Je ne savais pas depuis combien de temps je marchais, ni même comment j'avais atterri sur le continent du matin calme. Je voyais un peu flou mais c'était dû au sang qui s'échappait de mon mollet sans apparemment vouloir s'arrêter. Je me demandai quand est ce que je sentirai les effets de la transformation commencer à faire leurs œuvres. Peut-être que comme je n'étais pas né comme chaque être je ne suivais pas les mêmes sillages que les autres. Je souris, je devais arrêter de me croire différent des individus qui m'entouraient car jusqu'à preuve du contraire, les sentiments qui m'embrassaient ou qui m'étranglaient un peu plus chaque jour étaient les mêmes que ceux qui s’immisçaient dans l'esprit des autres. Je contemplais le cimetière, regardant la terre qui avait été grattée par les zombies qui étaient sortis de leurs tombes. C'était étrange, je n'avais pas d'autres mots. Comment le monde pouvait sombrer dans pareil chaos? Même Delix n'avait pas fait mieux qu'Orion. Je me souvenais de lui lorsque j'étais niché dans le corps de Mitsuko, ses mains tremblantes, son regard hésitant, ses balbutiements. Je souriais. Finalement, lui et moi étions sans doute pareil, des hommes bons qui avaient fini par être transformés en monstres impitoyables. Je ne savais pas ce qui l'avait fait changer lui, mais si je rejetais toujours la faute de ma déchéance sur Mitsuko, je savais que j'étais le seul coupable. Au moins, j'étais un homme qui savait reconnaître ses tords. Bien entendu, je pensais à ça car d'ici peu je ne serai plus capable de le faire, mais finalement, peut-être n'était-ce pas plus mal car penser me faisait souffrir, envisager un seul instant que j'étais le seul acteur du malheur de ma vie m'énervait. Alors trouver un coupable était la meilleure solution. Peut-être qu'en réalité, elle n'en avait rien à faire d'être mon coupable, peut-être que cela lui passait au dessus et qu'elle était prête à endosser ce rôle sans le moindre problème.

Je me couchai sur la pierre d'une tombe. Celle-ci appartenait à une femme dont j'ignorai tout mais je me plus à imaginer quelle avait pu être sa vie. Peut-être était-elle une magnifique femme qui, à chaque fois qu'elle passait quelque part, soulevait les cœurs. Mais la beauté ne signifie pas toujours la possibilité d'avoir accès au bonheur. Je me demandais si elle avait été heureuse sa vie durant, si elle avait connu des peines et, surtout, comment elle était morte. Je regardai le ciel gris au dessus de moi comme si j'avais l'intention de m'élever jusqu'aux nuages. J'aurai pu mais pourquoi faire? J'attendais juste que ma transformation commence en me raccrochant à la moindre petite chose, essayant de tourner mon esprit vers des pensées plus heureuses malgré le sentiment d'injustice que je ressentais. Oui, en fait je me demandai vraiment ce que j'avais pu faire pour que Mitsuko m'ignore. Et plus je cherchais, moins je trouvais. Je soupirai une deuxième fois :

« Si seulement je pouvais tout oublier, ce serait parfait...comme lorsque je suis revenu sur ces terres en tant qu'ange. Trop de souvenirs me hantent maintenant... »

Je parlai tout seul mais je pensais ce que je disais. Quand Mitsuko s'était transformée en vampire, j'étais devenu ange, revenant sur ces terres sans le moindre savoir, sans le moindre souvenir de ma vie passée. Et peut-être avais-je vécu alors les plus beaux moments de mon existences, vivant dans une vie nouvelle, sans ombres du passé venant rôder. Je fermai les yeux un instant...peut-être que si je m'endormais ce serait moins douloureux? Seulement, une voix s'éleva à mes côtés :

« L'oubli c'est pour les faibles. »

Je me redressai pour voir une enfant, une petite fille vêtue de noir qui se tenait à mes côtés et qui regardait la tombe. Je ne l'avais pas vu précédemment et je me redressais doucement pour lui faire face, à présent assis sur la pierre tombale.

« Pardon? »

Je la regardai, mes yeux se perdant dans les siens, mais jamais elle ne tourna le regard vers moi, immobile comme une statut de pierre. Je ne savais pas si elle allait répondre ou non mais cette enfant semblait venir d'une toute autre dimension. J'attendais, me disant que de toute manière, elle finirait bien par parler ou s'en aller...et puis, je n'avais rien à perdre.

