Le danger possède d’infinis visages. Pour une femme battue, il s’illustre dans les traits de celui qu’elle pensait aimer. Pour une proie, il apparaît dans l’odeur subtile du prédateur qui la traque. Le danger est souvent lié à autrui mais parfois, en de rares occasions, il prend racine à l’intérieur même de celui qu’il désire détruire. Lorsque c’est le cas, il devient difficile de lutter pour se défaire de son emprise, il devient difficile de fuir ou d’attendre silencieusement que l’orage passe.

L’Impératrice Blanche détourna le regard. Elle fuyait son propre reflet, au cœur du Temple de Lyre. Son expression trahissait une réflexion bien plus profonde. