J’envoyai une œillade à Dyonis avant de tourner les yeux vers Cyrius. « Majesté, pour la dernière fois, il me semble que votre présence n’est pas adaptée. S’il vous arrivait malheur… » Le musicien semblait ne pas m’entendre. Assis, il sirotait une grenadine. « Vous n’avez pas besoin d’aller chercher Dame Vaughan. Ce n’est pas le rôle de l’Empereur Noir. » L’Enfer avait déjà été un événement on ne peut plus controversé. « Sans parler du fait qu’elle n’est légalement pas encore votre femme. » Enfin, le visage du blond se tourna vers moi. Un petit sourire joueur éclaira sa peau pâle et immaculée. « Dans ce cas, Val’Aimé, dîtes-moi pourquoi est-ce que vous allez la chercher ? Vous êtes le Chef des Armées, à ce que je sache… pourquoi ne pas envoyer quelqu’un d’autre ? » Il émit un son strident. Mon expression ne se détendit pas. Malgré mes dires, le fait qu’il sortît d’Amestris m’arrangeait. Il me serait plus facile de l’anéantir loin de la capitale. Dyonis m’y aiderait, ainsi que tous ceux qui allaient nous accompagner si je le leur demandais. Lhéasse avait activé la clause qui nous obligeait à lui porter secours. Je pouvais faire la même chose. La mort du Chef d’Orchestre ne serait dommageable à aucun d’entre nous et entrait donc parfaitement dans le cadre du pacte qui nous liait. « L’Archimage Isekel me l’a demandé. De plus, il est de mon devoir de m’assurer de la sécurité de la famille royale, actuelle ou en devenir. » Sur le visage de Cyrius, une moue peu convaincu se composa. « Vous devriez retourner au palais. » lui proposai-je une nouvelle fois. Je savais qu’il resterait. Ses raisons me paraissaient néanmoins obscures. « Là où nous allons, les secrets tomberont. » Il l’avait murmuré. « Alors je comprends que vous souhaitiez rester entre vous. » Je plissai les yeux de méfiance. Son discours me paraissait inadapté, trop confiant, trop mystique. « Mais le Duc Kaahl Paiberym est parti chercher cette femme. Je ne permettrai pas que quoi que ce soit lui arrive. » « Majesté… vous devriez éviter de glorifier cet homme en public. » Nous étions seuls à la terrasse du salon de thé. Nos trois présences cumulées avaient fait fuir les clients. Dyonis me fixait. Cyrius le mettait mal à l’aise, sentiment que je partageais. L’Empereur Noir avait beau ne pas être adapté, il restait puissant. Rien ne se dégageait de lui et c’était bien ce qui m’inquiétait. Là où ma magie me rongeait, la sienne ne le marquait pas. « Ils sont en retard. » fit remarqué le frère de Lhéasse. Je n’avais pas hâte de les voir. Trois d’entre eux s’étaient éloignés du groupe avec les années. L’appel de l’Isekel les forçait à venir. Quoi qu’il en fût, la présence de Cyrius, intrus, risquait de compliquer les choses.
Depuis sa mort, l’univers s’était désaccordé. Il avait été la clef de voûte d’une partie de leur partition. Sa disparition avait entraîné l’écroulement de l’orchestre. Les autres tentaient de le faire subsister tant bien que mal, mais Abérias ne savait plus apprécier ces vivotements clignotants, ces désharmonies discordantes. Il avait fini par ne plus les supporter, et par ne plus venir. Il s’était muré dans un sérieux et une prudence qu’on ne lui connaissait pas, lui qui jadis avait la plaisanterie si facile. Il avait perdu ce jeune homme qu’il avait été, qu’ils avaient tous connu, et qui ne ressurgissait que dans l’intimité bien sécurisée de son couple et, moins souvent, de sa famille. En société, tous ses traits d’humour, toutes ses paroles étaient convenues, réfléchies, calculées – et ses décisions comme ses gestes suivaient le même procédé mécanique, bien huilé et savamment exécuté. Les retrouver, c’était renouer avec cet homme que la mort avait chassé et qu’il n’osait plus confronter. Les miroirs lui renvoyaient trop souvent déjà son image ; dans les yeux de ses anciens amis, il ne cesserait de le voir. Il aurait préféré s’épargner cette désagréable épreuve. Mais, pour la première fois depuis des années, l’appel avait retenti, et le pacte qu’ils avaient signé lui interdisait de l’ignorer.
Au coin de la rue, le Vicomte avisa l’enseigne du salon de thé. Sa tendance à éviter cette rue semblait l’avoir préservée de tout changement. Le panneau de bois qui annonçait l’entrée de « Goût’thé » paraissait n’avoir pas davantage subi l’assaut du temps. La peinture vert clair accueillait toujours le nom en lettres d’or délavé, et son coin supérieur droit comportait encore cet éclat de bois brisé. Le brun inspira, puis se dirigea vers leur lieu de rassemblement. Il distingua rapidement les silhouettes des deux premiers arrivés – Val’Aimé et Dyonis – mais aurait pu s’arrêter brutalement à mi-chemin en reconnaissant le troisième individu si son statut de diplomate ne l’avait habitué aux imprévus. Il poursuivit sa route jusqu’à la terrasse de l’établissement. « Val’Aimé, Dyonis. » Il se tourna vers Cyrius Windsor. « Votre Majesté. » salua-t-il en s’inclinant poliment, comme l’exigeait les convenances. Il regarda les deux autres. Quelques fractions de secondes passèrent. Il les avait déjà aperçus plusieurs fois, depuis qu’il ne venait plus aux réunions. Dans des soirées mondaines. Lors de grands événements. Il avait simplement toujours veillé à respecter une franche distance avec eux. Sa femme et ses enfants ne savaient rien de sa proximité avec les membres du groupe – hormis ceux que l’existence Magicienne les amenait à côtoyer, parmi lesquels, inévitablement, Judicaël Halloy. Parfois, il songeait que s’il avait véritablement désiré coupé tous les ponts, il lui aurait fallu abandonner son métier et se reclure à la campagne.
