardien, Ombres et Grands-Faucheurs, que la Mort devra bientôt cueillir. Séparons ce parchemin en huit et réglons cette affaire au plus vite, nous ne devons vous faire perdre plus votre temps. » Je me tus, leur laissant à eux seule le droit de me juger.

Et le jugement de mes pairs tomba, de part les mots qu'Agnus Dei prononça, alors qu'un puissant sentiment de honte montait en moi et que je laissais mes frères et sœurs tenter à leur tour de convaincre l'assemblée. Je venais de mentir, c'était un fait. Pour le bien de mes concurrents ? Non. J'avais menti pour préserver le Secret qui nous unissait en cette grande nuit qui ne restera que dans la mémoire de l'Aether et de notre futur souverain. Et je peinais encore à croire que ma plaidoirie avait obtenu gain de cause, tant ma solution me semblait injuste pour les vivants… Les répartir sans les observer ? Sans savoir si leur histoire concordaient avec la mort que nous leurs offrions ? C'était absurde… Pourtant… La vérité était à nue devant moi, cruelle et dénuée de sentiments. Comme ce rôle nous sied à merveille, nous qui ne pouvons ressentir quoi que ce soit en nos cœurs desséchés… Et déjà, il me fallait quitter les frontières notre Royaume, ma mission en ces lieux étant dorénavant entre les mains des Gardiens. Il me fallait désormais analyser ce que j'avais appris, en écartant toute trace de ma propre opinion. Ainsi donc, l'équilibre primait sur la justice ? C'était une information précieuse que je venais d'obtenir, et qui me permettait de dévoiler une part du mystère qui entoure le rôle de nos ainés. Mais si nos rangs étaient plus nombreux, et si, à l'instar des anges qui peuvent êtres amenés à devenir les Gardiens de certains humains, nous, les Ombres, devenions les Anges de la Mort de toutes les âmes en cet univers ? C'était une utopie. Un idéal dans lequel chacun serait jugé avec droiture, selon sa vie, son histoire, ses actions. Mais comme toutes les utopies, celle-ci ne pourrait voir le jour, car dans ce cas, à chaque naissance serait assigné un suicidé, et notre peuple se retrouverait bien vite en surpopulation… A moins… A moins que l'Équilibre aille encore plus loin que ce que j'imaginais… A moins que le monde ne puisse comporter qu'un nombre exact d'âmes en son sein… Dans ce cas, mon utopie serait envisageable… Peut-être…

Mais mes pensées furent rapidement écartées par le temps qui venait de reprendre son court. Ezechyel venait de reprendre la parole, alors que je remarquais que notre contingent avait de nouveau diminué. Certain passeurs avaient-ils décidé de désertés suite à leur échec face au Gardien du Sceau de la Trahison ? Ceux-là, je les trouvais bien sots de tenter de ce cacher au regard d'un Aether tout puissant… Nous ne les reverrons pas, c'était la seule certitude que j'avais à leur égare. Et bientôt, alors que notre Aether nous révélait l'un des plus grands secrets de notre espèce, tant d'autres certitudes que j'avais si durement acquises me furent arrachés, tandis que d'autres me furent gracieusement offertes. Ainsi donc, le sort des vivants et des morts était scellé par ces deux divinités toutes puissantes ? Mais alors, était-ce également elles qui influaient sur le Fleuve pour que celui-ci accepte ou relâche les âmes ? Et n'étions nous que des outils auquel le libre arbitre avait été arraché, remplacé par une puissante illusion ? Tout était-il vraiment couru d'avance ? Je me sentais si… insignifiante… Et pourtant, j'avais côtoyé et côtoyais toujours des grands de ce monde. Tout ceci avait-il seulement un sens ? Plus j'obtenais d'informations sur les miens et ce qui régit notre existence et plus je me sentais n'être qu'un élément d'un grand tout, de perdre ma propre identité. Et pourtant, cela ne m'effrayait aucunement, bien qu'en un autre temps, je me serais retrouvée totalement paralysée par les évènements que je vivais. A quel point avais-je changé ? Tant de questions auxquels je ne parvenais à trouver de réponses. Les méritais-je seulement ?

