Ko innu
The Banks of the Sansretour - Piotr Musial

Partenaire : Solo ♪
Intrigue/Objectif : Quotidien du trio après l'accident sur l'Opalescent. Ren obtient une toute première prothèse pour son bras mutilé.
RP précédent : Complots, plantes et épées couronnées

Sur l’Île d’Orhmior.

Accoudé contre la balustrade du balcon, je pris une profonde inspiration. La clameur douce et reposante du soir envahissait mon ouïe. Une fois de plus, j’avais échoué à fermer les yeux pour cette nuit et c’est pourquoi je posais ces derniers sur le firmament qui me surplombait. La frénésie des cieux se calmait jours après jours. S’il y a quelques mois encore, les étoiles n’avaient eu de cesse de traverser et de déchirer le ciel, aujourd’hui, nous remarquions facilement une quiétude dans leur ballet céleste; un retour au calme après cette folle énergie qui avait fiévreusement animé nos jours comme nos nuits. Même si le phénomène persistait encore, les cieux, désormais, me semblaient bien plus vides, bien plus tranquilles. Toutefois, c’était certainement pour le mieux. Depuis que notre voie lactée avait été parcourue par toutes ces comètes et étoiles filantes, les phénomènes les plus étranges avaient commencé à éclore ici et là, sur Terre. Celui qui me touchait plus particulièrement était ce problème maritime entourant l’invasion de la sauge prolifique qui tuait les habitantes des eaux salines. L’Escadron Imuō – notre faction des sciences et du développement au sein de l’Armée angélique – poursuivait leurs recherches et analyses, mais nous, patrouilleurs des lisières, devions constamment scruter l’Océan; plus que jamais, il nous était demandé de renforcer notre vigilance afin de cibler tous changements et anomalies qui pourraient devenir une menace pour nos côtes insulaires. À l’exception de quelques émersions de cadavres à la surface de nos mers, rien de plus n’avait encore été signalé. Le phénomène inquiétait, rendait curieux – cela allait de soi – mais nous pouvions au moins nous réjouir qu’aucun des nôtres n’avaient eu la malchance de finir comme ces Vampires de la Mer : transpercés jusqu’à la Mort.

« Mraaaaw! »

Pepito me rejoignit dans un saut agile et se déposa gracieusement sur le garde-fou du balcon. L’or fondu de ses pupilles observait le firmament avec attention, alors qu’il s’asseyait en toute sérénité sur la bordure de la rambarde. D’un mouvement, il fit disparaître le bout de ses pattes dans l’épaisseur de sa queue, et laissa la brise nocturne caresser la pointe de ses oreilles, fièrement redressées sur son crâne d’ébène. Silencieux, je le considérais du coin de l’œil tout en appuyant mon menton dans le creux de ma main. Lui aussi était venu dehors pour s’imprégner de la tranquillité des lieux? Distraitement, je posais mes doigts sur son col, caressant son pelage avant de reporter mon œillade vers les cieux. Nous restâmes dans cette position un long moment, et ce, jusqu’à ce que l’appel du devoir m’apostrophe au creux de mon esprit.

« Rentrons », déclarais-je en ouvrant le battant qui séparait le balcon de l’intérieur de mon appartement.

Étonnamment docile, le matou se laissa entraîner dans mon sillage et je refermais la porte derrière lui. Je ne savais vraiment plus comment me positionner vis-à-vis de cet animal… Toutefois, il s’agissait d’une réflexion que je remis à plus tard. Parce qu’à présent, je voulais me concentrer sur un tout autre sujet : j’avais une lettre à rédiger.


◆ 508 mots | Post I

Ko innu, traduit du Naciaze, signifie « Sans bras. »

Ko innu
The Banks of the Sansretour - Piotr Musial

Le Soleil n’illuminait pas encore notre firmament quand une lueur, aussi chaude que fragile, fit son apparition au cœur de la nuit, à la hauteur de ma fenêtre. Assis derrière mon bureau, Pepito sur mon épaule, je partis à la recherche d’un morceau de parchemin avant de m’armer d’une plume et de mon encrier. Puis, posant avec confiance la pointe de celle-ci à la surface du papier, je m’engageais aussitôt dans une rédaction brève et posée.

Bonjour à vous, Seigneur de Smara, Dame Tobiah Ilbrusäara.

Je suis le Capitaine Isiode Yüerell de l’Armée angélique. Enchanté. Ne sachant à quelle autre entité je pourrais adresser ma missive, je me permets de vous écrire personnellement dans l’espoir que vous puissiez répondre à ma demande et la relayer à la bonne personne, si besoin est.

Récemment, l’une de mes plus précieuses connaissances a été gravement blessée à la suite d’une violente altercation en mer. Si nous pouvons nous réjouir qu’aucun homme ne soit mort au cours de cet accident, il est tout de même regrettable de savoir que plusieurs ont été blessés durant le combat, dont mon Orine, mademoiselle Ren Muramasa.

Je repensais à ce premier jour où nous l’avions vu dans son état actuel, étendue telle une princesse endormie de conte de Faes. Elle se reposait avec tant de sérénité qu’il aurait pu être facile d’oublier les blessures qui s’étaient gravées sur son corps; d’oublier le bras qui lui avait été sauvagement arraché; d’oublier son visage à jamais défiguré par les rainures creuses, épaisses et noires qui striaient désormais tout le côté droit de son faciès.

Elle a été mutilée de son bras droit et rendue partiellement aveugle.

Si je n’étais pas toujours présent pour l’accompagner dans son quotidien, je savais pertinemment qu’elle peinait à surpasser son handicap. Malgré la distance qui nous séparait, je percevais parfois des fragments de sa détresse au cœur de mon subconscient. Ces derniers pénétraient mon esprit à la manière de lames effilées : aussi brûlants que de l’acier chauffé à blanc, aussi perçants que des pieux fichés en terre, aussi tranchants que des serres. D’autres fois, je prenais conscience de sa ruine psychologique par le biais des récits que me communiquait mon frère. Par ailleurs, c’était au détour de l’une de nos conversations que nous nous mîmes à songer à une solution.

Si nous n’avons pas encore trouvé de moyens pour soigner sa cécité, avec mon frère, nous avons espoir de pouvoir au moins la soulager d’un poids en lui offrant un tout nouveau bras.

◆ 426 mots | Post II

Ko innu
The Banks of the Sansretour - Piotr Musial

Pepito agitait sa patte tout près de mon oreille. Je pouvais percevoir les coups qu’il portait dans le vide et pourtant, ne fis rien pour calmer son entrain juvénile. J’avais tout simplement renoncé à le faire, car le matou s’était récemment trouvé une toute nouvelle activité pour passer le temps : jouer avec les mèches, plus longues, de mes cheveux. Afin de contrebalancer son énergie parfois épuisante, j’avais décidé de lui opposer une force contraire en ne lui adressant pas l’attention qu’il quémandait avec autant d’acharnement. Ainsi, en faisant fi de l’excitation du félin sur mes épaules, je trempais une nouvelle fois le bec de ma plume dans l’encrier avant de reprendre l’écriture de la missive.

