Partenaire : Solo
Intrigue/Objectif : Suite de l'intrigue sur les Akésarlhas et découverte de la Fusion Báng.

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Souw'Gar, quelques jours avant l'inauguration.

" Souw, il a recommencé… " Un long soupir s'échappa de ses lèvres, marquées en partie par une peinture bleue. En ces temps où on la recommandait de toutes parts, Léto n'avait guère le temps de se poser pour méditer ou simplement se reposer. Les préparatifs pour l'inauguration de Souw'Gar battaient leur plein, tandis que les finitions se succédaient dans un délai satisfaisant. Parfois, la Chamane se perdait à admirer les édifices du nouveau village, mêlés avec l'éther du monde d'outre-monde. Elle remerciait les enseignements basiques de son paternel, à l'époque où elle n'était qu'une simple fille de bûcheron. L'exercice en lui-même fut édifiant, mais loin de plaire à ses hobbies habituels. Il lui prenait de plus en plus l'envie de retourner dans ses illustrations érotiques. Enfin, avec une plaie pareille dans les pattes, il lui sera encore difficile de s'isoler de la sorte…

La plaie en question portait le nom de Draaskag – Kewa'Enre'O – fils de Miles Köerta, et le sien. Hormis Prune Sùlfr, les descendants directs de Léto eurent tous le chic d'être de véritables terreurs. Kaine brillait par son côté taciturne et d'ours mal léché, Toesia possédait beaucoup d'énergie à dépenser, et Draaskag s'illustrait par son fanatisme mal dosé. Sa dévotion pour les Dieux lui tenait très à cœur, mais trop ne serait qu'un euphémisme, car le jeune Barnœska avait encore beaucoup de lacunes à combler avant de se brûler… D'ailleurs, en parlant de ça, une odeur de cramé titilla de suite les narines de Léto, lorsqu'elle foula l'extérieur. Elle remarqua alors la fumée et très vite la panique du jeune homme à vouloir contenir le feu. Lorsqu'il vit sa mère se rapprocher, lasse, il se justifia, comme à son habitude, très vite de ses bêtises : " Je voulais envoyer un message ! Par la fumée, née du feu sacré ! Afin que les Ætheri bénissent nos terres ! " Elle lui colla une tape sur le crâne, qu'il encaissa plus mal que bien, et lui intima de rapidement débarrasser son hommage foireux. Ce n'est pas avec des brindilles pareilles que tu feras un feu sacré. Voulut-elle lui expliquer encore une fois, mais Léto préféra laisser son fils réfléchir et grandir par lui-même. Il approchait un âge fatidique, une étape cruciale où il fera sans doute des erreurs ; néanmoins, comme tout le monde, il apprendra d'elles. Comme elle fit autrefois.

Les déboires enfin passés, les Souw'Ni oublièrent assez vite l'événement pour se concentrer sur leurs tâches respectives. Quelque part, ils avaient l'habitude avec le fol. Malgré tout, Léto devrait prendre en main, en partie, l'éducation de son unique fils sur cette Île pour qu'il soit digne de la relève, un jour. " Tu te laveras plus tard. Suis-moi, effronté. Avec dépit, Draaskag se laissa entraîner par sa mère dans un coin un peu plus reculé de Souw'Gar. Il reconnut l'endroit, là où certains Souw'Ba enseignaient aux plus petits, les préparer aux préceptes de la tribu et sur les futurs choix. Il lui était arrivé plusieurs fois de se retrouver embarqué là-dedans, avant de se demander à partir de quand il pourra rejoindre Momoko et avoir la tranquillité. À cette heure-ci, la petite place semblait désertée, quelques victuailles et percussions furent rassemblés sur quelques peaux de bête. La collation des forcenés, supposa-t-il. Viens t’asseoir avec moi. " Elle dégagea quelques encombrements pour leur laisser une modeste place. Assis en tailleur, Souw rectifia une mèche rebelle – sûrement brûlée par quelques étincelles – de sa progéniture avant de commencer leur nouvelle réunion.