Mes pairs disparaissaient tour à tour à travers la toile de la tente. Combien d'entre nous avaient succombé depuis que cette nuit avait commencée ? Nous n'étions guère plus qu'une dizaine à présent. Et le temps me semblait s'écouler si lentement ! Certains Passeurs ressortaient de leur entrevue privée avec le divin. D'autres ne revenaient pas… J'avais l'impression que mon tour n'allait pas tarder à venir… Et je redoutais cette épreuve bien plus que tout autre. Aider les miens à améliorer leur capacité à se fondre dans la masse ? A mes yeux, il n'y a qu'en côtoyant les vivants que l'on peut parvenir à les imiter… Petit à petit, non pas une mais plusieurs solutions commençaient à se former dans mon esprit. Et la dernière Ombre venait de revenir de son entretient. Je n'avais plus le choix… Alors je pénétrais à mon tour dans cet espace qui me semblait bien plus grand à l'intérieur qu'il ne le paraissait à l'extérieur. Seuls les yeux de l'Aether perçaient à travers la noirceur de l'espace… Mais je ressentais sa présence, puissante, alors je me mis à parler, sans retenue, bien que le ton de ma voix trahissait ma certaine angoisse. Allais-je aussi disparaître ? « A mon tour, je vais vous exposer mes solutions. Il est vrai que nous sommes amenés à nous mouvoir parmi les vivants, et qu'un manque de pratique de notre part afin de les imiter pourrait nous être néfaste. Mieux vaut ne pas attiré les soupçons de qui que ce soit, n'est-ce pas ? Et pour cela, deux idée me sont venu. » Je pris une pause, alors que des murmures de mes semblables me parvenaient depuis l'extérieur. « La première serait de permettre aux vivants de venir au Royaume. Mais à l'instar de nos précédentes Reines, ces derniers seraient soumis à de strictes règles assez simples. Pas de souvenirs de leur passage parmi nous. A mon sens, cela permettrait aux Ombres d'observer les vivants sans pour autant risquer d'être confondu. La deuxième, qui ne peut se faire qu'après examen de l'Ombre, serait de lui permettre de vivre dans la ville de son choix une fois que son imitation de Ceux-Qui-Respirent est assez convaincante. Garde tes amis proches, et tes ennemis encore plus proches m'a un jour dit un grand sage… Tel est ma réponse. » Je me tue ensuite, anxieuse, sentant qu'une part de mon destin allait être scellé à l'instant…