Nous nous sommes renseignés et avons exploré plusieurs possibilités, jusqu’à ce que votre nom nous soit mentionné. Nous avons été mis au courant que l’un de vos Vaisseaux œuvre actuellement à la création et au développement d’appareils artificiels qui sauraient restituer fidèlement les membres humains et leur motricité, mais qu’en raison du caractère tout récent des travaux, la technologie n’est encore qu’à un stade embryonnaire.

Nos référents nous avaient averti, en remarquant notre intérêt de plus en plus grandissant : il avait fort à parier que Muramasa serait contrainte à passer par plusieurs versions de ces fameuses prothèses avant d’en posséder une de manière définitive.

Malgré cela, nous serions très intéressés à mettre la main sur l’un de ces appareils pour l’offrir à notre amie. Elle comprend parfaitement ce qui l’engagera et sera prête à rejoindre, auprès de vous, toutes opérations et suivis qui seraient nécessaires pour vous aider à améliorer la technologie de vos prothèses.

Devant une telle opportunité, l’Orine n’avait pas réfléchit à deux fois avant d’accepter que nous prenions contact avec l’Empire des Enfants de Yanna. Son cœur s’était soulevé dans un hurlement de bonheur et son regard, avide, s’était rapidement tourné en direction de son erhu délaissé. Depuis la perte de son bras, elle n’avait pu profiter des notes et de la mélodie de l’instrument. Elle avait eu l’impression que son âme pourrissait, déconnectée de la sorte à son Art Divin. Toutefois, à l’entente de cette nouvelle, son visage s’était éclairé comme nous l’avions rarement vu ces derniers jours et ses doigts s’étaient aussitôt mis à trembler sous le coup de l’excitation et de l’émoi. Isley avait souri, l’avait pris dans ses bras, et un vent de fraicheur était venu balayer les soucis qui n'avaient cessé, jusqu’ici, d’obscurcir mon esprit. Muramasa n’avait pas mérité ce qui lui était arrivé… Peu importe comment cela était arrivé.

Dans l’espoir que nous aurons, très bientôt, de vos nouvelles, Dame Ilbrusäara. Que les sept Vertueux vous préservent.

Capitaine de l’Escadron Dọkuta, Isiode Yüerell

Je révisais une dernière fois mon message avant de me retirer de mon bureau. Sur mon épaule, Pepito se mit à miauler par dépit. Je soupirais.

« Je dois simplement déposer cette lettre. Après quoi, je pourrais jouer avec toi. »

Aussitôt, le matou fit connaître son plaisir dans un ronronnement ravi.


◆ 504 mots | Post III

Ko innu
Rhea Island - Tomoya Ohtani

Quelques jours plus tard, sur les Terres d’Iyora.

Perçois-tu ma voix? J’acquiesçais d’un signe de la tête. Fixé au mien, son regard empli de verdoyance brilla d’une brève étincelle. Excellent. Recommençons l’exercice. En méditation, l’un en face de l’autre, je fis ce que nous faisions depuis quelques sessions d’entraînement déjà : fermer les yeux, faire le vide dans mon esprit et me concentrer uniquement sur sa présence. Essaye de me parler, de me transmettre ta voix par la pensée. De nouveau, j’hochais de la tête avant de prendre une profonde inspiration, laissant flotter mon esprit jusqu’à son être, jusqu’à ce qu’il frôle les contours inconstants de son âme. Est-ce… m’entends…? La jeune femme esquissa un léger sourire devant le raté. Ce n’est pas tout à fait ça. Concentre-toi, m’encouragea-t-elle. Je pressais plus fermement mes paupières au-dessus de mes yeux, tentant d’éliminer toutes réflexions frivoles et distractions superflues. Je ne devais porter attention qu’au Lien qui nous unissait, ce même Lien qui avait inéluctablement tissé entre nous nos Destins. Depuis ce jour où son bateau avait été attaqué, où son esprit s’était raccroché à nos âmes, en plein désespoir, nous avions maintes et maintes fois essayés, elle et moi, de recommuniquer par la pensée. Il s’agissait d’une connexion que je n’étais jamais parvenu à établir auprès de notre Orine, au contraire de mon frère. Cependant, cet accident avait déverrouillé un blocage, avait éveillé une révélation, et pour la toute première fois, Ren avait perçu ma voix dans son esprit.

« C’était si clair et limpide, comme si tu m’avais parlé à quelques centimètres à peine de mon oreille, m’avait-elle conté quelques heures seulement après qu’elle eût émergé de son lourd et douloureux sommeil. J’ai reconnu ta voix et celle d’Isiode. Je vous ai tout de suite appelé. J’ai hurlé de toutes mes forces… Mais l’eau rentrait dans mes poumons, le sel enflammait ma gorge. Je sentais mon corps se rapiécer, se déchirer. J’avais l’impression de tomber en morceaux. »

À ce moment-là, elle avait encore de la difficulté à distinguer son environnement. Son œil était resté hagard un certain temps, à flotter dans la vague, tandis que sa concentration, volage, avait peiné à comprendre ce que nous lui communiquions. Elle était auprès de nous physiquement, mais parfois, c’était comme si son esprit retournait au fond de l’Océan : ses doigts se raccrochaient alors désespérément à nos vêtements, ses paroles attendaient constamment une réponse de nos voix… Nous devions incessamment lui prouver que nous étions à ses côtés pour ne pas que son subconscient replonge dans les eaux glaciales qui l’avaient écharpée. Par chance, cette tension s’était amenuie au fil du temps et nous pûmes tranquillement lui apprendre ce qui était survenu cette journée-là.


◆ 446 mots | Post IV | Puisque l’Orine et son/ses Aisuru peuvent communiquer entre eux par la pensée grâce au Lien, je rectifie le tir avec Isley ♪

Ko innu
Rhea Island - Tomoya Ohtani

Je restais silencieuse. Ils restaient silencieux. La chambre, dans son intégralité, n’était que silence et suspension, alors que mon regard s’était figé sur un point de l’horizon, incrédule.

« Quoi…? »

Je ne comprenais pas. Ils m’avaient tout raconté et pourtant, je ne comprenais pas un traître mot de ce qu’ils m’avaient partagé.

« Pourquoi quelqu’un…? »

L’inflexion mourut au fond de ma gorge. Une boule obstruait ma respiration, empêchait toute parole de se faire entendre. Je suffoquais, mais ne le montrais point : seul le tremblement de mes lèvres pouvait leur permettre de deviner que cette agressive émotion me poignardait. Pourtant, tout mon être – de mon esprit à mon corps – finit par se désagréger face à la fatalité contre laquelle il était confronté. Lentement, ma main remonta jusqu’à mon faciès, l’extrémité de mes phalanges effleurant les difformités qui avaient forcé et cruellement gravé leur passage sur ma peau. Le contact n’était pas agréable. Ma chair était couverte de fissures plus ou moins creuses, une arabesque d’encre et de poison qui avait brûlé près de la moitié de mon visage. Je frissonnais, laissant ma main poursuivre son chemin. Elle descendit jusqu’à mon épaule et caressa avec appréhension le moignon de chair qui avait tenu sur le reste de mon corps. Un séisme émotionnel me déstabilisa soudain.

