Èibhlin se laissa tomber sur son lit. Juste trente minutes. Au moins trente minutes. Elle serait bien incapable d'enchaîner de toute façon. Alors elle ferma les yeux et se laissa flotter dans l'océan paisible de son petit appartement. Pourtant, malgré le silence et les ténèbres de ses paupières closes, il n'y eu rien de reposant à ces quelques minutes pour elle. En effet, elle resta continuellement sur le qui-vive. Il ne fallait absolument pas qu'elle s'assoupisse et risque de dépasser ce laps de temps qui serait, probablement, déjà trop long aux yeux de ses précepteurs. Régulièrement elle ouvrait un oeil, s'attardant sur l'aiguille des minutes qui, pourtant, avançait bien doucement malgré la course effrénée de la coureuse. Finalement, agacée, c'est au bout de seulement quinze minutes qu'elle se redressa. Passant ses mains sur sa tenue et sa coiffure,  le clone quitta sa chambre pour la pièce à vivre où trônait, sur une commode, une orbe nacrée de la taille d'un poing. Après un soupir, elle en effleura la surface.

La Sarethi posa ses mains de chaque côté du mobilier. Il lui était encore difficile d'apprécier la téléportation et elle avait toujours besoin de quelques secondes pour se remettre du voyage. Mais elle devait admettre que c'était bien plus simple de rejoindre ses percepteurs depuis que l'artefact avait été mit en place. Relevant la tête, elle prit une profonde inspiration qu'elle expira lentement. « Vous êtes prêtes ? » - « Oui. On peut y aller. » répondit Èibhlin à ce qu'elle eût apprit être un Mur. En vérité, habituellement, c'était un Näg qui patientait ici, attendant son arrivée. Les faits récents avaient quelques peu changés la donne. Ainsi suivait-elle la créature, se demandant quel véritable visage se cachait sous les traits Alfars qu'il arborait présentement. Le premier qui lui vint fut celui d'Owen. Alors elle se demanda si tout les Murs se ressemblaient. Les pas résonnant dans les couloirs, le clone fronça des sourcils en voyant le chemin emprunté, différent d'habituellement. « On ne va pas rejoindre Emrys ? » - « Si. Il vous attends dans le salon bleu. » - « Oh. Très bien. ». Le salon. Il ne l'avait jamais accueilli dans aucun de ses salons. Un mince sourire étira alors ses lèvres, son être soudainement envahit par l'excitation. Toutefois, l'appréhension n'en demeurait pas moins tout autant présente, l'enfermant dans un mutisme jusqu'à son arrivée sur les lieux.

Le Mur ouvrant la porte, il s'écarta pour laisser entrer la Sarethi. Pourtant, celle-ci marqua un temps sur le pas de porte, surprise. Elle ne connaissait pas cette personne qui accompagnait Emrys. « La voilà donc, la Dame Noire en devenir. » commenta l'inconnue en détaillant de la tête au pied la jeune Alfar.

Èibhlin avait du mal à comprendre. Ou à approuver plutôt. Pas qu'elle n'ai beaucoup le choix ni qu'on le lui ait réellement laissé. Mais elle préférait discuter de ce que cet éventuel mariage à venir allait impliquer et des points à aborder le concernant plutôt que... Ça. Elle comprenait l'idée. Mais elle n'était absolument pas préparée pour. « Le dos droit vous dis-je, on croirait une bossue. ». Èibhlin se redressa un peu plus, fixant un point invisible en face d'elle, en silence. « Inutile de tant relever le menton. Cela n'a rien de noble, au contraire. » la réprimanda-t-elle avec sévérité. La Sarethi ne répondit rien, se contenta d'obéir en se pinçant les lèvres, contrariée. Rien de ce qu'elle faisait n'allait. De sa tenue à sa gestuelle, tout était critiquable aux yeux de sa nouvelle mentore. Iseabail Eldair. Ce nom était absent des bas-plateaux. En revanche, on ne pouvait pas en dire autant des hautes sphères des Drosera. Cette famille n'était pas grande, mais chacun de ses membres s'étaient fait une place. « Bien. On commence doucement à approcher quelque chose de présentable. ». On commence ? Quelque chose de présentable ? Les mots de l'Alfar dépitèrent la Sarethi qui s'affaissât dans un soupir las sur elle-même. Alors elle reçu un regard courroucé. « Visiblement j'ai fais erreur. Nous sommes bien loin d'arriver à quoi que ce soit de satisfaisant. » - « Désolée. » s'excusa plus ou moins sincèrement le clone. « L'expression sera également à travailler. » répliqua la préceptrice, se moquant éperdument des excuses de l'apprentie. « Nous verrons ça un autre jour, il est trop tard pour cela. » ajouta-t-elle en balayant l'air d'un revers de la main et l'air plus las encore qu'Èibhlin, un léger soupir à peine audible traversant ses lèvres entrouverte.

On frappa à la porte. « De quoi s'agit-il ? » demanda Iseabail d'une voix forte à l'intention du nouveau venu. Un instant Èibhlin la dévisagea avec surprise. C'était à peine si elle avait poussé la voix. Pourtant il était certain que celui derrière l'épaisse porte de bois l'avait entendu comme s'il fut été à ses côtés. La porte s'ouvrit. « Une missive est arrivée à l'attention de Mademoiselle Mèinn. ». L'intéressée papillonna des yeux quand sa mentore arqua un sourcil. « Pour moi ? » répéta-t-elle d'un air peu assuré. « De la part de qui ? » demanda-t-elle. Probablement le plus important. Elle n'avait toujours pas répondue à la dernière lettre de l'Empereur Noir. « Un squelette. » - « Plaît-il ? ». C'est autant de surprise que de méfiance qui se mêlait dans la voix de la préceptrice tandis qu'Èibhlin s'attardait déjà sur le contenu du message. Alors elle se raidit, puis leva le visage vers son aînée. « Peut-on reprendre la leçon ? Je crois que j'en aurai réellement besoin. ».