" J'ai envie de discuter des Esprits, aujourd'hui. C'était un rite, une coutume entre eux : Draaskag était libre du sujet du jour et Léto y répondrait sans lésiner sur les détails.
- Très bien, je t'écoute. Assura-t-elle sur un sourire maternel.
- Je me questionne sur la fusion… J'aimerais être prêt pour ce qu'il m'arrivera le jour où l'Hozro se présentera à moi. Le sourire de la blonde s'agrandit. Voilà un thème qui lui tenait à cœur, qui régissait à peu près toute sa vie en tant que Chamane. Parmi ses divers devoirs, elle s'élançait, entre autres, dans la compréhension du phénomène, les effets qui pourraient en résulter, ainsi que les limites.
- La Fusion des Deux Esprits. Je pense sincèrement que c'est le plus beau don que nous ait accordé les Ætheri. Donner une nouvelle Vie à travers la Mort, unir les deux facettes de notre peuple. C'est ironique, parfois, de penser que nous pouvons survivre grâce aux Hozros. Inspirée, la Draugr saisit une noix de coco traînant parmi les provisions. Il y a quelques fondamentaux à assimiler pour se sentir prêt. Tu dois comprendre que nous sommes un Tout complexe. Dans le cadre de la Fusion, nous pouvons découper le Chaman en trois structures distinctes. Elle prit la noix de deux mains et la fracassa sur le sol, avec sa force conjuguée le fruit ne résista point. Elle força sur les deux côtés pour présenter la noix découpée plus ou moins avec perfection. Son doigt pointa alors la partie externe pour filer vers l'intérieur. Tout d'abord, tu as le corps, représenté ici par la coque. Il est notre enveloppe la plus palpable, celle qui nous définit. Mais ce que les autres Mortels ignorent, c'est que nous cachons, en nous, d'autres couches qui parfaire notre identité. Ici, l'amande est notre Âme, le réceptacle de notre Esprit. Lui-même qui est l'eau de coco. Elle prit ensuite l'autre partie de la noix, en faisant attention à ce qu'il contint encore son lait. L'Hozro, en lui-même, n'est que de l'eau qui erre en dehors de ses enveloppes primaires. Et la Fusion consiste à mélanger ces flux… Elle rassembla les deux parties et secoua la noix fissurée, les liquides naturelles laissant un petit vacarme à chaque secousse. Pour donner une nouvelle entité. Plus forte, plus sage, plus merveilleuse, tout ceci dépendra de quel flux tu laisseras couler dans ton Âme. Draaskag acquiesça doucement, grandement attentif. Elle lui proposa une moitié de noix pour se rassasier un peu. Sous fusion, tu seras différent. De nouveaux souvenirs pourront t'apparaître, tu auras parfois l'impression de ne pas te contrôler, même de t'oublier. Mais chaque action, lors de l'union, sera un consentement entre toi et l'Hozro. Une alchimie parfaite, si la fusion est réussite et contenue. Elle but une bonne gorgée d'eau de coco. Cela pourra durer un certain temps, tout dépendra de vous deux. Marquant une pause, sa propre expérience lui traversa l'esprit pour alimenter son discours. Curieusement, il arrive que notre personnalité ne soit pas la seule impactée. Nous gagnons effectivement en atouts, mais le corps peut également se voir métamorphoser. Ton regard, ta pilosité, tes muscles ou même ton visage. Comme si, quelque part, chaque Hozro transportait avec lui un reliquat de ce qui était sa coque externe, de leur vivant. Kewa'Enre'O imagina bien ce fait, ayant assisté plusieurs fois à des fusions grandioses.
- Et les Esprits Parasites ? Le regard de Souw parut plus grave à cette évocation.
- La Fusion est similaire, tant que tu es assez fort pour résister. Ces Esprits sont différents : ils tenteront d'anéantir le tien lorsque vous ne ferez qu'un, en gros de te dévorer de l'intérieur. Un brin ensoleillé frappa le visage de Léto, de nouveau plus gaie. C'est pourquoi notre tribu œuvre également au recensement des Esprits et de ne proposer aux jeunes Chamans que des Compagnons bons et fiables. Nous ne te confronterons jamais à une Fusion impossible à réaliser, Draaskag.
- Je vois… Le Souw'Ni passa à la chaîne toutes les nouvelles informations, apte à émettre de nouveaux questionnements. Et si… Et si l'Hozro était trop puissant. Ou le Chaman pas assez fort. Enfin, imaginons que l'Esprit apportait un "surplus" dont l'Âme serait incapable de contenir, que se passerait-il ? Les sourcils de la femme s'arquèrent, piquée à vif par cette hypothèse.
- Bonne question… Elle tenta de faire le portrait de cette situation : et si Oberon, à l'époque, l'avait détruite de l'intérieur ? Et si Latone s'avérait être trop instable ? Je suppose que notre Tout se fracturait en un instant. "

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Souw'Gar, le jour de l'explosion.

" AAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHH ! " Ses cris mutaient vers des timbres plus animaux, à mesure que la brûlure la tiraillait. Léto se débattait par terre, se roulant instinctivement pour éteindre les flammes qui la rongeaient. Sauf qu'elles étaient en elle, son monde intérieur se muait en une fournaise. Les deux à la fois, son Esprit et son Corps lui envoyaient des signes de détresse, auxquels elle ne pouvait répondre que par des plaintes inhumaines. Cette attaque – car cela en était réellement une – fut si soudaine et si puissante que Souw ne pouvait rien faire pour limiter ses maux. Ses forces la quittaient, ne lui laissant que sa voix pour hurler et ses doigts brûlants pour griffer la terre et sa peau.

" Là ! C'est Souw ! … Par tous les Dieux, elle est brûlante ! Son corps fume ! … Souw, vous nous entendez ?! … L'explosion venait de là ! … Quelqu'un a vu ce qu'il s'est passé ?! … Elle n'arrête pas de crier… Prévenez la tribu Delawam, n'importe qui ! … Vous deux, portez-la ! Mettez-y vous à trois, je m'en fiche, mais faites attention ! " La Draugr entendait tout mais peinait à voir plus que des silhouettes floues. Et surtout, sa gorge ne cessait d'extérioriser toute sa souffrance, sa voix s'éteignant peu à peu. Elle se sentit flotter, son Esprit s'égarant sans pouvoir quitter la cage de feu qu'était devenue son Âme.

" Qu'est-il arrivé à ma mère ?! " La voix de Kewa'Enre'O tira Léto de son cauchemar infernale, les douleurs reprenaient mais sa vue s'était légèrement améliorée. Elle reconnaissait les structures internes d'un bâtiment de Souw'Gar, sa chambre peut-être. On intima à son fils de rester dehors, de ne pas assister au spectacle atroce dont leur cheffe faisait preuve. Léto tourna la tête dans tous les sens pour regarder ses bras, couverts de brûlures internes. Les pores de son épiderme continuaient de laisser s'échapper la vapeur. Elle hurla de manière périodique, tandis que ses subordonnés réalisaient tout leur possible pour contenir son mal. Leur attitude de justiciers les poussait à prendre les décisions les plus sages, à ne pas céder à la panique sans clarifier tous les éléments. On déchira tous ses vêtements, afin de rafraîchir son corps, on réajusta aussi sa posture sur les fourrures. Cela dit, personne n'osa trop la toucher sans l'expertise d'un guérisseur ; et sûrement par crainte de se prendre une rouste par réflexe de sa part. " S-Sang… Parvint-elle à prononcer assez distinctement. Du sang… doit… couler… " Ses paupières se refermèrent sur ces mots, son Esprit souhaitant se recroqueviller dans le coin le plus froid de son Âme.

1874 mots ~

Ses larmes brûlèrent les traits de son visage, sans pour autant cesser ses prières intensives aux Ætheri les plus miséricordieux. La tête écrasée contre le bois, Kewa'Enre'O prit soin d'émettre chacune de ses requêtes le plus distinctement et rapidement possible. Il en avait cessé d'entendre ces rumeurs, il ne souhaitait qu'entendre une vérité : le retour en forme de sa mère, Souw en personne. La détresse de leur chef ne passa pas inaperçu à Souw'Gar, seuls les Souw'Ba les plus proches demeuraient, pour autant, dans la confidence. Draaskag n'eut aucune nouvelle, d'autant plus depuis la venue des émissaires de Delawam. Il lui semblait avoir vu quelques Zawa'Kar'Ba et des Nyam'Ba se présenter là où Souw sombrait. Les premières l'effrayaient grandement, tandis que les seconds lui inspiraient une étrange mélancolie. Depuis "l'assassinat" d'une Draugr, quatre tribus se mêlaient au sein du jeune village, abattant une atmosphère lourde à la limite de la paranoïa. Et dans ce cocktail explosif s'ajoutaient les Esprits, excessivement bavards et parfois menteurs. Certains confiaient des mots soufflés au chevet de Souw, d'autres confirmaient sa mort. La vérité était distillée dans un amas de mensonges auquel Draaskag se fermait. Tout ce qu'il lui importait était la parole des divins et des Grands…

