Les cris de joie de l'enfant retentirent à travers la maisonnée et se propagèrent jusqu'à l'autre bout de la rue tant ils étaient intenses. « C'est vrai ça ?! C'est vrai que tu vas me montrer la Surface ?! ». Alþjófr lui avait déjà confirmé trois fois. La nouvelle était cependant si incroyable aux yeux de son fils qu'il lui fallu lui répéter encore une quatrième fois. « Puisque je te le dis. ». La réaction du garçonnet ne se fit pas attendre. « YOU-PIIIIIII ! » s'exclama-t-il encore avant se précipiter à l'extérieur pour partager au quartier et à la ville entière la nouvelle de son aventure à venir. « Tu es sûr de ce que tu fais ? » intervint enfin Án après une seconde de silence. Le forgeron se rapprocha de celle-ci pour l'enlacer avec toute la tendresse du monde. « Oui. Parce qu'il n'y a pas meilleure protection pour un enfant que son parent. Surtout s'il s'agit de sa mère. » rassura-t-il la Naine tout en la surprenant. « Comment ça ? » répliqua-t-elle en s'écartant légèrement pour ancrer son regard étonné dans celui trop plein d'amour et d'aventure de son époux. « J'ai besoin de toi pour une tâche importante. ». commença-t-il à expliquer, attisant un peu plus l'étonnement de la rousse. Alþjófr s'écarta d'elle pour rejoindre la fenêtre et guetter son fils à l'extérieur. Celui-ci n'apparaissant pas dans son champ de vision, il reporta sa pleine intention sur Án. « J'aimerais que tu rejoignes les Archipels de Maggie et que tu gagnes l'île de Ryvië pour moi. » - « L'île de Ryvië ? ». Outre l'incompréhension de la Naine, elle paraissait également totalement déboussolée. « Je ne comprends pas. Pourquoi tu veux que j'aille là-bas ? Je ne sais même pas où se trouvent ces archipels. ». Il était vrai que le monde extérieur importait peu au Petit Peuple encore aujourd'hui. Malgré l'ouverture de leurs portes, les liens qu'ils entretenaient avec les autres races demeuraient pour l'instant inexistant, donc peu intéressant. Ils étaient encore nombreux à considérer ces étrangers comme des barbares qui menaçaient leur intégrité à fouler la Terre de Feu sans se figurer un instant la raison ayant mené leurs hôtes à l'isolement. « Parce qu'il s'agit d'une île qui m'a été, comment dire ça, légué ? Bref, aux yeux de ses résidents, j'en suis le roi. » - « Le roi ? » répéta-t-elle, de plus en plus troublée. À chaque détail que donnait Alþjófr pour expliquer de quoi il parlait, Án semblait être, à l'inverse, de plus en plus confuse. « Oui. Je ne sais pas trop comment ni pourquoi la chose a été décidée ainsi, mais le fait est que depuis le premier jour, et même avant, j'en suis le souverain légitime. De ce que les locaux m'ont dit en tout cas. ». Il se rapprocha et posa délicatement les mains sur les épaules de sa femme. « Un groupe est censé partir pour cette terre sous peu. Et c'est pour ça que je te demande d'en faire partie. Tu es ma reine. Par extension la leur. Ils t'écouteront. » conclut-il en remontant les mains jusqu'à sa nuque, ses pouces caressant les contours de sa mâchoire. « Pourquoi tu n'y vas pas toi ? » questionna Án, inquiète par avance de la mission que lui confiait son aimant. « Tu les connais déjà. Tu connais déjà les terres d'En-Haut. Tu maîtrises bien plus leur langue et leurs mœurs. Tandis que, moi, je serais bien incapable de reconnaître un Ange d'un Démon. » ajouta-t-elle, les lèvres pincées et la voix frémissante alors qu'elle baissait les yeux, terrifiée par l'inconnu. « Je dois retourner à Utopia. Notre