Allongée sur le sofa en tissu clair, les paupières closes et l'avant-bras reposant sur celles-ci, Èibhlin expira longuement d'un souffle épuisé. À quelques pas, sur un crapaud de même confection que le canapé sur lequel reposait la Sarethi, trônait son maître du jour. Le Senthandas Cillín Dreain. Le dos droit, les bras le long des accoudoirs, le port de tête hautain, le regard marmoréen, et plongé dans un mutisme sépulcral, son attention était focalisée sur la clone. Ce n'est qu'après de longues minutes silencieuses qu'il exprimât son dédain quant à la performance à laquelle il venait d'assister d'un soupir las. « C'est donc à ceci que se résume votre magie raciale. ». Èibhlin décala légèrement son bras, juste assez pour rouvrir un œil et observer l'Alfar, méprisant, sans toutefois trop se faire remarquer. Elle était comme une petite fille cherchant à faire croire à son parent, la nuit tombée, qu'elle s'était endormie pour ensuite espionner les adultes et découvrir leurs secrets nocturnes. À la différence qu'elle ne perçait aucun des secrets de son professeur, c'était même tout l'inverse, et qu'il avait parfaitement remarqué la supercherie quoiqu'il n'en fît rien paraître. Ça n'avait de toute façon aucune importance. « J'ai cru comprendre que Heriss Cadhla avait demandée à ce qu'on lui accorde plus de votre temps pour votre apprentissage aux mœurs de la Société. ». La Société. Une façon de sous-entendre "Haute hiérarchie". La jeune Alfar se pinça la lèvre inférieure. C'était difficile à assumer que, selon leurs critères, elle n'avait aucune manières. Mais c'était compréhensible. Ce n'était pas comme si elle avait eu l'occasion d'avoir une véritable éducation quant à cela. « Il va me falloir empiéter sur ses plates-bandes, qu'elle le veuille ou non. » ajouta le Nyëva sans la moindre transition. Èibhlin se redressa pour le fixer avec incompréhension. Un nouveau soupir ennuyé échappa au professeur. « Ce n'est pas avec votre niveau actuel que vous serez apte à servir correctement Dothasi. Vous vous débrouillez plutôt bien, certes, par rapport à la majorité des Alfars de votre niveau. Mais vous vous épuisez vite. Trop vite. ». La Sarethi baissa le regard à ce constat. Il était vrai qu'elle avait toujours été fière de son taux de réussite d'utilisation des sortilèges malgré ses connaissances magiques. Il était vrai également qu'elle n'avait jamais été poussée à bout de ses faibles réserves cependant. La seule fois où elle s'était sentie faiblir, c'était lors de l'épreuve Sorcière de Coupe des Nations. Mais là encore, elle n'avait jamais usé de sa magie jusqu'à épuisement. Elle se rendait compte aujourd'hui qu'elle n'avait rien pour se vanter finalement. Si on devait faire la comparaison, elle avait plus du sprinter que du coureur de fond. Ceux-là étaient pourtant avantagés dans l'art de la magie. « Qu'est-ce qu'il est possible de faire pour changer ça ? » questionna Èibhlin en relevant le regard vers son précepteur. Celui-ci la fixa longuement avant de lui offrir une réponse. « Il va vous falloir améliorer votre endurance, tout simplement. ». Tout simplement. Pourtant elle en était déjà épuisée rien que d'y songer.

Le dos droit et le menton haut, c'est pourtant le regard bas qu'Èibhlin répondait à chaque question que sa préceptrice lui posait de sa voix chantante sur un ton pourtant diablement monotone. « La danse ? » - « Ce n'est pas tout à fait ça. » - « Le chant ? » - « Quand je fais mon ménage, donc... » - « Je vois. » la coupa sèchement Cerys sans lever le visage de son livret d'où elle griffonait, la Sarethi ne savait quoi, dedans depuis tout à l'heure. «La peinture, j'imagine que vous avez un minimum de compétence. ». La remarque ne sortait pas de nul part. Après tout, dès leur première rencontre elle avait pu voir le cœur que l'Isemssith avait mit à l'ouvrage pour suivre l'enseignement d'Eskil. « Ce n'est pas ma spécialité. Mais j'imagine que je saurai me débrouiller avec un chevalet. » - « C'est déjà ça. Et la musique ? » - « De la harpe. Je... Je joue de la harpe. Pareillement, quelqu'un me donne des cours à Mornhîngardh. ». Elle se demandait d'ailleurs comment, entre ses études, les cours des Senthandas, ceux d'illustrations d'Eskil et de harpe d'Iravami, elle arrivait à se trouver du temps pour elle. « Hum. Tant mieux, on va compter encore un peu sur cette personne dans ce cas pour faciliter votre apprentissage. ». Èibhlin manqua laisser échapper un soupir de soulagement. « Ce qui aurait été bien aurait été de vous donner court dans l'une de ces aptitudes qui vous fait défaut. Malheureusement je crois que ces personnes sont indisponibles. ». Elle-même ne pouvait s'attarder plus. Elle était déjà en retard à son rendez-vous d'ailleurs. « Suivez-moi. » fit-elle seulement tandis qu'elles quittèrent l'habitation.

À bord d'une voiture, les deux Alfars traversèrent le plateau pour rejoindre une autre demeure aussi imposante que l'était celle de Cerys. « Heriss Mævan. » accueillit-on la Senthandas en lui ouvrant la porte. Èibhlin, derrière, baissa les oreilles. Elle était totalement éclipsée par l'aura de sa mentor. « Nous venons voir Heriss Alumni. » déclara la Nyëva sans un salut pour sa vis-à-vis. Alors la Sarethi détailla un peu plus la gouvernante. Elle nota ce collier, serré à son cou, caché par sa tenue. Une Näg. Ils commençaient doucement à refaire leur apparition sur les différents plateaux. Pas chez les Mævan encore cependant. « Je vous conduit au Salon Jaune en attendant Madame. ». Suivant la Näg, Cerys et Èibhlin pénétrèrent la vaste demeure. La Sarethi fit quelques pas rapide pour se rapprocher de sa mentor. « Ou sommes nous ? Enfin, je veux dire, pourquoi sommes nous ici ? » lui glissa-t-elle. « Il vous faut être polyvalente. Une musicienne émérite est une musicienne capable de s'adapter à n'importe quel instrument. Heriss Alumni vous apprendra à maîtriser un idiophone en complément de la harpe. » - « Un idiophone ? ». Qu'est-ce que pouvait bien être cette chose encore ? « J'imagine qu'elle débutera votre apprentissage par l'arrey mbira. » ajouta Cerys sans répondre à la question de l'élève. « Au fait, dites-moi. Vous avez la lettre ? » reprit-elle sur un tout autre sujet. « Oh ! Euh, oui. Enfin, pas vraiment, elle est faite, mais elle est chez moi. » bagaya Èibhlin. La Nyëva poussa un soupir las. « Vous l'emmenerez à Emrys dès que possible, compris ? » - « Oui. ».

