Rumeurs
« Les liens sacrés du sang »
☯ Suite de Chasse à l’homme...

Je ne sais pas ce qui s’est passé après mon évanouissement… Je ne sais pas ce qui est arrivé à Sparrow et à la petite Orisha… Mais nous avons perdus ce combat ; de cela, j’en suis certain… Et mon regard, comme un magnétisme, se porta vers mon frère qui dormait toujours. Un sommeil réparateur et pourtant troublant l’enserrait depuis deux jours à présent. Je ne savais plus quoi faire, quoi essayer pour qu’il se réveille enfin : il se trouvait dans cet état depuis deux jours, par tous les Dieux! Deux jours où je lui avais administré des soins, où j’avais tenté de le sortir de cette léthargie avec douceur, puis avec plus d’ardeur, mais rien n’était parvenu à lui faire ouvrir les yeux. Ce corps était bien celui de mon frère, Isley, mais son esprit, par je ne savais quelle Magie, n’était plus avec moi, parti vers des contrées aux frontières lointaines et aux paysages oniriques. Je commençais à perdre patience, mais surtout, je désespérais. Pourquoi ne se réveillait-il pas? Était-il tombé dans une espèce de coma? J’avais beau le secouer comme un cocotier, lui parler, le supplier, jamais, ses paupières ne s’étaient soulevées. Perdus en plein cœur des Terres Arides, il n’y avait pas âme qui vive à des kilomètres à la ronde. Je ne pouvais faire venir ni quémander de l’aide à une âme altruiste. Si vous entendez ma prière, Déesse de la Fortune… Priais-je fervemment, dans l’espoir que mes supplications de Mortels puissent être entendues. Mais l’état de mon frère, malgré l’heure qui s’écoula, malgré les heures qui s’écoulèrent par la suite, ne s’améliora pas. Je me tins la tête dans mes mains, m’adossant à la paroi de la caverne dans laquelle nous nous étions réfugiés tout en continuant d’adresser des prières à l’endroit de la Déesse aux yeux de perle. Inlassablement, comme un naufragé qui jetterait, sans discontinuité, des bouteilles à la mer, je libérais mes prières dans l’oreille habituellement attentive de notre Déesse. J’étais désespéré, effrayé de voir que mon frère ne se réveillait guère… Mais si l’inquiétude m’empêchait de quitter le chevet d’Isley, la faim, la soif et le manque de sommeil m’affaiblissait considérablement. Cependant, je me refusais d’abandonner Isley ne serait-ce que pour quelques secondes, grignotant le peu de provisions qui restaient dans nos bagages tout en m’abstenant le plus possible de toucher à nos gourdes d’eau, car je savais qu’une seule gorgée me tenterait d’en boire d’autres et d’autres jusqu’à ce que nos réserves s’épuisent. C’est pourquoi, soucieux de l’état de mon frère en premier, je lui donnais le liquide si précieux et clair avant même de songer à en boire. La vie de mon frère en premier, la vie de mon frère rimait à la mienne. Je ne pouvais le laisser se dessécher dans son état, et j’en prenais grand soin, l’enroulant dans nos couvertures une fois la nuit tombée pour lui éviter de prendre froid et lui administrant des soins quotidiens dans l’espoir de le voir se réveiller à nouveau. J’étais son frère, son jumeau et en tant que tel, je me devais de le protéger même s’il fallait, pour cela, que je méprise ma propre vie.


C’est ainsi, en additionnant les efforts, en accumulant l’espérance de le voir s’éveiller un jour, que je continuais de me mouvoir, de lui parler, de mettre de côté mes heures de sommeil pour me dévouer entièrement à l’état de santé de mon frère. Puis, une nuit, alors que la fraîcheur du soir m’enveloppait, me dorlotait, me caressait, m’emportant dans cette drôle de léthargie dans laquelle je rêvais de m’évanouir, je finis, bien malgré moi, par céder à mes désirs, fermant les yeux pour ne plus les ouvrir…

☯
« La nuit tombe plus vite ici que dans le marais, remarqua le quadragénaire en ajustant le baluchon qu’il portait sur l’épaule, et alors qu’il balayait la plaine fissurée, déserte, exempte de toute vie, de ses grandes pupilles violettes, il nota immédiatement la présence d’un creux dans le sol, qui détonnait de manière assez flagrante dans le paysage peu montueux de ces vastes étendues de terre arides. Peut-être que je pourrais m’installer à l’intérieur de cette caverne le temps d’une nuit, avant de reprendre la route vers l’Antre des Marais… »

Il s’assura, d’un rapide coup d’œil, qu’il n’y avait personne dans les environs, et plus particulièrement des Démons. Il n’était pas venu ici pour se faire tuer et encore moins pour servir de casse-croûte à ces espèces de bêtes sans foi ni loi. Je pourrai protéger l’entrée de mon abri grâce à la Magie, se rassura-t-il avant d’esquisser ses premiers pas en direction de l’ouverture.

Mais lorsqu’il se trouva à quelques centimètres de la grotte, il s’arrêta brusquement. Ses yeux s’écarquillèrent tandis que la prise qu’il exerçait sur son baluchon se relâcha légèrement.

Il venait de découvrir deux cadavres.


☯ 823 mots | 1 post

Rumeurs
« Les liens sacrés du sang »

Ce fut les premiers rayons diffus du Soleil qui me réveillèrent. Cognant contre mes paupières, ils me sortir bien malgré moi de mon sommeil. J’aurai pu dormir ainsi pendant des heures, voire des jours entiers, tant je me sentais fatigué, vidé de toute énergie. Tout ce à quoi j’aspirais, c’était de ne pas me réveiller, c’était de dormir encore longtemps, bien… longtemps…

« OH NON! » M’exclamais-je dans un grand cri, me redressant tellement vite que mon corps dut me ramener à la raison, m’envoyant un violent choc électrique qui me paralysa brièvement et qui m’arracha une grimace de douleur.

Mais en même temps, un second hurlement me perça les tympans et je tournais mon visage en direction de sa provenance, écarquillant les yeux en reconnaissant, agenouillé aux côtés de mon frère, un homme avec un flacon dans les mains. Je le dévisageais, incrédule, surpris et confus ; il me scrutait avec de grands yeux, paniqué, l’haleine courte tellement je l’avais étonné. Puis, doucement, mon regard se détacha de ses pupilles améthystes pour se poser sur le petit contenant qu’il tenait dans sa main. À moitié plein, il l’avait suspendu au bord des lèvres d’Isley qui, les yeux fermés, n’avait aucunement conscience de ce qui l’entourait. Brusquement, mon visage se ferma et mon regard s’assombrit.

« Oh mon Dieu! Vous êtes réveillé! Vous m’avez tellement… »

Le reste de sa phrase se perdit dans un murmure, puis dans un silence insondable dans lequel ni lui ni moi désirions intervenir. Jusqu’à ce que mes doigts frôlent le pommeau de Bellum, mon épée. Instantanément, j’agrippais mon arme avant de tendre sa lame entre ses deux yeux… Mais à notre ébahissement à tous les deux, nous nous aperçûmes que ma lame n’était pas complètement. Juste ciel! J’avais complètement oublié : durant notre combat contre Sparrow, ce dernier avait brisé la lame de Bellum. C’est pourquoi il ne restait plus que la moitié du fil acéré, hérissé à son extrémité par des pics aiguisés, aussi tranchants que les serres des oiseaux de proie. Malgré tout, je repris rapidement contenance, le foudroyant des yeux, lui faisant ainsi bien comprendre qu’il devait s’éloigner de mon frère.

« Éloignez-vous… Sans geste brusque… Éloignez-vous de lui… Le menaçais-je en me soulevant difficilement, gardant pourtant un contact visuel avec lui.