« Ce n’est qu’une supposition, intervint rapidement Isley en remarquant les soubresauts ininterrompus de mon corps. Nous devons encore explorer toutes les possibilités. Il pourrait tout aussi bien s’agir d’un sabotage fait par un membre de l'équipage et–

- Mais cette théorie n’est pas écartée non plus, puisque je suis la seule à être tombée… Je me retournais vers le second Yüerell qui, muet, se tenait à proximité de Wakiya, assise non loin de mon lit de convalescence. La corde qui me soutenait n’a pas été abîmée ou coupée au courant de l’accident, et aucun ennemi n’est monté à bord pour rompre les cordes des passagers. Isley se mordit la lèvre inférieure, les poings serrés. Et Waki… n’aurait jamais laissé un tel accident arriver », murmurais-je en posant un sourire vide sur mes lèvres, portant toute mon attention en direction de la jeune Hanatsu.

L’instructeur militaire était parfaitement conscient de tout cela, mais nous savions tous pourquoi il s’était ainsi interposé : moi-même ne voulais croire en cette dernière hypothèse. Pourtant, plusieurs indices nous prouvaient le contraire. Je luttais de toutes mes forces pour avaler ma salive, mon corps pris d’une palpitation plus glaciale et terrible. Qui aurais-je pu mettre en colère pour mériter un tel châtiment? Qui pouvait me détester à ce point pour avoir voulu me jeter dans ces eaux de la Mort? Je ne comprenais pas. Je ne comprenais absolument pas.

« Pourquoi quelqu’un aurait voulu me tuer…? »


◆ 460 mots | Post V

Ko innu
Rhea Island - Tomoya Ohtani

Dans l’émeraude de mon iris, ma pupille tremblait sous le martèlement de la peur et de la confusion.

« Qu’est-ce que j’ai–

- Tu n’as rien fait! »

Dans un fracas retentissant, Wakiya repoussa brusquement son assise vers le sol, l’éclat de sa voix nous faisant sursauter à la foulée : c’était la première fois que nous la voyions dans un tel état. Elle était en Colère. Quelqu’un avait utilisé son Art pour nuire à autrui, pour attenter à la vie. Son regard brûlait d’un brasier si sauvage et violent que même les larmes qui s’y accumulait ne parvenaient à éteindre le feu de jade qui le rongeait.

« Tu n’as rien à te reprocher. Ses doigts se crispèrent sur les couvertures qui m’emmitouflaient, tandis que sa voix avait adopté un accent plus bas et familier. Nous traquerons les coupables jusqu’à ce que nous mettions la main sur la vérité. Elle aussi tremblait, d’un sentiment plus virulent mais autant destructeur que le mien. Je suis désolée. »

J’étais paralysée, figée telle une statue de marbre devant la tempête qui se déchaînait au fond de ses yeux; ses yeux pourtant si calmes, si paisibles et rassurants habituellement… Je lui fis volte-face, entourant sa taille de mon seul et unique bras. Contre son épaule, mon visage se dissimula, refoulant la montée ravageuse de frayeur et de chagrin qui compressait ma poitrine.

« S’il-te-plaît, ne demande pas pardon. Mes jointures se blanchirent plus je m’accrochais à sa robe. Je t’en prie. »

---

Elles étaient restées ainsi pendant un long, très long moment. Enlacées l’une contre l’autre, sans bouger, elles n’avaient plus échangé un seul mot. Je les avais observés en silence auprès de mon jumeau jusqu’à ce que l’étreinte ne prenne fin et que Wakiya quitte brusquement la pièce. La tension avait été palpable et, doucement, je m’étais retourné vers l’Orine aux cheveux de flamme. Tout son faciès s’était assombri et le jade de son regard s’était éteint aussi. En prenant conscience de sa condition, elle n’avait pas pleuré, elle n’avait pas crié, elle ne s’était guère lamentée sur son sort, mais plus une seule parole n’avait choisi de traverser ses lèvres après cela, et ce, pendant plusieurs jours. Pourtant, même si elle se refusait à recouvrer sa voix, nous savions que quelque chose en elle s’était déchirée. Nous l’avions entendu, nous l’avions perçu, comme si notre propre cœur s’était fendu. Était-ce sa confiance? Sa détermination? Son Espoir? Sa Force? Ou avait-elle succombé à la peur?

Quoi qu’il en fût, il s’agissait d’une fracture qu’il nous était difficile de soigner. Avec Isiode, nous essayions de prendre soin d’elle sans qu’elle ne perçoive nos gestes comme une preuve d’inaptitude; nous essayions de rythmer à nouveau son quotidien, petit à petit, comme il l’avait été par le passé. Parfois, cependant, tous nos efforts se fracassaient durement contre la réalité. Ren, tout simplement, craquait. Son être se laissait emporter par l’émotion et sursautait violemment, comme si le corps se rappelait soudainement de la vulnérabilité de l’esprit. Pourtant, jamais elle ne pleurait, jamais elle ne criait, jamais elle ne se lamentait. Elle encaissait, endurait, s’adaptait et restait prudente. Pour l’heure, c’est tout ce qu’elle et nous pouvions faire.


◆ 536 mots | Post VI

Ko innu
Rhea Island - Tomoya Ohtani

De mes yeux, une paupière, discrète, se souleva pour la regarder. Muramasa devait attendre, comme nous tous, l’évolution de l’enquête. Elle n’avait pas le choix en ces circonstances. C’est pourquoi elle tentait de se disposer de la situation en adoptant une attitude calme, patiente, tout en arborant continuellement une expression qui se voulait inébranlable. Cependant, aussi maîtrisées fussent-elles, les apparences, seules, n’apaisaient point la recrudescence d’un chagrin ou le sinistre d’un désarroi. Toute cette inquiétude qui se mélangeait à la frayeur et l’anxiété de son cœur, nous la ressentions comme si elle était nôtre avec mon frère… Perdre un bras fût un chamboulement, perdre la moitié de son visage fût un choc, mais douter de tous ceux et celles qu’elle avait croisé sur ce bateau fût un véritable bouleversement. Dans ce chaos émotif, elle devait repenser aux visages qui lui avait souri, se remémorer les différents regards qu’on avait pu lui poser, les différentes paroles qu’on lui avait échangées, et se demander douloureusement qui furent les individus qui s’étaient approchés d’elle en toute sincérité, et ceux qui l’avaient abordé en aspirant à des intentions moins pures. Tu n’es plus concentré… Sa voix m’apparut comme un hurlement dans la nuit : assourdissante et inattendue. Avisant sans mal mon étonnement, Ren se permit d’ouvrir sa pupille, la couleur sapin de son regard chutant immédiatement sur mon visage. Pris sur le fait! Se moqua-t-elle avec gentillesse. Pourtant, malgré la bienveillance qui ruisselait dans sa voix, je sentais le poids de son œil continuer d’oppresser ma poitrine. À quoi penses-tu? Son interrogation entraîna le rehaussement de mes sourcils.

