Une voix résonna dans mon dos, juste après que je me sois mise à gueuler comme un putois pour avertir le maître des lieux de mon réveil. Put*i*, pour pas l'avoir vu, je l'avais pas vu... Surprise, je lâchai un cri et me retournais vivement, pour constater que la voix en question appartenait justement à celui que je venais d'appeler. Plutôt logique, en somme, mais il se trouve que je ne m'attendais pas à ce qu'il soit là. Le pauvre, j'avais sans doute irrémédiablement endommagé son audition... Peut-être qu'un jour il faudra que j'apprenne à la fermer. À la mettre un peu en veilleuse, en tout cas. Surtout que brailler comme ça au milieu d'une montagne, c'était quand même un coup à provoquer une avalanche, quoi... Bon, on l'avait évité pour cette fois, heureusement. Mais faudrait sans doute que je tempère un petit peu mes ardeurs, de temps en temps, au moins au niveau du volume sonore, si je veux pas me retrouver avec un entourage totalement sourdingue.

- put*i* ! Tu m'as fait peur... 'Fin bref, j'ai foutu Charlie dehors, et le chien est sorti aussi du coup. C'qui veut dire qu'il va falloir que j'attende qu'il r'vienne avant d'partir histoire qu'il passe pas la journée devant la porte avec personne pour lui ouvrir, hé hé.

En réalité, je n'avais pas vraiment eu l'intention de partir aussi vite, quand bien même le clébard serait tranquillement resté allongé sur le canapé. J'étais vraiment bien, ici, et puisque je n'avais pas trop l'air de déranger les habitants, je ne voyais pas de raison de partir précipitamment... C'était un peu étrange, cette espèce d'affection que j'avais pour ceux qui vivaient ici – oui, j'inclus le chien – mais aussi pour la maison en elle-même, malgré l'état de décrépitude dans lequel elle se trouvait. Je vais pas vous raconter que j'avais l'impression de m'être trouvée une nouvelle famille, ou je ne sais quelle sottise du genre ; simplement, je me sentais étonnement bien là. Pas de gêne, rien qui puisse me mettre mal à l'aise, un gars sympa – à mon sens du moins – et une maison paumée au milieu de la montagne, voilà tout ce qu'il me fallait, apparemment. Enfin, pour être tout à fait honnête et contrairement à Raeden, il fallait aussi que je mange, de temps en temps...

- Hum, j'commence à avoir faim, mine de rien... J'vais prendre mon p'tit dèj. Enfin... Je sais pas vraiment si on peut appeler ça comme ça, vu l'heure qu'il est, mais bon. J'vais manger, en tout cas.

J'attrapais mon sac sur le fauteuil où je l'avais posé, et en sortis tout ce qu'il contenait de plus ou moins comestible, c'est-à-dire une quantité assez remarquable de pain, du fromage, de la viande séchée assez dégueulasse et cinq ou six pommes. J'aime bien les pommes, ça a bon goût, ça désaltère, c'est plein de vitamines, et ça ressemble toujours à quelque chose après trois jours dans un sac. Y a pas tant d'aliments que ça qui rassemblent toutes ces qualités, mine de rien. Bon, j'imagine qu'on s'en fout un peu... J'attrapai un bout de pain et deux pommes, rangeai le reste et me levai pour en apporter une à Charlie, qui virevoltait toujours de manière assez ridicule bien qu'élégante, comme s'il avait cherché à impressionner quelqu'un qui n'était pas là.

- Bon app', fis-je en lançant la pomme dans la neige. J'sais pas pour quel spectacle tu répètes, mais j'ai l'impression qu'la choré est pas encore tout à fait au point, ajoutai-je avec un sourire narquois.

Sans attendre la réponse de l'équidé, je le laissai à ses pirouettes, et rentrai en refermant la porte derrière moi. Adressant un sourire à Raeden au passage, je traversai le salon et m'assis sur un fauteuil, avant d'entamer la pomme que j'avais gardée à la main. Nullement gênée de manger devant quelqu'un qui n'en avait physiquement pas la possibilité, je finis le fruit, avant de me tourner de nouveau vers l'ombre.

- Heu... J't'ai rien proposé parce que j'me disais que ça allait quand même être compliqué pour toi présentement d'avaler un truc, mais j'laisse ça là, fis-je en désignant mon sac toujours grand ouvert. Hésite pas à t'servir quand t'auras repris un peu de euh... de consistance.

Je laissai échapper un petit rire, amusée par mon propre manque de tact, toujours assez impressionnant. Ce n'était sans doute pas vraiment la manière la plus respectueuse de s'adresser à un défunt... Raeden ne faisait pas réellement partie de cette catégorie, pour moi, cela dit. Certes, il était un petit peu transparent de temps en temps, mais il restait tout de même un être humain à part entière, de mon point de vue en tout cas. Je lui souris de nouveau, sans raison, juste parce que j'étais contente d'être ici, avec lui, sans avoir à me préoccuper de quoi que ce soit. Une petite pause, dans ma vie sans but réel mais tout de même drôlement agitée... C'était agréable, mine de rien.