- J-Je n’ai rien fait de…

- Que lui faîtes-vous? Qu’est-ce que vous lui donné? » Sifflais-je avec une intonation qui ne laissait présager rien de bon.

Qui était cet homme? Pourquoi tenait-il cette fiole? Pourquoi donnait-il son contenu à Isley? Je m’étais endormi : je l’avais laissé s’approcher de mon jumeau sans même sentir sa présence. Quel échec! Quel désastre! Et s’il avait empoisonné mon frère?! S’il était là pour le tuer?! Sans réfléchir, je collais la pointe hérissée de mon arme contre sa gorge. Il recula vivement au contact glacial du fer, mais je ne lui laissais pas le temps d’esquisser un second mouvement ; réagissant au quart de tour, je bondis sur l’homme, lui arrachant la fiole des mains avant de l’immobiliser et de plaquer la lame de mon épée contre sa pomme d’Adam. De mon autre main, je suspendis sa fiole devant ses yeux, me penchant dangereusement au-dessus de son visage pour augmenter la nervosité que je voyais déjà poindre dans ses yeux.

« Qu’est-ce que vous lui avez donné? Répétais-je lentement, où l’agressivité vibrait dans la moindre note que modelait ma voix.

- Un élixir! Pour lui venir un aide! C’est tout! Je vous le jure!

- Ne me mentez pas! Qui êtes-vous? Pourquoi venir aider de parfaits étrangers, si ce n’est pas pour les voler ou les tuer?! »

Je n’étais pas un imbécile : nous nous trouvions sur les Terres arides, bien loin des régions et des contrées accueillantes des Magiciens ou bien des Elfes. Alors, qui était cet homme? Pourquoi aurait-il voulu « aider » Isley, comme il le prétendait? Le front du quadragénaire s’humidifia sous l’action de la peur et de l’anxiété et d’une voix chevrotante, aussi peu convaincante que celle d’un enfant qui apprenait tout juste à communiquer, il me répondit avec empressement :

« Je m’appelle Geygios! Je suis un Magicien! »

J’approchais plus près encore ma lame, peu enclin à la plaisanterie.

« Je vous le jure! Je vous le jure! Je suis un Voyageur… et un Magicien… et un Médecin sans frontière… et…

- Venez en aux faits, m’impatientais-je en grognant.

- Oui, oui, sans problème. Bref, je partais en direction de l’Antre des Marais pour mes recherches quand la nuit s’est levée, bien plus rapidement que je l’avais escompté. Alors, il me fallait un abri : vous savez, les Terres arides, les Démons, tout ça… »

J’acquiesçais lentement, l’invitant à poursuivre.

« Et j’ai trouvé cette grotte! Ce n’est que du pur hasard! Croyez-moi! »


☯ 794 mots | 2 post

Rumeurs
« Les liens sacrés du sang »

Dévisageant l’homme sous ma lame, je me mis à le considérer longuement, si longtemps qu’il finit certainement par croire que j’allais le décapiter. Mais ce n’était pas le cas, parce que je reconnaissais dans ces yeux cette lueur blanche, cette lueur saine, auréolée d’un doux éclat opalescent, caractéristique des races bénéfiques ; il était enveloppé par un cocon de pureté.

« Êtes-vous vraiment un Magicien?

- Je préfère que l’on me considère comme un médecin, mais oui, je suis un Magicien. »

Lentement, j’éloignais Bellum de sa gorge, ne le quittant pourtant pas du regard.

« Et vous étiez en route pour l’Antre des Marais.

- Oui, exactement.

- Pour y faire quoi?

- Des recherches. Sur une plante aux propriétés médicinales surprenantes que l’on ne trouve que dans cette région! »

Je vis ses yeux s’illuminer à la seule mention de cette plante, ce qui me convainquit de reculer encore un peu mon arme.

« Et pourquoi vouliez-vous aider mon frère? Pour tester l’une de vos expériences?

- Par Suris! Jamais je ne ferais une chose pareille! Vous étiez mal en point, très mal en point et vos blessures étaient si sévères que, malgré les soins que vous semblez vous être mutuellement prodigués, le sang coulait encore de vos plaies, vous rendant vulnérables à bien des infections. Vous savez que ce genre d’environnement est propice à la propagation de bactéries et…

- J-J’ai compris… » L’arrêtais-je soudainement en me décalant finalement sur le côté, maintenant persuadé qu’il était bien ce qu’il prétendait être.

Bienheureux de ne plus être menacé par une telle monstruosité acérée, le Magicien exhala un profond soupir de soulagement, se redressant grâce à ses coudes avant de me jeter un rapide coup d’œil, gêné.

« Hum… Voudriez-vous me redonner mon flacon?

- Ah! Oui… Excusez-moi », dis-je en lui rendant son bien, qu’il attrapa entre ses doigts tout en me remerciant.

Puis, à quatre pattes, il retourna au chevet de mon frère qui n’avait pas bougé d’un poil ; c’était à peine s’il avait cillé des yeux durant notre échange.

« Je… Je suis vraiment confus, Sir Geygios. Veuillez accepter mes excuses les plus sincères. Je… Je croyais sincèrement avoir à faire à un criminel…

- C’est compréhensible, mon garçon! J’aurai réagi comme vous… Enfin, avec un peu moins de précipitation…

- Veuillez me pardonner pour mes propos agressifs… Et pour mon comportement si peu digne… »

Le Mage bleu s’esclaffa, versant sa curieuse mixture entre les lèvres de mon frère.

« Vous vouliez protéger votre jumeau : vous n’avez pas à vous excuser d’avoir voulu protéger votre frère. Je suis un inconnu…

- Vous l’étiez, rectifiais-je en m’asseyant à ses côtés, observant le visage fermé et serein d’Isley.

- Peu importe! J’aurai tout aussi pu être un voleur ou un Démon après tout ; vous avez simplement fait ce que vous aviez à faire. »

Je conservais le silence suite à ces mots, continuant de dévisager le faciès imperturbable de mon frère. Il semblait dormir, rêver, mais ce n’était pas normal de rêver pendant presque trois jours… Trois jours…?

« Combien de temps ais-je dormi? M’enquérais-je, paniqué, auprès du Magicien.

- Une journée entière. Une chance que je vous ai trouvé en premier, parce que j’ai vu, la nuit dernière, un Démon absolument répugnant se traîner non loin de l’entrée.

- Et il n’a pas remarqué notre présence? Me surpris-je en le gratifiant d’une expression indéfinissable, pour lequel il répondit par un clin d’œil malicieux.

- J’ai quelques as à mon jeu, figurez-vous. »

Il rigola, puis, essuyant avec son mouchoir les quelques gouttes de sa potion qui avaient fuies sur la bouche de mon frère, il finit par replacer le bouchon dans le trou de sa fiole.

« Quant à ce jeune homme, depuis combien de jour se trouve-t-il dans cet état?

- C’est le quatrième lever de Soleil qu’il ne voit pas… Lui appris-je en baissant les yeux, et le Mage acquiesça d’un air grave en se caressant le menton. Est-ce grave? M’inquiétais-je immédiatement à la vue de son expression, mais Geygios secoua la tête négativement, m’assurant qu’il n’y avait pas de quoi s’alarmer.

- Du moins, pour le moment.

- Que voulez-vous dire? »

Le Mage bleu remit dans sa besace le flacon vide avant de tourner son visage dans ma direction.

« Votre frère est en parfait état : pour cela, ne vous inquiétez pas. Seulement, pour une raison qui m’échappe complètement, il semblerait qu’il ne veuille pas se réveiller… Ou, du moins, qu’il ne le peut. »


☯ 741 mots | 3 post

Rumeurs
« Les liens sacrés du sang »

L’œillade que je lui adressais exprimait à elle seule toute la confusion qui m’habitait à cet instant. Isley ne voulait pas se réveiller? Ou plutôt, il ne le pouvait pas? Enfin, Sir Geygios ne semblait pas vraiment le savoir, mais une chose lui était tout de même apparue clairement : c’est qu’Isley dormait, dormait profondément, prisonnier d’une chimère dans laquelle il ne semblait pouvoir se libérer.