Un reniflement quasi-animal lui parut, le Barnœska se retourna de suite. Il fit face à un homme très grand et très reconnaissable, malgré la pénombre dans laquelle l'autel plongeait. L'adolescent n'osa prononcer le moindre mot, trop noyé dans son propre chagrin. Le guerrier qui se présentait à lui continuait d'humer son odeur, plus proche, telle bête traquant sa proie. " Tu as son odeur. Draaskag demeurait paralysé, faible et l'allure pitoyable face à un Zawa'Kar dans son élément. Nous sommes nés sous la même Lune, avec la bénédiction du Saule. Tu me plais bien, petit. Il ne savait pas vraiment si c'était une bonne chose, il lui semblait déjà avoir entendu parler de lui via sa mère autrefois… Le Draugr lui saisit le bras – trop fortement au goût du jeune homme – et l'obligea à se relever. Lève-toi et allons voir ta mère. " Le petit Köerta écarquilla des yeux, soudainement admiratif et reconnaissant envers le barbare. Il se hâta de le suivre, séchant du mieux qu'il put les derniers reliquats lacrymaux.

Dans la chambre de Souw, une odeur particulière s'éleva. Pas de l'encens ou une quelconque décoction, non, Draaskag reconnut effectivement l'odeur du sang. Couchée sur le dos, couverte de symboles verts et de tâches rouges, le Barnœska comprit aisément qu'on ne préparait pas le départ de Souw, mais qu'on cherchait à la faire revenir. Pour avoir été une férue du cercle chromatique, Léto lui apprit énormément sur la symbolique des peintures chamaniques. Le jeune homme eut le cœur plus léger, mais il ne comprenait toujours pas en quoi ce rituel-ci consistait. Zawa'Kar le somma de rester dans un coin, un angle de vue pour qu'il puisse garder un œil sur sa mère. Outre les couleurs, le corps de la Souriante laissait paraître des traces de brûlure disparates, plus ou moins graves ; de plus, Draaskag ne captait aucun souffle, son enveloppe lui semblait bien trop rigide. L'illustre guerrier se mit à genoux près de la convalescente, aux côtés d'un grand homme au teint basané. Au même moment, des femmes à l'allure sombre quittèrent les ténèbres de la pièce ; elles passèrent devant le petit en ne lui adressant qu'un bref regard. La tribu Nyam. Comprit-il avant qu'elles ne sortent. Lorsque le rideau cessa sa danse après leur départ, l'autre homme – qu'il n'identifiât pas de suite comme Delawam – lui fit signe de s'approcher. D'une approche religieuse, le fils de Léto s'agenouilla près d'elle et chercha des réponses autant dans ses lésions que dans les yeux des Draugr.

" Kewa'Enre'O. Tu es la seule famille de Souw sur notre Île, par conséquent je t'autorises à prendre place avec nous. L'adolescent acquiesça doucement, reconnaissant, mais n'osa piper mot tant qu'on ne lui présentait des signes évidents. Ta mère est partie pour l'Au-Delà, dans le but de rendre justice. Draaskag releva le menton, attentif. Son Corps et son Âme ont été gravement atteints. Nous prenons donc l'entière responsabilité de son enveloppe charnelle, afin de garantir son retour en bonne et due forme. Une fois de plus silencieux, Draaskag hocha la tête.
- Elle passe vraiment trop de temps là-bas… Se plaignit Zawa'Kar. Elle ne s'appelle pas "Nyam" à ce que je sache. Il braqua son regard sur le fiston. T'en penses quoi, fils de la Lune destructrice ?
- Je… J'ai l'habitude. Ma mère peut passer beaucoup de temps là-haut et, parfois, rester longtemps ici… Il égara son regard sur elle. Elle n'y était pas retournée depuis un moment… Delawam confirma ses dires.
- Et pour cause, elle pensait que les réponses se trouvaient sur nos terres. Son intention de retourner dans l'Au-Delà… Il la contempla également. Pourrait démontrer qu'elle est sur une piste. Le Draugr de la guerre grogna, guère en place.
- Tout ce qu'elle nous a confiés, c'est sa soif de sang. Draaskag trahit sa compréhension à ce sujet.
- Kewa'Enre'O, ta mère est sensible à une magie sanguinaire. Peut-être t'a-t-elle raconté un jour comment son essence s'en était imprégné ? Il secoua doucement la tête, négativement. Léto était principalement dans l'écoute et rarement dans la confidence. Si tu souhaites, à ton tour, t'offrir à son rétablissement, tu peux lui présenter ton bras. " Le jeune Köerta déglutit, conscient que toute cette machination consistait à répondre à la requête de Souw. Malgré tout, il n'hésita pas à tendre son frêle bras. Cela ne sera qu'une maigre offrande comparée à la vigueur des Draugr, néanmoins il ne pâlissait devant cet honneur. Avec une précision chirurgicale, Delawam saisit le poignet du fils et l'entailla ; laissant s'écouler son sang sur l'épiderme de la cheffe.