« Tu le sais très bi– »

Utilise ton esprit. La réplique fût accentuée par la fermeté de son inflexion. Je lui offris un sourire en signe de pardon avant de clore mes yeux en un battement de paupières hâtif. Une nouvelle fois, j’inspirais de sorte à remplir mes poumons à pleine capacité tout en oubliant l’espace qui nous cloîtrait, la distance qui nous éloignait, afin de ne porter mon attention que sur sa personne. Même si je pouvais sentir sa présence près de moi, ce n’était pas suffisant : il me fallait entrer dans son esprit, me laisser guider par le fil qui rattachait ainsi sa conscience à la mienne. Tu… sais très… L’Artiste me demanda de recommencer, même si les paroles et l’articulation lui paraissaient bien plus nettes, précises et détaillées. À l’image d’un enfant qui marchait au milieu de l’obscurité, je tendis alors ma main, la raccrochant fermement au Lien qui nous unissait. Je devais suivre ce fil, suivre cette liaison invisible, et toucher son âme afin que nous puissions former une communion. J’étais son Aisuru et Ren était mon Inspiration. Pourquoi cela nous était si difficile, alors que le Lien semblait si puissant entre Isiode et elle, si fusionnel et naturel? Certes, je ne possédais pas la Force de mon frère, mais j’étais tout aussi digne que lui pour que l’une des Muses de Kennocha veuille entrelier ma destinée à la sienne. Je devais être à la hauteur. Me concentrer et percevoir son être; me concentrer et tracer mon chemin jusqu’à elle… Jusqu’à la sentir près de moi, si près, qu’elle aurait pu être en moi. Tu… le sais très… bien.

Je serrais son esprit, l’entourais du mien, l’enlaçait pour qu’il ne s’échappât. Étions-nous enfin réunis?


◆ 554 mots | Post VII

Ko innu
Kronos Island : 1st Movement - Tomoya Ohtani

Je sentis un battement au fond de ma poitrine, directement inspiré par le ravissement de l’Orine. Si elle ne pût retenir un sourire sur la commissure de ses lèvres, elle parvint néanmoins à contrôler l’expression de son visage, à modérer le renvoi apparent de son enthousiasme. Elle prenait son rôle de professeure très au sérieux et ne désirait, du même fait, crier victoire trop tôt. Je le sais, mais j’aimerais que tu me le dises directement. Tout naturellement, elle avait choisi de continuer le fil de la discussion, et j’avais décidé de suivre son exemple, conscient de la portée de cette conversation, en dépit de son caractère d’apprentissage. Je repensais… à… ton accident. Lentement mais sûrement, ma voix se stabilisait entre ses deux oreilles. Je réfléchissais à… l’enquête. Je le sentis plus que je ne l’entendis, ce frisson distrait qui la parcourut soudain. Et je me disais que j’aimerais pouvoir en faire plus, a…fin que tu puisses retrouver ta vie : celle avant tout ça. Il eut une pause, durant laquelle la rousse vint toucher son bras mutilé. Vous en faîtes déjà beaucoup, tous les trois. Regarde : dans les prochains jours, j’aurais ma toute première prothèse. Je secouais vivement la tête. Je ne pense pas que ce soit suffisant. De nouveau, un silence. Parce qu’il y a continuellement quelque cho…se qui te pèse, un sentiment qui te ronge, pas vrai?

Cette fois, son esprit vibra sous le choc, submergeant l’intérieur de mon crâne dans une puissante vague de mélancolie. Parfois, je le ressens encore, mon bras, commença-t-elle à croasser avec lenteur. Quand je me lève le matin, j’ai l’impression qu’il est toujours là pour me supporter, jusqu’à ce que je trébuche et retombe sur mes draps. Puis, mon esprit se réveille complètement et je me souviens de son absence. Par réflexe, sa main se mit à caresser distraitement son moignon. Chaque geste que je pose me rappelle qu’il me manque quelque chose, que je ne suis pas complète. Mais s’agissait-il uniquement de sa perte motrice et visuelle? Depuis que nous sommes Liés, je me suis entraînée sans relâche afin de pouvoir me tenir à vos côtés, afin d’être enfin à la hauteur… Je n’ai jamais renoncé à mon ascension pour atteindre votre grandeur. Pour moi, c’est la seule façon qui me permet de prouver mon utilité auprès de vous, d’être enfin digne de vous. Mes yeux s’écarquillèrent légèrement à l’entente de ces mots. Ren…

◆ 408 mots | Post VIII

Ko innu
Kronos Island : 1st Movement - Tomoya Ohtani

C’est ce qui la rongeait; c’est ce sentiment qui la coulait toujours plus profondément dans son affliction et duquel elle ne parvenait à se délivrer entièrement. Mais mon utilité… Je l’ai perdu. Avec rage, ses ongles s’enfoncèrent dans la chair de son épaule. Elle songeait à ses entraînements martiaux, à son erhu qu’elle ne manipulait plus depuis son accident… Avec un bras et un œil en moins, j’ai l’impression d’être revenue au point de départ, d’avoir dégringolé de la montagne que je m’étais acharnée à escalader, et plus bas encore. Son corps fût pris de frissons. Tous mes efforts, envolés. Ça n’a servi à rien! Je gardais le silence un certain temps, ouvrant la bouche par automatisme, avant de la refermer prestement. Ren? D’abord incertaine, la rousse finit par ouvrir sa paupière valide. Le vert de son iris transcendait le roux flamboyant de sa chevelure. Merci de t’être confiée à moi. Je la gratifiais d’un sourire, tendant ma main jusqu’à son visage, que j’effleurais. La caresse de mes phalanges parcourait doucement l’obscure immondice qui couvrait une partie de son faciès. Tu sais que tu ne perds aucune valeur à nos yeux, même dans ton état actuel. Elle le savait. Et que nous continuerons de t’aider, quoi qu’il nous en coûte. Elle le savait. Alors pourquoi crois-tu que tu nous seras inutile à présent? Que tu ne vaux plus rien? Elle tremblait affreusement. Parce qu’une Orine qui ne peut répondre aux besoins de son Aisuru – l’aider, le protéger – ne peut se targuer d’avoir un rôle à ses côtés. Elle inspira, la force de sa voix se gonflant dans nos pensées. Vous représentez mon monde! Je serais prête à tout pour vous, mais si je ne peux même pas… si je ne peux même pas réaliser le minimum nécessaire! Vivement, mes doigts emprisonnèrent son visage, mon regard et ma Magie refoulant le début d’hystérie qui palpitait dans sa pupille. Tu es peut-être notre Orine, mais nous sommes tes Aisuru, Ren. Si tu tombes, nous tombons avec toi, et nous escaladerons une nouvelle fois cette montagne avec toi. Elle ne cessait de trembler : de rage, de désespoir, de peine, de désarroi. Si tu te considères comme inutile, alors qu’est-ce que nous sommes, Isiode et moi, en tant qu’Aisuru? Mes paumes se bloquaient plus fermement sur ses joues.

