Èibhlin esquissait avec minutie le dessin d'un Morgant d’après le modèle que lui avait donné Eskil. À première vu, il n’y avait rien de Sorcier. Avec des allures de chat, quoi que aussi haute qu'un loup, la bête était aussi sombre que les ténèbres, du museau jusqu’au bout de la queue. C’était d’ailleurs pour ça qu’elle mettait tant de temps. C’était au moins la troisième fois que son mentor lui faisait refaire l'illustration. Car, non, apparemment il y avait bien plus de nuances que simplement l'encre noire qu’elle y mettait. Elle ne pouvait le cacher, cette affaire commençait un tantinet à l'agacer. D’autant qu’il ne lui donnait aucune indication sinon « Tu n’as toujours pas les bonnes nuances. ». La Sarethi grimaça au souvenir de cette remarque redondante loin de pouvoir l'aider dans sa tâche. Elle en aurai pour des jours s’il ne lui donnait pas plus d’informations. Elle poussa un long soupir fatigué et posa le pinceau avant de s’étirer. « Pause. » se fit-elle à elle-même en plaquant les mains sur la table. Puis elle se leva et alla se servir un verre d'eau dans lequel elle y noya un pétale de Isildroya. Immédiatement, ce furent comme des cristaux de diamant qui se détachèrent du pétale, saupoudrant le liquide clair de fragment argenté. Portant le récipient à ses lèvres, elle se tourna vers la fenêtre et se plongea dans la contemplation de la rue. Elle y vit passer la vieille Alyfran sous sa fenêtre, lui arrachant un soupir las. C'était devenu un rituel. Quotidiennement, à cette heure-ci, cette Alfar faisait son tour du quartier la tête haute et s'exprimant comme une Dame qu'elle n'était pas. Elle semblait se prendre pour une reine inspectant le bon déroulement des activités de son petit personnel. « Glènag ! » souffla Èibhlin du haut de son balcon, derrière sa vitre fermée, alors que la concernée était déjà bien dix pas plus loin. Pourtant, alors même que toutes les précautions avaient été prises pour qu'elle ne subisse aucune représaille suite à l'injure, quelques coups résonnèrent contre la porte d'entrée, accaparant toute l'attention de la jeune illustratrice. Surprise par cette arrivée inattendue, elle resta ainsi sans bouger ni rien dire, fixant uniquement l'entrée du regard, le cœur palpitant bruyamment contre sa poitrine. D'ici que cette simple action fasse partir l'intru. Evidemment que non.

« Èibhlin Mèinn ? J'ai un message pour vous. ». Elle ne connaissait pas cette voix. Mais le ton était bien trop impérieux pour qu'elle ne puisse l'ignorer. Elle délaissa son verre sur la table et rejoint l'entrée dont elle ouvrit la porte en douceur. « Oui ? ». Elle ne trouva rien d'autre à ajouter devant l'homme et son air hautain. Elle comprit rapidement à sa tenue et la façon dont il la dévisageait qu'il n'était pas de Mornhîngardh. Il avait été contraint de descendre dans la fange. L'inconnu lui tendit une missive. « Veuillez lire attentivement ceci, s'il-vous-plait. ». Ces trois derniers mots semblèrent lui avoir été arraché tant l'irritation s'y faisait sentir. La Sarethi se saisit du papier et le retourna afin d'en détailler le sceau. Alors elle blêmit en voyant la marque du Lliryn. Le messager ne pas décampant pas de sa position, elle comprit que la lecture devait être immédiate. Elle déglutit et brisa le sceau pour découvrir la fine écriture du Tedalen. Enfin, après de longues minutes silencieuses, elle leva son regard qu'elle ancra dans celui de l'Alfar. « On m'attends à Innasgardh. » fit-elle alors, incrédule. Son visiteur sembla l'être à son tour car son air dédaigneux disparu dès ces paroles prononcées, laissant place à la stupéfaction. « Mais je ne peux pas y aller. Pas maintenant. Pas comme ça. » commença-t-elle, paniquant à l'idée d'être vue sur le Cinquième Plateau ainsi, les mains pleines d'encres, pas apprêtée ni correctement habillée. Là, elle était juste prête à rester enfermée chez elle pour s'exercer une journée entière au dessin, rien de moins. Ce que le messager ne manqua pas relever. « En effet, on vous prendrait pour une Näg sauvage si vous veniez à quitter les murs de votre... Maison ? Vêtue ainsi. ». Èibhlin ne répondit rien devant l'insulte, se limitant à se pincer les lèvres, vexée. Elle savait qu'elle n'était pas présentable, mais tout de même. De la même manière, son appartement pouvait être plus petit que les demeures d'Innasgardh, ça n'avait rien des taudis de Dannagardh. Elle s'apprêta tout de même à lui demander de lui accorder quelques minutes, le temps d'au moins se changer et se coiffer. Elle fut dans l'impossibilité de prononcer le moindre mot, coupé dans l'élan par l'Alfar. « Toutefois je doute que quoi que vous puissiez faire, vous arriviez à ressembler à autre chose qu'à une gueuse. ». La Sarethi papillonna des yeux, incrédule face à l'enchaînement de critiques abaissante, comme l'homme lui arracha des mains la missive qu'elle tenait toujours maladroitement. « Hé ! » se permit-elle enfin de protester pour finalement être rejeté d'un revers de main. « Ça suffit. Taisez-vous et avancez. Je ne tiens pas à m'attarder ici plus longtemps. » rétorqua l'Alfar en se détournant de la jeune illustratrice après avoir lu en diagonale le message.