Mon angoisse était palpable, tant me retrouver devant ce puissant m'indisposait. Je me sentais ridiculement petite, insignifiante, et avait parfaitement conscience que c'était là, la pure vérité. Si Ezechyel décidais tout à coup de me faire disparaître de notre Univers, il n'avait qu'à claquer des doigts, et je m’évanouirai dans le néant, laissant derrière moi mes enfants, ma famille et tout mon peuple. Et cela, je ne le voulais pas. Je ne pouvais les abandonner, délaisser mes devoirs envers eux, peut importe le prix. Alors, je me devais de me montrer irréprochable, mais aussi convaincante. Et peut-être alors que je parviendrais à repartir d'ici sans dommages. Il pouvait même m'effacer la mémoire, cela m'était égal. Après tout, je vivais sans traces de mon véritable passé depuis si longtemps maintenant qu'en être privé d'une autre part ne m’handicapera pas plus que de raison... Pourtant, toutes mes craintes s'envolèrent à ces premiers mots. Qu'avais-je fait pour m'attirer ses bonnes grâces ? Je n'osais demander et restais le plus souvent possible silencieuse, tâchant de réfréner au mieux mon angoisse. Néanmoins, je n'en oubliais pas les règles de politesse d'usage, et pu - certes, en ayant quelques difficultés de prononciations - à le remercier du compliment inespéré que l'Aether venait de me faire. « Je vous remercie messire. Je n'ai pourtant à mes yeux rien de plus que mes Frères et Sœurs Passeurs. » C'était la stricte vérité. Nous n'avions au sens propre rien pour nous démarquer, nous faisions partit d'un Grand Tout où chacun d'entre nous avait la lourde charge de s'occuper du recyclage des âmes, du Cycle de la Vie. Mais une fois de plus, je me plaçais en tant qu'élève disciplinée et écoutais sans broncher ma leçon du jour. J'avais l'impression d'en savoir si peu si les secrets de ma race ! Et ce fut avec surprise que je reçus la nouvelle que nos Listes étaient données par les âmes, et avec effroi l'information selon laquelle Edel n'était plus là, et que ce sera au nouvel Esprit de la Mort de tenir son rôle. En sommes, de lourdes responsabilités attendait notre futur souverain. Nous nous étions alors relevé afin de ressortir de la tente, et je peinais encore à prendre conscience de ma réussite. Pourtant, une question pourtant banal me brûlait les lèvres, que j'osais poser à l'Être Suprême. « Pardonnez-moi de la futilité de ma question mais... Pourquoi Agnus Dei ou un autre Gardien ne monte-t-il pas sur le trône ? Pourquoi doit-il s'agir d'un Passeur ? » Mais ce dernier ne du peut-être pas m'entendre, car il poursuivit sa route comme de rien n'était... Alors je le suivis, docilement... Jusque dans le Cosmos.

Je n'avais jamais mit les pieds dans un tel endroit, mais ma curiosité n'avait jamais été aussi insoutenable. Instinctivement, j'avais porté ma main à la clef qui se trouvait désormais autour de mon coup, et je brûlais d'impatience tant mon désir de parcourir les rayons de cette Bibliothèque Mystique était ardent. Moi qui avait vraisemblablement passé toute mon enfance, puis tout ma première partie d'existence en tant que Fantôme dans une bibliothèque, me retrouver entourée de tant de livre me procurait une sensation de... maison. Je ne saurais pas l'expliquer autrement. Je buvais littéralement les paroles d'Ezechyel, bien que je ne tenais pas en place. Les Livres des Âmes... Il me tardait de découvrir quel était l'histoire de la mienne, et à quel destin j'étais voué, qu'à peine l'Aether eut-il terminé ses explications que je m'étais déjà précipitée à la recherche de l'Ouvrage qui me représentait. Je courais, telle une enfant, moi qui avait passé une bonne partie de ma mort à rechercher la vérité sur mon passé et mes origines ! J'allais enfin savoir, comprendre, et me libérer de ce fardeau qui m'empoisonnait encore l'existence. C'était une véritable bénédiction, une chance unique que je recevais là, et il n'était pas question de la gâcher ou pire encore, de ne pas la saisir. Certains d'entre nous semblaient déjà avoir trouvé le leur. Quelques uns, pour une raison que je ne parvenais à comprendre, reposaient leurs livres sans même regarder à l'intérieur. Mais la plupart, tout comme moi, étaient avide de savoir, de connaître leur avenir pour pouvoir enfin donner un sens bien plus étendu à leur existence. Mais leurs expressions prenaient parfois des allures bien sombres, agressives ou simplement troublé. Qu'avaient-ils dont lu ?

