Ne tourne pas le dos à l'inconnu

✠ Prevail - Audiomachine ✠

« Je dois admettre que je suis loin d'être une experte en la matière, mais je connais la plupart des Souverains les plus connus. Est-ce que cela suffira à me guider sur la bonne voie? » - « Je l'espère. » avoua Elyot sans pour autant chercher à approfondir son argument. La Cyraliel le scruta un instant de façon suspicieuse, avant de se mordre la lèvre inférieure. Elle avait beau posséder un vaste bagage intellectuel sur une panoplie de sujets, elle n'en demeurait pas moins un ingénieur : son domaine, c'était les sciences de la nature, pas les sciences sociales. Évidemment, elle détenait certains acquis sur l'histoire en général, mais ces derniers n'avaient rien de révolutionnaire. Sans nier l'importance de ce champs d'études en particulier, se rappeler les noms de tous les Monarques qui s'étaient inscrits à tout jamais dans l'Histoire ne l'intéressait pas le moins du monde. En tant qu'inventrice de génie, la femme préférait largement s'appliquer à façonner des œuvres dont elle pouvait immédiatement tirer des bénéfices, au lieu de passer sa vie entière à se plonger le nez à l'intérieur de vieux bouquins poussiéreux. C'était plutôt ironique, considérant son approche pédagogique avec le jeune Elfe, mais d'un autre côté, l'apprentissage de la théorie constituait un passage incontournable dans la formation de n'importe quel scientifique.

« Dois-je comprendre que la personne qui t'a implanté ces visions dans la tête a déjà été une Impératrice de la Nuit? » Le Valärunkar tapa une fois sur la couverture de son ouvrage. La Dagmar écarquilla les yeux, tant la vérité lui paraissait absurde. À défaut de lui fournir des réponses précises, celle-ci faisait naître bien plus de questions dans la conscience de la sylvestre. Pourquoi une ancienne Reine vampire s'amuserait à tourmenter un adolescent? Comment diable un Ygdraë, qui n'avait jamais quitté sa terre natale en passant, avait pu s'empiéter dans les filets d'une telle personne? Était-ce seulement le produit d'une machination planifiée ou s'agissait-il plutôt d'une coïncidence? La Cyraliel ferma les paupières l'espace de quelques secondes. Une nuit. Il n'avait suffi que d'une seule nuit pour déséquilibrer entièrement l'état émotionnel de son étudiant. C'était difficile de quantifier exactement le degré d'implication de cette femme dans le phénomène dont il était question, mais si elle appartenait bel et bien au Peuple de la Nuit, alors cela pouvait expliquer certaines choses, à commencer par l'atrocité des visions auxquelles le garçon était constamment victime. Cependant, les zones d'ombre pullulaient encore trop abondamment pour saisir pleinement les mécanisme de cet enchantement survenu, de toute évidence, pendant le sommeil de l'adolescent. « Est-ce que cette femme est toujours en vie? » demanda la Dagmar. La question pouvait sembler étrange, mais lorsqu'il s'agissait de Magie, alors tout était possible. Le jeune Elfe tapa un coup. « Est-elle toujours une Vampire? » Deux coups. Seryndë se mit à réfléchir. Quelles Impératrices de la Nuit étaient parvenues à quitter leur trône sans y perdre la vie au cours du processus? En changeant d'essence raciale entre temps qui plus est? À sa connaissance, aucune. Toutefois, la Borghild était convaincue que son élève ne lui mentait pas – déjà, parce qu'il était un piètre menteur, mais surtout parce qu'il n'avait aucun intérêt à essayer de la tromper maintenant, pas après en avoir autant révélé sur ses secrets. En supposant donc qu'il répondait honnêtement à toutes ses questions, peut-être qu'il faisait simplement répéter un mensonge qu'il croyait être vrai? Ou, s'il s'agissait bel et bien de la vérité, devait-elle assumer qu'une telle Reine avait réellement existé, mais que, pour une raison ou une autre, son nom s'était fait effacer de l'Histoire? Les deux théories étaient plausibles, mais malheureusement, la Cyraliel ne possédait pas les connaissances nécessaires pour corroborer ou démentir l'un des faits, voire même les deux.

