Les loups dans la bergerie

Musique

Adriæn s’entraînait depuis l’enfance à reconnaître les émotions sur le visage des personnes de son entourage. Il modelait les traits du sien en fonction de ce qu’il avait analysé. Il savait qu’il ne devait pas oublier de créer des plis autour de ses yeux pour que ses sourires eussent l’air véridiques. Les sourcils jouaient également un rôle déterminant dans la communication des expressions. Quelqu’un qui n’en possédait pas avait toujours l’air étrange. Ainsi, lorsque ses yeux céruléens se posèrent sur le visage rosé de Marie-Jane, il y repéra les mêmes tourments que sur celui d’Hélène. Ces tourments-là voulaient dire qu’il disposait d’un avantage considérable dans la relation. C’était à lui de faire en sorte de le garder et de l’alimenter. « Hum hum ? » l’encouragea-t-il à poursuivre son idée. Si cela n’avait tenu qu’à lui, ils auraient fabriqué et vendu de la drogue. C’était bien plus lucratif que de pâtisser et d’échanger un bout de gâteau contre quelques pièces. Néanmoins, dans le monde des gens respectables, cela ne se faisait pas. La drogue était mal ; comme violer ou tuer. Il n’était clairement pas respectable.

Il l’écouta, en se posant des questions sur elle. C’était une Walok’Krine. Il y en avait plusieurs à Basphel. Ça ne l’avait jamais étonné plus que cela, puisque certaines familles jouissaient d’une étendue mondiale. Néanmoins, ce qui l’interrogeait plus était la présence de ces étudiants très liés entre eux. C’était curieux. Ils ne pouvaient décemment pas être frères et sœurs mais avaient l’air de tous se connaître parfaitement. Assis à côté d’elle, il posa son coude sur la table et appuya sa joue dans la paume de sa main pour mieux la regarder. Plusieurs choses le préoccupaient en ce moment. Se retrouver au milieu de samaritains lui changeait les idées. Il pencha un peu la tête, comme s’il cherchait à l’apercevoir d’en dessous – ou à mieux la faire rougir. Il sourit. « Ce n’est pas grave, ne t’en fais pas. Tes idées me semblent plus intéressantes que les miennes en plus. » Enfin… plus ou moins. Ses idées à lui n’avaient simplement rien de moral. « Je suis content d’enfin te parler. » laissa-t-il échapper l’air de rien, avant de changer de position et de croiser ses doigts ensemble. Il regarda devant lui et réfléchit à alimenter son idée. Pour tisser des liens, il valait mieux avancer ensemble dans la même direction. « On pourrait même demander à toutes les associations de nous aider ! Si chacune fait quelque chose, on pourra récolter de l’argent plus facilement. » Il la regarda de nouveau. « Bien sûr, ça demandera beaucoup d’organisation si l’idée est adoptée mais… je suis sûr qu’avec des gens motivés, on y arrivera. » Motivés comme elle était le sous-texte qu’il était possible de lire dans son regard. « J’ai des amis dans plusieurs associations, ils ne seront pas difficiles à convaincre. Ça me permettra aussi de parler avec Kiara et de l’inclure. La pauvre, depuis toutes ces rumeurs elle a l’air de déprimer un peu. Ce serait bien de faire quelque chose pour lui remonter le moral. Parfois elle me fait peur. Je crains qu’elle fasse une bêtise… »

529 mots

Les loups dans la bergerie

Musique

Les yeux sur Marie-Jane, Adriæn réfléchissait. L’adolescente lui donnait des idées. Sa volonté d’aider autrui traçait dans son cerveau de nouvelles possibilités. Ses ennemis étaient les suivants : les femmes de son espèce, Dastan Belegad, Érasme Salvatore et, dans une moindre mesure, Lucius Paiberym. Sa sœur constituait elle-aussi un problème mais il l’incluait dans le premier d’entre eux, au même titre que Susannah depuis que ses lèvres de pachyderme avaient caressé celles de Johannês. Comme il tenait à son vernis de gentillesse, il ne pouvait pas s’occuper lui-même de ces points. Surtout, certains d’entre eux étaient pour le moment inatteignables. Néanmoins, entre le pacte qu’ils avaient tous signés et le fait que certains de ses ennemis étaient également ennemis avec le reste de sa liste, il y avait peut-être quelque chose à faire. Il avait pu observer certaines choses et… finalement Marie-Jane avait raison : travailler en équipe était parfois bénéfique. Le point central de son raisonnement tenait en la personne d’Érasme. Le Réprouvé et lui vivaient une relation complexe que l’inimitié entre leurs deux peuples avait tendance à ternir. Le Sorcier détestait le Magicien. En tant que Sorcier, il haïssait fatalement les Sirènes. Et lui, Adriæn, en tant qu’Ondin détestait aussi les Harpies des Mers qu’étaient les femmes de sa race. À partir de là, il pourrait aider le Mage Noir à forcer les aveux du Réprouvé et à régler son compte au Magicien. En échange, le Sorcier l’aiderait à esclavager les Sirènes – ce qui lui donnerait une légitimité plus grande à Amestris. Entre temps, il aurait convaincu les hommes de se rebeller et prendrait le pouvoir. Puis, lorsqu’il n’aurait plus besoin d’Érasme, qu’il tiendrait Lana en laisse, que Susannah servirait de nourriture aux poissons rouges et que Dastan aurait été décapité par son peuple, il emporterait Amestris dans un tsunami historique. Fin de l'histoire.

Le blanc hocha la tête. Oui, la situation de Kiara était terrible… terriblement satisfaisante. « C’est sûr. Tu as raison. » Il ne comprenait pas comment les gens comme Marie-Jane fonctionnaient. Pour lui, le monde était majoritairement rempli d’hypocrites qui ne pensaient qu’à eux. Se retrouver face à une fille si naïve était étrange. Il songea qu’elle n’était pas faite pour survivre. Il sentait d’ici le parfum prochain de la souffrance. Il s’interrogea : avait-elle déjà été abusée ? Les petits moutons se faisaient souvent dévorer par les grands méchants loups ; une fois, deux fois... jusqu'à disparaître. « Oh non pas du tout ! Je pense que ça lui ferait du bien si ça venait de toi. Moi, elle me connait déjà. Je vais la soutenir mais je crois que si elle voyait que quelqu’un d’autre s’intéresse à elle, ça lui remonterait le moral. Surtout toi, tu es vraiment… » Il s’interrompit et détourna les yeux, comme s’il était gêné ou cherchait ses mots. « Enfin, ce que je veux dire c’est que je… Disons que je trouve que tu es quelqu’un de bien. » C’était vrai. En ce sens, elle ferait un excellent faire-valoir. « Mais je ne veux surtout pas te forcer. C’est comme tu veux. » Il lui sourit, avec l'air de réellement lui donner le choix. Sa formulation était pourtant faite de façon à ne pas le lui laisser. Les études le prouvaient : dire à une personne qu'elle avait le choix la faisait pencher vers l'acceptation.

509 mots
FINNNN