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Le bruissement de l'eau lui fit rouvrir les yeux. D'un éclat singulier, ses iris dissonantes balayèrent son environnement, doux et glacial. Au loin, elle entendait la cacophonie de Zterbiuh'Oshi, ses illuminations toute particulières s'élevaient comme un unique joyau de l'Au-Delà. Les contrées voisines demeuraient ternes, presque boudées par les locaux éternels. S'y aventurer relevait quasiment d'un voyage psychédélique, tant la notion d'espace pour un mortel y perdait tout son sens. Malgré tout, c'était un challenge que Léto Sùlfr relevait à cœur joie. Si son Esprit s'était élevé jusqu'ici, suite à cette humiliation à Souw'Gar, cela ne devrait pas être un hasard. De plus… J'ai vu ton visage. Le fautif s'était imprimé dans son subconscient, comme si – en une fraction de seconde – elle ne fit qu'un avec lui. Le motif de l'attaque la troublait autant que l'application en elle-même. Ce fut un processus à la fois différent et familier. Léto s'était sentie totalement démunie, incapable de se défendre si ce n'était encaissé ; son corps suivit avec beaucoup de mal, ce à quoi elle ne put répondre qu'avec un abandon temporaire. De toute manière, si elle devait demeurer fantôme pour accomplir son devoir, alors ainsi soit-il.

Léto se laissa transporter par ses pas, sans réel but concret. La Draugr s'en remettait entièrement aux décisions des Ætheri, ainsi qu'aux signes apparents. L'Au-Delà était une terre riche en symboliques, en apprentissages, marquée ainsi par le vécu des nombreuses âmes ayant traversé les ères. On y trouvait autant de réponses que de mystères. Elle suivit ainsi l'herbe dansante de plaines, le courant d'une rivière s'écoulant dans le vide. Plus loin du précipice, elle aperçut une île, flottant près d'un agrégat montagneux. Au lieu de chuter comme l'eau, elle flotta jusqu'à ce monticule de terre, incroyablement feuillu. Elle traversa cette jungle de lianes et de folioles, jusqu'à entendre à nouveau ce bruissement aqueux. Léto dévoila enfin la source, une sorte de carbet perdu au beau milieu de ces bois. Sous le portique trônait un bain extérieur en bois, dont le contenu devait être bien chaud pour dégager autant de vapeur. Elle s'avança dans cette brume, prudente, jusqu'à discerner trois silhouettes : deux plongées dans l'eau, une autre gambadant autour. Son arrivée impromptue ne passa évidemment pas inaperçue.

" Je t'avais dit qu'il y aurait assez de place. L'homme, au centre, se redressait peu à peu, tandis que l'une des deux femmes – jumelles, vraisemblablement – s'approcha de Léto et l'observa de plus près.
- Elle est très grande, j'ai cru que c'était un homme ! Elle observa ses muscles, grandement intriguée. Je peux toucher ?
- Oh, attends, laisse-moi voir ! La seconde sortie du bain, en petite tenue, et se tint à l'opposé de sa sœur.
- Tu t'es perdue ? Il sourit et désigna l'horizon masqué par la végétation. Zterbiuh'Oshi est par là-bas. Tu ferais mieux de te dépêcher, ça a tendance à rapidement dégénérer par ici. Le front de Léto se plissa, elle cherchait à interpréter toutes les informations qu'elle conservait de sa malheureuse expérience. Elle finit par regarder la jumelle à sa gauche et la désigna du doigt.
- Bím. Les trois perdirent simultanément leur bonne humeur. Léto se tourna vers la seconde femme. Bàdá. Avant de terminer sur celui qui se baignait. Bòóm. Un singulier silence s'installa sous le carbet, tandis que les deux demoiselles retournèrent près du bain, la plus dénudée allant se réfugier contre le seul homme de l'assistance. Ces souvenirs ne sont pas les miens. Quelqu'un est venu ici… Elle s'approcha du bain et posa ses deux mains dessus. Et a tenté de me tuer.
- Tu es Souw… La sœur hors du bain croisa les bras, stupéfaite.
- Elle a survécu.
- Elle est vraiment trop forte… L'homme leva les mains hors de l'eau, le sourire lancinant.
- On comprend la justice, tout ça, mais j'ose espérer que tu ne nous prends pas pour des complices ? Léto se redressa, sa carrure lui octroya un air menaçant, bien qu'elle n'émît aucune hostilité apparente.
- Je ne sais pas quoi penser de vous, si ce n'est comme de potentiels témoins. Vous semblez en savoir bien plus que moi sur ce qu'il se passe en ce moment sur notre Île. Qui êtes-vous, au juste ? Les trois compères se regardèrent à tour de rôle ; étant donné la configuration, la Souriante aurait pensé que le mâle serait l'unique décisionnaire, pourtant elle captait un flux de sympathie entre les protagonistes.
- Tu connais les Esprits Parasites ?
- Tout comme eux, nous sommes des Esprits… différents.
- Nous sommes les Bángs. "

1839 mots ~

" Hahaha ! HAHAHAHAHA !
- Mais ferme ta gueule ! "

Bouche bée, les yeux écarquillés, Léto fixait Bòóm replonger dans cette eau très étrange, suite à sa gueulante. Les rires du premier résonnèrent jusqu'ici, mais la Chamane était parfaitement capable de deviner que la source se situait loin, très loin d'ici. Cette hilarité teintée de démence lui provoquait un certain malaise. Ce rire n'avait rien d'une simple expression, il semblait agir sur l'environnement… et sur les Esprits. " Excuse-moi, Souw. Il nous tape sur les nerfs constamment, et – par chance – on a le droit de lui gueuler dessus, vu qu'il ne nous écoute pas. Il leva l'index, sérieux. À condition de ne pas trop s'approcher. Accoudé aux rebords du bain, l'homme du trio prit un peu plus ses aises, tandis que les jumelles demeurèrent en retrait par rapport à la Draugr. Les Bángs. Reprit-il en soupirant. Ah, nous sommes si discrets, et pourtant si voyants ! Nous sommes en réalité les premiers Hozros. La curiosité de la Chamane fut piquée à vif : ces Esprits démontraient une certaine autarcie, ils étaient étrangement bien aux faits des tenants et aboutissants de son peuple. C'est un honneur de vivre avec et à travers vous, mais cela ne reste une chance qu'éphémère. Ensuite, nous retombons dans l'oubli… Toutefois, certains d'entre nous eurent l'occasion d'être à nouveau "choisis", parfois plusieurs fois. Ce qui est fascinant avec vous, les Chamans, c'est que nous continuons d'évoluer, d'apprendre par votre biais. Nous ne nous limitons plus à notre essence primaire, nous ne sommes plus des bambins que les mains noires ont bercé et jeté en pâture à l'éternelle existence. Nous avons grandi avec vous. Il sourit, narquois. J'ai partagé les aventures de trois maîtres, le premier était… Des signes évidents de contestation s'élevèrent du côté des femmes, auquel il répondit sans défiance. Très bien, très bien… Rien ne saurait expliquer notre mutation si ce n'est vous, les Chamans. Il est clair que les multiples fusions et nos inlassables collaborations nous ont amené à devenir des Esprits différents. Les Parasites le deviennent naturellement par un long chemin de leur vivant, mais nous, c'est un long processus à travers la mort. Léto se massa le menton, hautement intriguée par les dires du Báng, tant elle était attentive et silencieuse. Seulement, nous ne parasitons pas l'esprit : on le fait sauter. Boooom… Il mima une explosion avec ses mains. Les jeunes filles firent écho au geste et à l'onomatopée. À ce stade, c'est davantage une soudaine domination qu'une simple symbiose ; parfois, l'Âme ne supporte pas notre surplus, parfois, c'est le Corps qui lâche. Dans tous les cas, nous faisons dépasser vos limites et vous n'avez plus qu'à prier. Il rit entre ses dents, une lueur malicieuse traversa l'iris des trois Esprits. Ils brillaient, telle une flamme, tel son agresseur.
- Et ça fait "boom"… Encore une fois, ils répétèrent le mot tout bas.
- Tu sais, Souw… Les survivants d'un Báng sont rares, de telle sorte que nous demeurons dans l'anonymat. Mais récemment, les petites combines avec les Akésarlhas commencent à se faire remarquer.
- La majorité d'entre nous ne souhaitaient pas fouler Awaku No Hi. Bàdá s'avança, avec sa sœur sur les talons. Encore moins détruire les Pierres de Connaissance. Léto vit rouge instantanément.
- Quoi ? Souffla-t-elle, le plus calmement possible, mais sa voix tremblotante trahissait l'effroi qui s'emparait d'elle.
- Ils nous ont utilisés, vos hérétiques… Cette force qui nous habite, nous devons l'entretenir quotidiennement. Les Esprits normaux ne peuvent comprendre le fardeau que nous supportons. Nous crions, nous nous battons souvent, nous partons en fumée…
- Heureusement, l'Unega est notre salut. Bím dirigea son regard vers l'eau du bain, toujours aussi vaporeux et source d'une étonnante chaleur. D'autant plus que sa couleur rappelait les mirages du monde spectral. On ne trouve cette eau que dans notre dimension, nous y baigner soulage toutes nos tensions. La Draugr toucha le liquide spécial du bout des doigts, une délicate viscosité se raccrochait à son ongle, elle ressentait ce fameux effet avec exactitude, comme une source de chaleur qui parvenait à contenir son essence.
- Mais cela n'est pas suffisant pour nous tous. Il leva les mains au moment où on entendait à nouveau le hurlement bestial au loin. C'est ce que vos traîtres ont réussi à exploiter : nous permettre d'entreprendre le Báng, même sur des artefacts sacrés, c'est une aubaine.
- C'est ce qui est arrivé à la Pierre de Souw'Gar… Comprit Souw, effarée par ce plan dont la faille ne reposait que leurs méconnaissances de ces Esprits brillants.
- Et c'est ce qui t'es arrivée aussi, cette fusion forcée. J'aime faire le parallèle avec l'Emprise des Parasites, pour nous c'est plus une "Étreinte". Il se pencha en avant pour nager jusqu'à elle. Nous sommes de ton côté : nous pouvons te dire où est l'Esprit que tu cherches. Mais à une condition… "