Après un temps infini de recherche, je finis par découvrir mon livre, qui brilla intensément à mon approche. La serrure représentait un puma munit d'une faux. Mon animal totem et ce que je suis... Je me demandais alors si cette dernière changeait à chacune des réincarnations que j'avais eu, et je songeais alors tristement que c'était peut-être là la dernière forme qu'elle prendrait. Je me saisis alors du manuscrit et le retournait délicatement entre mes mains pour l'observer sous toutes ses coutures. Sa couverture était d'un bleu nuit, semblable à celui que j’affectionnais tout particulièrement, et ses pages étaient toutes légèrement jaunis - par le temps ? -. J’empoignais alors ma précieuse clef, les mains tremblantes, anxieuse quant à ce que j'allais découvrir. Mais soudain, mon geste s'arrêta. Et si ce que je lisais sur ses pages était la fin de l'existence de mon âme ? Et si j'apprenais entre ses lignes que tout ce sur quoi mon existence se basait n'était qu'un tissus de mensonge ? Comme Melody me l'avait apprit après sa rencontre avec nos parents adoptifs ? Était-ce une si bonne chose de savoir ? Ne valait-il pas mieux ignorer et laisser la connaissance absolue aux Aetheri ? La réponse m'apparaissait alors comme évidente, et je reposais alors le Livre de mon Âme sur son étagère. L'Ignorance valait parfois mieux que la Connaissance, c'était une leçon que j'avais oublié. Et je tournais alors le dos à mon passé, à mon futur, pour rejoindre Ezechyel et mon présent.

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Nous toutes étions de retour au Rocher de la Lune, et de nouveau, Ezechyel nous dominait de toute sa puissance, imposant. Même après notre entretient, après être parvenue à supporter l'aura incroyable qui se dégageait de lui, l'Aether ne cessait de m'impressionner. Je détachais mon regard du dieu pour observer mes frères et sœurs. Nous baignions tous dans la douce clarté des rayons de la lune, et imaginer que leur existence allait peut-être s'éteindre ce soir m'était insupportable. Combien d'entre-nous avaient déjà disparus cette nuit ? Bien trop d'Ombres dont il faudra confier la tâche à d'autres. Pourquoi cette injustice de la vie ? Alors que nos rangs était déjà si faible ? Est-ce qu'un évènement de grande ampleur se préparait pour nous offrir le luxe de perdre de précieux Passeurs ? J'aurais aimé posséder les réponses à ses questions, afin de pouvoir nous y préparer, de ne pas nous retrouver submergé par le travail que nous impose le Cycle. Comme lors de la précédente catastrophe... Mais le Temps ne me laissait pas l'occasion de me pencher plus longuement sur la question que déjà l'Aether de la Mort reprenait la parole, nous transperçant de la puissance de ces mots. Je ne comprenais pas dans un premier temps l'intérêt de nous décrire le fonctionnement des Faes, ni celui de nous parler de la notion de Destin... mais je finis par faire le lien avec l'opportunité qui nous fut offerte précédemment. Nous avions tous eu la chance de nous retrouver face à notre destinée, de peut-être découvrir lequel d'entre-nous deviendrait le prochain Esprit de la Mort. Si ce rôle est prédestiné à l'un des Passeurs présent, alors l'identité de notre Roi allait enfin nous être révélé. Mais je n'oubliais pas pour autant que cela signifiait que tous les autres - moi y comprit - allait potentiellement disparaître. Et à l'annonce de l'Aether, une vague de murmure s'éleva dans l'assemblée. J'aimais les devinettes, mais celle-ci avait des enjeux que je n'appréciais guère...