« Aïe ! ». Le gémissement venait du fond des tripes de la Sarethi. En même temps, la Noldrasi ne la ménageait pas et ce n'était pas la première fois qu'elle finissait à terre avec la pointe de la lame de son agresseur sur la gorge. Elle était certaine d'en avoir les marques ! « Cessez donc de geindre comme une enfant. C'est à croire que vous ne savez faire que cela. » s'exaspéra l'épéiste en toisant l'élève. Difficilement, Èibhlin se releva, boudeuse. « Mais je ne fais que me prendre des coups, je n'ai encore jamais réussi une fois à vous atteindre et... ». Et elle se tut. La Nyëva affichait un rictus cynique, une lueur amusée s'immisçant dans son regard. « Vous m'en voyez profondément navrée. » fit-elle d'un air qui laissait entendre tout le contraire. Alors elle rengaina son arme sous l'œil interloqué d'Èibhlin. « Vèriss Mævan. Puis-je vous emprunter votre plume s'il-vous-plaît ? » ajouta-t-elle en se tournant vers Emrys, installé sur un divan plus loin. Il arqua un sourcil en levant les yeux sur Enid. « Êtes-vous obligée de vous fournir chez les autres alors que vous possédez le matériel nécessaire ? » soupira-t-il en tendant malgré tout l'objet. « Quand il s'agit de gagner du temps, oui. » répliqua la Noldrasi en faisant de nouveau face à Èibhlin. « Mettez-vous en garde. » clama-t-elle, la Sarethi obéissant à l'injonction sans délais. Pourtant elle ne put qu'être surprise en voyant sa mentore garder l'épée au fourreau. « Et vous ? » l'interrogea-t-elle donc. La maître d'armes répondit en se mettant à son tour en position... Et en défiant son apprentie de la plume d'écriture que lui eût prêté Emrys. Alors la clone papillonna des yeux. « Et bien, qu'attendez-vous ? Je vous offre une chance de pouvoir faire mouche, de sorte que vous n'ayez pas à vous inquiéter de ma défense. Alors, aux armes ! » insista la combattante avec véhémence. La Sarethi opina rapidement du chef, avant de s'élancer sur la Nyëva, pleine d'assurance et l'esprit confiant quant aux prochains coups portés. Ainsi elle porta un violent coup d'estoc sur son adversaire. La Noldrasi effectua un léger pas de côté et fit glisser la plume sur la lame de l'apprentie, le fil tranchant en scindant l'étendard duveteux — une grimace se dessina sur le visage d'Emrys en voyant le désastre — pour venir à la rencontre du rachis. D'un geste vif, elle ramena la plume à la pointe de l'épée et força sur le fer pour le détourner de son chemin sous le regard ébahi d'Èibhlin. « Fermez la bouche et restez attentive. » houspilla l'épéiste en faisant tourner la plume dans sa main et se rapprochant de la Sarethi avec la vélocité des serpents. Là, elle piqua vivement le poignet de la jeune Alfar de la mine raffinée. « Aïeuh. » se plaignit-elle à nouveau, autant de surprise cette fois-ci. Finalement, c'est du bout de l'étendard qu'Inis finit par menacer Èibhlin, les barbes sous le nez le lui chatouillant bien trop pour qu'elle n'arrive à retenir un éternuement.

« Et si nous reprenions sérieusement ? » déclara la Noldrasi sans aucun autre commentaire en reposant la plume pour porter la main à son épée. La Sarethi marqua un temps. Puis elle comprit. « Oui... ». Il lui fallait vraiment mieux réfléchir ses mots.

Le regard d'améthyste d'Èibhlin était plongé dans le verre de cristal face à elle. Un lourd silence régnait dans l'immense pièce. Son esprit s'était égaré au milieu des songes. Elle souhaitait tant les oublier. Leurs forces les avaient malheureusement bien ancrés dans sa mémoire. Tant, que c'est à peine si elle sentait le regard glacé de son précepteur qui la fixait depuis de longues minutes maintenant. « Ecœurant. » lâcha-t-il enfin, brisant le mur invisible qui avait fini par séparer les deux Alfars. La Sarethi papillonna des yeux. « Pardon ? » - « La prochaine fois que vous vous plongez dans quelques rêveries qu'ils soient, songez à vous prévenir d'éventuelles intrusions. ». Les yeux de la clone se firent comme des soucoupes alors qu'un souffle se bloquât dans sa gorge. Il n'avait pas... Si ? Non. Par Dothasi, qu'on lui dise que non ! « Je ne nie pas que ce genre de... pensées, puissent être de votre âge. ». Elle ne savait plus où se mettre. Elle avait seulement envie de se terrer dans le coin le plus sombre et le plus petit et le plus éloigné du reste du monde, et surtout d'Emrys. Elle-même ne savait pas comment son esprit avait pu seulement envisager une seconde une telle... chose. Au moins il n'avait pas songé à apprécier la morsure. Elle ne préférait même pas imaginer la situation. « Mais rappelez-vous qu'il y a un temps pour chaque chose, et actuellement il n'est pas accordé aux errances. ». Èibhlin acquiesça vivement. Elle ne voulait même pas discuter, c'est à peine si elle serait capable de prononcer un mot en vérité. Un cours flottement s'installa dans la pièce, le Nyëva s'enfonçant dans son assise et fixant intensément l'apprentie. « Est-ce que vous m'avez clairement entendu ? » reprit-il gravement. « O... Oui... Je dois mieux me concentrer. » répondit-elle dans un équivalent de murmure. « En effet. Toutefois ce n'est pas là le plus important en vérité. ». La jeune Alfar fixa son aîné, interloquée. Quelle information pouvait-elle avoir manquée ? Le Senthandas vit qu'elle n'avait pas comprit, aussi s'expliqua-t-il. « Une fois ce mariage conclut vous ne vous ferez pas que des alliés parmi les Sorciers. ». Ça elle avait déjà pu le remarquer. Une grimace se dessina sur le visage de la Sarethi au souvenir de la brune dédaigneuse qu'elle eût l'occasion de rencontrer au Château des Dames Noires. « Cela vaut aussi chez notre peuple, et sans limite de temps. » ajouta-t-il avec un rictus. « Trop en dévoiler sur soi c'est offrir des moyens aux autres de se défaire de l'adversaire potentiel que vous pourriez représenter. ». Pourriez ? Il ne la considérait même pas comme une menace potentielle donc ? En soit, ça ne l'étonnait pas, elle n'était qu'une ombre à côté de lui. « Je comprends. Je ferai plus attention. » - « Bien. Reprenons. Ou ce contrat ne verra jamais le jour. ». Était-ce si grave ?