roi a autorisé cette expédition, néanmoins l'ouverture d'un dialogue diplomatique avec les Humains reste prioritaire sur le reste. ». Án ne rétorqua rien, murée dans le mutisme et ce, plusieurs secondes durant. Enfin elle releva le visage comme elle s'empara des mains du forgeron pour les enfermer ensemble dans les siennes. Elles ne pouvaient totalement les emprisonner cependant. Elles étaient plus grandes que les siennes. Plus rugueuses. Elles étaient comme leur propriétaire, avides de liberté, plus à l'aise loin de l'isolement, possédant une soif intarissable de respirer l'air extérieur. C'était aussi pour cela qu'elle s'était attachée à lui. Pour son côté rêveur résolu mais empli de l'espoir d'un jour pouvoir les concrétiser. Il était de ces quelques Nains dont le regard dépassait la frontière de la Terre de Feu pour se porter au-delà des mers avec cette éternelle question : et si ? Et si les Nains retournaient à la Surface, serait-ce si grave ? Et si le monde connaissait leur existence, serait-ce si dangereux ? Et si les terres extérieures n'avaient rien à voir avec ce qui leur était enseigné et rabâché ? Et si les mœurs avaient changé depuis ? Aujourd'hui, une partie de ces questions avait été résolue. Mais toujours en naissaient de nouvelles. Et s'il était possible d'ouvrir un partenariat avec les autres races ? Et s'il était possible de retrouver la splendeur des jours anciens ? « Et s'ils ne veulent pas m'écouter ? ». Là était l'interrogation d'Án cependant. Qu'est-ce qui garantissait que ce peuple l'estimerait comme leur reine ? « Ils t'écouteront. » répéta Alþjófr en levant les mains pour porter celles de la Naine à ses lèvres. Alors il s'échappa à leurs emprises et alla récupérer sa dernière création. « Tu n'auras qu'à leur montrer ça pour preuve de bonne foi s'ils devaient tout de même douter. ». En même temps il lui tendit une épée courte dont la lame était incrustée d'une pierre blanche satinée. « Une arme ? » s'étonna la rousse. Si au sein du Petit Peuple il était courant de s'offrir de tels objets, y compris au sein d'un couple, il était de notoriété qu'à l'extérieur ce geste pouvait autant être une preuve de respect et de reconnaissance qu'il pouvait avoir des allures de menaces ou de déclaration de guerre. Tout dépendait du peuple, de la relation qu'entretenaient les êtres entre eux, et de la nature de leur lien. « Pas seulement une arme. Il s'agit de la reproduction d'une épée qui m'a été confiée là-bas. » corrigea Alþjófr. « Et Jari alors ? Il est encore si jeune. Je ne suis pas sûre qu'il soit prêt pour traverser les mers. » s'inquiéta à nouveau la mère de famille. Le Nain comprenait les craintes de son épouse. Lui-même en avait été assailli à plusieurs reprises, y compris lorsqu'il eut réfléchi à la demande qu'il faisait à Án. « Si jeune et déjà plein de rêves également. Je préfère qu'il apprenne à le connaître maintenant avec toi à ses côtés que seul plus tard. Tu le sais que dès qu'il sera en âge, lui aussi se jettera à l'aventure pour explorer les Terres de Sympan à son tour. » - « La faute à qui ? » répliqua la Naine avec un regard moqueur, accusant dans un rire son mari. Elle passa les bras autour de son cou puis l'embrassa. La vérité était qu'elle avait toujours su au fond d'elle que, depuis la première fois qu'Alþjófr était parti, elle se retrouverait un jour à explorer la Surface à son tour à cause de lui. Elle n'avait jamais songé que Jari fasse partie de ce voyage cependant.

