On fait quoi en attendant ce soir ?

Musique

Adriæn avait religieusement pris des notes. Le musée de l’Aliénation lui avait donné de nombreuses idées et il avait hâte de les mettre en pratique. La fascination des autres peuples pour les Vampires créait chez lui une envie certaine. Il avait envie de provoquer le même genre de sentiments, quand bien même il lui était difficile d’en ressentir lui-même. Il n’y avait que dans la confrontation et l’interdit que son cœur s’emballait. La dopamine pulsait dans son cerveau malade et lui donnait l’impression d’exister. Il aimait faire les choses par derrière et cette expression était valable au sens propre comme au figuré. Alors qu’il réfléchissait, son regard coula doucement vers un nouvel étudiant de Basphel : Tekoa. Sympan lui avait parlé de lui. L’Ygdraë ne savait pas ce qu’il était au juste mais ils s’étaient rencontrés dans le même endroit étrange dans lequel lui-même avait croisé Lana. Il savait qu’il était sauvage et qu’il priait beaucoup. D’après les dires du blanc, il valait mieux s’abstenir de remettre en cause l’existence des Ætheri en sa présence. « Salut. » lui lança-t-il, poussé par une envie étrange de se rapprocher de lui. Peut-être pourrait-il en faire sa chose ? Il semblait plus musclé que Johannês ; plus souple aussi. Il l’avait vu courir plus tôt. Il aimait assez la teinte caramel de sa peau. Côte à côte, le contraste se créait, encore plus qu’avec le Magicien. « Je suis Adriæn… je ne suis pas sûr de t’avoir déjà vu. » Sympan lui avait dit que Tekoa ne parlait pas bien le langage commun, malgré le fait qu’il l’eût très bien compris dans les souterrains. Le mystère restait entier. « Tu connais Sympan, n’est-ce pas ? C’est un ami à moi. » Le frère de Lana sourit. Il aimait paraître agréable, gentil et serviable.

Lorsqu’ils arrivèrent devant la porte menant à l’extérieur, Adriæn fit signe à Tekoa de passer devant lui. La rue s’offrit à eux. Il faisait relativement beau mais le soleil était parfois dissimulé derrière des nuages. Le quartier était animé, malgré l’absence des Enfants de la Nuit. Il faisait trop jour pour qu’ils sortissent. « Sympan m’a dit que tu venais ce soir ? » Le Fils d’Aylidis sortit un papier parfaitement plié de sa poche pour que le brun pût le voir. Il s’agissait de la dernière modification de l’Ygdraë. Le rendez-vous avait changé de position. « J’ai hâte… » laissa-t-il entendre, une phrase qu’il laissa en suspension dans l’air, en même temps que son regard se perdait sur le visage de son interlocuteur. Il se reprit cependant et demanda : « On fait quoi en attendant ce soir ? » Parce qu’ils n’étaient plus que tous les deux.

441 mots

Il me fallut un instant pour comprendre que l’on m’interpellait. Les Esprits discutaient tout autour de moi. Plusieurs fois, leur présence m’avait coupé du reste du monde. Les Vivants et les Morts, mais surtout les Morts, représentaient des lignes impressionnantes de dialogues. Au sein du musée de l’Aliénation, beaucoup y allaient de leur commentaire. Ceux qui avaient trépassé profitaient de leur mort pour se rendre dans des lieux jusqu’ici inconnus pour eux. La fin de la vie libérait les frontières et ouvrait de nombreux possibles. « Salut ? » répétai-je, toujours incertain. Cependant, le fait qu’il me regardât rendait la possibilité qu’il m’eût parlé plus que probable. Ses yeux me rappelèrent ceux de Dyonis dès que je les vis. Il était plus petit que moi. Je ne l’aurais jamais mis dans la catégorie des Ondins. Je les connaissais mal, même sous forme d’Esprits. Je me dis qu’il devait être un Sorcier ou un Magicien. « Tekoa. » me présentai-je. Depuis quelques jours, un Esprit me suivait. Il s’était moqué de mes difficultés à entrer en communication avec les autres et je l’avais mis au défi de m’aider. Il me traduisait donc les phrases et me fournissaient une aide précieuse pour les réponses. Espiègle, il lui arrivait de m’induire en erreur, ce qui créait des quiproquos importants. Généralement, vu mon accent à couper au couteau, l’on me pardonnait mes incompréhensions. « Oui je le connaître. » Je pensai qu’il avait un beau sourire, pas autant que le Sorcier mais il me paraissait difficile de le battre tout en n’étant pas un Chaman. « Tu devrais te méfier de lui. » me conseilla l’Esprit. C’était un ancien étudiant de Basphel qui avait beaucoup aimé sa vie au cœur de l’école. Il y passait sa mort, à épier les étudiants et leurs intrigues. Un pourquoi me brûla les lèvres mais je n’eus pas besoin de poser la question. « Il est dérangé. Il viole l’un de ses colocataires la nuit… » Je fis la moue. « Il lui fait des choses sexuelles que l’autre ne voudrait pas. » simplifia-t-il finalement. Aucun Esprit ne m’avait encore dit que j’avais subi la même chose de la part de Dyonis. Il était plus facile de parler sur certains Mortels que sur d’autres.