Il attrapa une chaise et la tira pour s’asseoir avec eux autour de la petite table. Il agissait le plus naturellement du monde, comme s’il n’avait jamais tiré sa révérence. Il était doué pour les faux-semblants. Il l’avait toujours été. Même quand il avait décidé de partir, il n’avait pas dit toute la vérité. « Que nous vaut l’honneur de votre présence ? Comptez-vous rejoindre notre assemblée ? » s’enquit-il en adressant un coup d’œil à l’Empereur Noir. L’étrangeté du blond ne lui échappait guère. Il se murmurait qu’Elias Salvatore l’aurait placé sur le trône pour qu’il y fît office d’homme de paille. Il lissa les plis de son costume, puis tira une carte des thés jusqu’à lui. « Lhéasse nous aurait-il posé un lapin ? » De mémoire, être en retard ne figurait pas parmi ses habitudes.
Message I – 592 mots
Aliénor Vaughan ~ Magicien ~ Niveau II ~ ◈ Parchemins usagés : 570 ◈ YinYanisé(e) le : 20/12/2016
« Alors c’est vrai… » Elizabeth entra dans la pièce alors qu’ils s’apprêtaient à partir. Lhéasse regarda sa femme. Elle portait leur dernier né dans les bras. « Elizabeth, c’est un plaisir de v… » « Silence ! » s’époumona-t-elle, ce qui eut pour conséquence de faire pleurer l’enfant. Une nourrice accourue aussitôt pour débarrasser la Sorcière de son fardeau. Elle était furieuse et ça se voyait. Ses yeux se plantèrent dans ceux de son mari. « Je pensais que tu ne les voyais plus ! » Elle parlait de Judicaël et d'Alister, debouts à côté de l’Isekel. Lhéasse inspira doucement, afin que son irritation soudaine ne se vît pas. Il ne perdait que très rarement patience mais la situation le tendait affreusement. « Allons, tu sais très bien que je dois les voir dans le cadre de mon travail. Même si j’aimerais les éviter, tout comme ils aimeraient m’éviter, je ne peux pas faire autrement. Veux-tu que je demande à l’Empereur Noir de me retirer ma fonction ? » Il lui mentait depuis longtemps concernant le groupe. Sa femme ne supportait pas ses membres. Le seul qui trouvait grâce à ses yeux n’était pas là aujourd’hui. Le reste n’était qu’un ramassis de fripouilles immorales. Elizabeth s’humecta les lèvres. Elle changea de sujet, jugeant ce terrain-là bien trop glissant. « Et qu’allez-vous faire, dans le cadre de votre travail ? » Elle fixa Alister. Comment un tel homme pouvait-il exister ? Elle l’imagina un instant en embrasser un autre et ça la dégoûta profondément. Que ce fût lui ou le roux, ils étaient faits du même bois. « C’est confidentiel. » lui répondit Lhéasse. « Si tu m’avais épousé, je te l’aurais dit. » s’amusa Judicaël. Lhéasse laissa échapper un son de mécontentement. Sans l’ombre d’un sourire, Elizabeth répondit au diplomate magicien : « Je n’aurais jamais épousé un incapable tel que toi. » Judicaël grimaça, comme si elle l’avait touché en plein cœur, puis changea de sujet. « Félicitations pour ton treizième enfant. Je vois que je ne suis pas le seul à m’amuser au lit. » « Tu vas trop loin. » l’avertit le Sorcier, avant de s’approcher de sa femme. « Ne l’écoute pas, tu sais bien comment il est. Nous devons y aller à présent. Je reviendrai vite. » « J’espère. Parce que nous recevons la fiancée de Léonidas dans deux jours. » « … Si je ne suis pas rentré, je te fais confiance pour assurer ce repas. » Il l’empêcha de rajouter quoi que ce fût en se retournant. « Allons-y. »
Les yeux des trois hommes se posèrent d’abord sur Abérias Halloy puis pivotèrent vers l’intrus. « Votre Altesse. » Lhéasse ignora Dyonis mais chercha le regard de Val’Aimé pour tenter de comprendre ce que l’Empereur Noir faisait ici. Judicaël sourit. « Si on m’avait dit que ce jour viendrait, je ne l’aurais pas cru. C’est quoi cette barbe, Abérias ? T’as décidé de montrer au monde que t’avais bel et bien des poils ? » Alister, à côté, restait calme, sans pour autant réussir à cacher les prémices d’un sourire taquin. C’est vrai que le Magicien était resté longtemps avec un duvet de bébé et qu’ils s’étaient foutus de sa gueule en long, en large et en travers à cause de sa non pilosité. « Oh d’ailleurs, nous avons vu Elizabeth. Pour une Sorcière, elle a gardé du caractère. T’es sûr que tu n’es pas un Magicien, Lhéasse ? » « Tiens ta langue devant l’Empereur Noir. » « C’est vrai. Je vous prie de m’excuser, Majesté. » fit-il, espiègle. Il faut dire qu’avec sa grenadine, Cyrius ressemblait plus à un vacancier qu’à un Roi. De toute façon, Judicaël n’avait jamais su tenir quoi que ce fût devant qui que ce fût.