Terre en vue ! » clama la vigie du haut de son mât. Án sortit sur le pont supérieur, suivi du reste des Nains qui l'accompagnait, et tous fixèrent l'horizon au loin, certains se trouvant obligés d'escalader des caisses ou de grimper aux haubans, non sans appréhension, pour pouvoir observer l'île de Ryvië enfin visible. Tous se sentaient soulagés de pouvoir bientôt poser le pied à terre. L'océan n'était pas un lieu qui seyait à un Nain. Ainsi, le voyage leur avait semblé, à une majorité d'entre eux, avoir été une éternité. Plus encore à Án qui avait passé son temps à veiller sur son petit qui s'était montré bien turbulent tant il était excité du voyage. Combien de fois avait-elle été gagnée par la peur irrationnelle de le voir passer par-dessus bord alors qu'elle-même atteignait tout juste le haut du garde-corps. Mais du fragment de ce désert bleu qu'elle pouvait voir, elle en était venue à le craindre plus que de raison. Elle ne pouvait donc cacher être rassurée de pouvoir enfin rejoindre la berge. Pourtant, et ce le temps d'une seconde, elle fut marquée par le phénomène étrange qui les frappa, elle et ses compagnons. À la seconde où ils posèrent pied sur l'île, ce fut comme une partie d'eux qui se volatilisa. Ce n'avait pas été douloureux, ni terrifiant, ou même dérangeant. C'était juste étrange. Un groupe émergea alors d'entre la forêt à proximité. « Bienvenus étrangers. Mon nom est Ivar, conseiller du Roi Alþjófr Oaka. Ce dernier est cependant absent, aussi je parlerais en son nom pour l'instant. ». Un murmure se propagea au sein du groupe de Nains, coupé par le raclement de gorge d'Án qui s'avança d'un pas de sorte à se détacher du comité. Elle n'avait jamais eu à s'exprimer de cette façon et s'en trouvait intimidée. Elle prit donc une longue inspiration. Les choses allèrent un peu mieux. « Merci pour votre accueil. » commença-t-elle avec un signe respectueux de la tête. « Je suis au courant de l'absence de votre souverain car c'est lui-même qui m'envoie ici. » déclara-t-elle avec toute l'assurance dont elle pouvait faire preuve. Le conseiller la fixa, intrigué. « Je m'appelle Án Oaka. Alþjófr est mon mari et je viens ici en son nom afin de prendre la régence à sa place, de connaître votre peuple dont il a la responsabilité, et de l'aider à forger un avenir prospère. ». Comme elle finit sa phrase, Jari se colla à elle, à moitié caché derrière sa mère. « Et voici Jari, notre fils. » ajouta-t-elle en s'écartant légèrement pour montrer le garçonnet. Durant toute son intervention, le conseiller la détailla avec des yeux ronds. Il ne s'attendait pas à cette venue. « Son épouse ? ». La Naine opina du chef. « Il m'a dit de vous confier ceci, en gage de bonne foi. » fit-elle en dégainant l'épée accrochée à sa taille et confiée par Alþjófr. « L'épée de la légende ! Je croyais que le roi l'avait laissé ici ? » intervint l'un des villageois. « Il s'agit d'une réplique. » rectifia le conseiller. « Quoique celle-ci soit des plus réaliste, l'épée est bel et bien demeurée sur l'île, à la place qui lui est due. » détailla-t-il ensuite en rendant l'épée à sa propriétaire. « Veuillez excuser cet accueil. Nous y aurions mis bien plus de forme si nous savions que l'épouse du Roi de la Montagne venait. » déclara-t-il alors, un large sourire épanoui aux lèvres. Plusieurs fois Alþjófr avait évoqué sa famille. A chaque fois le conseiller s'était demandé si un jour il verrait à quoi celle-ci ressemblait. C'était chose faite. « C'est pas le roi Ragnar ça, le Roi de la Montagne ? » interrogea Jari dont la situation lui échappait complètement. « Non, lui c'est le Roi sous les Montagnes. » corrigea Án, quoique elle-même surprise de ce qualificatif qui pouvait en effet prêter à confusion. Elle leva les yeux vers le volcan fumant. La montagne à laquelle faisait référence ce titre, supposa-t-elle. « Si vous voulez bien nous suivre. Nous allons vous faire visiter le village. » proposa finalement le conseiller en tournant les talons.