Il y a une question que la Sarethi avait commencé à se poser depuis quelques jours. Ce soir serait l'occasion de potentiellement y trouver une réponse. « Heriss Mævan ? » - « Quoi donc ? » - « En fait, j'aurais aimé vous demander quelque chose. ». La Nyëva roula des yeux et se plaça droite face à son élève, les bras légèrement croisés, presque posée l'un sur l'autre. « Si vous avez quelque chose à dire, dépêchez-vous, nous n'avons pas que ça à faire. » pesta-t-elle. Èibhlin baissa la tête un court instant avant de relever aussi vivement le menton. « Est-ce que les noms peuvent chanter ? ». Immédiatement sa question posée, la jeune Alfar se crispa, prête à recevoir la critique moqueuse. Elle était consciente que c'était ridicule ; des noms qui chantent. Pourtant l'idée tournait en boucle dans sa tête depuis qu'elle lui était venue. Les secondes s'égrenèrent lentement, mais aucune remarque ne vint. Alors Èibhlin se détendit, relevant les yeux vers sa préceptrice, un mince sourire dessinant les lèvres de la Senthandas. C'était la première fois qu'elle lui voyait cet air. « D'où vous vient cette interrogation ? ». L'étudiante déglutit. Mais elle savait que la question allait venir de toute façon. « C'est... En voulant écrire la réponse à l'Empereur Noir. ». Celle qu'elle n'arrivait justement pas écrire, sinon jamais de façon correcte. La danseuse arqua un sourcil, un rictus narquois aux lèvres. « Tiens donc. ». Èibhlin elle, commença à se dandiner sur place, de plus en plus mal à l'aise de devoir développer. « Je... J'ai constaté, ou du moins, je trouve que le prénom de l'Ultimage est fin sous la plume et... » - « Son prénom ? » coupa Cerys. Èibhlin se mordit l'intérieur de la joue à l'erreur qu'elle venait bêtement de commettre. Il n'y avait qu'Emrys normalement qui était au courant, pour relire ses tentatives infructueuses, de la demande du Monarque. Elle lui jeta un regard suppliant. « Très bien, j'ai compris. » fit-elle en balayant l'air de la main dans un mouvement gracieux. « Donc, fin sous la plume. Et ? » - « J'ai commencé à écrire d'autres prénoms, pour voir. Les prononcer ensuite. À voix haute. ». Ceux des autres Dames Noires notamment. Lysistrate était celui qui semblait le mieux "chanter". Za était affreux par contre. Cela semblait plus à une honomatopée, et les honomatopée ne sont pas chantantes. « L'écrit et l'oral allaient souvent de pairs. » ajouta-t-elle avant que Cerys ne lui réponde, un index tapotant à allure régulière son menton « Je vois votre cheminement. ». Un silence ponctua sa réplique. Le regard de la Nyëva s'ancra alors dans celui de la clone tandis qu'elle reprit, une main rejoignant sa hanche. « Les mots ont plus de pouvoirs que la majorité du monde l'imagine. Si un nom n'a rien d'anodin — après tout, naître sous le nom de Belvarian rend les choses bien différentes que si l'on devait naître sous le nom de... » - « Vahäl ? » compléta la Sarethi devant l'hésitation de son aînée. « Vahäl, pourquoi pas — , le prénom prends tout autant d'importance dans l'identité d'une personne. Le connaître c'est connaître déjà une partie de la personne. Il est indissolublement lié à l'être. Nommer, c'est faire exister. ». Elle marqua un temps sous le regard subjuguée d'Èibhlin qui n'avait jamais poussée le raisonnement si loin. « Qu'un nom puisse chanter ? Pourquoi pas. Je n'imagine pas la chose impossible et celui qui serait capable de cela aurait un pouvoir bien grand selon moi. ». Elle conclut ses mots en posant un regard brûlant et appuyé sur la jeune illustratrice avant de tourner sur elle-même de façon gracile. « Bien, si vous avez fini, si nous partions sur un cours de chant justement. ».

Son voyage sur le territoire Magicien passé, Èibhlin fut étrangement bienheureuse de retrouver le château. Elle ne se sentait pas à l'aise ni avec ces corvées d'étendard qu'elle devait subir, ni avec l'étiquette Sorcière. Plus loin des regards du monde se trouvait-elle pour l'instant, mieux se portait-elle. Vivement le retour à Drosera où enfin elle pourra pleinement se détendre. Pour dire à quel point elle n'était pas à l'aise. Une servante à ses côtés, elle rejoint ses appartements pour se débarrasser enfin de cet habille monstrueux. Les doigts de la jeune femme s'activant sur les agrafes, une idée germa dans son esprit. « Comment vous nommez-vous ? » lui demanda-t-elle. Elle sentit alors la domestique arrêter son ouvrage, probablement surprise. « Je vous demande pardon ? » - « Votre nom ? Quel est-il ? » insista la Sarethi en tournant légèrement le visage vers la Sorcière. « Sophia, Madame. Sophia Elenyn. Mais je ne vois pas en quoi le nom du personnel pourrait intéresser Madame. » ajouta-t-elle rapidement en se remettant à sa tâche. « Cessez. » - « Excusez-moi ? » - « Arrêtez de toucher au vêtement. » - « Comme il vous siéra. » - « Quant à l'intérêt que je pourrai porter à votre nom, vous vous fourvoyez. » reprit la Sarethi en se tournant vers la demoiselle. « Tout d'abord il me sera bien plus simple de faire appel à vos services si nécessaire. ». Elle crû percevoir la gêne et l'étonnement sur le visage de la Sorcière. « Qui plus est il intéressant de voir la présence de noms inconnus entre ces murs. » ajouta-t-elle en faisant de nouveau face au grand miroir mural. « Sophia, je vais vous demander quelque chose d'important. Pourriez-vous m'apprendre à respirer ? » - « Comment cela ? » interrogea celle-ci avec des yeux ronds. « Il s'avère que vos vêtements sont effroyablement étriqués. J'imagine qu'il doit y avoir une façon de faire particulière pour éviter la mort par constriction de tissus. » - « Oh. Mais les vêtements que je porte sont bien différents de ceux de Madame et bien moins ajustés, alors j'ignore si j'en ai les capacités. » - « Il vaudrait mieux. Soit j'arrive à respirer convenablement dans ce vêtement de torture, soit j'en fais de la dentelle fine. » - « Permettez que je le resserre un peu alors. » - « Faites. ». Comme la Sorcière se mit à l'ouvrage pour renforcer les lacets dans les agrafes, elle ne put s'empêcher de questionner l'Alfar. « Vous ne portez pas de corset à Drosera ? ». Un sourire esquissa les lèvres de l'interrogée. « Non. ». Un court silence ponctua sa réponse où Èibhlin se demanda ce qui pouvait traverser l'esprit de la servante à cette détonante information. « Je vous montrerai le genre de vêtements que nous portons au sein de la Majestueuse. » ajouta-t-elle. La domestique devait avoir à peu près son âge. En plus elle lui portait de "l'intérêt". Il serait étonnant qu'elle refuse. Pas que ce serait grave, mais elle serait amusée de voir sa réaction devant une pièce si différente de celles qu'elle connaissait tant.