Pendant que Seryndë réfléchissait, l'Eskët, lui, se laissait gagner par l'incertitude. Pour tout dire, il ignorait comment expliquer que la « femme » en question avait prétendu être un homme pendant toute la durée de son règne et ce, en volant l'identité de son prédécesseur au trône. Anxieux, Elyot attrapa le verre qu'il avait déposé sur la table après son petit incident afin de boire une gorgée d'eau. Reportant ses prunelles vers son apprenti après un temps de silence, la Mère de la Science reprit le flambeau de la parole en formulant une énième question. « Peux-tu dater l'époque de son règne? » - « Oui, mais je ne peux pas vous le dire. » avoua-t-il doucement, l'inflexion de sa voix trahissant une légère culpabilité. Effectivement, dater le règne d'Edelwyn signifiait forcément de révéler une information que, visiblement, la Dagmar ne connaissait pas, ce qui contrevenait aux règles du Lärtneesh. De surcroit, s'il tentait de contourner l'obstacle en faisant mention du Roi Azriel ou bien de Vlad Sparrow, il ferait face au même problème, car ces hommes étaient... L'Ygdraë déglutit, luttant silencieusement contre les sentiments de Mitsuko qui surgissaient à travers les siens, influençant sa conscience. Lorsqu'il parvient, au bout de quelques minutes, à reprendre le contrôle de ses émotions, il glissa promptement une œillade en direction de sa mentor, priant pour que cette dernière n'ait rien remarqué. « Je vois. » lança simplement la concernée sans insister davantage sur ce point. Si elle avait aperçu le malaise qui s'était affiché sur le visage du Valärunkar, elle s'était bien gardée de le mentionner. C'était probablement trop risqué. « Tant pis. » ajouta-t-elle dans un haussement d'épaules. Sa curiosité avait été piquée, mais le bien-être de l'étudiant était largement plus important que sa soif de connaissance. Elle expulsa un soupir de la barrière de ses lèvres.

« Il commence à se faire tard. » annonça-t-elle quelques instants plus tard. « Tu dois être fatigué, non? » Hésitant, Elyot acquiesça lentement d'un signe de tête. La Cyraliel arqua un sourire. « Reportons la suite de notre conversation à un autre jour dans ce cas. De toute manière, je crains que tu ne puisses pas m'en dire plus tant et aussi longtemps que je n'aurais pas identifié cette femme. » Le jeune Elfe fut contraint de lui donner raison. Ce ne serait pas facile. Aux yeux du monde, la Reine Mitsuko Taiji ne s'était pour ainsi dire jamais assise sur le trône des Vampires : les années de son règne ne correspondaient, pour les historiens, qu'à la continuation de la tyrannie d'Azriel Lienris. C'est pourquoi l'Ygdraë doutait que les recherches de sa professeure arrivent à porter fruit. Peut-être se trompait-il, ou peut-être voyait-il juste : l'Eskët n'en savait rien en vérité. Seul l'avenir pouvait lui apporter une réponse définitive. « Nous avons fait du progrès, c'est certain. » poursuivit la Dagmar. Marquant brièvement une pause, elle planta son regard dans les iris de l'adolescent. « Cela risque de prendre du temps avant que nous reprenions cette discussion, mais si jamais tu as besoin de soutien entre temps, n'hésite pas à m'en faire part, d'accord? Ce n'est même pas obligé d'être moi : ça peut être ton père, ta mère... qui tu veux, pourvu qu'il s'agit d'une personne de confiance. Me suis-je bien fait comprendre? » - « Oui. » Les traits de la Dagmar s'adoucirent. « Tu sais, même si tu ne peux pas parler de tes secrets, tu as le droit de demander un peu de réconfort auprès de tes proches. Nous sommes capables de faire preuve d'empathie et ce, sans forcément comprendre toute la complexité de tes tourments. » Elle s'interrompit, réfléchissant pendant une fraction de seconde, avant de reprendre la parole. « Ce que je cherche à dire, c'est que nous sommes là pour toi, quoi qu'il advienne. » Une larme glissa contre la joue de l'Eskët, mais ce fut avec un sourire radieux qu'il chuchota : « Je sais. »


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