Cette enfant était étrange. Je la fixais, sa petite robe noire cachant ses genoux, ses ballerines de la même couleur, ses cheveux blonds attachés en couette et son regard triste. Ses yeux étaient pourtant magnifiques, d'un bleu clair qui en aurait rendu jalouse plus d'une, mais cette tristesse. Je ne savais pas à qui j'avais à faire mais il me semblait apercevoir une ombre. Je n'en étais pas sûr et tant qu'elle ne disait rien, je ne pouvais être fixé. C'était troublant, vraiment troublant. J'en oubliai même ma morsure, me perdant dans la contemplation de cette jeune fille. Elle finit tout de même par me répondre après un silence d'une bonne dizaine de minutes :

« C'était ma mère qui disait ça...que peu importe ce que la vie nous donne, il ne fallait pas l'oublier. Car nos expériences font ce que nous sommes et si nous les oublions, cela nous efface progressivement. »

« Qui était ta maman? La dame qui est enterrée sous cette pierre tombale? »

Je savais bien entendu qu'elle n'y était plus mais je n'avais pas envi de choquer cette enfant en lui racontant que sa mère était en train de errer quelque part, toutes dents dehors à essayer d'atteindre le moindre bout de chair fraîche qui passait aux environs. De plus, ça se trouvait, elle avait déjà été décapitée, son corps gisant sur le sol, froid, mort pour de bon. D'ailleurs, ça allait sans doute être mon tour d'ici peu...peut-être que je ne me réveillerai jamais, que je me ferai décapiter sans pitié sans même m'en rendre compte, sans même avoir conscience de ma propre mort. Je frissonnai, me demandant quand même ce qui était le mieux : mourir en souffrant tout en sachant que c'était la fin ou mourir sans souffrir et sans une once de conscience. L'enfant me regarda puis sourit tristement :

« Oui, c'était elle. Mais elle n'est plus enterrée là, elle est sortie cela fait un petit moment déjà et elle m'a laissé un souvenir, ancré dans ma chair... »

Elle souleva sa jupe pour me montrer la plaie qui ornait sa cuisse. Je restai perplexe, me demandant si cette enfant était déjà transformée ou non car si sa mère était partie selon ses dires il y a un petit moment, pourquoi sa fille était-elle encore capable d'articuler des mots? Elle ne me laissa pas le loisir de me questionner plus et me dit doucement :

« J'ai un pouvoir de guérison très puissant qui rejette les effets de la morsure. Mais je suis comme toi, je finirai par me transformer. Nous sommes tous les deux condamnés. Seulement, peut-être que l'antidote ne tardera pas à être trouvé alors je veux retarder le plus possible le moment où je me dirigerai vers les villes pour dévorer les individus. Tu devrais en faire autant. »

Je ne comprenais pas exactement où elle venait en venir mais lorsqu'elle déplaça les chaînes de fer jusqu'à moi juste par la force de son esprit, je compris qu'elle voulait m'attacher à la tombe pour éviter que je ne dévore des individus innocents, ou simplement pour retarder ce moment fatidique. Je lui souris :

« Si ça se trouve, aucun antidote ne sera jamais trouvé tu sais. Mais je suis partant pour que tu m'attaches, au moins, ça réduira sans doute les dégâts. »

« Pourtant, ton cœur semble empli d'une haine majestueuse. Je me demande ce qui a bien pu t'arriver pour que tu sois dans un tel état. Je peux lire en toi mais si je peux voir ton esprit, je ne peux voir les conséquences de la couleur noire de ce dernier. »

« Un amour à sens unique peut-être. Mais peu importe, bientôt mon esprit s'éteindra pour faire place à l'infernale fatalité. Peut-être qu'au fond, j'espère ne jamais retrouver mes esprits... »

J'eus une pensée pour Fang, mon léopard ailé. Je me demandais ce qu'il était devenu depuis que j'étais partie à l'océan mais j'espérai qu'il aille bien. Je laissais l'enfant m'entourer des chaînes du cimetière, supportant leur poids sans trop de difficulté mais ne pouvant bientôt plus bouger. L'enfant fit de même pour elle, s'asseyant sur la tombe à côté de la mienne. Nous allions pouvoir discuter un peu en attendant le moment fatidique.