Les sourcils froncés, toute la concentration du monde pouvait se lire sur le visage d'Èibhlin. Slán avait disposé face à elle des illustrations. Il s'agissait en réalité de portraits. Ce n'était pas la première fois qu'il lui faisait ce coup. Elle avait juste espéré qu'ils reprennent l'exercice avec les visages de Drosera même si elle n'aurait pas été certaine de réussir l'exercice avec brio. Mais non. Il avait fallu qu'il vienne avec les Chanceliers des ténèbres. Le problème étant qu'elle ne s'en sortait pas mieux que si elle avait dû réciter tout les membres de la dynastie Belvarian. Son regard se porta sur le sablier à l'autre bout de la table. Parce que oui, comme si ça ne suffisait pas, le Nyëva lui imposait un temps de réponse qui était, d'ailleurs, bientôt écoulé. « Je ne sais pas. » déclara-t-elle finalement en repoussant la feuille face à elle. Slán poussa un soupir exaspéré devant cet échec supplémentaire. « Le suivant ? » rétorqua-t-il, tirant une moue agacée de la part de la Sarethi. Car oui, jamais il ne lui offrait la réponse si elle faisait erreur ou ne trouvait pas. C'était à elle d'aller chercher et trouver l'identité de ces visages — presque — inconnus et les apprendre jusqu'à les reconnaître du premier coup d'œil. Ainsi elle se pencha sur le suivant. Celui-ci elle le connaissait. Elle l'avait même déjà vu en vrai. Il était étrange, presque dérangeant. Son nom ? Elle n'était pas certaine de s'en souvenir. Son titre, possiblement. Il avait été nommé. Était-ce juste toutefois ? Elle pensait que oui. Si pendant un certain temps elle avait douté de la véracité de ce dîner, voir que ce Vampire tout droit sorti de ce qu'elle pensait être son imagination existait bel et bien — comme les nombreux visages de ces Archimages — avait remit en cause cette croyance. « Je crois... Je crois que c'est le Chancelier Merlfide. » répondit-elle d'une voix peu assurée. Quelques secondes s'écoulèrent où les battements du cœur d'Èibhlin commencèrent à s'accélérer, craignant s'être trompée. « Correct. » lâcha finalement le Senthandas sur un ton aussi neutre que l'expression de son visage. « Son nom ? » ajouta-t-il néanmoins, crispant l'interrogée. Son nom. Elle le cherchait. Mais non, s'il avait été dit également, elle ne s'en souvenait plus. « Je... Je ne m'en rappelle pas. » souffla-t-elle à voix basse en baissant les yeux, les mains se repliant sur sa robe. Un nouveau soupir échappa à son vis-à-vis. « Décevant. ». La remarque claqua comme le fouet dans l'air. « On arrête ici. Il est inutile de continuer pour l'instant si vous êtes incapable de connaître les dirigeants d'un Royaume. Retenez donc ces personnalités et revenez me voir par la suite. » conclut-il avec un geste de la main signifiant clairement qu'elle n'avait plus rien à faire ici.

Èibhlin observait avec une attention particulière les pas des deux danseurs dans un mélange d'admiration et de curiosité. Elle ne devait toutefois pas se déconcentrer. Après elle devrait reproduire les gestes. Elle n'était pas certaine de réellement y arriver. Pas à cause de la difficulté. Cerys avait choisi justement un rythme lent pour l'initier à cette danse nouvelle et étrangère. Non la raison était plus émotionnelle. Il y avait une telle proximité entre chacun des danseurs. Ils étaient les yeux dans les yeux, leurs pas se mêlaient sans s'emmêler. Elle était autant poupée de chiffon dans les bras de son partenaire qu'elle était décisionnaire dans la distance et les contacts qu'il pouvait avoir avec elle. Lui était aussi maître de la situation qu'il était assujetti à la danseuse. S'en était hypnotisant. En fait non, elle serait incapable de répéter cette danse. Elle le devait pourtant. Ce n'était pas un choix qu'elle avait, mais une obligation. « Je ne voyais pas cette danse ainsi. » commenta-t-elle après le silence des dernières notes jouées. Et c'est vrai qu'entre leurs robes encombrantes et leurs corsets étouffants, elle s'était imaginée quelque chose de plus sobre. Comment faisaient les Sorcières pour danser ça ? « J'espère que vous avez bien suivi. À présent rejoignez le plancher que vous vous y mettiez. » fit Cerys sans perdre de temps en se tournant vers son apprentie. « Oh, oui. » répondit celle-ci avant de marquer un temps, le regard au sol. La Nyëva qui s'était retourné vers son partenaire revint vers la Sarethi en entendant qu'elle ne bougeait pas. « Et bien ? L'on vous attend. » - « Hum, oui. Je me demandais seulement... Les chaussures, c'est obligatoire ? » - « Oui. ». La réponse avait été sans appel et incontestable. On pouvait réellement tenir sur des talons si fins ? Après une inspiration, elle se redressa, ses jambes chancelantes quelques instants devant l'équilibre précaire que lui offrait ce peu de surface d'appui. « Bien, vous nous suivrait en même temps que l'on répètera la danse que vous venez de voir. »expliqua Cerys en s'éloignant du danseur qu'Èibhlin constatait dédoublé. Le pouvoir de clonage, vraisemblablement. Elle comprenait mieux pourquoi il était venu seul. Elle retint ainsi sa surprise en voyant sa mentore user du même pouvoir. Pourquoi ? La seconde — à moins que ce ne soit l'originale — s'écarta un peu plus et vint s'asseoir sur une chaise. « Je ne crois pas être prête. » lâcha la jeune Alfar. Cette affirmation, sortie de nulle part mais du fond de ses tripes, irrita la Senthandas à ses côtés. « Je vous affirme que vous l'êtes. » s'opposa-t-elle sans même un regard vers la Sarethi. « S'il-vous-plaît. » fit-elle ensuite en direction de la chanteuse, en retrait qui répondit d'un hochement de tête avant d'effectuer un geste de la main en direction de la guitare à sa gauche, derrière elle. Sous les premières notes, Cerys effectua le premier mouvement en direction de l'Alfar à quelques pas, dos à elle. Il gardait pourtant l'œil à surveiller ce qu'il se passait derrière lui. Il savait qu'il ne risquait pas grand chose avec Cerys. Ils avaient passés bien trop de temps à répéter ensemble, c'était presque s'ils ne se comprenaient pas mieux tout les deux que leurs époux respectifs ne les comprenaient. Mais parce qu'ils se comprenaient trop, ils savaient chacun qu'aucun n'était à l'abri de l'autre malgré tout. Le cœur battant, pleine d'appréhension, Èibhlin suivit sa mentore, rejoignant le clone de son partenaire, de dos également. Lui ne surveillait pas ses arrières. Il savait qu'il ne risquait pas grand chose avec la Sarethi. Elle n'avait ni la puissance, ni le pouvoir encore de pouvoir lui nuire sans qu'il ne réagisse. « De la grâce voyons. Vous n'arriverez à rien crispée ainsi. » clama la Cerys à l'écart. Voilà. Elle avait à peine commencé que déjà elle se faisait critiquer. Elle savait qu'elle n'était pas prête.