« Comment pouvons-nous le sortir de là? » Voulus-je immédiatement connaître alors que le Magicien empaquetait son matériel et ses effets personnels.

Étrangement muet, il s’afférait au rangement au lieu de m’en apprendre davantage sur l’état de mon frère. Si, au début, je le laissais faire sans me poser de questions, ses va-et-vient finirent inévitablement par me donner mal à la tête.

« Sir Geygios…?

- Hum… Ah! Oui, mon garçon?

- Mon frère… Qu’est-ce que je peux faire pour lui venir en aide? »

Et aussitôt, le Magicien retomba dans ce silence particulier où seul les traits de son faciès semblaient parler. Ses sourcils se fronçaient tandis que le reste de son visage se relâchait, se crispait, se contractait, successivement, dans des expressions et des figures faciales que je ne pouvais correctement définir. Devant mes yeux, le Mage bleu s’activait sans plus se soucier d’Isley ou bien de moi ; devant mes yeux, il ne prêtait pas la moindre attention aux paroles que je lui témoignais, pressé de savoir ce qui accablait ainsi mon frère et qui le retenait – contre son gré? – dans ce continent onirique. C’est pourquoi, après une dizaine de minutes à réitérer ce manège, sans particulièrement de succès, je finis par m’énerver légèrement, me redressant également pour rejoindre Sir Geygios. De plus près, j’étais en mesure de remarquer les petits babillements qu’il échappait d’entre ses lèvres, comme s’il se marmonnait des formules ou des réflexions qu’il semblait ne vouloir partager qu’avec lui-même. Pour autant, cette attitude m’exaspérait. Pourquoi ne voulait-il rien me dire? Parce que l’état de mon frère était plus grave qu’il ne me l’avait dit? Me cachait-il des choses à propos de mon propre frère? Lorsque je parvins à sa hauteur, je déposais légèrement ma main sur son épaule, mais la force avec laquelle je l’obligeais à me regarder était loin d’être douce.

« Cessez tout de suite ce cirque et répondez à mes ques–

- Ah! Oui! Oui! J’ai trouvé! Ça devrait fonctionner! »

Je le dévisageais, incrédule.

« Qu’est-ce qui devrait fonctionner? Le questionnais-je, mais avant même de lui laisser le temps de répondre à mon interrogation – qui n’avait été lancé que par un drôle d’automatisme de ma langue – je lui attrapais les deux épaules, braquant mon regard dans le sien pour ne pas qu’il s’esquive comme toutes mes précédentes tentatives. Mon frère! Qu’est-ce que je dois faire pour sauver Isley?

- Ah? Alors, il s’appelle Isley?

- Pardon? Euh… Oui, il s’appelle Isley. C’est mon frère… »

Je marquais une pause, intrigué, avant de retirer mes mains de sur les épaules du Magicien.

« Je… nous aie pas présenté?

- Pas une seconde! » S’amusa le Mage bleu en lissant les coins de son vêtement qui aurait pu être froissé par mon soudain élan de nervosité.

Je restais immobile pendant plusieurs secondes, essayant de comprendre comment avais-je pu manquer ainsi de respect.

« Je… Veuillez m’excuser… Voulais-je me faire pardonner pour la énième fois en penchant profondément mon buste vers l’avant. Je ne fais qu’être rude et dur à votre égard depuis le début et j’ai manqué gravement aux convenances. »

Le Magicien rigola – encore – de mon désarroi et vint mêler ses doigts à ma tignasse pour les ébouriffer. Surpris par une tel acte, je bougeais vivement vers l’arrière, le fixant avec des yeux, soudainement, soupçonneux.

« Et toi, mon garçon, quel est ton nom? Me posa-t-il avec un sourire bienveillant, que je considérais avec méfiance, ne comprenant pas pourquoi il venait de me poser un tel geste d’affection.

- Mon nom? Isiode…

- Isiode… Tu sais que tu me fais penser à mon fils? »

Je clignais plusieurs fois des yeux, déconcerté par le comportement du Mage bleu, alors que ce dernier se permit d’exhaler un nouvel éclat de rire.

« Je vois en toi la même ardeur qu’il possède! Mais aussi la même fidélité que vous accordez à vos semblables. »

Mais pourquoi me racontait-il tout ça? Je n’avais pas besoin que quelqu’un commence à tracer mon portrait. Je voulais seulement savoir pourquoi Isley ne pouvait pas se réveiller, et ce qu’il me faudrait faire pour le sortir de ce rêve.

Cependant, le Magicien commençait à parler de moi, comme s’il connaissait quoi que ce soit de ma personnalité, de qui j’étais… Par les Dieux! Pourquoi ne nous concentrions-nous pas sur mon frère au lieu de tourner l’ensemble de notre conversation sur ma personne?


☯ 804 mots | 4 post

Rumeurs
« Les liens sacrés du sang »

« Sir Geygios? Pouvons-nous nous concentrer sur mon frère en priorité? Finis-je enfin par lui demander lorsque l’incompréhension et la surprise s’estompèrent doucement pour me rendre de nouveau lucide.

- Vous n’aimez pas parler de vous? Me posa-t-il, son interrogation me crispant le corps.

- C-Ce n’est pas ça… Seulement, mon frère est dans un état léthargique qui me préoccupe énormément et, avant toute chose, j’aimerais savoir comment je peux lui venir en aide. »

Le Magicien me jaugea des pieds à la tête et à l’instant où ses yeux violacés rencontrèrent mon regard, je tournais doucement mon visage sur le côté pour éviter de croiser l’éclat de ses iris. Bizarrement, cet homme me troublait. Énormément. Pourquoi se souciait-il de moi? C’était mon frère qui était en mauvaise posture ; c’était mon frère qui se trouvait dans un état que l’on ne s’expliquait pas ; alors pourquoi – pourquoi? – persistait-il à vouloir parler de moi? Je ne me sentais pas du tout à l’aise dans cette situation… Vraiment pas. Et c’est peut-être parce qu’il le perçut également que Sir Geygios finit par détourner son regard lui aussi pour le poser sur le visage d’Isley, qui dormait à poing fermé.

« Hum… Pour en revenir là où nous en étions, avançais-je prestement en marchant jusqu’à mon frère. Qu’avez-vous trouvé qui puisse fonctionner pour sauver Isley? Poursuivais-je en m’agenouillant à la hauteur de mon jumeau, le fixant avec tant de tendresse et d’inquiétude que le simple fait de penser qu’il ne pouvait m’être rendu me fit mal au ventre. V-Vous étiez bien en train de réfléchir à une solution pendant tout ce temps, n’est-ce pas? Alors qu’avez-vous conclue? Qu’est-ce qui pourra sauver mon frère?

- La plante que je recherche.

- Vraiment? Celle que l’on retrouve qu’à l’Antre des Marais, c’est bien ça? »

Il confirma mes propos d’un hochement de la tête.

« Amenez-nous avec vous dans ce cas!