« Nous avons laissé notre Orine se faire démembrer. Nous avons échoué à te protéger. »

En détresse, la Muramasa ouvrit grand les yeux, sa voix s’élevant aussitôt entre les quatre murs de l’appartement.

« Vous n’étiez pas présents! Ce n’est pas de votre faute!

- Comme la perte de ton bras et de ton œil n’est de la tienne! M’écriais-je abruptement, mon regard s’ancrant plus profondément encore dans le sien. Et elle ne doit surtout pas devenir une faiblesse pour toi! »


◆ 468 mots | Post IX

Ko innu
Kronos Island : 1st Movement - Tomoya Ohtani

Si nos lèvres s’étaient descellées et que nos voix avaient tonné, nos regards, pourtant, s’observaient avec cœur et humanité. Nous comprenions la frustration de l’un et la détresse de l’autre; l’empathie du Lien nous aidait dans ce but. Seulement, parfois, il nous fallait exprimer ce que nous avions sur le cœur à haute voix.

« Cela n’a aucune importance que tu n’aies qu’un seul bras et que tu sois partiellement aveugle désormais, parce que nous trouverons des solutions. Elle l’avait elle-même souligné : la prothèse n’était que le commencement. Nous travaillerons ensemble, nous nous entraînerons ensemble, nous rechercherons tous les moyens technologiques et magiques qui existent pour que tu puisses retrouver ta vie d’avant… Et, crois-moi, tu sauras la retrouver rapidement, puisque tu n’as rien perdu de ton utilité ou de ta valeur. Elles sont là, en toi, et ne te seront jamais enlevées. Jamais. Doucement, je portais mon front contre le sien. Je sais que toute cette histoire a été un choc. Je sais que tu attends impatiemment les résultats de l’enquête pour enfin souffler et te libérer de tous tes questionnements, mais ce n’est pas une raison pour te rabaisser de cette façon. Craintif, son œil se déroba sur le côté. Si tu perds encore Foi en toi, en ta vraie Force, alors Isiode et moi porterons cette Foi pour toi… Eh, regarde-moi. J’attendis plusieurs secondes avant qu’elle obtempère machinalement. Nous aussi, nous voulons t’être utiles. Distraitement, mes pouces se mirent à effleurer sa peau. Tu peux compter sur nous. »

Et sur nos ailes, qui sauraient la porter là où elle le désirerait, vers tous les horizons et sommets du firmament. Légèrement, je me décalais vers l’arrière pour la contempler. Le verdoyant de son œil intercepta aussitôt le sourire que je lui adressais et lentement, par à-coups, celui-ci s’imprima sur ses propres traits. L’éclat qui s’y reflétait n’était en rien comparable à son rire habituel, mais au moins était-il présent, aussi chaud et réconfortant que ses sourires d’antan. Quand tu es apparue devant nous, la toute première fois, je n’aurais jamais cru que cette Orine un peu ivre qui nous a accosté allait devenir une personne si importante dans nos vies. La réponse physiologique ne tarda à être aperçue sur son visage, rapidement suivie par une exclamation timide et oscillante :

« Pou-Pourquoi déterres-tu cette histoire, tout à coup?! »

J’arborais un air d’innocence. Retiens simplement que tu es devenue une personne importante pour Isiode et moi. Cependant, la Muse ne parvenait à se focaliser que sur la première partie. Embarrassée, elle couvrit son faciès à l’aide de sa main, comme si, par ce geste seulement, il lui serait possible d’enterrer tous les souvenirs de cette brève humiliation. À contrario, mes réflexions se laissaient porter dans une tout autre vague de réminiscences, toujours liées à cet événement particulier. Plus bouillantes et bilieuses, en revanche, elles se concentraient surtout sur l’échange que nous avions eu avec mon frère. Au début, Isiode n’avait pas voulu de ce Lien et n’avait pas hésité à rebuffer l’Orine dès qu’elle nous avait fait part de ses desseins… Était-ce les mots de la Sentinelle qui avaient inconsciemment marqué son esprit et forgé son caractère d’aujourd’hui? Était-ce son rejet prématuré du Lien qui avait forcé la Sœrei à courir derrière cette perfection utopique, cette illusion qu’elle devait devenir la meilleure pour nous – et non pour elle – et devenir ainsi digne de ses Maîtres au détriment de ce qu'elle était? Isiode, espèce d’imbécile, pestais-je intérieurement, inconscient d’avoir soufflé l’insulte jusqu’à son esprit, à elle. Or, l’œillade de Muramasa me scrutait en biais, discret.


◆ 600 mots | Post X

Ko innu
We’re Your Family - Joseph Trapanese

Quelques jours plus tard, sur les Terres d’Iyora.

Isiode nous avait rejoint un peu plus tôt dans la journée. Assis auprès de Muramasa, ils discutaient des derniers échanges épistolaires que mon frère avait eu avec le Maître d’Équipage en chef de l’Erärkas, le Vaisseau qui s’occuperait de la prothèse de notre Orine. Plusieurs jours s’étaient écoulés avant qu’il reçoive une réponse de la Maison Smara, mais depuis, les lettres s’étaient rondement transmises entre les deux correspondants. Modalités de paiement, signature de décharges et preuve de consentement semblaient avoir été la principale thématique de leur entretien manuscrit. Toutefois, nous n’en entendîmes guère davantage, puisque le sujet de discussion, entre mon frère et Ren, dériva dès que nous eûmes tous en mains nos boissons et que je les eusse rejoints sur le divan.

« Quelles sont les nouvelles? »

Maintenant que nous étions tous réunis, la Muse aux cheveux de cuivre pris la parole presque immédiatement. De nous tous, elle était la plus impatiente de connaître les résultats de l’enquête. C’est pourquoi son regard se braqua aussitôt sur les épaules de mon jumeau, avant même que celui-ci n’eut l’opportunité d’avaler une première gorgée. Un instant, la Sentinelle balaya nos visages, puis secoua gravement la tête. Nos expressions se chargèrent d’incompréhension : les nouvelles qu’il délivrait n’étaient pas aussi bonnes que nous l’aurions imaginé.