Obéissant pour autant au souhait d'Ezechyel, nous nous rassemblions tous en cercle, bien ordonné, et les regards suspicieux s'échangeaient. Personne n'osait prendre la parole, tant le suspense était intenable. Pourquoi nous demander cela ? Pourquoi devoir chercher par nous-même qui allait monter sur le trône et qui allaient disparaître ? Cela aurait pu paraître cruel à d'autres, injuste, un jeu mortel monstrueux. Mais pas aux Ombres. Nous passions notre temps à nous occuper des âmes des défunts, de ceux allant naître, des vivants que nous allions maudire... Tant de lourdes décisions, d'actes difficiles à réaliser, qui faisaient pourtant partie de notre quotidien. Alors annoncer à des Ombres qu'elles allaient disparaître, en quoi était-ce plus difficile ? Je finis donc par prendre la parole, annonçant de prime abord, en toute honnêteté, que j'étais ignorante de mon futur tout autant que de mon passé. « Pour ma part, j'ignore ce qui va m'arriver, je n'ai pas ouvert le livre. Je ne peux donc pas vous dire si je monterais sur le trône ou non. » Une Ombre à ma droite s'agita, hésitante, puis finit par me demander d'un ton que je prenais pour de la surprise : « Pourquoi ? C'était pourtant la consigne qu'on nous avait donné. » Il est vrais que nous étions bien souvent des instruments, dont le rôle était de remplir les missions que nous donnaient nos supérieurs, et que plusieurs Ombres se contentaient d'agir ainsi. C'était... plus facile, en quelque sorte. Mais pas mon cas. Ma curiosité maladive m'en empêchait. « Et bien... Disons que... Je considère qu'à Savoir ce qui nous attends, nous oublions de... vivre le moment présent. A mes yeux, connaître son Destin est plus un poison qu'une chance. »

Un Passeur à la voix masculine, en face de moi, prit la parole en haussant le ton. Il s'adressa à celle qui m'avait interrogé, sèchement. « Nous sommes ici pour deviner lequel d'entre-nous nous survivra, pas pour nous poser ce genre de questions. J'ai lu mon Destin, et je sais que ce n'est pas moi. Qui d'autre ? » L'Ombre savait qu'il allait disparaître... et pourtant... ce dernier semblait comme... pressé d'en finir. Était-ce du à notre capacité d'acceptation ? En nous hissant dans la hiérarchie de notre race, cela prouvait en quelque sorte que nous avions accepté notre tâche et comprise son importance. Peut-être l'homme avait-il accepté sa sombre destinée ? Avais-je vraiment fait le bon choix au final ? Mes doutes me hantais au fur et à mesure que le temps filait, et que le débat finissait par tourner en rond. Beaucoup d'Ombres refusaient tout simplement de s'exprimer, revenaient sur leurs précédentes paroles, allaient jusqu'à annoncer être certain de monter sur le trône. Je ne savais pas où me placer dans cette histoire, moi qui ne savait pas mon destin... Puis j'eus soudaine une idée qui mettrait un terme à toute cette histoire. Puisque le Destin avait choisit, alors il affirmerait une nouvelle fois sa décision. Je m'éloignais un peu du groupe pour me saisir de quelques brins d'herbe, un pour chacun d'entre nous, et je prenais soin d'en couper un plus court que les autres. Une fois revenu au centre du cercle, je haussais la voix pour attirer l'attention de tous.

« Écoutez-moi ! Ezechyel nous a parlé du Destin ! Nous a laissé la possibilité d'entre-voir ce qui nous attendait ! Alors pourquoi ne pas le faire parler une nouvelle fois ? Nous allons tirer à la courte-paille. Tous ensemble, en même temps. » Certains me regardaient avec suspicion, d'autres acquiesçaient ma proposition, mais tous finirent par m'entourer, prêt à se saisir de leur Brin du Destin. « À trois ! Un... deux... trois ! » Je fermais les yeux, anxieuse, et entendit que les Ombres se mouvaient autour de moi. Lorsque je les ouvris de nouveau, tous étaient agenouillés à mes pieds. Dans ma main ne restait que le plus petit brin. « Félicitation, ma Reine... » C'était l'homme qui s'était exprimé en premier. Ses paroles furent suivit bientôt de celles de tous les autres passeurs présents. J'observais de nouveau la petite herbe que je tenais entre mes doigts. J'avais été choisit. Meredith avait dit vraie. J'allais être le prochain Esprit de la Mort... Et ce fut sans voix que je me retournais vers Ezechyel, trônait sur le Rocher au Clair de Lune. Qu'allait-il se passer à présent ?

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