- Mon garçon, je…

- Je vous en conjure, Sir Geygios! S’il se trouve que cette plante soit la seule solution pour ramener mon frère, je la chercherai jour et nuit, sans relâche, pour vous la rapporter selon la quantité que vous voudrez! »

Son visage, si souriant à l’ordinaire, se ferma un peu, mais j’insistais avec force, alignant les arguments, accumulant dans une liste factice tout ce qu’il avait à y gagner s’il m’engageait à trouver le berceau de cette fameuse plante médicinale. Puis, après bien des efforts – et bien de la résistance, autant dans un camp que dans l’autre –, il céda, accepta l’aide que je lui proposais. Un sourire s’étira sur le pan de mes lèvres ; un sourire qui n’avait plus fait surface depuis bien des jours, voire des semaines ou des mois. Soulagé, comme si l’on venait de m’apprendre que Sir Geygios pouvait ressusciter Isley, je me permis de serrer mon frère dans mes bras. Nous allons te sortir de là, Isley. Patience ; tu reviendras bientôt parmi nous…

« Mon garçon?

- Oui, Sir Geygios? »

Il ouvrit la bouche, comme pour me faire part de quelque chose, mais à la dernière seconde, il s’abstint et préféra secouer la tête.

« Laissez tomber. Préparez-vous plutôt. Nous allons nous mettre en route pour l’Antre des Marais.

- D’accord. Je ne serai pas long. »

Et aussitôt dit, aussitôt fait : je me redressais avant de voyager de gauche à droite pour ramasser tous nos effets qui avaient été sagement et soigneusement posés sur l’une des parois de la caverne – sûrement un autre soin qu’avait pris Sir Geygios alors que nous dormions tous les deux, mon frère et moi, comme des Paresseux. C’est pourquoi en moins de cinq minutes, j’étais fin prêt à suivre le Magicien jusqu’à l’Antre des Marais. Sa besace autour de la taille, ce dernier voulut soulever Isley dans l’optique de le porter, mais en le voyant manipuler mon jumeau de la sorte, je réagis au quart de tour, enjambant les mètres avec rapidité pour lui proposer mon aide, d’un ton affolé. Percevant sans mal le trouble qui m’habitait, le Mage bleu laissa simplement Isley à mon bon soin. Je soupirais, soudainement allégé, avant d’attraper mon frère et de passer l’une de ses jambes sur mon dos. Faisant des pieds et des mains pour l’embarquer sur mon dos, je me mis à me contorsionner de tous les côtés, aidé par Sir Geygios qui soutenait mon frère pour l’empêcher de tomber. Si ce fut un peu plus long qu’escompté, nous parvînmes toutefois par y arriver. S’essuyant le front avec le revers de sa main, le Magicien me coula un regard en coin avant de déclarer, d’une voix forte :

« Mettons-nous en route! Le chemin qui nous attend promet d’être long. »


☯ 787 mots | 5 post

Rumeurs
« Les liens sacrés du sang »

Le voyage qui nous attendait n’était pas seulement long, mais également semé d’embûches et d’obstacles qu’il nous faudrait contourner du mieux que nous le pouvions ; n’ayant pas la possibilité de me battre avec mon frère sur le dos et Geygios n’étant pas du tout fait pour le combat, nous ne pouvions pas espérer nous en sortir en nous défendant avec des armes, et c’est pourquoi nous avions facilement optés pour une sortie discrète des Terres arides, sans trop d’artifice – du moins, nous l’espérions. Cependant, nous avions la désagréable impression d’être la cible de toutes les menaces qui se cachaient dans ce désert au sol fissuré et ce, même en déployant toutes les techniques qu’il nous était possible d’effectuer en pareille position de désavantage : le Soleil tapait fort sur nos têtes, la sécheresse de ces plaines venait jusqu’à s’attaquer à notre gorge, au point que l’on s’étouffe rien qu’en avalant le peu de salive que nous étions encore en mesure de produire, et la présence des Démons, presque omniprésente, presque plus oppressante que d’accoutumée, se faisait sentir tout autour de nous comme des dizaines, des vingtaines, voire des trentaines de paires d’yeux qui nous lorgnaient, comme affamés. Geygios était incroyablement nerveux et ce serait vous mentir d’affirmer que je ne craignais pas pour notre survie moi aussi : dans ces conditions, nous étions des proies faciles et affaiblies ; n’importe quelle bête avide d’un peu de chair et de sang pouvait venir à bout des trois protagonistes que nous étions. Toutefois, ne croyez pas que nous étions sans défense. Grâce aux soins prodigués par Geygios depuis la nuit où il nous avait trouvés, j’avais suffisamment récupéré pour activer de nouveau ma Magie et lancer des sorts contre nos éventuels adversaires, et j’étais toujours en mesure d’étendre un Sanctuaire autour de nous, dans une circonférence peut-être restreinte, mais assez grande pour nous éviter d’être surpris par une attaque qui nous viserait. De plus, le Magicien, même s’il exacerbait la violence, m’avait avoué, en chemin, qu’il était en mesure de maîtriser le Feu, mais que le contrôle qu’il en faisait n’était pas vraiment au point. Peu m’importait. Le Feu, maîtrisé adéquatement ou non, restait une arme à ne pas sous-estimer, surtout lorsqu’on nous savait épiés par d’innombrables regards qui nous fixaient comme de la viande.

La marche fut longue et éreintante, et nos forces, si vigoureuses dans les premiers kilomètres, finirent par nous faire défaut à la moitié du voyage. Geygios quémandait plusieurs pauses, de plus en plus rapprochées alors que nous commencions à voir la fin de notre voyage dans les Terres arides poindre à l’horizon ; quant à moi, j’endurais comme je le pouvais cet interminable parcours, encourageant le Mage bleu à ne pas baisser les bras si près du but tant attendu. Cependant, je devais avouer que je le comprenais : moi aussi, mes muscles criaient de douleur, réclamaient seulement un instant de repos, mais la souffrance n’était que mentale. La souffrance n’est que mentale, disait souvent notre mère lorsque, tout jeune, Isley et moi nous nous blessions dans un autre de nos jeux d’enfant.

Je me répétais ces quelques mots à la manière d’une comptine dont le rythme et le ton variaient au fur et à mesure de notre progression : assurée et dynamique, la chanson déclina néanmoins sur une litanie moins rapide, plus saccadée, plus faible aussi, en écho aux halètements que j’échappais d’entre mes lèvres à chaque foulée que j’esquissais sur le sol desséché de ces plaines. La… s-souffrance… mentale… n’est… mentale… Dépassé la fatigue, il y avait le déséquilibre ; mes pensées s’écorchaient, se mêlaient, se démêlaient durant une fraction de seconde pour mieux s’entortiller et se ficeler à nouveau, comme une dizaine de bobines de fil qui avaient fini par s’unir par des nœuds. Je trébuchais, la sueur et la chaleur devenant de la bruine devant mes yeux. Geygios me coula un regard à la dérobée, n’osant s’exprimer durant les premières secondes, mais plus nous avancions sur le plateau, et plus sa langue se déliait dans sa bouche, jusqu’à ce que trois mots parviennent à s’extirper d’entre ses lèvres :

« Faisons une pause, me lança-t-il et je me mis à le dévisager, ne comprenant pas tout de suite le propos de son discours. Nous ne pouvons pas continuer à un tel rythme, poursuivit-il en essuyant, sur son front, les perles de sueur qui s’étendaient en une couche bien visible et bien épaisse sur celui-ci. Nous devons nous reposer. »


☯ 750 mots | 6 post

Rumeurs
« Les liens sacrés du sang »

« N-Non… Expirais-je d’une traite, n’ayant même pas suffisamment de salive pour me justifier, ce qui énerva le Magicien qui s’arrêta subitement de marcher.

- Pas de « non » qui tienne! Avez-vous simplement regardé dans quel état vous vous trouvez? »

Je ne cessais pas de marcher, mais je ralentis néanmoins mon pas, assez pour lui jeter un regard par-dessus mon épaule lorsque je le dépassais.

Je savais dans quel état je me trouvais et ô combien la souffrance me paralysait mentalement, mais je ne pouvais pas arrêter, pas tant que nous ne serions pas arrivés à l’Antre des marais et qu’Isley soit en sécurité. En croisant mon regard, Geygios me scruta avec un froncement de sourcils réprobateur et je préférais encore ne pas y prêtre attention pour poursuivre mon chemin sous le Soleil de plomb.