« Les enquêteurs ont poursuivi leurs interrogatoires et ont finalement terminé de prendre les témoignage de l’ensemble de l’équipage. Seulement, aucun ne semble avoir d’antécédents et ils n’ont trouvé aucune preuve solide qui puisse corroborer la thèse de l’homicide volontaire ou bien du sabotage. Comme un seul homme, Ren et moi fronçâmes nos sourcils. L’enquête se poursuivra encore quelques temps, mais je crains que le Kērosa se soit déjà fait sa propre opinion, compte tenu des événements.

- Ils vont décréter l’accident involontaire? »

Isiode confirma d’un signe du menton. Ce qui supposait, implicitement, que Wakiya serait tenue responsable de la tragédie, puisqu’elle était celle qui aurait mal assurée Ren au cours de l’attaque maritime. L’œil de Muramasa s’écarquilla. Sa mâchoire se contracta.

« L-Le Kērosa… Sa voix était aussi revêche que nerveuse, les flammes de son indignation brûlant jusqu’à nos esprits. Ils n’oseront pas l’arrêter!

- Non. En revanche, si tu avais succombé à tes blessures, la situation aurait certainement été différente. Le souffle de la rousse se bloqua comme si un vent glacial avait frigorifié ses poumons, mais cela ne refroidit en rien l’irritation qui martelait furieusement sa poitrine à grands coups de Colère et de déception. Mais puisque ce n’est pas le cas et que tu n’as déposé aucune plainte à son endroit, il y a très peu de chance que Dame Sunano soit formellement accusée. Les paroles du Capitaine étaient sûres, franches, ce qui provoqua la décontraction immédiate des muscles de Muramasa. Qu’elle ait mal assurée ou non ta corde, il est évident qu’elle n’a pas agi par intention de nuire. Malheureusement, en prenant l’initiative, la situation s’est retournée contre elle. Impassible comme à son habitude, Isiode profita du silence pour boire quelques gorgées frugales de sa boisson. Quant à l’équipage, celui-ci sera blâmé pour avoir négligé la sécurité de ses passagers en omettant la vérification rigoureuse de chacune des cordes de sûreté. »

L’Artiste du erhu parvint à recouvrer lentement son calme. Cependant, nous ressentions tous les deux un poignant sentiment de vide et d’injustice maintenant que nous étions confrontés à cette fatalité.


◆ 561 mots | Post XI

Ko innu
We’re Your Family - Joseph Trapanese

« Il n’y a vraiment rien que nous puissions faire pour les inciter à poursuivre leur enquête? Mon frère se retourna vers moi. Nous savons tous les trois que l’accident dont a été victime Ren n’était pas involontaire : quelqu’un a intentionnellement défait sa corde!

- Mais nous n’avons aucune preuve matérielle, aucun témoignage – pas même un coupable potentiel – qui puissent nous certifier cela. Isiode se faisait l’avocat du diable. Tout ce que nous avons est la déclaration de Dame Sunano et, en tant qu’enquêteurs, les responsables de l’affaire ne peuvent crier à la tentative de meurtre simplement parce que la fautive garantit avoir solidement attaché la corde de sûreté de la victime. Si nous voulons pousser le Kērosa à continuer l’enquête, il nous faut trouver des preuves. Tangibles. J’insistais sur ce dernier mot. Autrement, nous resterons sur une impasse. Il eut un nouveau silence, durant lequel mon jumeau soupira. En raison des malheureuses circonstances, commença-t-il à réciter, la panique aurait gagné Mademoiselle Wakiya Sunano. Dans sa précipitation, elle aurait mal assuré la corde de sûreté de Mademoiselle Ren Muramasa, conduisant à la chute de cette dernière dans l’océan au cours de l’attaque. Malgré la plaidoirie de la fautive, aucun segment de l’enquête prouve, pour l’instant, l’implication d’un troisième parti dans les événements retranscrits. »

… C’est ce qui apparaîtrait certainement dans le rapport de la police militaire.

« Et Wakiya? Est-elle déjà au courant de tout cela? »

Reposant sur sa jambe, le poing de Muramasa se détendait et se contractait par intermittence, au rythme de la frénésie de ses pulsations.

« Vous êtes les premiers à qui je parle de cela. Distraitement, le regard d’Isiode pivota jusqu’à la porte de l’appartement. J’aurais aimé qu’elle soit présente avec nous pour cette discussion, mais il semblerait qu’elle ne soit… »

Son soudain mutisme nous alerta.

« … Isiode?

- Là.

- Quoi?

- Dame Sunano. Elle est là. »

Ren et moi relevâmes nos têtes pour dévisager la porte d’entrée. Que voulait-il dire? Elle était là, devant la porte, à nous écouter, ou revenait-elle de sa sortie? Une première seconde s’écoula, puis une deuxième, puis une troisième, puis une dixième, avant que nous percevions le bruit coutumier de la serrure être déverrouillée. La poignée daigna enfin tourner sur son mécanisme et derrière le battant, une figure plus que familière se révéla.

« Oh. Isiode. Si son faciès s'était brièvement altéré sous le coup de la surprise – cela faisait un certain temps que les deux ne s'étaient pas vus – il ne tarda pourtant à se replonger dans les ombres qui lui étaient malheureusement devenues familières. Bonjour.

- Bonjour Dame Sunano. Poliment, mon frère la salua. J’espère que votre sortie a été agréable. »

La brune acquiesça d’un vague hochement de la tête, une interrogation flottant à la surface de ses yeux.

« Que se passe-t-il? »

Automatiquement, elle alla chercher réponse auprès de sa Oneesan, qui la contemplait depuis son siège. Cette dernière l’invita d’ailleurs à prendre place à ses côtés.

« Tu peux venir t’asseoir, Waki. Isiode nous parlait de l’enquête concernant l’accident sur l’Opalescent. »

Comme attendu, l’expression de la délicate se décomposa encore plus. Toutefois, elle marcha jusqu’à notre hauteur d’un pas qui se voulait aussi résolu que vaillant.

« Quelles sont les nouvelles? »

Wakiya était un miroir parfait de ce qu’avait été Ren au tout début de cette discussion. De son côté, Isiode prit une nouvelle inspiration avant de lui répéter tout ce qu’il nous avait déjà dévoilé.


◆ 582 mots | Post XII

Ko innu
We’re Your Family - Joseph Trapanese

« De quoi voulais-tu me parler? »

Isiode s’arrêta à quelques pas devant moi. Autour de nous, le battement de la ville continuait de tonner de tout son soûl, mais c’était comme si l’univers tout entier s’était soudainement rétracté à l’extérieur de notre espace personnel, maintenant que nous nous tenions tous les deux face à face.

« J’ai une faveur à te demander. »

Un peu plus tôt, je lui avais exprimé mon besoin de m’entretenir avec lui en privé, mais n’avais trouvé de meilleur moment que celui-ci. De fait, à quelques minutes seulement de son départ vers les Îles d’Orhmior, à l’extérieur de l’édifice qui accueillait mon appartement et celui des Orines, mon frère paraissait très peu impatient à retrouver les quatre murs de son logement, m’offrant l’entièreté de son attention. D’un hochement de tête, il m’incita à poursuivre sur ma lancée.