621 mots
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Phèdre et Iphigénie ~ Sorcier ~ Niveau I ~ ◈ Parchemins usagés : 47 ◈ YinYanisé(e) le : 12/03/2023
La tige de métal perça la chair et Thalia scella le fermoir de sa boucle d’oreille. Dans le miroir de sa coiffeuse, la silhouette d’Ajax se dessinait en arrière-plan. Elle lui sourit. « J’attends de toi que tu ne t’exprimes que de manière minimale. » La blonde se leva et contourna le tabouret sur lequel elle était assise. Sa robe décrivait autour de sa silhouette des ondulations telles que l’on aurait pu la croire à demi-immergée dans un bassin. À première vue, on le remarquait à peine. Sa tenue semblait pouvoir appartenir à n’importe quelle autre Sorcière extraite de la noblesse. Mais Ajax connaissait suffisamment bien sa femme pour repérer ces détails d’un seul coup d’œil. Elle contrevenait souvent à la rigidité de la mode imposée, et pourtant, on aurait difficilement pu lui reprocher quoi que ce fût. Aucune parcelle de peau n’était trop découverte. Les teintes sombres dominaient. Ses bijoux n’étaient ni clinquants, ni extravagants. Le tissu n’était pas moulant. Elle jouait avec les formes et les volumes pour suggérer sans jamais se dévoiler ; et celui qui aurait osé formuler ce que son esprit percevait ce serait sans doute heurté à un regard à la fois étonné et empreint de jugement. Son ingénuité factice en avait déjà embarrassé plus d’un. « Tu sais bien que je n’aime pas dépenser de la salive en paroles inutiles. » répondit-elle. Il plaça sa main sur sa mâchoire, pouce sur son menton, et inclina sa tête vers l’arrière pour relever son visage vers le sien. De son avis, c’était bien tout le problème. Des années d’espionnage lui avaient appris à paraître irréprochable quand elle outrepassait les limites. Il n’y avait pas qu’en matière de mode qu’elle se permettait de louvoyer. Cette attitude la transformait en faiblesse. Néanmoins, quand ils œuvraient ensemble, ils étaient imparables. « Allons-y. » conclut-il.
Ajax se déplaçait dans une attitude digne et sertie d’assurance. Thalia avait toujours apprécié cet aspect de sa démarche et de sa personnalité. Il opérait en affaire de la même manière. Ses activités d’extraction minière prospéraient. Il les dirigeait d’une main de fer et les bénéfices qu’il dégageait lui permettaient de recourir de plus en plus à l’achat d’esclaves auprès des Mayfair, ainsi que de garantir à sa famille un train de vie plus qu’honorable. Quand ils s’étaient tous connus, il se situait loin de cette réussite. Elle l’avait aidé, sans qu’il n’en sût rien. Pas pour lui, mais davantage pour son propre compte et pour offrir à ses futurs enfants tout le confort de vie qu’elle jugeait nécessaire. Elle n’avait jamais rien dit parce que l’ego masculin méritait qu’on l’alimentât. D’une certaine manière, cela les rendait plus dociles. Il y avait, entre eux, bien d’autres secrets. « Votre Majesté. » La surprise passée, ils saluèrent tour à tour les Mages déjà présents. Pour Ajax, cela devait être étrange de les revoir. Pour Thalia, ce moment n’avait rien de retrouvailles. Elle ne les avait jamais véritablement perdus de vue, qu’elle les eût croisés à Amestris – sous cette apparence ou une autre –, surveillés pour la couronne ou espionnés pour satisfaire sa propre curiosité. « En parlant d’Elizabeth, félicitations pour votre treizième enfant, Lhéasse. » Thalia les observa, tous, un à un. « Que nous vaut l’honneur d’une telle convocation ? » Dans le ton de son mari perçait nettement la friction que provoquait chez lui ce retour aux origines. S’ils avaient disparu des années durant, c’était pour une bonne raison.
Message I – 576 mots
Kaahl Paiberym ~ Sorcier ~ Niveau VI ~ ◈ Parchemins usagés : 4031 ◈ YinYanisé(e) le : 25/06/2015◈ Activité : Professeur
Le temps passant, certains avaient vieilli plus que d’autres. J’observai Abérias en silence. Val’Aimé n’était pas le seul du groupe à avoir changé d’alignement. Dans son cas, la transformation avait été radicale. S’il n’avait jamais été un Magicien accompli, il était à présent un Sorcier endurci. Dans le cas des autres, les changements avaient été de plus courte durée, au gré des événements marquants de nos histoires respectives et communes. La frontière devait encore être poreuse pour certains d’entre eux. « Y serais-je seulement le bienvenue ? » questionna Cyrius, avant de placer la paille qui lui servait à boire entre ses lèvres et d’aspirer. Le Chef des Armées avait raison. Il fallait se débarrasser de lui. Malgré le sceau décisionnel qu’il avait confié à Val’Aimé et qui lui permettait de faire ce qu’il désirait, le blond respirait le danger. Derrière ses airs perdus et ses lubies étranges, il y avait bien plus. C’était palpable dès qu’on allait au-delà du ridicule de sa posture ou des idées inappropriées qu’il véhiculait. « J’adore boire à la paille. » affirma-t-il, comme s'il avait lu dans mes pensées. L’arrivée de Lhéasse, Judicaël et Alister répondit à la question du Magicien. Les deux Chanceliers d’Ivoire avaient la particularité commune d’être on ne peut plus agaçants. Mon irritation était telle à cause du fait que l’Elzagan se détendait légèrement lorsqu’il était en leur présence. Ça n’arrivait jamais avec moi. Avec eux, ses lèvres s’étiraient parfois, comme si la lumière du Magicien qu’il avait été le menaçait de nouveau. Lhéasse n’y était probablement pas pour rien non plus, malgré la tension entre eux.