Un son fluet s'échappait de l'une des nombreuses pièces du manoir. Úna faisait glisser ses doigts avec dextérité sur les lames du arrey mbira au fil de la partition sur lequel elle ne jetait pas un œil. Un chant cristallin se faisait entendre à chacun des contacts de son épiderme sur le métal froid de l'instrument. Èibhlin l'observait avec un mélange d'envie et d'admiration. À voir sa mentore jouer, elle ne pouvait que rêver d'être à un niveau identique. Elle en était bien loin. Les dernières notes raisonnèrent, signe que c'était à elle de prendre l'instrument en main pour répéter la mélodie. Elle récupéra l'objet et fit délicatement glisser ses doigts dessus afin de se ré-imprégner de son fonctionnement. Après quelques notes, elle s'arrêta néanmoins. « Ce ne sont pas les mêmes accords que d'habitude. » commenta-t-elle sans détacher son œil de l'instrument. Elle ne l'avait pas remarqué pendant le jeu de la Senthandas. « C'est exact. » répondit la professeure. Èibhlin cru y entendre un soupçon de ravissement dans la voix, aussi se tourna-t-elle vers elle, réprimant avec difficulté un sourire. « Je suis rassurée de voir que votre oreille musicale semble plutôt bien développée. » ajouta la Nyëva. La Sarethi ne se retint plus et laissa échapper sa joie. Il n'était pas commun qu'un Alfar complimente un de ses pairs, en particulier lorsqu'ils n'étaient pas du même sang et encore moins du même rang. Le fait que cela touche à l'art dont toutes deux raffolaient ne devait pas y être pour rien. « Toutes les partitions ne se jouent pas sur les mêmes accords et c'est d'autant plus vrai lorsqu'il s'agit d'un instrument à cordes, qu'elles soient frottées, frappées ou pincées. Il est important de les adapter afin d'en bonifier la mélodie et, surtout, se l'approprier. Il n'y a rien de pire que la reprise note par note d'une participation et constamment jouée identiquement à l'originale. ». La Sarethi acquiesça, assimilant les mots de sa tutrice. « Est-ce que je dois rejouer cette musique d'une autre façon que vous alors ? » interrogea Èibhlin. La Nyëva répondit d'un signe de la tête par la négative. « Contentez-vous de savoir bien en jouer pour commencer, ensuite nous verrons pour d'éventuelles variations. ».

Tandis que la clone répétait pour ce qui lui semblait être la centième fois les premières notes, on frappa à la porte. « Qui est-ce ? » demanda la maîtresse de maison avec autorité. « Un message Madame. » répondit une voix fragile en poussant la porte, laissant entrevoir les longues oreilles de la Näg. « Dîtes-moi : vous ai-je autorisée à rentrer ? » réprimanda la Senthandas en fusillant la nouvelle arrivée du regard. « Oh... Non madame, c'est vrai. Mes excuses madame. » répondit la domestique en baissant les yeux et s'apprêtant à refermer la porte. « Ne soyez pas ridicule. Maintenant que vous êtes là, ramenez-la nous cette lettre. » gronda une nouvelle fois la musicienne. Avec un pincement des lèvres, la demoiselle s'approcha. La missive avait été décachetée et dépliée, lu, donc, pour éviter à son véritable réceptionniste de subir quelques vils pièges. « De quoi s'agit-il ? » interrogea la professeure en s'apprêtant à saisir le papier. [color=purple}« C'est à destination de Mademoiselle Mèinn. »[/color] répondit vivement la Näg avant que sa maîtresse ne le lui vole des mains. « Une invitation pour Mademoiselle à rejoindre les Archipels de Maggie. » ajouta-t-elle. « Tiens donc. Et pour quelle raison devrait-elle quitter Drosera ? » - « Pour régner. » répondit d'une voix sourde la Näg après un moment d'hésitation. Les deux Alfars arquèrent un sourcil, l'une surprise, la seconde courroucée. Il ne manquait plus que ça.