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" WooooOOOOOOH ! "

Par-delà la cachette du singulier trio se tenait l'île voisine, un canyon gigantesque qui semblait constamment s'effriter. Avec la description qu'en fît Bòóm, la Sùlfr supposait que les Bángs restaient ici pour laisser aller leurs brusques crises. Ils passèrent devant des Esprits qui se provoquaient, parfois se battaient, et au loin de rares disparaissaient dans un éclat magique, balayant un maximum sur leur passage. C'était un endroit aussi agité que Zterbiuh'Oshi, mais à sa manière. Les Bángs avaient l'air de sauvages comparés aux Esprits de la cité, ainsi reculés dans ces vallées désertes, baptisés Tokashras. C'est une zone de guerre. Ainsi reculés, ces Esprits spéciaux ne possédaient pas un semblant de société ; chacun creusait sa tanière dans son coin, quitte à devoir la défendre de temps en temps. Une Vie après la Mort bien mouvementée.

" Vous m'emmenez dans des endroits qui me plaisent beaucoup, vous savez ? L'appel du combat la fit frémir. Avec toutes ses responsabilités auprès de sa tribu, il lui était de plus en plus rare de se livrer aux bras de Haziel. Au fond, Léto était heureuse que les Chamans se confrontent à un tel problème interne. Sans cette folie, elle ne serait même pas ici, à toucher du bout des doigts son objectif. Quel est son nom ? Bòóm se tint à ses côtés, les bras croisés sur son torse nu. Elle croyait pourtant qu'il allait les suivre nu comme un vers.
- Midos. L'un des plus… agités. Le Báng en question se tenait au sommet d'un tas de rochers, hurlant à la lune telle une bête. Ce portrait lui donnait un air royal. Enseigne-lui une bonne leçon et on t'amènera à Nahiossi.
- Très bien ! Elle se frotta les mains. Midos ! L'Esprit braqua son regard directement sur lui. Profitant, évidemment, de son état spectral, Léto flotta au-dessus du sol pour se tenir à sa hauteur. Tout autour d'eux, les spectres prenaient de la distance ; ils savaient parfaitement comme cela allait se terminer.
- T'ES QUI, LA BONNASSE ?! Le sourire de Léto prit de l'ampleur, ainsi qu'une veine frontale bien visible.
- Souw !
- SOUW ! Il se retourna entièrement vers elle en ricanant. Il était si grand, un colosse que même Léto ne pouvait toiser de haut. Lui aussi, il souriait d'une folie palpable, denture dévoilée. JE VAIS T'ÉCARTELER COMME MA POUPÉE QUAND J'ÉTAIS PETIT ! Il brillait de plus en plus, prêt à s'élancer. ZAWA'KAAAAAR ! "