« Cessez cette folie, Isiode! »

Je ne répondis pas.

« Si nous continuons ainsi, nous serons uniquement ralenti par notre propre faiblesse! »

Mais je ne l’écoutais pas.

« Isiode!! »

Je m’arrêtais, parce que le Magicien venait brusquement d’apparaître devant moi.

« Écoutez-moi! Nous avons besoin de reprendre des forces. Toi, plus que quiconque.

- N-Non… Gey…gios… Peinais-je à articuler tant ma gorge était nouée.

- Ce n’est plus Geygios qui parle : c’est le médecin. Alors, vous allez arrêter toute ce délire et vous asseoir ici pour que nous puissions nous partager nos vivre tout en prenant du repos.

- Faisons… le… en mar-mar-marchant…

- Non. Nous serons assis, et c’est tout », décréta Geygios en appuyant ses mots d’un regard chargé d’autorité et de sévérité, desquels il ajouta le fait : ni plus ni moins, il se départit des bagages qu’il portait et il se mit à fouiller à l’intérieur, en quête de nourriture à se mettre sous la dent et de liquide plus ou moins désaltérant.

Pendant une fraction de seconde, il redressa son visage dans ma direction et je soutins ses yeux violets, cherchant à opposer à leur dureté un mélange de désespoir et de détermination à peine refoulée. Parce que nous devions trouver cette place au plus vite pour mon frère. Geygios l’avait lui-même dit : son état n’était pas sévère, en apparence, mais ne sachant pas exactement de quel mal il était atteint, nous ne pouvions être sûrs de rien, nous ne pouvions pas savoir si sa condition s’aggraverait ou non. C’est pourquoi nous ne pouvions perdre notre temps. Le Mage bleu, après cet instant, poussa un soupir, délaissant, pour un moment, sa fouille archéologique.

« Je comprends pourquoi vous vous obstinez, pourquoi vous ne voulez pas perdre une minute ; je comprends pourquoi vous faîtes tout cela, Isiode. Mais cette façon de faire n’est pas la bonne.

- Que… voulez-vous… di-di-dire?

- Je veux simplement dire que vous vous ferez plus de tort que de bien si vous poursuivez dans cette entreprise, autant pour vous que pour…

- Mon état m’im-m’importe p-p-peu, le coupais-je d’un ton las, éreinté.

- … Autant pour vous que pour votre frère », renchérit-il en tournant son visage en direction d’Isley.

En utilisant ce simple mot, « frère », Geygios savait qu’il venait de toucher une corde sensible, et il eut raison de le croire en constatant mon soudain mutisme. Je ne pipais mot pendant plusieurs secondes, sentant la prise que j’exerçais sur mon frère se raffermir. Puis, je me risquais à échanger un nouveau regard avec les yeux du Magicien, qui me suppliait de l’écouter, dans mon intérêt. Cependant, je n’avais aucun intérêt propre à préserver : tout ce qui devait être sauvegarder, c’était la vie de mon frère, dans ses intérêts à lui et non pas dans les miens. C’est pourquoi je résistais encore, intérieurement, persuadé que nous ne pouvions pas traîner ainsi, mais sous le joug de ce violet, aux implorations silencieuses, je finis par céder, m’abaissant vers le sol pour déposer mon frère endormi. Sans plus regarder Geygios, j’étendis le Sanctuaire autour de nous. Puis, tirant nos bagages vers moi, j’en extirpais une couverture que je plaçais sur le sol avant de porter mon frère sur celle-ci et de lui confectionner un pseudo-oreiller avec les sacs. Le Mage bleu, bienheureux par un tel dénouement, expira un profond soupir avant de s’écraser de tout son poids sur la surface craquelée de la plaine, portant à sa bouche quelques biscottes qu’il venait de sortir de son baluchon tout en les mélangeant au liquide le plus précieux de ce monde : de l'eau.


☯ 741 mots | 7 post

Rumeurs
« Les liens sacrés du sang »

Toutefois, il était hors de question que je m’avoue vaincu pour si peu. Je ne pouvais me permettre de me la couler douce alors que mon frère luttait sûrement pour sa vie à l’heure actuelle.

« Nous… ferons une pause… Expliquais-je à Geygios, m’assoyant en tailleur aux côtés de mon frère. Mais pas… pas plus de trente minutes. »

Le Mage m’adressa un drôle de regard avant de répliquer, presque avec enthousiasme :

« Je savais que tu dirais quelque chose dans ce style! »

Je lui lançais un rapide coup d’œil avant de baisser les yeux sur le visage d’Isley qui, les yeux clos, échappa un soupir dans son sommeil.


Et comme promis, nous quittâmes l’habitacle des Terres arides trente minutes plus tard, malgré les marmonnements de Geygios ; ce n’était pas suffisant pour nous sentir de nouveau pimpants et fringants, mais cela avait tout de même la qualité de nous avoir reposé, un repos que nous avions bien mérité.

« Combien d’heures nous reste-t-il avant d’atteindre les marais? »

Le magicien leva son visage vers le ciel aux nuages clairsemés, étudia la position du Soleil avant de décréter d’un ton soulagé :

« Moins de quatre heures. Si nous avançons assez vite, nous pourrions y être en moins de trois heures!

- Bien. »

Et comme s’il venait d’actionner un bouton Marche à mon organisme par la simple force de ses mots, je me mis à accélérer le pas, tenant fermement mon frère pour ne pas qu’il m’échappe.

« Nous y serons en moins de deux heures », m’exclamais-je avec tout le sérieux du monde, assuré d’y arriver dans le temps que je m’étais alloué.

Derrière moi, traînant nos sacs et son baluchon, Geygios relâcha un énième soupir, son pied se laissant mollement tirer vers l’avant à chacun des enjambées qu’il foulait.

« Elle est complètement folle, cette jeunesse… »


Les premières odeurs et les premières sensations d’humidité se firent sentir, effectivement, trois heures plus tard à peu près. Nous n’étions pas très rapides vers la fin de notre parcours, mais l’important était que nous étions tout de même parvenus au bercail. L’Antre des marais s’étendait devant nous, la boue et les hautes herbes foulant bientôt nos jambes, alors que l’eau stagnante des cours d’eau montait jusqu’à nos chevilles, comme si elle désirait nous emporter dans des profondeurs plus obscures, cachées au cœur de ces marais. Geygios prit une grande inspiration, ses mains entourant son bassin, avant de pivoter tout son corps dans ma direction, surpris ; pour la quatrième fois de la journée, je tombais à cause de la surface instable du marais, posant un genou au sol pour m’éviter une chute catastrophique avec mon frère sur le dos. Je serrais les dents.

« Est-ce que tout va bien? » S’inquiéta le Magicien et, comme seule réponse, je hochais de la tête pour lui assurer que tout allait parfaitement bien.

Déployant mille efforts et forces qui me semblaient avoir déjà disparues depuis longtemps de mon corps, je parvins à me redresser sur des jambes déséquilibrées, qui tremblaient affreusement dans la vase et la boue. Je déglutis, adressant une rapide œillade à l’intention d’Isley qui, malgré toutes les péripéties que nous venions de traverser, que ce soit dans les Terres arides qu’ici, dans les marais de l’antre, n’avait même pas ouvert une seule de ses paupières. Plus le temps passait et plus je m’inquiétais pour lui. Ce n’était pas normal qu’il dorme autant… À moins que Sparrow lui ait lancé une malédiction durant leur combat? Réfléchissais-je.