J’ignorai mon frère et retins le commentaire acerbe qui faillit sortir de ma bouche concernant ce dernier et sa femme pour mieux me concentrer sur le visage de Val’Aimé. Rien ne paraissait dans son expression. La présence de Cyrius gênait le dialogue. Sans lui, les questions auraient probablement fusé concernant Aliénor Vaughan. Il était inconcevable de penser que Lhéasse ne faisait que répondre à son devoir en secourant une ancienne Dame Noire. Plusieurs d’entre elles avaient disparu ou avait été tuées. Il n’avait jamais bougé. « Ajax. Thalia. » Je tentai de ne pas m’attarder sur la silhouette de la Mage Noire. Il aurait été regrettable que son mari eût des soupçons sur l’existence de nos rencontres clandestines, lorsqu’il réussissait à la mettre enceinte et qu’elle désirait se débarrasser de l’enfant en secret. Phèdre et Iphigénie n’étaient pas de lui mais elle et moi n’en avions jamais discuté. Le savait-elle seulement ? « Un Sorcier a enlevé Dame Aliénor Vaughan. » Je sentis dans la voix de Val’Aimé qu’il la préférerait morte que vive. La nuance était discrète mais je vivais avec lui. Je le connaissais mieux que tous les autres, même Lhéasse, pensais-je. Mes yeux furent attirés par un mouvement. Cyrius venait de faire apparaître des partitions vierges. Il aspira. L’absence de liquide dans son verre créa un bruit caractéristique. Je pris la parole pour oublier cette vision et la certitude que l'Empereur Noir ne devait en aucun cas être placé sur le devant de la scène internationale, sous peine de nous attirer la honte. « Lhéasse prendra sans doute le temps de nous expliquer pourquoi au juste il a jugé bon de faire appel à chacun d’entre nous pour une simple femme. » Un sourire malicieux s’étala sur mon visage. Si je pouvais faire en sorte d’effacer Lhéasse de la vie de Val’Aimé à tout jamais, je m’en ferais un plaisir. Raviver les anciennes blessures était un moyen parfait pour y parvenir.
Abérias considéra Cyrius. « Je suis certain que votre chef des armées n’oserait pas s’y opposer. » formula-t-il pour toute réponse. Ses yeux bleus remontèrent sur Val’Aimé. Il l’avait connu bien différent, autrefois. Son revirement soudain lui revenait, parfois. Quand il regardait ses enfants, par exemple. Il se demandait si l’un d’entre eux suivrait le même chemin. Il se faisait surtout du souci pour son dernier. Par moment, le comportement de Lazare l’inquiétait. Il craignait que sa colère ne le dévorât. Il ignorait comment la contenir, comment l’arrêter. Elle ressemblait à un feu de forêt en pleine saison sèche. Il pivota quelque peu pour découvrir les visages de Lhéasse, Alistair et Judicaël. Comme ce dernier le taquinait, il passa une main sur sa barbe, un sourire retenu aux lèvres. Autrefois, le roux avait pu se moquer de son manque de pilosité. À deux, ils avaient l’habitude de s’embêter. Ils formaient le duo de comiques du groupe. L’un n’avait pas beaucoup changé, l’autre s’était éloigné. « Je ne pouvais pas arriver à ces retrouvailles et subir une fois de plus tes railleries sur mon menton imberbe. C’était une question d’honneur. » Il se sentait osciller entre la comédie et l’honnêteté. Était-il heureux de les revoir, de les rejoindre, finalement ? C’était inavouable. Il éprouva un sentiment de culpabilité.
Ajax et Thalia leur succédèrent, si bien qu’ils se trouvèrent au complet – ou presque. Il observa les deux nouveaux arrivants. Ils étaient parents de jumelles. Elles étudiaient à Basphel, comme Lazare. Le fils de Lhéasse aussi. Et d’autres adolescents de leurs familles, sans aucun doute. Leurs existences s’entremêlaient sans même qu’ils ne pussent s’en douter.
Quand les explications de Val’Aimé tombèrent, il jeta un coup d’œil à Lhéasse, puis à l’Empereur Noir. L’avait-il prévenu qu’il comptait se lancer à la recherche d’Aliénor Vaughan ? Abérias inspira. Il avait si peu fréquenté le groupe ces dernières années qu’il n’avait pas aussitôt été mis dans la confidence. Son esprit se dispersa en questionnements, en suppositions et en attentes. Pourquoi ne pas mobiliser les réseaux d’espionnage et les forces policières des deux peuples de Mages ? Il s’interrogea sur les raisons qui avaient conduit l’Archimage à les convoquer. Son regard intelligent alla de l’un à l’autre des protagonistes. Il demeura silencieux, même quand Dyonis formula l’une de ses interrogations. Il l’avait suffisamment côtoyé pour ne pas avoir oublié ce que son ton signifiait. Il reposa la carte des boissons qu’il tenait entre ses mains et fixa ses iris sur Lhéasse. Il attendit. Après tant d’années d’absence, il ne se sentait pas de mener un quelconque interrogatoire. Là n’était pas sa place.
Message II – 435 mots
Aliénor Vaughan ~ Magicien ~ Niveau II ~ ◈ Parchemins usagés : 570 ◈ YinYanisé(e) le : 20/12/2016
« Oh je vois ! » Judicaël s’était approché d’Abérias pour voir sa barbe de plus près. « Tu n’as pas utilisé la magie hein ? Ce ne serait pas du jeu. Tu sais ce qu’on fait aux tricheurs. » Il s’était lui-même déjà retrouvé la tête en bas, pendu par les pieds à une branche d’arbre. Dans leur jeunesse, il leur était arrivé à plusieurs reprises de n’être pas si tendres que ça les uns avec les autres, sans parler des substances plus qu’étranges qu’ils s’étaient fait ingurgiter pour jouer et qui avaient mené certains d’eux en soins intensifs. Alister s’approcha à son tour et observa les poils. « Ils me semblent être vrais. » Il sourit au Magicien. Il n’y avait pas que la mort du blond qui les avait séparés, tous les deux. Il y avait leur éloignement respectif du groupe – bien que le Chef des Armées magiciennes y fût retourné – ainsi que le décès de son mari qu’Abérias connaissait. Le voir le lui rappelait.
« Merci, Ajax. J’espère qu’Ethelba permettra l’agrandissement de ta lignée également. » Lhéasse le disait sans fourberie, bien qu’un autre que lui eût pu s’y risquer. Avoir une descendance fournie participait à la puissance – au moins morale – des hommes chez les Sorciers. À ce titre, le peuple s’inquiétait depuis son couronnement de l’absence d’enfants, réels ou supposés, de l’actuel Empereur Noir. Ce petit élément pouvait prendre des proportions énormes et passait bien souvent devant d’autres considérations comme la richesse ou bien les actions menées en faveur du peuple. Si l’adoption était mal vue, il valait mieux y recourir – en tentant de la cacher – plutôt que de rester sans descendance.
L’Isekel leva sur son frère un regard dans lequel leur inimitié tonnait. Le ton de Dyonis ne faisait aucun doute quant à ses intentions. Ses explications furent articulées à l'attention de tous. « Dame Vaughan est, au même titre que Rose-Abelle Paiberym, un pont important entre les Sorciers et les Magiciens. Précédemment mariée à Elias Salvatore, le contrat est actuellement en suspens, dans l’attente de la signature de son renouvellement par le nouvel Empereur Noir. » Celui-là même qui buvait à la paille et qui ne semblait pas plus intéressé par les femmes que par sa propre réputation. « Je vous ai fait venir en partie pour cette raison mais ce n’est pas la seule. Le ravisseur a déjà frappé chez les Magiciens et je m’étonne d’ailleurs qu’il puisse être actuellement dans la nature puisqu’il était enfermé, jusqu’ici, dans la prison du Cœur-Bleu. À moins que vous le sachiez déjà mais que vous n’ayez pas jugé bon de nous en informer ? Il s’agit d’Ârès Taiji. » Autrement dit, un Sorcier. « Il me semblait donc plus judicieux que l’affaire restât entre nous, d’autant plus que d’après les dires du ravisseur, l’Ashiril – qui visiblement est bien mieux renseigné que nous tous réunis – Laëth et Priam Belegad ainsi qu’Adam Pendragon sont déjà en train de la chercher. » Judicaël regarda Alister un temps puis se tourna vers Lhéasse et les autres Sorciers. « Nous le savions pour l'évasion d'Ârès Taiji. Nous comptions vous en faire part mais, pour notre défense, nous avons actuellement un problème plus important à régler. » « Vraiment ? » « Nous en parlerons peut-être mais pas maintenant. Alister et moi devons nous concerter. Puisque tu as fait appel au pacte, je pense t’imiter mais je dois encore y réfléchir donc, je t’en prie, continue. » Lhéasse acquiesça. « La dernière raison est que j’ai demandé à Sa Majesté de le suppléer dans les fonctions d’époux de la Comtesse Vaughan. Il serait heureux qu’Elizabeth puisse se reposer après ses treize grossesses. » « Tu veux épouser ma cousine ? » Lhéasse le regarda. Le Nylmord grogna mais finit par hocher la tête en soupirant. Il valait peut-être mieux Lhéasse que Cyrius. Aliénor avait connu Niklaus, Elias… combien de tarés encore ? L’Isekel avait l’avantage de se rendre souvent sur les Terres Magiciennes, en plus d’être le moins tordu des trois prénommés. « Et où l’a-t-il amenée ? » « Aux Portes. » « Super… » Ils savaient tous ce que supposaient les Portes. Ils avaient déjà fait les frais du sadisme des Ætheri. « J’espère qu’Alister et Val’Aimé seront les témoins. » s’amusa Judicaël qui ne visait véritablement que le Chef des Armées sorcières.
724 mots AH TU VOIS ! Je rentabilise mes nuits ! 8D Bon par contre demain le réveil va faire mal... Sinon, idée de génie : je ne dors pas, comme ça hop, pas de réveil /sbaf (je me conseille à moi-même de ne pas faire ça. 4h de sommeil c'est mieux que 0h ! OKAY CERVEAU ? Wakarimasu ka ? Bordel de paillasson !)
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Phèdre et Iphigénie ~ Sorcier ~ Niveau I ~ ◈ Parchemins usagés : 47 ◈ YinYanisé(e) le : 12/03/2023
Thalia le savait. Elle n’aurait pas pris la peine de se déplacer si le motif n’en avait pas valu le coup. Sauver Aliénor Vaughan ne l’intéressait pas. Elle ne faisait qu’un peu de zèle car elle devinait que la couronne – ou celui qui parvenait encore à tirer les ficelles – n’admettrait pas sa mort soudaine – le statut de pont entre deux races drapait cette pauvre fille trop naïve pour son propre bien et en faisait un atout important sur l’échiquier politique. En revanche, découvrir ce qui se cachait dans le cœur de Lhéasse l’intriguait. Il se murmurait bien des choses. Le trouble qu’il provoquait chez la Magicienne trouvait-il un écho chez lui ? « Je te remercie. Je suis certain que nos prières à la déesse seront entendues. » répondit poliment son mari à l’Archimage. Elle le détailla quelques instants, avant de regarder brièvement son frère, Dyonis. Ils avaient partagé une intimité qu’elle n’avait eue avec aucun des autres hommes du groupe. Là où Ajax avait semé, il avait déraciné. Jusqu’aux jumelles. Elles étaient les seules qu’elle eût gardées dans le creux de ses entrailles. Avant elles, une dizaine d’autres avaient tenté de se faire une place entre ses reins. Elle les avait tous rendus à la mort. Ajax ignorait tout de cela. Elle le lui cachait depuis des années. Dyonis aussi. Malgré leur éloignement du groupe, il avait gardé le silence. Leur marché avait été respecté. Pour chaque enfant tué, elle en avait enlevé un qu’elle avait livré à ses bons soins. Si elle le devait, elle recommencerait. Elle n’avait jamais aspiré à n’être qu’une vache à engrosser. Pourtant, elle n’ignorait pas que son époux désirait un héritier mâle. « Sans doute. » Les iris clairs d’Ajax s’étaient ancrés à Lhéasse. Thalia devinait qu’aucune révélation ne serait faite, surtout pas devant leur Roi, et qu’il faudrait faire preuve d’observation et de finesse pour débusquer quoi que ce fût. Dans son métier, c’était aussi cette traque qu’elle aimait. Le brun parla de pont, de politique, de mariage, de danger. Ses yeux bleus coulèrent lentement vers les Magiciens, guettant leur réaction face aux accusations. Elle essaya d’ignorer l’Empereur Noir. Allait-il les suivre ? Les étrangers n’étaient, normalement, pas admis au sein de leur groupe. Mais, normalement, aucun d’entre eux n’était habilité à refuser quoi que ce fût au souverain. La blonde inspira avant de tirer une chaise et de s’asseoir, l’air de rien. Elle observa une composition de fleurs posée sur une table voisine de la leur. Ajax lui glissa un regard, avant de se focaliser sur les Archimages. « Formidable. » conclut-il. « Partons donc pour les Portes. » Les doigts de Thalia se tendirent sur la bordure de la nappe.