La tête baissée, ses doigts emmêlée dans ses cheveux, Èibhlin ne regardait pas où on l'emmenait. Elle voulait juste se faire la plus petite possible entre les deux gardes qui leur tenait compagnie, son guide et elle. C'est en entendant une grille grincer que la Sarethi daigna enfin porter son regard devant elle. Elle y découvrit un vaste jardin luxuriant devançant une demeure comme elle n'en avait vu qu'en peinture jusqu'alors. « C'est incroyable... » souffla-t-elle pour elle-même. Elle s'arrêta devant l'immense porte de bois, prête à attendre des lustres avant que quelqu'un ne réponde au heurtoir, mais il n'en fut rien. L'homme poussa la porte et pénétra en la demeure comme si ce fut chez lui. Peut-être était-ce simplement le cas. « Avancez. » fit-il sèchement en la devançant. Alors elle le suivit, s'extasiant devant les décorations ornant l'habitation et croisant les doigts pour qu'il ne l'abandonne pas là, au milieu d'un couloir. Elle serait bien incapable de retrouver la sortie toute seule. Enfin il s'arrêta devant une porte de bois sombre d'où filtrait un mince rayon de lumière chaude de sous le palier. L'Alfar y donna quelques coups. Une voix grave lui répondit. « Entrez. ». La porte s'ouvrit sur une tête penchée sur de nombreux manuscrits. Après quelques minutes de silence, l'homme se redressa derrière le large bureau de chêne massif. Èibhlin y découvrit alors avec surprise un visage fin et androgyne. Sa chevelure de neige contrastait avec le basané de sa peau et faisait ressortir l'étrangeté de la couleur de ses iris. « Laisse-nous maintenant. » fit-il en fixant la Sarethi. L'Alfar s'exécuta dans une courbette muette et laissa Èibhlin et ce nouvel inconnu ensemble, seuls. Intimidée, la jeune Sarethi resta plantée comme un i au milieu de la pièce en attendant que son interlocuteur reprenne la parole. À la place celui-ci la détailla longuement en silence avant de se lever. Là il se mit à chercher dans une pile de papier où enfin il s'exprima à nouveau. « Èibhlin Mèinn. Aucune famille connue sur aucun des territoire Alfar. Aucun fait important reconnu, jusqu'à sa participation à l'épreuve de Coupe des Nations Sorcières. ». Il marqua un temps, portant un regard en biais sur la Sarethi. Enfin il sorti quelques feuillets qu'il sépara du reste du tas comme il se détourna d'elle. « Même là ce fut un lamentable échec. ». Ses propos claquèrent comme un fouet dans l'air, arrachant une grimace à la concernée. « Pourquoi avoir refusé ? » fit-il soudainement en se tournant vers la jeune Alfar, s'ancrant dans ses iris améthystes. « Je vous demande pardon ? » demanda-t-elle, surprise. « N'était-ce pas une demande qui vous a été faîtes par le Prince... L'Empereur Noir lorsque vous vous trouviez à Amestris ? » se corrigea-t-il avec un soupir. « Ou... Oui.  Mais je n'ai pas été la seule concernée. Ça a été une condition de victoire de l'épreuve. » répondit-elle en baissant les yeux. « C'est pour cela que je vous le demande. Pourquoi avoir refusé alors que cela vous mènerez obligatoirement à la défaite ? ». Èibhlin chercha ses mots. « Un peu par crainte probablement. D'être rejetée. D'être confrontée à l'homme. De subir la colère de l'Amarante de décider à sa place et à la place des Tedalen d'accepter une alliance par ces épousailles. Je ne me voyais pas la mieux placée pour en décider. » - « Et vous n'avez pas crains sa colère à lui ? ». Non. En fait, elle n'y avait pas songé sur l'instant. « Je n'ai pensé qu'à ma place à Drosera. J'ai mis du temps à me décider en réalité. » fit-elle en baissant d'un ton. Un rictus se glissa sur les lèvres du Nyëva. Il devinait parfaitement pourquoi. Nombre d'Alfars auraient acceptés pour la position que ce mariage leur apporterait. « Est-ce que vous me permettez une question ? » ajouta la jeune Alfar. L'homme restant silencieux, elle prit cela pour un oui. « Qu'est-ce que je fais ici ? ».