Parmi les cours qu'elle recevait, celui donné par Cáel était l'un de ceux qui la rebutait le moins. Tout d'abord parce que, comparé à son frère et également son professeur de magie, il dégageait quelque chose de bien plus avenant. Ensuite, parce qu'il enseignait la théologie. Elle ne pouvait ainsi aller à ce cours à reculons, pour le simple respect de ceux-ci. Qui plus est, il y avait quelque chose d'intéressant à connaître les divinités régissant le monde. On en apprenait bien plus sur un peuple qu'il ne le paraissait en apprenant leurs Protecteurs. Drejtësi disparue, laissant place à son frère — ou son amant, le monde ne semblait pas réussir à se mettre d'accord — Väaramar pour veiller ces chiens d'Humains. L'Œil, qui le gardait toujours ouvert sur la vermine démoniaque. Leur mère à eux, Dothasi, qui caressait ses enfants de sa main de velours et soufflait à l'oreille des ambitieux de toute nature. Puis il y avait ceux plus généraux, souvent trouvant un égal complémentaire. Edel et Ezechyel. Harabella et Elzédor. Jeriel et Cléophée. Elle s'était également rendue compte, lors de cet apprentissage, qu'elle n'avait fait que ses connaissances des Aetheri étaient moindre par rapports à ce qu'il y avait à en raconter. Elle aurait d'ailleurs aimé approfondir celles qu'elle possédait sur une divinité qu'elle priait. Hidenori, Kennocha, qu'importe. Mais non. C'était Ethelba qui était au programme du soir. Une déesse devant laquelle elle n'avait jamais ployée bien qu'elle eut l'occasion d'en déceler la présence le jour du couronnement d'Elias. Elle lui avait d'ailleurs laissé un sentiment désagréable. Effacer Phoebe comme elle l'avait fait avait comme anesthésié le lien indéfini qui la liait à la nature. Elle ne s'était d'ailleurs jamais aperçue de ce lien avant cette nuit-là. Ethelba. Annonciatrice de chaos et de désespoir. Déesse principales des Mages Noirs et des desseins qu'ils entretiennent. Elle ne l'aimait pas. « Est-ce que ça veut dire qu'à l'avenir il me faudra compter Ethelba dans mon culte ? » interrogea Èibhlin soudain inquiète en levant le nez vers son professeur. « Vous le pouvez, si vous le voulez. Cela serait cependant vain. » répondit le Senthadas. « Comment ça ? » insista la clone dans son questionnement. « Si Dothasi murmure aux oreilles de l'ensemble des peuples, Ethelba ne semble porter d'attention qu'aux Mages Noirs. Ce peut être une rumeur lancée par les Sorciers pour qu'aucun autre peuple n'empiète sur leurs croyances. Ce peut également être la sincère vérité. Seule la déesse en a la réponse. » bien qu'un prémices de réponse ait put être apporté. Il ne rajouta rien, fixant l'élève plongée dans ses pensées. Une déesse exclusive à une race. Priée seulement de celle-ci. Un peu comme Dothasi en somme. « Toute les races ont un Aether exclusif à eux ? » reprit la Sarethi. « Pas tous. Une majorité cependant, oui. ». L'illustratrice se pinça les lèvres, hésitante quand à sa prochaine question. Finalement elle se lança. « Les Vampires en ont un ? ». Face au silence de Cáel, l'apprentie baissa les yeux. L'histoire n'était pas méconnue, de ses professeurs tout du moins. Elle n'aurait jamais dû poser cette question. « Ce sera pour un autre jour. Vous n'obtiendrez que la connaissance à vous disperser comme vous le faites alors que l'important, c'est le savoir. ». Èibhlin opina du chef pour toute réponse. Dans le pire des cas, elle n'aurait qu'à demander la prochaine fois qu'ils se croiseraient. Ou essayer de demander plutôt.

Avec minutie, Èibhlin travaillait les contours anatomiques d'un chien de taille moyenne. Si certains ouvrages, la majorité sur lesquels elle avait planché, demandait une vision artistique de l'objet à illustrer, ce n'était pas le cas des ouvrages scientifiques qui requérait une vision réaliste. Qu'il s'agisse de botanique ou de zoologie, de géologie ou d'océanographie, le détail parfait était ce qui différenciait un bon dessin d'un excellent, digne de figurer dans les encyclopédies. Elle ne partait cependant pas tout à fait inculte non plus. Eskil l'avait beaucoup fait travailler sur les oiseaux. Le plus difficile chez eux c'était de représenter les ailes. Le reste suivait presque naturellement. Cependant le chien, à l'instar de tout les mammifères quadrupèdes, requérait une attention toute autre. L'articulation des pattes en premier lieu. Un mauvais traits et l'animal avait comme la patte cassée ou, à l'inverse, calcifiée. Puis la tête, avec sa mâchoire articulée pleine de crocs de tailles variées. Les plus petites devant, évidemment. Le reste était légèrement plus simple. Du moins c'est ce qu'elle s'imaginait. Elle n'en était encore qu'à travailler les pattes pour l'instant. Elle se prit à songer que ce ne devait pas être une sinécure que de représenter de la façon la plus réaliste tout ces animaux colossaux comme les dragons ou les griffons. « Tu t'en sors ? ». Èibhlin quitta son dessin des yeux pour les porter sur son mentor.  « Plus ou moins. La partie supérieure je l'ai assimilé je crois. Ou quasiment en tout cas. » répondit-elle.  « La patte par contre, c'est pas encore ça. » ajouta-t-elle en baissant son regard pour retrouver le croquis. Des dizaines de feuillets remplis de traits obscures, tantôt gribouillé, tantôt annotés, s'entassaient à côté du papier sur lequel elle travaillait actuellement.  « L'articulation est mauvaise, parfois elle ressemble juste à rien. Sinon ce sont les griffes qui sont mal faîtes : trop longues, trop courtes, trop épaisses, pas assez, mal placée... » énuméra-t-elle en détaillant chacun de ses dessins et son avancée avec. « Tu y es depuis ce matin. Tu devrais prendre une pause. La fatigue n'aide pas à créer de belles choses. » conseilla l'illustrateur après avoir poser un œil sur la Sarethi. Celle-ci releva à nouveau ses iris d'améthyste. Puis elle ne réprima pas un sourire qui se dessina avec douceur sur son visage. Elle commençait à comprendre la raison qui maintenait l'ambition de l'Alfar à Mornhîngardh. Tout y était plus serein ici. Moins inquiétant. La présence des Senthandas la faisait constamment paniquer en plus de se sentir rabaissée de façon continuelle, quoi qu'à juste raison lorsque l'on la comparait à eux. Elle craignait les rues du Cinquième Plateau et ses habitants affichant une effrayante expression de convivialité. Revenir ici pour son apprentissage auprès d'Eskil était comme une bouffée d'air frais.