« Suivez-moi. Mon laboratoire se trouve à quelques mètres d’ici. »

Sursautant, risquant une nouvelle fois de tomber, je réussis néanmoins à me stabiliser grâce au tronc d’un vieux chicot rempli de mousse et moisi à bien des endroits. Je me secouais la tête, histoire d’éclaircir mes idées, avant de suivre le pas du Magicien qui se mouvait dans ce marais comme un singe dans son arbre. Plus d’une fois, je le perdis de vue et si ça n’aurait pas été de sa voix qui me guidait et me parlait, je me serais sûrement perdu tout court en fait. Cela dit, je fus tout de même en mesure de le suivre dans la végétation étouffante, qui tendaient ses branches jusqu’à nos visages et collait ses feuilles molles sur nos vêtements. Je m’avançais dans ce marais avec prudence, sachant pertinemment que les branches que j’évitais ne devaient pas blesser mon frère : j’avais un joyau sur mon dos que je me faisais un devoir de préserver de tous ces dangers, aussi minimes pouvaient-ils être. Par chance, ce ne fut pas bien long avant que je retrouve Geygios immobile devant une vieille cabane en bois. Sourire aux lèvres, il écarta ses bras devant lui pour me présenter sa demeure :

« Bienvenue chez moi, mon cher ami! »


☯ 793 mots | 8 post

Rumeurs
« Les liens sacrés du sang »

« Vous vous occuperez de mon frère durant mon absence? Dis-je à l’intention de Geygios qui se retourna, surpris, dans ma direction.

- Quoi? Vous partez déjà? Mais la nuit vient à peine de tomber et nous revenons d’un voyage qui a duré une journée entière! »

Je confirmais ses dires d’un simple hochement de la tête, tirant sur le cuir de mes bottes pour enfoncer mon pied à l’intérieur, tout de même prêt à reprendre le large pour retrouver cette plante aux propriétés que l’on qualifiait de miraculeuses. Je me redressais, fin prêt, avant de porter mes yeux sur le visage du Magicien, attendant toujours sa réponse. Voyant que j’attendais après lui, le Mage bleu secoua sa tête avant de soupirer, complètement dépassé par mon comportement.

« Vous ne désirez pas vous reposer?

- J’ai mangé et bu à ne plus en avoir soif. Alors je suis prêt à retrouver cette plante », dis-je en nuançant légèrement la réponse à laquelle il s’attendait, parce que je désirais me reposer, plus que tout, mais l’état de mon frère m’inquiétait de telle sorte que si je ne faisais rien, je ne pourrais jamais être tranquille et me reposer comme je le souhaiterais.

Geygios ne releva pas cette déviation volontaire, me faisant plutôt un signe de la main pour me désigner quelque chose sur sa table à manger. Curieux, je me rapprochais, découvrant une carte rapiécée sur les côtés, à l’encre presque effacée et illisible. J’attrapais le parchemin, qui s’effrita entre mes doigts.

« C’est une carte de la région, m’apprit Geygios en se postant de l’autre côté de la table, les bras croisés. Vous voyez les deux zones encerclés au nord du territoire? »

J’acquiesçais en silence, les remarquant assez facilement sur le parchemin à cause de l’encre récente que le Magicien avait utilisé et qui contrastait violemment à celle, plus vieille, qui avait tracé la carte.

« Ce sont les zones qui, à mon sens, seraient les plus favorables à l’implantation de cette plante. La température et les conditions du sol étant les plus idéales dans ce secteur, je vous conseille de commencer vos recherches là-bas. Mais ne traînez pas trop… surtout en cette heure.

- Je ne serais pas trop long », promis-je en jetant un nouveau coup d’œil au livre qui reposait sur la table et qui montrait une illustration ridiculement réaliste de la plante en question.

Geygios me l’avait présenté peu après qu’il m’ait aidé à coucher Isley sur son lit, et il m’en avait décrit les vertus au mieux de sa connaissance et de celle de la littérature, n’arrêtant pas de m’avertir qu’il n’était tout de même pas certain des bienfaits que cette plante pourrait avoir sur l’état de mon frère.

« Également, faîtes attention aux grenouilles.

- Aux grenouilles?

- Oui. Vous devez savoir qu’il y en a à foison ici. Seulement, des Béluas monstres vivent sur le territoire et je connais l’un d’entre eux qui considère les grenouilles comme ses amies. Il ne faut pas les écraser ou leur faire du mal, sinon il va tout faire pour vous tuer. Il vous traquera et il vous tuera. Croyez-moi, je l’ai déjà vu à l’action… »

Et cela suffit à le faire trembler.

« Je ferais attention, lui promis-je, ne désirant pas plus me battre que lui aujourd’hui : j’avais passé une longue journée qui ne semblait pas vouloir se terminer pour le Bien-être de mon frère.

- Je l’espère pour vous, Isiode. Je l’espère… »

Tendant sa main vers le livre qui reposait sur la table, il le prit avant de me tourner le dos, se mettant à feuilleter les pages.

« De mon côté, je ferais tout ce qui est à mon pouvoir pour aider votre frère. Je vais me replonger dans ces livres et trouver quelque chose de plus concluant que de simples hypothèses.

- M-Merci, Sir Geygios… »

Il me lança un sourire avant de me faire signe de partir, ce que je fis sur le champ, la carte en main et l’épée de mon frère reposant dans mon fourreau. Étant donné l’état de Bellum, je ne pouvais me permettre de me trimballer dans ces marais obscurs sans une arme adéquate. J’espérais, cela dit, ne pas être obligé de devoir la dégainer ce soir.

☯
Dans la cabane, Geygios faisait des va-et-vient dans la salle principale, prêtant peu de délicatesse à sa démarche, sachant pertinemment que le jeune homme endormi ne se réveillerait pas de sitôt. Par ailleurs, lorsqu’il traversa la salle à la recherche d’un énième bouquin, il se permit de jeter un regard vers le jumeau d’Isiode. Quel étrange duo, n’empêche… Se dit-il en repensant au caractère d’Isiode, ce dernier si inquiet pour son frère que ça en était presque dangereux. Autant pour son frère que pour lui-même…

« Vous comptez beaucoup l’un pour l’autre, n’est-ce pas? »

Mais le jumeau ne dit pas un mot, et ce fut à peine si son visage s’altéra dans la pénombre de la cabane, simplement éclairée par quelques bougies éparpillées.


☯ 833 mots | 9 post

Rumeurs
« Les liens sacrés du sang »

Les marécages avaient cette désagréable odeur de moisissure et d’humidité qui fit retrousser mon nez de dégoût. Je n’aurais jamais pensé qu’un effluve pouvait me repousser autant, à l’exception de celui que dégageait les Démons. Pourtant, je ne pouvais pas faire demi-tour. Mon frère m’attendait et comptait sur moi plus que jamais. C’est pourquoi, dépassant mon aversion et ma répulsion, je me mis à avancer dans la vase et l’eau stagnante qui montait, bien rapidement, le long de mes jambes. L’eau, d’un vert répugnant, faisait naître des frissons le long de ma colonne vertébrale tandis que le bruit de succion qui se joignait à chacun de mes pas me retournait l’estomac. Quel endroit fétide et écœurant… Cela dit, je continuais de m’enfoncer dans les marais, éloignant du revers de la main les lianes qui venaient se suspendre devant mon visage ou les nuées d’insectes qui se mettaient à tournoyer au-dessus de ma tête, comme dans l’attente de l’opportunité rêvée pour me piquer. Sans ménagement, je contrôlais l’Air de manière à les repousser loin de moi, mais lorsqu’une nuée disparaissait de mon champ de vision, deux autres la remplaçaient, encore plus avides et nombreuses que la précédente. Ça commence à bien faire… Marmonnais-je pour moi-même, m’entourant du Sanctuaire pour calmer la fréquence et la frénésie de leurs assauts.

