Je ne suis pas venu pour souffrir
Phèdre & Andrea

☙ Claude Lombard - Simsala Grimm Ending

« Excusez-moi... » Je n'aimais pas parler fort, et ma voix se perdait dans le brouhaha ambiant. Je voyais des élèves tenir à bout de bras des costumes. Mes cheveux tombaient sur mes yeux sans que je cherche à les attacher. Dans ces moments, je préférais qu'ils m'isolent du regard des autres, comme s'ils avaient le pouvoir de me rendre invisible. « Pardon... » Je tâchai de me frayer un chemin pour aller me présenter à l'un des membres de l'AAAP. De ce que j'avais compris, ils étaient les auteurs des séries de speed-dating dont tout le monde avait beaucoup parlé. « Bonjour ! » Un garçon venait de m'apercevoir. Avec un sourire éclatant, il m'invita à me rapprocher. « Bonjour. » soufflai-je tout en jetant de brefs coups d'œil angoissés autour de moi. Il y avait beaucoup d'élèves et je me demandais si j'avais pris une bonne décision en m'inscrivant à cette soirée. « Ton nom, s'il te plaît ? » « Andrea Lim. Je suis venu avec mon pyjama, je ne savais pas si... » Je tirai sur les pans de ma tenue de nuit, gêné. Autour de moi, certains exhibaient aussi leur pyjama mais d'autres n'avaient pas cédé à la frivolité et endossaient sobrement leur uniforme. « Ne t'en fais pas pour ça, nous avons tout prévu. Tiens, c'est pour toi. » Il me remit un vêtement dans les bras et m'enjoignit de marcher à sa suite. Craignant de le perdre de vue, je le suivis sans prendre le temps de regarder le costume. Pendant ce temps-là, le garçon me décrivait les termes de l'activité. « Tu seras avec Phèdre Borgia, tu la connais ? Elle est blonde, comme toi ! » « D'accord. » Je voyais de qui il s'agissait. J'avais déjà aperçu les jumelles mais n'avais pas d'opinion spécifique sur elles. « Amusez-vous bien ! » lança le garçon avant de nous abandonner à l'entrée du labyrinthe pour s'occuper d'un autre binôme. J'étais déterminé à essayer de suivre son souhait et de "m'amuser". Natsumura se serait certainement moquée de moi. Elle m'en croyait incapable. Lorsqu'elle m'entraînait dans ses jeux, elle finissait toujours par soupirer, avant de tout ranger en déclarant que je n'étais pas drôle. Je ne cherchais pas à l'être, ni ne voyais pourquoi j'aurais dû vouloir l'être, mais ses mots m'avaient blessé. Il n'y avait rien d'agréable à être qualifié de personne ennuyeuse et je voulais lui donner tort.

« Bonjour, Phèdre. » la saluai-je avec un timide sourire avant de déplier le vêtement. « Ah, je suis une vache. » constatai-je platement. Mon regard scruta les pis rose bonbon sur l'emplacement du ventre. « Une vache rose. » Les tâches étaient fluorescentes dans la pénombre. Je m'abstins de faire le moindre commentaire mais mes lèvres se pincèrent. Quelque chose frôla alors mes cheveux et je ravalai brusquement ma respiration en pliant les genoux. La chauve-souris décrivit une courbe et repassa au dessus de nos tête, cette-fois sans me toucher. Je déglutis et jetais un coup d'oeil à la blonde. « Je vais mettre ça, et on y va ? » J'avais essayé de prendre un ton enjoué mais il sonnait faux. Mon sourire se crispa et j'enfilai le kigurumi par dessus ma tenue, ne sachant pas comment elle réagirait si je venais à me déshabiller devant elle. « Si tu es prête, on peut y aller. » Me souvenant des règles énoncées, je tendis ma main vers elle. « Est-ce qu'Iphigénie participe aussi à cette soirée ? Peut-être qu'on la croisera dans le labyrinthe. Il y fait un peu sombre, j'espère qu'on ne va pas trébucher et tomber. Il paraît qu'il y aura des choses pour nous faire peur. Ce ne sera pas pratique de courir en se tenant la main. » observai-je, pragmatique. Même enfant, je n'avais jamais beaucoup aimé les jeux. Je réfléchissais toujours trop aux détails. Leur côté chaotique ne séduisait pas l'enfant effrayé que j'avais été. Je n'avais pas rassemblé beaucoup plus de courage en grandissant et savoir que les organisateurs cherchaient à nous faire peur n'était pas pour me réjouir. Je me mis à avancer et la clochette à mon cou tinta. Je n'étais pas certain de goûter à cette plaisanterie et j'avais chaud dans le vêtement. J'essayais de ne pas penser à l'image absurde que je devais donner.