La Draugr fut aveuglée un bref instant, mais son instinct combatif lui dictait sans mal l'intention du Báng. Sa garde solide encaissa les énormes mains du fol, elle l'agrippa au niveau des poignets et profita de son élan pour l'emmener avec elle au niveau du sol. Ensuite, elle recula et esquiva chacune de ses attaques. L'Esprit explosif criait tel un dément au fil de ses assauts, parfois riait, endiablé. Elle reçut un coup à la tête qu'elle encaissa à la grande surprise de Midos, elle le lui retourna et l'assaillit de plusieurs autres coups sur son tronc. Leur chorégraphie semblait répétitive, ainsi à se rendre les attaques à mains nues sans sourciller, sans chuter. Pourtant, l'Esprit reculait bel et bien, noyé par la force de la Chamane. À la fois atterré et enjoué, le gueulard suivait la cadence et laissait sa magie s'emballer dangereusement. Léto reconnut le phénomène pour l'avoir subi et craint un instant d'être emporté dans l'explosion. Midos se prit un revers qui l'emporta et se mit soudainement à hurler, beaucoup plus fort. La terre autour de lui commença à trembler, à se soulever, il brûlait d'une frénésie destructrice. La Souriante garda son sang-froid et courut à lui pour le choper par le bras ; l'explosion imminente, elle le fit tourner autour d'elle pour lui faire perdre ses moyens et finit par le jeter dans une crevasse. Midos rendit un ultime cri avant d'exploser en un torrent de flammes tenaces, d'une lueur à laquelle Devaraj, sans doute, aurait aimé assister. Léto souffla et se redressa, toute contente de sa victoire bien méritée. Les Bángs spectateurs hallucinaient, mais une dette restait une dette. " Révélez-moi les blasphémateurs de Raanu, je dois décider de leur sort. "

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" Encore une fois, tu vas là où j'attends te voir. Impérieuse, l'illustre cheffe de la tribu œuvrant pour le Cycle apparut au Tribunal des Morts. Souw lui rendit les salutations par cette singulière tape sur l'épaule qu'elle détestait. Rares furent les nôtres à rentrer des Tokashras ; et quand bien même, il nous a toujours été impossible d'en apprendre plus sur ces… comment dis-tu ?
- Bángs. Léto sourit davantage. J'aime bien, cela les décrit parfaitement. Nyam ne fit aucun commentaire, implacable.
- Et que devrais-t-on faire de ces étranges Esprits, ô justicière ? Il existait une sorte de complicité difficile à décrire entre les deux Draugr, après tout elles passaient le plus clair de leurs temps respectifs ensembles, ainsi éloignées dans l'Au-Delà. Pas de tension, pas de réelle interaction sociale, simplement deux puissantes cheffes qui entretenaient leur emprise sur cette partie de l'univers, inaccessible pour le commun des mortels.
- Les tester. Ce n'était pas tant les Esprits explosifs qui seront jugés, mais plutôt leurs "possesseurs". S'ils sont réellement d'anciens alliés, si nous pouvons faire confiance à certains d'entre eux, alors nous pourrions repousser les limites de la Fusion. La plupart préféreront rester à l'écart, soucieux des dégâts qu'ils pourraient causer hors de leur nid. Mais les autres… Bím, Bàdá, Bòóm… Nyam fixa Souw, irritée. Quoi ? En fait, ces trois-là s'appelaient Sahkyo, Keezheekoni, et Mankalita. J'aimerais découvrir les Chamans qu'ils ont accompagné, mais d'autres affaires m'attendent. Elle fixa sa main, de légères tâches ensanglantées commencèrent à apparaître, son corps entier en proie à ce phénomène qui la tirait peu à peu vers le monde des vivants. Surtout une. Une affaire urgente. La Draugr de l'Au-Delà acquiesça doucement, elle sera grandement attentive aux conséquences de ce jugement. Du sang doit couler. "

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