Surpris, je le suivis tout de même. Le consentement avait une valeur étrange chez les Chamans. Je n’en avais jamais vraiment entendu parler puisque tous les Chamans étaient d’accord pour participer aux orgies et autres célébrations religieuses qui impliquaient du sexe. Dans l’intimité, je n’en savais rien. Je ne m’intéressais pas à ce genre de choses et n’avais jamais entendu d’histoires sur quelqu’un qui aurait forcé quelqu’un d’autre. « Oui. » répondis-je. Je privilégiais les phrases courtes, même si mon traducteur tentait de me faire des réponses développées. « Il est vraiment dérangé… » murmura l’Esprit, en étudiant le faciès de l’Ondin. « On va le calmer un peu. » Le ton était plus joueur que sec. « Dis-lui : on peut mettre la plume dans l’encrier. » Je fronçai les sourcils. Ça devait être une activité que je ne connaissais pas. « On peut mettre la plume dans l’encrier ? » répétais-je, en le regardant d’un air sérieux et convaincant.

541 mots

On fait quoi en attendant ce soir ?

Musique

Adriæn cligna deux fois des yeux, incrédule. « Pardon ? » demanda-t-il, sans attendre de réponse. C’était une question visant à lui faire gagner du temps. Il avait envisagé de se servir de ce garçon et avait songé au chemin pour y parvenir. Jamais il n’aurait pensé qu’il pût lui proposer directement de… Il s’en trouva ébranlé et le goût âpre de la déception s’installa sur sa langue. Ce n’était pas ce qu’il avait envisagé et le jeu venait de perdre toute sa saveur. Il aurait voulu le travailler, le modeler petit à petit et le faire tomber dans ses filets. Il n’aurait pas pu s’échapper et, là, il se serait inséré en lui. Il retint un soupir. Un élément supplémentaire le tourmenta. Tekoa connaissait Sympan et s’il lui proposait ce genre de choses directement, peut-être que l’Ygdraë avait ouvert sa grande gueule. La question était donc de savoir ce que le garçon connaissait de lui. Savait-il qu’il se tapait Johannês ? Le scientifique et lui ne parlaient pas de tout mais cet élément en particulier les liait tous les deux. Par son silence et son aide, Sympan se rendait complice. Pourquoi en aurait-il parlé à son interlocuteur ? À moins que lui aussi s’adonnât à quelques pratiques répréhensibles ? En réalité, Adriæn ne pensait pas réellement que ce qu’il faisait à Johannês était mal. Il songeait plutôt que la société ne pouvait pas comprendre l’amour qu’il portait à son meilleur ami. Ce dernier lui appartenait et lorsqu’il le caressait, il lui prouvait qu’il l’aimait.