« Dans quelques jours, je dois partir à Vervallée et je me demandais si tu pourrais garder un œil sur Wakiya et Ren durant mon absence. Isiode gardait le silence, malgré l’évidente suspicion qui éclairait le saphir de ses yeux. Avec tout ce qui se passe, je serais plus serein de partir en sachant que quelqu’un est présent pour rester auprès d’elles. »

J’étais à l’affût des imperceptibles changements de sa figure, mais n’eus aucune difficulté à noter le froncement grave de ses sourcils.

« … Tu as vraiment décidé de croire à cette histoire?

- Je ne vois que très peu de raisons qui pourraient me pousser à douter de sa sincérité.

- Et je suis persuadé que je peux t’en énumérer au moins une dizaine. Nous nous lorgnâmes avec bravade, chacun de nous ne souhaitant céder du terrain à l’autre. Du jour au lendemain, une mystérieuse correspondante te contacte pour t’annoncer la mort de Pendrake Hrafninn et de Carmine – ou plutôt, du Reflet de la véritable Carmine – et cette dernière réclame ton assistance pour l’aider à la protéger du meurtrier des deux premiers? Isiode croisa les bras. Pourquoi toi? Pourquoi ne communique-t-elle pas avec ses forces de l’ordre? Ce n’est pas ta responsabilité.

- Je le sais parfaitement et je doute qu’elle ne soit pas elle-même au courant. Je me passais une main dans les cheveux, exhalant un soupir. Elle me demande personnellement un coup de main et j’aimerais au moins connaître les raisons.

- Ou il s’agit simplement d’un nouveau traquenard de Hrafninn et de la Rousse pour se moquer de nous.

- Si c’était véritablement un piège, pourquoi m’avoir dévoilé son identité? Pourquoi m’avoir transmis tous ces documents sur les Reflets? Non… Pendrake et Carmine ne se seraient pas compliqués ainsi la vie simplement pour une farce. Mon frère se taisait, mais son expression était toujours aussi perplexe. Puis, si cette Carmine Zuriel est réellement en danger, je voudrais au moins m’assurer de sa sécurité et l’orienter vers les autorités compétentes de son territoire. Peut-être a-t-elle peur de les contacter? Peut-être est-elle simplement perdue? Nous ne connaissons pas l’histoire dans son intégralité.

- Il y a tellement de failles dans ton raisonnement; je ne sais pas par où commencer. Pourtant, après quelques secondes, Isiode concéda dans un souffle bruyant. Très bien. Fais comme tu veux. Son regard s’ancra dans le mien. Je comprends ce que tu veux dire, l’Obligeant, même si je persiste à penser qu’il s’agit d’une très mauvaise idée.

- Alors, tu veilleras sur Ren et Wakiya?

- Évidemment que je veillerai sur elles : ce n’était pas la question.

- Merci, ōrákun (mon frère). Je le gratifiais d’un sourire, posant toutefois l’une de mes mains sur son épaule afin de le retenir encore pour un certain temps. Pourrais-tu également profiter de l’occasion pour discuter avec Ren? »

Cette fois, le visage de mon frère se couvrit de confusion.

« Que veux-tu dire? »


◆ 636 mots | Post XIII

Ko innu
Tomorrow I'll Leave Blaviken For Good - Sonya Belousova & Giona Ostinelli

Quelques jours plus tard, sur les Terres d’Iyora.

Cela ne fait aucun doute : il s’agit bel et bien du Vaisseau de Yanna que nous recherchons. Je lui donnais raison par un silence des plus explicites. En quelques battements d’ailes, je nous rapprochais davantage du Port d’Iyora et des voiles des bateaux, dont les couleurs claires tranchaient sur le turquoise de la mer. Cela étant dit, une voilure en particulier attirait nos regards – et certainement celui de tous ceux et celles qui avaient eu la chance de croiser l’immense édifice marin. Je sais que nous avons eu la chance de visiter quelques Vaisseaux à notre dernier passage sur les Terres de Melohorë, mais admire celui-ci… De fait, la forme du navire était des plus particulières. Le style architectural ressemblait vaguement à ce qui pouvait être retrouvé chez certaines communautés lyriennes, mais il était évident que ce dernier ne restait qu’une inspiration pour celui qui avait réfléchi à l’apparence définitive du Vaisseau. À la place de voilures traditionnelles, deux énormes ballons cylindriques – vraisemblablement remplis d’Air – supportaient le bâtiment à la hauteur des flots. Malgré la légèreté que ces sacs d’air inspiraient au premier coup d’œil, il était pourtant clair qu’ils étaient costauds, imposants, et qu’il serait ardu de transpercer le matériau qui leur donnait une allure si singulière. Dans le même ordre d’idées, lorsque l’on portait nos regards sur le bateau qui mouillait à quai, on notait tout de suite la similarité dans les proportions entre les navires classiques et ce navire de Yanna. Cependant, la silhouette, la figure et le caractère de ce dernier étaient complètement distincts. Haut de quelques étages, il était possible de voir des engrenages depuis les différents ponts du bateau et des tuyaux métalliques qui recrachaient la vapeur des machines. Par ailleurs, le réseau de tuyauterie était même visible depuis l’extérieur, longeant les espaces qui séparaient les hublots, pour disparaitre à l’intérieur de la coque une fois sous le bateau. C’était bien cela qui rendait cette construction si curieuse : la visibilité de certains appareils et mécanismes, le métal presque omniprésent sur les contours de ce géant de bois et de fer. Et pour agrémenter cette architecture symétrique, métallique; pour lui donner cet aspect aérien et « volatile » je présumais, des voiles avaient été installées sur les côtés et sur la « queue » de la poupe du navire, des voiles qui empruntaient leur forme aux ailes des chauves-souris. En posant un premier pied à terre, je me fis la réflexion que les Enfants de Yanna ne faisaient décidément rien d’ordinaire. J’avais déjà pu le remarquer à notre dernière visite sur le territoire elfique, mais il était bon de le confirmer une seconde fois.

Je repliais mes ailes et libérais la jeune Sœrei de mes bras. Or, avant même qu’elle ne foule le sol de son pied, une exclamation nous incita à relever les yeux. Tout en haut des escaliers, posté telle une sentinelle devant l’entrée du navire, un jeune homme aux longs cheveux d’argent nous toisait sans bouger. Lorsqu’il se fût assuré que nous l’ayons reconnu, il daigna de nouveau ouvrir la bouche, son œillade nous dardant toujours aussi intensément.

« Vous devez être Mademoiselle Muramasa et le Capitaine Yüerell. »

Il l’affirmait, plus qu’il ne se questionnait et malgré cela, je crus bon de confirmer ses propos en lui adressant de concises salutations.

« C’est exact.