Un léger sourire se dessinait sur le visage de la Sarethi. Faux, évidemment. Assise à une longue table d'acajou, son regard se perdait dans la contemplation d'un tableau signé par un maître peintre reconnu à travers tout Drosera. Il y était représenté les ténèbres de la nuit et son voile qui enveloppait la Forêt des Murmures toute aussi obscure quoi que les teintes variaient assez pour distinguer les deux. Une pierre lumineuse s'en détachait, intense, immense, captivante, d'un vermillon flamboyant. Le Girara tel que l'artiste se le représentait. Èibhlin fut interrompue dans sa contemplation par la voix de sa mentore assise à ses côtés, en bout de table. « Il va vous falloir faire mieux que cela. » commenta-t-elle en même temps qu'un domestique apportait la suite de leur repas. Elle avait décidé ce soir de l'éduquer à la tenue pendant un repas important. Les invités manquaient, mais c'était mieux ainsi pour son premier cours en ce domaine. Seule l'époux de la Senthandas et ses deux fils étaient présents, ce qui déjà était bien assez aux yeux de la Sarethi. Ces simples présences lui mettaient déjà bien trop la pression pour qu'elle arrive à supporter plus. Ils dégageaient tous une telle prestance. Même les deux garçons, plus jeunes pourtant. « Excusez-moi ? ». Èibhlin s'était tournée vers la Nyëva à sa remarque. Ce fut son mari qui se permit de répondre, appelant de l'index un serviteur à l'écart. Un goûteur plus exactement. « Votre posture pourrait être plus droite. Levez le menton pour vous y obliger et affirmer ce que vous êtes. Quant à votre sourire, par Dothasi, je n'ai rien vu d'aussi laid. Il n'y a aucune sincérité dedans. » se désespéra-t-il. « Mais je croyais... » - « On ne vous demande pas de l'être, on vous demande de sembler l'être. » soupira-t-il en coupant la jeune Alfar dans son élan. Iseabail sourit en fixant son époux. C'était exactement ça. Elle n'aurait pas pu expliquer mieux. « La conversation est également importante. Plus que d'admirer une œuvre d'art, aussi belle soit-elle. La conversation se veut utile cependant. Parler de la pluie et du beau temps n'est qu'une perte de temps et un sujet visant à combler des vides, démontrant par la même l'incapacité à votre esprit de... ». L'obscurité de la nuit, atténuée par les innombrables chandelles, s'intensifia, arrêtant la Senthandas dans son développement. Celle-ci, à l'instar de son foyer, porta son attention vers l'extérieur avant se lever et rejoindre la fenêtre. Une lune noire venait de s'installer dans le ciel nocturne, immense, cachant la clarté des rayons de Phoebe. « Hum. C'est donc ce soir. » dit Iseabail simplement alors qu'un brouhaha s'élevait derrière la porte de la salle à manger. « Quoi donc ? » interrogea Èibhlin, se doutant cependant que ce devait avoir rapport avec les Sorciers. « Il paraîtrait que l'Empereur Noir comptait se laisser torturer de l'une des plus affreuses des façons. Un moyen bien curieux d'asseoir son autorité soit dit en passant. » lui répondit sa mentore. Èibhlin se tourna vivement vers elle. « Le fait étant que l'issue la plus probable est son décès. Qui peut bien survivre à une crucifixion sans détruire la croix ? » ajouta la Nyëva sans prêter attention à son apprentie. Les yeux d'Èibhlin s’agrandirent. « Par Dothasi, seriez-vous donc inquiète du sort du Roi Noir ? » interrogea Iseabail avec cynisme en remarquant son expression. Èibhlin ne répondit pas, se détournant de son regard perçant. « Vous avez raison. Si ce devait arriver, vous ne seriez plus rien. Il est même probable que le roi qui devrait lui succéder ne cherche votre mort. » répondit-elle à sa propre question en revenant poser son regard sur le ciel sans changer de ton. La Sarethi déglutit. Oui, elle avait raison. Elle-même s'était faite la réflexion.

Èibhlin suivait le Näg dans les longs couloirs du manoir. Elle commençait à les connaître par cœur, pourtant chaque fois elle y découvrait quelque chose de nouveau. Parfois un vase rempli de fleur qui n'était pas là avant. Parfois une gravure sur les poignets des portes richement ciselées. Ou même un tableau en remplaçant un autre. Des richesses exposées par les œuvres d'art ou suggérées par les feuilles d'or qui couvraient les innombrables luminaires. Nombreuses étaient les choses qui donnaient à envier cette propriété. Mais là où la lumière brille, une ombre existe. Une ombre d'autant plus grande que la lumière de ces richesses était intense. Cette ombre, tous redoutaient de la voir. Elle était comme la main d'Ezechyel. Froide, soudaine et funeste. Èibhlin la craignait d'autant plus depuis la veille. Iseabail ne l'avait que peu rassurée quand à son avenir et son estomac se nouait de devoir rejoindre Emrys. « Entrez ! ». La voix assourdie par le bois épais de la porte surprit la Sarethi. Plongée dans ses pensées, elle n'avait pas remarqué qu'ils étaient déjà arrivés. Le Näg poussa la porte et s'écarta, laissant entrer seule la clone. « Vèriss Mævan. » salua Èibhlin dans une révérence sans s'approcher pour autant. Elle n'obtint aucune réponse immédiate. Elle avait fini par apprendre qu'avec Emrys, et une bonne partie des Senthandas d'ailleurs, elle était une priorité moindre. « Qu'est-ce que vous en pensez ? » demanda-t-il soudainement, sans introduction préalable, en posant sa plume et s'enfoncent dans le lourd cuir de son fauteuil. Èibhlin le regarda avec incompréhension. « De quoi ? » - « La crucifixion de l'Empereur Noir. ». La Sarethi laissa échapper un "oh" silencieux avant répondre. « Je pense que c'est quelque chose de tout à fait barbare et qu'il y a plus simple façon de tuer quelqu'un. » - « Hum... ». Èibhlin fixait le Nyëva avec attention. Elle commençait à ne plus être sereine. Avait-elle dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? « Est-il mort ? » questionna-t-elle à son tour malgré tout. Emrys, jusque là le regard perdu en pleine réflexion, leva les yeux sur le visage pâle de l'Alfar. « Non, évidemment. Les Sorciers sont comme des parasites ; des germes viraux à l'image des maladies qu'ils propagent. On ne s'en débarrasse pas comme ça. D'autant plus concernant le Roi. » fit-il avec dédain en mettant un peu d'ordre sur son bureau. Èibhlin ne savait pas comment prendre la nouvelle. D'une façon elle était soulagée pour les raisons qu'avait évoquée Iseabail. En était-elle heureuse ? Ça, non. « Rentrez chez vous. ». L'injonction retentit aux oreilles de la clone comme un coup de fouet. « Pardon ? Mais pourquoi ? » s'insurgea-t-elle. Il aurait pu la prévenir que ce n'était pas utile qu'elle vienne. Ou au moins demander à l'un de ses domestiques de faire l'intermédiaire. « Elias Salvatore n'est officiellement plus roi. En d'autres termes, en l'état actuel des choses, tout ce qui vous lies aux Sorciers est considéré comme caduc jusqu'à nouvel ordre. ». Èibhlin resta un instant ahurie. « Comment ça ? Qu'est-ce que ça veut dire "officiellement plus roi" ? ». Emrys poussa un soupir exaspéré. « Ça veut dire qu'officiellement il n'est plus détenteur de la couronne. » commença-t-il en faisant apparaître une liasse de papier. « L'ivresse du pouvoir est grande. Est idiot celui qui croit qu'un tel homme se destituerait pour se sauver de la mort. On obtient une couronne seulement en l'arrachant à pleine main de son détenteur, et il est évident qu'Elias Salvatore ne se résignera pas à la lâcher comme ça. ». Cette fois elle avait comprit. C'était donc seulement une manœuvre politique. Un évènement fait pour retourner la table à son avantage. Et elle n'était qu'un pion pour l'instant inutile et sacrifiable à tout moment pour sauver la tête du Roi et gagner la partie.