Il finit par sourire. « Je suis flatté par ta proposition mais je ne suis pas attiré par les garçons. » Ce n’était pas vrai. Ses goûts sexuels n’avaient rien à voir avec le sexe de l’individu. Ils résultaient d’une volonté crasse de domination et de destruction. Quand il couchait, il avait surtout envie d’assassiner sa partenaire. Ça ne lui faisait pas le même effet avec Johannês, parce qu’il était sa chose et qu’il l’aimait. Néanmoins, toutes les expériences qu’il avait pu avoir en dehors s'étaient soldées par cette envie d’étrangler l’autre et de lui faire mal à l’en faire crever. En plus, en tant qu’Ondin, et donc sexe faible, il ne pouvait pas avouer être attiré parfois par les hommes. Encore une fois, ce n’était pas lié au sexe mais ce serait ainsi que le monde le prendrait. Sa sœur le raillerait d’autant plus. En pensant à elle, un petit sourire s’installa sur ses lèvres. Elle aussi lui appartenait ; elle était une partie de lui.  « Ne te sens pas gêné. J’en ai vu d’autres. Et si on allait plutôt chercher des choses à manger pour ce soir ? » Adriæn commençait à être doué en manipulation, même s’il avait mis beaucoup de temps à réagir aux propos de Tekoa. « Je suis curieux de goûter les spécialités au sang, même si je pense que ce serait plus sage de trouver des choses plus communes en sus. » Il lui fit un signe vers la sortie. Il le regarda néanmoins encore et posa une question. « Ça fait longtemps que tu sais que tu es attiré par les hommes ? Sympan et toi vous avez… ? » Il s’interrogeait sur la vie du blond qui semblait ne se formaliser de rien et vouloir tester absolument tout ce qui existait. C’était ainsi qu’il s’était retrouvé avec un piercing au téton ou qu’il s’était fait tatouer une formule mathématique sur la cuisse.

577 mots

« C’est typiquement le genre d’individus qui ne supporte pas qu’on lui offre ce qu’il veut. » commenta l’Esprit, avant de me traduire ce qu’il m’avait répondu. Je voulus lui demander pourquoi est-ce qu’il me disait ça mais parler au vide n’était pas très bien vu des autres peuples. On m’avait raconté que certains finissaient enfermés pour ça. Combien de Chamans se trouvaient-ils au sein des prisons et des hôpitaux ? Je n’étais pas attiré par les garçons particulièrement mais les us et coutumes de mon peuple faisaient des orgies une norme difficilement contournable. Ce n’était pas une question de goût sexuel. Il s’agissait d’honorer les Ætheri. La beauté qui s’échappait de Dyonis n’avait rien de sexuelle pour moi. Je le trouvais beau parce qu’il l’était, affreusement magnétique plus précisément. Comme je n’avais pas de volonté d’entrer en compétition avec qui que ce fût, je pouvais autant admirer les filles que les garçons. N’en restait pas moins que les derniers ne m’intéressaient pas en eux-mêmes. Quant aux filles, j’avais sans doute dépassé ma détestation infantile à leur égard sans m’en rendre compte. « Pas de problème. » répondis-je, toujours avec un accent à couper au couteau. « Et il essaye de se faire passer pour le gentil…. Vraiment, ce type a de gros soucis… » Je ne savais pas s’il avait des problèmes ou non mais, pour le moment, ça m’était égal. En sortant d’Awaku No Hi et en voyageant, je m’étais retrouvé confronté à des peuples qui auraient très certainement pris les Chamans pour des fous, alors même que nous étions dans le vrai. Une forme de rage m’avait souvent saisi face à tous ces ignorants. Ils n’avaient pas idée de la plupart des cultes, priaient mal ou pas. Les Réprouvés restaient les plus problématiques. Zawa’Kar aurait dû les exterminer. « On peut acheter des aliments normaux et verser notre sang dessus. » J’essayais de répéter les propositions faites par l’Esprit et qui me convenaient le mieux. Ce mode de fonctionnement créait toujours un petit temps de latence.

À l’entente du nom de Sympan, je me sentis fier. Dès que je reconnaissais sans aucun doute un mot, je sentais que je progressais. En l’occurrence, connaître un prénom n’aidait pas au dialogue mais ça m’allait quand même. L’Esprit m’expliqua deux-trois choses, comme le fait qu’entretenir le mystère était mieux que de répondre franchement. « Je te laisse deviner. » articulai-je donc, pas très sûr de savoir où tout ceci devait nous mener. Le mort se mit à rire. Je n’aimais pas quand il montrait son hilarité. « Je pense que ta réponse va le rendre fou. » Il plaça ses mains dans ses poches éthérées. « Allez, sortons d’ici. » décréta-t-il, avant de me donner le la. « On y va ? » demandai-je.

465 mots
Fin