Je regardais devant moi. Cela faisait maintenant bien une heure que l'on parlait avec l'enfant et j'avais l'impression de connaître sa vie en entier. En réalité, je m'étais trompé sur la femme qui avait été enterrée sous mes fesses, enfin, pas sur toute la ligne mais tout de même. En réalité, il s'agissait d'une Rehla qui donnait grâce à ses tournures de phrase des leçons philosophiques sur la vie. Et bien qu'elle fut d'une grande beauté, elle avait trouvé le bonheur auprès du père de cette petite qui s'appelait Missa. Elle m'avait raconté pleins de choses et notamment que sa mère était morte lorsqu'elle n'avait que trois ans. Son père n'avait cessé depuis lors de lui parler de sa mère en bien, la décrivant comme une femme exemplaire, une femme aimante, une mère magnifique. Il reprenait parfois ce qu'elle disait souvent, lui décrivait son sourire radieux, sa manie de toujours regarder les étoiles pour y lire l'avenir sans vouloir le lui dévoiler. Elle était morte d'une manière mystérieuse mais le père de l'enfant se rappelait de ce jour où le regard triste de sa femme l'avait fasciné, inquiété aussi. Mais elle l'avait rassuré, avait su détourner son attention, l'embrassant avec amour. Missa souriait en racontant cette histoire mais je sentais qu'elle était attristée par la situation. Son père et elle allaient souvent rendre visite à sa mère dans le cimetière, lui racontant ce qu'ils faisaient en ayant l'impression qu'elle les écoutait. Et lorsque Missa m'avait demandé comment étaient mes parents, je lui avais répondu la vérité :

« Je n'en ai pas. Mes seuls parents sont la magie... »

Elle n'avait pas posé d'autres questions et le silence s'était installé entre nous. Il n'y avait pas un seul oiseau qui chantait, ni même de bruits, tous les animaux semblaient avoir déserté l'endroit et il n'y avait plus âmes qui vivent. Nous restions là et je me demandai si Mitsuko savait quel allait être mon sort ou non. Quoi qu'il en soit, même si elle l'avait su, elle n'aurait pu rien faire, faible comme elle était. L'éternité était une chose fascinante et je ne cessais de me demander ce que cela faisait d'avoir la certitude de ne jamais mourir, qu'aucune attaque physique ne pourrait nous toucher. Un mort-vivant passa devant nous sans même nous voir, cherchant de la chair fraîche, ce qui se faisait rare sur le continent du matin calme grâce aux personnes qui avaient lutté contre les zombies.

Je commençais à désespérer de me transformer un jour lorsque je m'aperçus que le sang avait cessé de couler et que la peau de mon mollet était devenue d'une extrême couleur terne. Je jetais un coup d'oeil à Missa qui se trouvait à côté de moi et je restai silencieux devant le spectacle qui se déroulait devant mes yeux. Je ne pouvais plus lui parler car j'étais certain qu'elle ne comprendrait de toute manière pas un mot de ce que je lui aurai dit. Les yeux semblant exorbités, la peau terne, elle essayait de se débattre avec le fil de fer, s'écorchant sans la moindre hésitation pour pouvoir sortir du piège. Elle tirait de toutes ses forces sans même chercher une logique dans tout cela et le fait de me trouver dans la même situation quelques heures plus tard me terrifia...d'autant plus que la jeune fille venait de laisser un pied sur la tombe à laquelle elle était attachée, tirant sur ce dernier comme une folle pour pouvoir être libérée.

« Hé m*rde... »

Je prenais conscience que si je restais moi aussi attaché à ce fil de fer, j'allais y perdre également un ou deux membres. Et s'il existait un antidote quelque part dans le monde qui pouvait me ramener à la raison, alors autant que je revienne en ce monde entier. Cela m'embêterait de perdre une jambe ou un bras juste parce que j'avais mal choisi la façon de m'éviter de manger de la chair humaine. Je regardai l'enfant s'éloigner, boitillant sans que ça n'ait l'air de la gêner le moins du monde. Je défaillais, me demandant comment on pouvait être aliéné à ce point. Je modifiai alors mon apparence afin d'être moins épais pour sortir de ce qui me maintenait sur la tombe. Ce ne fut pas facile mais j'y parviens tout de même. Cette histoire avait au moins eu l'avantage de me faire oublier mes problèmes personnels. Je me demandai quoi faire à présent, regardant autour de moi pour chercher une idée. Celle-ci me vint, pas très originale mais, après tout, autant commencer à ne plus user de son cerveau tout de suite. J'allais passer le reste de mon temps à regarder les pierres tombales, à observer les noms des personnes qui avaient été enterrées ici par leurs proches dans l'espoir qu'elles y seraient bien. Foutaise que cela...