Fin
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Chapitre I bis - Les liés | Alister, Judicaël, Lhéasse, Thalia, Abérias, Ajax, Val'Aimé, Dyonis et Cyrius
J’envoyai une œillade à Dyonis avant de tourner les yeux vers Cyrius. « Majesté, pour la dernière fois, il me semble que votre présence n’est pas adaptée. S’il vous arrivait malheur… » Le musicien semblait ne pas m’entendre. Assis, il sirotait une grenadine. « Vous n’avez pas besoin d’aller chercher Dame Vaughan. Ce n’est pas le rôle de l’Empereur Noir. » L’Enfer avait déjà été un événement on ne peut plus controversé. « Sans parler du fait qu’elle n’est légalement pas encore votre femme. » Enfin, le visage du blond se tourna vers moi. Un petit sourire joueur éclaira sa peau pâle et immaculée. « Dans ce cas, Val’Aimé, dîtes-moi pourquoi est-ce que vous allez la chercher ? Vous êtes le Chef des Armées, à ce que je sache… pourquoi ne pas envoyer quelqu’un d’autre ? » Il émit un son strident. Mon expression ne se détendit pas. Malgré mes dires, le fait qu’il sortît d’Amestris m’arrangeait. Il me serait plus facile de l’anéantir loin de la capitale. Dyonis m’y aiderait, ainsi que tous ceux qui allaient nous accompagner si je le leur demandais. Lhéasse avait activé la clause qui nous obligeait à lui porter secours. Je pouvais faire la même chose. La mort du Chef d’Orchestre ne serait dommageable à aucun d’entre nous et entrait donc parfaitement dans le cadre du pacte qui nous liait. « L’Archimage Isekel me l’a demandé. De plus, il est de mon devoir de m’assurer de la sécurité de la famille royale, actuelle ou en devenir. » Sur le visage de Cyrius, une moue peu convaincu se composa. « Vous devriez retourner au palais. » lui proposai-je une nouvelle fois. Je savais qu’il resterait. Ses raisons me paraissaient néanmoins obscures. « Là où nous allons, les secrets tomberont. » Il l’avait murmuré. « Alors je comprends que vous souhaitiez rester entre vous. » Je plissai les yeux de méfiance. Son discours me paraissait inadapté, trop confiant, trop mystique. « Mais le Duc Kaahl Paiberym est parti chercher cette femme. Je ne permettrai pas que quoi que ce soit lui arrive. » « Majesté… vous devriez éviter de glorifier cet homme en public. » Nous étions seuls à la terrasse du salon de thé. Nos trois présences cumulées avaient fait fuir les clients. Dyonis me fixait. Cyrius le mettait mal à l’aise, sentiment que je partageais. L’Empereur Noir avait beau ne pas être adapté, il restait puissant. Rien ne se dégageait de lui et c’était bien ce qui m’inquiétait. Là où ma magie me rongeait, la sienne ne le marquait pas. « Ils sont en retard. » fit remarqué le frère de Lhéasse. Je n’avais pas hâte de les voir. Trois d’entre eux s’étaient éloignés du groupe avec les années. L’appel de l’Isekel les forçait à venir. Quoi qu’il en fût, la présence de Cyrius, intrus, risquait de compliquer les choses. 
Depuis sa mort, l’univers s’était désaccordé. Il avait été la clef de voûte d’une partie de leur partition. Sa disparition avait entraîné l’écroulement de l’orchestre. Les autres tentaient de le faire subsister tant bien que mal, mais Abérias ne savait plus apprécier ces vivotements clignotants, ces désharmonies discordantes. Il avait fini par ne plus les supporter, et par ne plus venir. Il s’était muré dans un sérieux et une prudence qu’on ne lui connaissait pas, lui qui jadis avait la plaisanterie si facile. Il avait perdu ce jeune homme qu’il avait été, qu’ils avaient tous connu, et qui ne ressurgissait que dans l’intimité bien sécurisée de son couple et, moins souvent, de sa famille. En société, tous ses traits d’humour, toutes ses paroles étaient convenues, réfléchies, calculées – et ses décisions comme ses gestes suivaient le même procédé mécanique, bien huilé et savamment exécuté. Les retrouver, c’était renouer avec cet homme que la mort avait chassé et qu’il n’osait plus confronter. Les miroirs lui renvoyaient trop souvent déjà son image ; dans les yeux de ses anciens amis, il ne cesserait de le voir. Il aurait préféré s’épargner cette désagréable épreuve. Mais, pour la première fois depuis des années, l’appel avait retenti, et le pacte qu’ils avaient signé lui interdisait de l’ignorer.