Message I | 754 mots

Je ne suis pas venu pour souffrir
Phèdre & Andrea

Au ton employé par la blonde, j'avais retenu de peu de verbaliser mon affection pour les hérissons. Je lui aurais bien proposé d'échanger mais je doutais qu'une vache rose puisse la tenter davantage. Alors je n'avais rien dit, plongeant dans les entrailles du labyrinthe dans un silence gêné. Je n'étais pas à l'aise. Le noir ne m'effrayait pas en règle générale, j'aimais sortir la nuit pour scruter le manteau étoilé et contempler le filtre argenté que les lunes jetaient sur le monde. Ici, les ténèbres s'amoncelaient de chaque côté et je devinais à l'écho de respirations, le frottement de vêtements, qu'elles étaient habitées. Ce ne sont que les organisateurs, et des illusions. Rien de plus, songeai-je pour me rassurer. Même si Phèdre n'en paraissait pas enchantée, j'étais heureux de pouvoir tenir sa main. Savoir que je n'étais pas seul rendait l'expérience moins angoissante. « J'ai connu des nuits plus paisibles. » convins-je avec un demi - sourire, que je perdis immédiatement quand une silhouette éthérée jaillit sur nous. Mon visage pâlit, rivalisant de blancheur avec la teinte de l'agresseur. Figé de surprise et de peur, mes tympans résonnant encore du cri de Phèdre, je fixai le fantôme avec des yeux exorbités avant d'être tiré en avant, la main broyée par l'adolescente. Courir n'avait jamais été un plaisir, comme la majorité des sports, mais l'urgence commandait que je ne joue pas les précieux en cet instant et je suivis la blonde dans le dédale, le cœur frappant dans ma poitrine à mille à l'heure. Sa panique m'avait tant contaminé que je tombais dans le piège avec le même élan. « Ouchf ! » Mon menton avait heurté violemment le sol et je sentis une chaleur humide rouler dessus avant que la douleur n'éclate sur ma langue. Je n'avais rien pour m'essuyer et je n'osais pas tâcher le kigurumi avec du sang. J'avais bien un mouchoir en tissu dans mon pyjama mais il me faudrait rouvrir le costume, puis - je sursautai violemment au hurlement et il s'en fallut de peu pour que je ne détale pas à nouveau, l'adrénaline vibrant encore dans mes membres. À genoux, je me rapprochai d'elle. « Est-che que cha va ? » lui demandai-je, assez inutilement, articulant avec difficulté. J'avais l'impression que ma langue avait doublé de volume et occupait toute la place dans ma bouche. J'avais envie de cracher le sang mais je n'osais pas. L'avaler était hors de question. Résigné, je m'essuyai avec la manche, maculant de rouge les poils fuchsia. « Tu t'es fait mal ? Tu peux te relever ? » Je voulais juste qu'elle cesse de crier et de s'agiter. Son comportement roulait mes nerfs en pelote. Je jetai des coups d'oeil nerveux de part et d'autre. Mon visage se ferma. Il fallait qu'on y aille. Sans la toucher, je me penchai et tâchai de prendre une voix apaisante pour la raisonner. « Écoutes, che te propose qu'on che dépêche de chortir. Tout cha n'est pas réel, che chont des illuchions, et perchonne ne va nous faire de mal pour de vrai. » Elle avait peur, mais moi aussi. Je ne me croyais pas capable de la protéger et ne le lui promit pas. Je me relevai et tendis une main. « Che t'aide à te relever ? Plus vite on chera chorti, plus vite tu retrouveras Iphichénie. » Et plus vite je retrouverais ma tranquillité. Plus loin, je vis une araignée aussi haute que les murs sortir d'un couloir adjacent et mon cœur rata un battement. Je n'aimais vraiment pas les jeux. « Dépêchons-nous. Ne regarde pas derrière toi. » la pressai-je, et je pris d'autorité sa main et la tirai en avant. J'adoptai un petit pas de course, plissant les yeux pour discerner les obstacles dans le noir. Au loin, je vis deux élèves brandissant des armes, leurs costumes rougis de sang et je pris résolument le chemin oposé pour les éviter.

Message II | 688 mots