Les effets commencèrent à se faire sentir quelques heures après le début de ma ballade. J'eus soudain envi de manger, une envie qui me fit rire au début vu que c'est vrai que cela faisait déjà un petit bout de temps que je n'avais pas eu l'occasion de le faire. Mais une étrange impression s'empara de moi, une sensation de chaleur, de malaise, et je dus m'appuyer sur l'une des tombes pour ne pas tomber à terre, mes jambes tremblant comme les feuilles d'un arbre lorsque le vent les caresses. J'avais l'impression de perdre toute ma force, comme si mon corps refusait d'user des muscles que j'avais forgé au fil des années. Je me sentais vide d'énergie, la tête me tournant encore et toujours. Puis cela cessa, le calme avant la tempête si l'on peut appeler ça comme ça. Je pris alors conscience que les premiers effets de la transformation s'étaient montrés et que le reste ne tarderait pas à suivre. J'allais moi aussi me retrouver dans le même état que Missa, à partir vers une source de chair fraîche, peu importe où celle-ci se trouve. J'allais surement même vouloir sauter dans l'océan déchaîner si un ange se trouvait au dessus. J'avais beau être un homme courageux, il ne faisait aucun doute que j'avais peur à présent, peur de ce qu'il pouvait m'arriver alors que je n'en aurai pas conscience, peur de ne rien voir apparaître au bout du chemin, de mourir, tout simplement, comme un moins que rien. Alors, je m'adressai à Mitsuko dans l'espoir qu'elle m'entende :

« Tu vois où tes caprices nous mènent? Enfin, surtout moi. Tu voulais que je ne fasse plus partie de la race des Rehlas pour pouvoir rester avec moi, pour que je puisse devenir un acteur de ce monde et à présent que je ne suis plus de ceux qui lisent le langage des étoiles, tu me demeures inaccessible. Pourquoi? N'es-tu pas heureuse que j'ai accepté le pacte qu'Isabella m'a proposé? N'es-tu pas heureuse que je sois un sorcier? Pourtant, tu l'as été, Naram l'as été. Ne crois tu pas que cela n'est que le destin, que mon chemin est de passer par là? Pourquoi restes-tu silencieuse comme si tu m'avais oublié? Dois-je faire comme lui et faire semblant de ne pas être intéressé par toi, faire semblant de t'ignorer pour que tu daignes me regarder? Mitsuko, tu sais très bien quels sont mes sentiments à ton égard et tout ce que tu cherches à faire à présent c'est de les détruire, tout simplement. Tu es une femme cruelle envers ceux qui s'attachent à toi mais je t'assure qu'au bout d'un moment ta solitude te pèsera. Attaches toi à Naram et je t'assure que tu ne goûteras jamais au bonheur, il te le sera interdit car ce génie représente un chaos qui t'es opposé. Tu verras. »

Ma lucidité commençait réellement à s'en aller et ce discours fut le dernier que je tins en ce jour, ma conscience s'envolant partiellement comme si dire tout ceci à haute voix m'avait demandé un effort colossal. Je ne faisais que voir ce qui m'entourait, pouvant toujours nommer les choses mais restant légèrement dans le flou quant à ce qu'elles représentaient réellement, à quoi servaient-elles d'ailleurs? A peine la question posée qu'elle s'était déjà envolée, sans plus aucune possibilité de réponse. Je me déplaçais d'un pas lent, j'humais l'air à la recherche d'une fragrance bien particulière, celle de la chair fraîche. Tout ce que je savais c'est que j'avais faim mais j'étais encore doté d'une infime intelligence qui ressortirait lorsque je devrais me jeter sur mes proies. J'allais les piéger, j'allais dévorer les individus que je croiserai, ne leur laisser aucun répit. Peut-être m'amuserai-je avec eux, leur donnant de faux espoirs de s'en sortir, c'était bien plus drôle ainsi après tout. Je regardai une dernière fois le cimetière et me mis en marche vers une destination inconnue. Le temps que je passerai à fouler le sol avec mes pieds n'aurait aucune importance car j'étais déterminé à trouver ce que je cherchais.

Je ne sais dans combien de village je m'arrêtais mais une chose fut certaine : j'avais à mon actif plusieurs meurtres, dévorant hommes, femmes et enfants. Leurs cris de terreur raisonnaient à mes oreilles et je trouvais cela jouissif. Le reste de conscience qui restait en moi se demandait comment j'avais pu faire auparavant pour ne pas plonger plus souvent dans ce genre de plaisir, comment j'avais fait pour rester en dehors de cela tout ce temps. Je prenais plaisir à sentir la chair entre mes dents, à sentir le sang sur ma langue, à avaler cela en même temps que les propriétaires des morceaux de viande qui étaient à présent mien hurlaient à la mort. J'étais heureux, libéré de tout ce qui pesait sur mon esprit depuis un long moment, apprenant de nouveaux pouvoirs magiques qui me permettait d'être plus efficace dans ma collecte de chair. Mon esprit était réduit à la plus grande simplicité et j'aimais mon état, cet état où je n'avais pas besoin de me questionner sur ce qui était bien ou mal, sur ce que je devais faire ou non. J'allais où mes pas me guidaient et me servais sans aucune modération...