« Alors c’est vrai… » Elizabeth entra dans la pièce alors qu’ils s’apprêtaient à partir. Lhéasse regarda sa femme. Elle portait leur dernier né dans les bras. « Elizabeth, c’est un plaisir de v… » « Silence ! » s’époumona-t-elle, ce qui eut pour conséquence de faire pleurer l’enfant. Une nourrice accourue aussitôt pour débarrasser la Sorcière de son fardeau. Elle était furieuse et ça se voyait. Ses yeux se plantèrent dans ceux de son mari. « Je pensais que tu ne les voyais plus ! » Elle parlait de Judicaël et d'Alister, debouts à côté de l’Isekel. Lhéasse inspira doucement, afin que son irritation soudaine ne se vît pas. Il ne perdait que très rarement patience mais la situation le tendait affreusement. « Allons, tu sais très bien que je dois les voir dans le cadre de mon travail. Même si j’aimerais les éviter, tout comme ils aimeraient m’éviter, je ne peux pas faire autrement. Veux-tu que je demande à l’Empereur Noir de me retirer ma fonction ? » Il lui mentait depuis longtemps concernant le groupe. Sa femme ne supportait pas ses membres. Le seul qui trouvait grâce à ses yeux n’était pas là aujourd’hui. Le reste n’était qu’un ramassis de fripouilles immorales. Elizabeth s’humecta les lèvres. Elle changea de sujet, jugeant ce terrain-là bien trop glissant. « Et qu’allez-vous faire, dans le cadre de votre travail ? » Elle fixa Alister. Comment un tel homme pouvait-il exister ? Elle l’imagina un instant en embrasser un autre et ça la dégoûta profondément. Que ce fût lui ou le roux, ils étaient faits du même bois. « C’est confidentiel. » lui répondit Lhéasse. « Si tu m’avais épousé, je te l’aurais dit. » s’amusa Judicaël. Lhéasse laissa échapper un son de mécontentement. Sans l’ombre d’un sourire, Elizabeth répondit au diplomate magicien : « Je n’aurais jamais épousé un incapable tel que toi. » Judicaël grimaça, comme si elle l’avait touché en plein cœur, puis changea de sujet. « Félicitations pour ton treizième enfant. Je vois que je ne suis pas le seul à m’amuser au lit. » « Tu vas trop loin. » l’avertit le Sorcier, avant de s’approcher de sa femme. « Ne l’écoute pas, tu sais bien comment il est. Nous devons y aller à présent. Je reviendrai vite. » « J’espère. Parce que nous recevons la fiancée de Léonidas dans deux jours. » « … Si je ne suis pas rentré, je te fais confiance pour assurer ce repas. » Il l’empêcha de rajouter quoi que ce fût en se retournant. « Allons-y. » 
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La tige de métal perça la chair et Thalia scella le fermoir de sa boucle d’oreille. Dans le miroir de sa coiffeuse, la silhouette d’Ajax se dessinait en arrière-plan. Elle lui sourit. « J’attends de toi que tu ne t’exprimes que de manière minimale. » La blonde se leva et contourna le tabouret sur lequel elle était assise. Sa robe décrivait autour de sa silhouette des ondulations telles que l’on aurait pu la croire à demi-immergée dans un bassin. À première vue, on le remarquait à peine. Sa tenue semblait pouvoir appartenir à n’importe quelle autre Sorcière extraite de la noblesse. Mais Ajax connaissait suffisamment bien sa femme pour repérer ces détails d’un seul coup d’œil. Elle contrevenait souvent à la rigidité de la mode imposée, et pourtant, on aurait difficilement pu lui reprocher quoi que ce fût. Aucune parcelle de peau n’était trop découverte. Les teintes sombres dominaient. Ses bijoux n’étaient ni clinquants, ni extravagants. Le tissu n’était pas moulant. Elle jouait avec les formes et les volumes pour suggérer sans jamais se dévoiler ; et celui qui aurait osé formuler ce que son esprit percevait ce serait sans doute heurté à un regard à la fois étonné et empreint de jugement. Son ingénuité factice en avait déjà embarrassé plus d’un. « Tu sais bien que je n’aime pas dépenser de la salive en paroles inutiles. » répondit-elle. Il plaça sa main sur sa mâchoire, pouce sur son menton, et inclina sa tête vers l’arrière pour relever son visage vers le sien. De son avis, c’était bien tout le problème. Des années d’espionnage lui avaient appris à paraître irréprochable quand elle outrepassait les limites. Il n’y avait pas qu’en matière de mode qu’elle se permettait de louvoyer. Cette attitude la transformait en faiblesse. Néanmoins, quand ils œuvraient ensemble, ils étaient imparables. « Allons-y. » conclut-il.
Ajax se déplaçait dans une attitude digne et sertie d’assurance. Thalia avait toujours apprécié cet aspect de sa démarche et de sa personnalité. Il opérait en affaire de la même manière. Ses activités d’extraction minière prospéraient. Il les dirigeait d’une main de fer et les bénéfices qu’il dégageait lui permettaient de recourir de plus en plus à l’achat d’esclaves auprès des Mayfair, ainsi que de garantir à sa famille un train de vie plus qu’honorable. Quand ils s’étaient tous connus, il se situait loin de cette réussite. Elle l’avait aidé, sans qu’il n’en sût rien. Pas pour lui, mais davantage pour son propre compte et pour offrir à ses futurs enfants tout le confort de vie qu’elle jugeait nécessaire. Elle n’avait jamais rien dit parce que l’ego masculin méritait qu’on l’alimentât. D’une certaine manière, cela les rendait plus dociles. Il y avait, entre eux, bien d’autres secrets. « Votre Majesté. » La surprise passée, ils saluèrent tour à tour les Mages déjà présents. Pour Ajax, cela devait être étrange de les revoir. Pour Thalia, ce moment n’avait rien de retrouvailles. Elle ne les avait jamais véritablement perdus de vue, qu’elle les eût croisés à Amestris – sous cette apparence ou une autre –, surveillés pour la couronne ou espionnés pour satisfaire sa propre curiosité. « En parlant d’Elizabeth, félicitations pour votre treizième enfant, Lhéasse. » Thalia les observa, tous, un à un. « Que nous vaut l’honneur d’une telle convocation ? » Dans le ton de son mari perçait nettement la friction que provoquait chez lui ce retour aux origines. S’ils avaient disparu des années durant, c’était pour une bonne raison.