J’avais craint que le pouvoir ne soit d’aucune efficacité contre ces bestioles ailées, sachant pertinemment que le sang s’avérait être un élément nutritif de grande importance pour les œufs qu’elle portait en elles, d’où leur besoin irrationnel de vouloir s’attaquer à moi, mais, à mon grand bonheur, la tactique eut raison de leur instinct et je pus poursuivre mon chemin sans trop me préoccuper de ce qui me tournait autour à présent, les sachant, désormais, aussi tranquilles et inoffensives que des nourrissons. Je souris, poursuivant mon chemin dans le marais, m’aidant de la carte donnée par Geygios pour m’orienter et me repérer. Malgré tout, je n’étais pas rassuré. Non, cette fois-ci, cela n’avait aucunement à avoir avec mon frère. C’était tout autre chose. Et cela se trouvait ici, dans les marais, avec moi. Un nouveau frisson s’étendit sur l’ensemble de mon corps tandis que je m’arrêtais subitement de marcher pour balayer les environs du regard. Personne en vue. Évidemment.

Est-ce qu’il pourrait s’agir de ce fameux adorateur de grenouilles et des autres Béluas? Songeais-je en reprenant la route avec prudence, songeant immédiatement à l’avertissement du Magicien avant que je ne franchisse le seuil de son entrée. Il ne fallait pas que j’écrase, que je tue, bref, que je fasse du mal, à l’un de ces amphibiens. Si j’avais pu croire à une plaisanterie de sa part, son timbre m’en avait aussitôt dissuadé : ce qu’il avait vu cette journée-là, peu importe la nature de la scène dont il avait été témoin, avait profondément traumatisé cet homme, au point qu’il en tremble rien qu’en évoquant la chose. Cependant, s’il était médecin comme il prétendait l’être, ce genre d’horreur, il avait dû en voir des centaines, surtout avec tous ces conflits et ces guerres qui éclataient en ce moment, de plus en plus violemment, de plus en plus virulemment. C’est pourquoi je m’armais de vigilance et d’attention accrue pour détecter la présence de crapauds à proximité. Pour le moment, tout me semblait calme – et merci à mon Sanctuaire qui m’évitait bien des attaques d’espèces inconnues, mais dont je sentais la présence frôler mes jambes et mes chevilles dans l’eau nauséabonde.

« C’est vraiment un endroit effrayant… » M’entendis-je lancer à voix haute dans le marécage silencieux, où seuls quelques croissements et clapotements dans l’eau venaient briser la quiétude des lieux.

Mais entendre ma voix dans ce silence sépulcral me fit plus peur que la sensation de ces écailles que je sentais écorcher le cuir de mes bottes à cause de leur rugosité. Encore une fois, je m’arrêtais pour observer les environs, et je n’aperçus aucun mouvement dans la nuit sombre, à l’exception de cette liane qui se balançait doucement au gré du vent…

…
… …
… … …

Pardon? Qu’est-ce que… Qu’est-ce que c’était que ça? Je me figeais instantanément, écarquillant les yeux en voyant ce que j’avais cru être une liane se mouvoir d’elle-même, animée par la simple force de sa volonté. Aussitôt, je me mis à reculer prudemment, ne lâchant plus la « liane » rouge du regard, interdit. Mais quelle sorte de monstres vit dans ce marécage?


☯ 750 mots | 10 post

Rumeurs
« Les liens sacrés du sang »

« Fais attention à Suziiie!! » Hurla soudainement une voix suraigüe, la « liane » rouge s’agitant avec violence dans les airs « sur » lesquels elle se suspendait.

Instantanément, je me paralysais, mon corps réagissant plus vite que ma pensée, et alors que je cherchais à comprendre ce qui venait brusquement de se produire, j’entendis un faible coassement dans mon dos. Lentement, je tournais la tête, m’apercevant qu’une petite grenouille toute verte me fixait de ses grands yeux visqueux, mais nous eûmes à peine le temps d’entrer en contact, visuellement, qu’elle s’éclipsa en un bond, un Plouf! l’accompagnant dans son saut.

« V-Vous êtes l’adorateur des grenouilles… » Lâchais-je sans trop réfléchir et, doucement, la « liane » rouge – dont je commençais à saisir, petit à petit, la véritable nature – se perdit dans la végétation et un bruit absolument horrible s’ensuivit, comme si quelque chose de gluant venait de claquer contre de la peau.

Un frisson m’ébranla.

« L’adorateur des grenouilles? Première fois que l’on me surnomme ainsi!

- Pourtant, cela va de soi… »

Il eut un rire dans l’obscurité de la nuit, que je peinais à situer avec exactitude à cause de toute cette noirceur. Cependant, après quelques secondes, je perçus le son d’un bruissement sur ma droite. Vivement, je me tournais dans cette direction, apercevant, au fur et à mesure de son avancée, la silhouette de mon étrange interlocuteur.

« J’aime ça! J’aime beaucoup même!

- Ce… Cela me ravie, continuais-je simplement de blatérer sans vraiment savoir ce que je faisais en ce moment. E-Et quel est ton nom, adorateur des grenouilles? T-Ton véritable nom?

- Ranucula, monsieur le chevalier! Et toi?

- J-Je m’appelle Isiode…

- T’as l’air nerveux! C’est moi qui te fait peur? »

Sa voix s’était volontairement faite basse, intimidante et narquoise, comme s’il se moquait de moi dans les ténèbres. C’est pourquoi je décidais de me redresser un peu plus et de lui faire face, serrant mes doigts en poing pour les empêcher de trembler à leur convenance et, ainsi, titiller l’esprit guerrier et carnivore de ce prédateur.

« Oui… Cela dit, ne pense pas que je serai sans défense si tu te décides à m’attaquer.

- Quelle franchise! » S’étonna Ranucula en riant aux éclats, pataugeant encore un peu dans l’eau pour se rapprocher de moi.

L’irrésistible envie de lui tourner le dos et de prendre la poudre d’escampette me tentait de plus en plus qu’il approchait, amenant derrière lui une odeur pestilentielle qui eut tôt fait d’entrer dans mes narines déjà suffisamment malmenées.

« Juste ciel! M’exclamais-je en apercevant son physique disgracieux et son regard, joueur, se plaisait de l’étonnement et de la répugnance qu’il voyait se refléter au fond de mes yeux.

- Et ça, c’est parce que tu ne m’as pas encore vu sous le Soleil du jour, monsieur le chevalier! Ricana-t-il en balançant sa langue – la fameuse « liane » rouge – hors de sa cavité buccale, comme s’il se pourléchait les lèvres suite à une dégustation fort appréciée. Dans tous les cas, je te suis grandement reconnaissant pour tous ces insectes que tu m’as permis d’attraper! Quel est ton secret? Tu es capable de les dompter? »

Je ne pris même pas la peine de lui répondre, trop choqué par ce qui se passait ici, alors que mon regard balayait l’air au-dessus de ma tête, et je fus d’autant plus surpris de constater que de nuée, le nuage de mouches n’était devenu qu’un petit amas volatile d’insectes. Adroitement, Ranucula tendit sa langue vers l'avant, comme un lasso, chopa encore quelques insectes au vol avant de ramener sa langue dans sa bouche et de mastiquer, avec bon appétit, les quelques mouches de sa prise.

« Délicieux!

- Qu’êtes-vous donc? Un monstre? Un Bélua?

- Y’a pas l’option « les deux » dans tes choix? »

Je clignais rapidement des paupières, saisissant ma propre bêtise: Geygios m'avait parlé d'un groupe de Béluas monstre… Ranucula rigola, se courba pour se mettre à quatre pattes dans la vase avant de bondir dans l’eau stagnante et de se rapprocher encore plus de moi. Je reculais de quelques pas, brusquement envahi par l’odeur ignoble du jeune homme.