- Nous sommes bien heureux de vous rencontrer, enchaina la rousse qui le gratifia d’un sourire léger. Merci beaucoup de prendre de votre temps pour nous. »

En dépit de la douceur et de la gratitude émises par l’Artiste, les traits de notre interlocuteur ne se défroissèrent pas. Tout de suite, Muramasa détourna son visage sur le côté. Elle était embarrassée, avait l’impression qu’il parvenait à percer la moindre de ses pensées.

« Je suis Shigure, le Maître d’Équipage en chef de l’Erärkas. Enchanté. À la manière des Orines, Shigure enfonça ses mains à l’intérieur de ses larges manches, puis nous salua en une courte révérence. Si vous le voulez bien, nous pourrons discuter pendant que je vous guide jusqu’à notre salle d’opération. Il se redressa et nous fis signe de nous rapprocher du Vaisseau, ce que nous fîmes sans hésiter, montant une à une les marches devant nous. Je sais que vous avez beaucoup de questions, et il me fera plaisir d’y répondre en chemin. Nous acquiesçâmes en silence, le bleu de mes iris croisant brièvement l’émeraude qui éclairait le regard de mon Orine. Par ici, je vous prie. »


◆ 749 mots | Post XIV | Ezechyel a donné son accord pour jouer ses personnages ♪

Ko innu
Tomorrow I'll Leave Blaviken For Good - Sonya Belousova & Giona Ostinelli

« Tu pourrais t’attacher les cheveux, lui conseillais-je après un certain temps.

- Je les préfère lorsqu’ils sont détachés.

- … Très bien. »

Pendant que notre guide nous indiquait la voie jusqu’à notre destination, nos yeux, en revanche, ne se détachaient que très rarement du décor environnant. Si l’extérieur nous avait paru inusité de par sa curieuse structure, il était fascinant de constater que l’intérieur l’était tout autant, et ce, dans un style complètement différent; là où le dehors n’avait été que bois et acier, ce second espace n’était que fer, plantes et basse canopée. Peu importe où se posait notre attention, celle-ci finissait toujours par caresser des yeux les pétales d’un bouquet, qui foisonnait entre deux réservoirs d’eau, ou à suivre l’arabesque des plants grimpants qui s’enroulaient paresseusement autour des conduits. Le vivant verdoyant se joignait à son némésis de cuir et d’argent avec perfection et modération, dans une cohabitation des plus intrigantes et magnifiques.

« L’Erärkas est un Vaisseau splendide », commenta la Muse en posant son regard dans celui de son confrère.

Ce dernier le lui retourna sans grand emballement, acquiesçant simplement du menton avant de rajouter :

« Depuis l’intégration de nombreux Ygdraës au sein de l’équipage, la végétation s’est implantée et densifiée un peu partout dans le Vaisseau, ce qui n’est guère surprenant, sachant que le Peuple de la Forêt désire certainement garder un contact plus ou moins permanent avec la Nature. Malgré la cohérence de son raisonnement, il ne parvint à cacher son irritation, résidu d’un agacement qui avait sûrement été bien plus grand par le passé. Au début, la situation était telle qu’elle en devenait complètement ridicule. Nous ne pouvions faire trois mètres sans trébucher sur la racine d’un ligneux ou avancer sans se faire gifler par les branches d’un arbuste. Il soupira aux réminiscences. Leur présence nuisait à nos travaux d’entretien – et à notre travail en général. Par chance, les Ygdraës ont recadré la situation avant qu’elle ne devienne insupportable. Pour ses nerfs, me dis-je intérieurement en sondant son expression. Quoi qu’il en soit, poursuivit-il en tournant son visage en direction de la Sœrei, ne voudriez-vous pas utiliser autrement votre temps, plutôt que d’enchainer sur une suite de banalités? »

Muramasa garda le silence quelques secondes, son expression se froissant légèrement.

« Que voulez-vous–

- Allez-y. Posez-les, vos questions. Un instant, le visage de la rouquine se figea. Vous subirez bientôt une opération et il est tout à fait normal que vous ayez des interrogations sur ce qui se passera pendant et après l’intervention. »

D’abord surprise par la brutalité sincère du Maître d’Équipage, la jeune femme resta sans voix, interdite, jusqu’à ce qu’une forte expiration ne soit relâchée de ses narines.

« Ne vous en faîtes pas, j’y venais. L’Artiste du erhu empoigna le moignon de son bras. Combien de temps durera l’opération?

- Une heure à une heure et demi, tout dépendant des complications qui pourraient survenir.

- De quel genre de complications parlons-nous ici?

- Prothèse inconfortable ou douloureuse, brûlures et blessures en raison d’une mauvaise calibration de la prothèse à la Magie, dysfonctionnement des capteurs musculaires, etc., etc.. »

Sa voix était détachée mais tranchante, froide mais assurée; et il enchainait les réponses à toute vitesse dès que les questions franchissaient les lèvres de Ren. À contrario, légèrement en retrait et silencieux, je les écoutais avec attention; éternel vigilant. Car s’il y avait bien une chose qui nous était apparu après quelques minutes en compagnie du Maître Shigure, c’est qu’il ne fallait guère se fier à la délicatesse et à la beauté de sa silhouette : derrière sa vénusté d’Orine se cachait un prince de glace.

« Nous y voilà. »

Devant nous, l’Enfant de Yanna repoussa la porte de la fameuse salle, surprenant un adolescent qui se trouvait déjà à l’intérieur.

« Maître! »

Envahi d’une soudaine hâte, le garçon referma brusquement le livre qu’il consultait avant de se redresser.

« Est-ce que tu as terminé les préparations pour l’opération de cet après-midi?

- À l’instant même! »

Brièvement, l’œil du jouvenceau se porta sur nos épaules. Toutefois, sa curiosité s’attarda davantage sur le bras mutilé de Muramasa, avant qu’il ne relève son regard jusqu’au voile de cheveux qui cachait une portion du visage de la guerrière. Cette dernière réagit aussitôt, enveloppa son moignon entre les doigts de sa main valide et pivota inconsciemment sa figure, de sorte à lui présenter son profil inaltéré. Prenant conscience de l’embarras qu’il venait de susciter, le garçon détourna rapidement le regard, ses doigts s’entremêlant entre eux sous la nervosité.

« Ravie de faire ta connaissance », lui sourit-elle, malgré tout.

Au fond, les deux protagonistes se partageaient des lésions qu’ils ressentaient le besoin de dissimuler : l’une avec ses cheveux, l’autre avec les bandages qui enserraient son visage.

« Pa-Pareillement. Reprenant lentement le contrôle sur son agitation, le jeune homme se présenta avec respect. Je m’appelle Alvys Helevòrn. Je suis l’apprenti de Maître Shigure.

- J’espère que vous ne voyez aucun inconvénient à ce qu’il se joigne à nous. »

Comme un seul homme, Muramasa et moi affirmâmes notre accord.


◆ 850 mots | Post XV | Ezechyel a donné son accord pour jouer ses personnages ♪