Le temps passant, certains avaient vieilli plus que d’autres. J’observai Abérias en silence. Val’Aimé n’était pas le seul du groupe à avoir changé d’alignement. Dans son cas, la transformation avait été radicale. S’il n’avait jamais été un Magicien accompli, il était à présent un Sorcier endurci. Dans le cas des autres, les changements avaient été de plus courte durée, au gré des événements marquants de nos histoires respectives et communes. La frontière devait encore être poreuse pour certains d’entre eux. « Y serais-je seulement le bienvenue ? » questionna Cyrius, avant de placer la paille qui lui servait à boire entre ses lèvres et d’aspirer. Le Chef des Armées avait raison. Il fallait se débarrasser de lui. Malgré le sceau décisionnel qu’il avait confié à Val’Aimé et qui lui permettait de faire ce qu’il désirait, le blond respirait le danger. Derrière ses airs perdus et ses lubies étranges, il y avait bien plus. C’était palpable dès qu’on allait au-delà du ridicule de sa posture ou des idées inappropriées qu’il véhiculait. « J’adore boire à la paille. » affirma-t-il, comme s'il avait lu dans mes pensées. L’arrivée de Lhéasse, Judicaël et Alister répondit à la question du Magicien. Les deux Chanceliers d’Ivoire avaient la particularité commune d’être on ne peut plus agaçants. Mon irritation était telle à cause du fait que l’Elzagan se détendait légèrement lorsqu’il était en leur présence. Ça n’arrivait jamais avec moi. Avec eux, ses lèvres s’étiraient parfois, comme si la lumière du Magicien qu’il avait été le menaçait de nouveau. Lhéasse n’y était probablement pas pour rien non plus, malgré la tension entre eux. 
« Oh je vois ! » Judicaël s’était approché d’Abérias pour voir sa barbe de plus près. « Tu n’as pas utilisé la magie hein ? Ce ne serait pas du jeu. Tu sais ce qu’on fait aux tricheurs. » Il s’était lui-même déjà retrouvé la tête en bas, pendu par les pieds à une branche d’arbre. Dans leur jeunesse, il leur était arrivé à plusieurs reprises de n’être pas si tendres que ça les uns avec les autres, sans parler des substances plus qu’étranges qu’ils s’étaient fait ingurgiter pour jouer et qui avaient mené certains d’eux en soins intensifs. Alister s’approcha à son tour et observa les poils. « Ils me semblent être vrais. » Il sourit au Magicien. Il n’y avait pas que la mort du blond qui les avait séparés, tous les deux. Il y avait leur éloignement respectif du groupe – bien que le Chef des Armées magiciennes y fût retourné – ainsi que le décès de son mari qu’Abérias connaissait. Le voir le lui rappelait.
L’Isekel leva sur son frère un regard dans lequel leur inimitié tonnait. Le ton de Dyonis ne faisait aucun doute quant à ses intentions. Ses explications furent articulées à l'attention de tous. « Dame Vaughan est, au même titre que Rose-Abelle Paiberym, un pont important entre les Sorciers et les Magiciens. Précédemment mariée à Elias Salvatore, le contrat est actuellement en suspens, dans l’attente de la signature de son renouvellement par le nouvel Empereur Noir. » Celui-là même qui buvait à la paille et qui ne semblait pas plus intéressé par les femmes que par sa propre réputation. « Je vous ai fait venir en partie pour cette raison mais ce n’est pas la seule. Le ravisseur a déjà frappé chez les Magiciens et je m’étonne d’ailleurs qu’il puisse être actuellement dans la nature puisqu’il était enfermé, jusqu’ici, dans la prison du Cœur-Bleu. À moins que vous le sachiez déjà mais que vous n’ayez pas jugé bon de nous en informer ? Il s’agit d’Ârès Taiji. » Autrement dit, un Sorcier. « Il me semblait donc plus judicieux que l’affaire restât entre nous, d’autant plus que d’après les dires du ravisseur, l’Ashiril – qui visiblement est bien mieux renseigné que nous tous réunis – Laëth et Priam Belegad ainsi qu’Adam Pendragon sont déjà en train de la chercher. » Judicaël regarda Alister un temps puis se tourna vers Lhéasse et les autres Sorciers. « Nous le savions pour l'évasion d'Ârès Taiji. Nous comptions vous en faire part mais, pour notre défense, nous avons actuellement un problème plus important à régler. » « Vraiment ? » « Nous en parlerons peut-être mais pas maintenant. Alister et moi devons nous concerter. Puisque tu as fait appel au pacte, je pense t’imiter mais je dois encore y réfléchir donc, je t’en prie, continue. » Lhéasse acquiesça. « La dernière raison est que j’ai demandé à Sa Majesté de le suppléer dans les fonctions d’époux de la Comtesse Vaughan. Il serait heureux qu’Elizabeth puisse se reposer après ses treize grossesses. » « Tu veux épouser ma cousine ? » Lhéasse le regarda. Le Nylmord grogna mais finit par hocher la tête en soupirant. Il valait peut-être mieux Lhéasse que Cyrius. Aliénor avait connu Niklaus, Elias… combien de tarés encore ? L’Isekel avait l’avantage de se rendre souvent sur les Terres Magiciennes, en plus d’être le moins tordu des trois prénommés. « Et où l’a-t-il amenée ? » « Aux Portes. » « Super… » Ils savaient tous ce que supposaient les Portes. Ils avaient déjà fait les frais du sadisme des Ætheri. « J’espère qu’Alister et Val’Aimé seront les témoins. » s’amusa Judicaël qui ne visait véritablement que le Chef des Armées sorcières.