« C’est mon odeur qui te déplait? Tu as l’odorat délicat?

- Pour les deux questions : oui, beaucoup.

- Hihihi! Ne t’en fais pas! Je ne te tuerai pas pour si peu : je sais que je fais peur et que je suis particulièrement repoussant, mais tu vois, je t’aime bien. Je t’aime beaucoup même. Tu m’as permis de manger comme un goinfre sans même que j’ai à te le demander. »

Il se permit de se rapprocher encore un peu, penchant légèrement sa tête sur le côté lorsqu’il fut à ma hauteur et que je me sois décidé à ne pas bouger, conscient que fuir ne servirait à rien dans ce marais boueux.

« Alors, où veux-tu que je t’emmène?

- Excusez-moi?

- C’est comme ça que ça fonctionne dans ces marécages, sourit-il en laissant pendre sa langue gluante. Tu me fournis en insectes et moi, en échange, je te guide à l’endroit où tu désires aller. »

Il se remit sur ses jambes, approchant son visage du mien et cette fois, je ne pus m’empêcher de reculer d’un geste vif et craintif.

« Alors, mon cher Isiode, où veux-tu que je t’emmène? Hihihi! »


☯ 875 mots | 11 post

Rumeurs
« Les liens sacrés du sang »

« Encore cette plante?

- Comment ça encore?

- Tu n’es pas le premier qui désire mettre la main sur cette plante. J’me demande bien ce qu’elle a d’aussi spécial pour attirer autant de monde! J’aimerais bien que l’on vienne me voir avec autant d’amour et de passion moi aussi! » Ironisa le Bélua en tirant sa langue démesurément longue dans ma direction, et j’esquissais un petit sourire en coin troublé, peu habitué par un tel caractère et un tel physique répugnant.

Pourtant, malgré toute le dégoût que ce semi-amphibien pouvait m’inspirer, j’avais de la sympathie pour lui, pour un aussi fervent adorateur des grenouilles et crapauds. Il dédiait sa vie pour ces animaux et, d’une certaine façon, je me voyais dans ses yeux globuleux : je me voyais, moi-même, protéger mon frère des dangers qui lévitaient autour de sa personne.

« Un jour, je suis convaincu qu’il y aura bien quelqu’un qui viendra vous voir, non pas pour cette plante, mais pour vous. Vous aimez les animaux et… et même si vous êtes repoussant, physiquement, je… je sais que vous êtes une bonne personne au fond de vous. »

Ranucula s’arrêta subitement. Ranucula m’adressa un regard par-dessus son épaule, presque effrayé de m’entendre dire une telle chose, et je lui répondis par un léger sourire, incertain, tremblant…

« Est-ce que tu me dragues? Lâcha-t-il finalement, d’une voix suspicieuse.

- P-P-Pardon?!

- Ça va pas de me dire des trucs aussi gentils! T’as un boulon en moins! Et tu vas me faire rougir!

- N-Non… S-Si cela vous met mal à l’aise, veuillez me pardonner : ce n’était nullement mon intention! Me défendis-je en écarquillant les yeux, dérouté. Je vous dis uniquement la vérité.

- Oh bon sang! T’es tout un phénomène! C’est toi, le véritable monstre ici!

- Je ne comprends pas…

- Être sincère et aussi honnête : ce n’est pas humain. »

- Normal… Je suis un Ange, lui expliquais-je en mettant l’accent sur le dernier mot.

- Justement! Vous êtes vraiment des êtres à part, vous, les Anges : vous êtes pas humains », répéta-t-il simplement en se grattant l’intérieur de l’oreille avec son auriculaire.

Puis l’adorateur des grenouilles repartit au galop dans la vase en sautillant, laissant un Isiode complètement désarçonné derrière lui. Qu’est-ce qu’il veut dire? Me questionnais-je en lui emboîtant le pas, tirant sans cesse sur mes jambes pour les empêcher de s’embourber dans le sol du marécage, en-dessous de tous ces litres d’eaux sales.


Peu de temps après, je remarquais que Ranucula venait de s’arrêter à quelques mètres devant moi. Je dus redoubler d’effort pour me soustraire à la succion de la boue et des plantes qui s’enfonçaient sous la semelle de mes bottes, mais une fois arrivé à la hauteur du Bélua, j’avais beau être exténué par cette traversée et m’être approprié l’odeur pestilentielle du marais, un sourire s’était dessiné sur mes lèvres.

« Sommes-nous arrivés? » Posais-je à mon guide qui ne me répondit pas.

Plutôt, il se pencha vers l’avant pour ramasser quelque chose entre ses doigts. Puis, sans vraiment comprendre ce qui se produisait, j’entendis un énorme coassement. Et il provenait de Ranucula, dont la gorge venait, soudainement, de grossir. Surpris, je faillis tomber à la renverse, mais je me soutins à un tronc ridiculement mince et vieux, qui craqua sous mon poids avant que je ne m’en détache rapidement.

« Quelle jolie demoiselle! Regarde-la! » Minauda le Bélua en tendant ses bras vers moi.

Dans le creux de ses mains se tenait une petite rainette aux yeux intensément rouges comme le sang.

« Elle est si mignonne!

- Elle a de belles couleurs, mais « mignonne » n’aurait pas été le premier mot auquel j’aurais songé », lui avouais-je en me redressant.

- Si rabat-joie!

- Pouvons-nous avancer? Nous devons retrouver cette plante au plus vite!

- Relaxe, monsieur le chevalier. Nous y sommes déjà.

- Vr-Vraiment?

- Regarde par toi-même. »

Je scrutais les alentours avec attention, sans pour autant découvrir les pétales de plante tant désirée. Je me retournais vers Ranucula pour lui demander un peu de soutien, mais ce dernier était en pleine discussion avec mademoiselle la rainette et il ne me prêtait plus aucun intérêt. Je soupirais, me délogeant de mon socle boueux pour m’avancer dans la zone.


Les heures passèrent sans que j’eusse trouvé quoi que ce soit. Le rose violacé de l’aube commençait déjà à teinter l’horizon de reflets pastel et mes paupières, si lourdes, ne demandaient qu’à se rabattre contre mes yeux. Même si l’idée de dormir dans pareille puanteur m’hérissait le poil, je n’aurais pas dit nom à un peu de repos et ce, même dans cette vase. Mais je ne pouvais pas me laisser tenter par le sommeil. Il fallait que je trouve cette plante, peu importe le temps que cela me prendrait, peu importe la fatigue qui me pèserait. C’est alors que, dans un fourré rempli de fougères, je perçus un coassement et je m’y approchais doucement. Un autre crapaud : c’était Ranucula qui devait être content. Depuis tout à l’heure, des amis de toutes espèces et de toutes couleurs se dévoilaient dans le secteur, entourant, désormais, le Bélua de mille et un coassements stridents. Il était heureux et riait comme un enfant, oubliant complètement ma présence et la raison de notre présence en ces lieux.

Je me penchais donc vers le crapaud dans l’intention de le ramasser pour le lui donner, mais avant même d’esquisser un geste, je suspendis mon bras dans les airs, écarquillant les yeux.

« Je l’ai trouvé… Chuchotais-je en m’agenouillant dans l’herbe mouillée. Elle est là! Je l’ai trouvé! »

Rapidement, je me mis à arracher, jusqu’aux racines, la plante médicinale, frénétique à l’idée d’en avoir une entre les mains. L’espoir et le soulagement renaissaient en moi, éloignant d’un coup de vent toute l’inquiétude et la fatigue qui compressaient mes épaules. Précipitamment, j’enfonçais la plante dans la besace que m’avait offert Geygios avant que je parte. Tiens bon, Isley! J’arrive bientôt! Il ne me reste plus qu’à récolter d’autres spécimens!


☯ 1001 mots | 12 post