Elle n'aurait pas sa réponse de suite. La porte s'ouvrit en grand et brutalement, dévoilant une nouvelle silhouette gracile à la démarche assurée, son visage fin affichant un air contrarié. La nouvelle arrivée traversa la pièce à pas rapide, ses talons claquant bruyamment sur le plancher tandis qu'elle dépassait la Sarethi sans même prêter attention à elle. « Je n'en peux plus de ces hyènes. Franchement, rappelles-moi pourquoi j'ai organisé ce déjeuner déjà ? ». Elle s'arrêta face au bureau où elle se saisit de la liasse de papier qui avait été écartée par l'hôte des lieux. « Non, ne dis rien en fait, ça va m'agacer. » ajouta-t-elle vivement avec un signe de main. « Au fait. Il faut absolument que tu changes de Majordome. Et de personnels en général même. Tes Nägs commencent à prendre la grosse tête et à se prendre pour des Alfars libres. C'est d'un ridicule. » ajouta-t-elle en se tournant face à Èibhlin sans décrocher son regard des papiers. « Oui, je sais, je m'en occuperai dès que j'aurai un peu de temps. » répliqua son vis-à-vis. Elle ne répondit pas, ses iris clairs dévisageant d'un air hautain la Sarethi avant de tirer la grimace. « C'est ça la mode à Mornhîngardh ? ». Le visage d'Èibhlin s'empourpra. « N... Non madame. Je n'avais juste pas prévu de sortir aujourd'hui. Je devais passer ma journée à l'apprentissage des nuances de couleurs. ». Elle n'eut aucune réponse en retour sinon un soupir exaspéré. « Il va falloir changer cette habitude. Par Dothasi il y a bien plus de travail que je ne l'imaginais. » fit-elle d'un ton exaspéré. Un cours silence suivi la remarque durant lequel l'homme revint derrière son bureau. « Pour répondre à votre question, nous avons été amendé par le Lliryn pour superviser votre éducation. » - « La reprendre, oui. » commenta la femme avec dédain. « Certes. Comprenez qu'il est bien hors de question qu'une future épouse de Roi, représentante de notre peuple à l'étranger qui plus est, se comporte comme un manant. ». La concernée déglutie. « Cerys se chargera de superviser votre éducation dans les arts et les mœurs de notre peuple.  Quand à moi je m'occuperai de votre apprentissage culturel et celui aux armes. Egalement, nous discuterons ensemble de votre futur mariage, des termes du contrat, et du rôle que vous jouerez entre le peuple Sorcier et le nôtre. » - « Le contrat ? ». Ce fut la seule chose qu'elle relevât. Trop d'informations arrivèrent en même temps, se bousculant dans son esprit. « Le contrat de mariage petite sotte. Vous n'espériez pas y réfléchir seule ? Tout ce que vous alliez réussir à faire c'est vous faire rouler par ce Sorcier et finir enfermer entre les murs de son château sur leurs terres stériles. ». Èibhlin se mura dans le silence alors que les mots de la précédente lettre lui revinrent à l'esprit. Était-ce vraiment un mensonge ? L'appâtait-il avec ce ton bien plus doucereux ? Elle fronça des sourcils. « Je comprends... ». Elle releva les yeux sur le bureau en entendant la griffe de la plume sur le papier. Puis l'Alfar fit fondre un peu de cire sous la signature qu'il marqua de son sceau. Enfin il tendit le papier à la jeune Alfar. « Vous n'aurez qu'à présenter ceci pour pouvoir venir. Cela fera office de laisser-passer. ». Èibhlin s'avança à petit pas pour attraper le saint papier et en lit le pied-de-page. « Emrys Mævan... » murmura-t-elle d'abord avant d'ouvrir de grands yeux. « Mævan ? Comme... ». Elle n'en dit pas plus en voyant la femme poser ses mains sur les hanches, un air bougon au visage tandis qu'elle laissât échapper un soupir. « C'est de l'abus de pouvoir qu'il a fait. Il aurait pu choisir n'importe qui, mais non, c'est bien plus drôle de mettre un boulet dans les pattes de la famille. » fit-elle irritée. La famille ? « Au moins tu dépends de la Nothasea toi. Tu ne l'as pas régulièrement sur le dos. » répliqua Emrys dans un soupir en se redressant sur son assise avant de reprendre en balayant l'air de la main « Qu'importe. Les choses sont ainsi. ». La porte s'ouvrit de nouveau, un domestique apparaissant. « Accompagne cette jeune fille dans la salle d'eau et prépare-lui des affaires. Si je dois prendre la tutelle de quelqu'un je ne tiens pas à ce que ce soit une souillon. ». Èibhlin baissa des yeux et se pinça les lèvres à ces mots. C'était blessant. Mais à côté d'eux, c'était vrai. Même ces Nägs avaient plus fier allure qu'elle. S'en était dégradant. Et quelque chose lui disait qu'elle n'en aurait pas fini avec ce genre de remarque. « Si vous voulez bien me suivre. » fit la domestique avec un signe avant de faire demi-tour. La Sarethi la suivi en silence, entendant un dernier soupir las derrière elle. A l'évidence, ses journées seraient soudainement bien plus longue maintenant qu'elle serait suivie par les deux Nyëva.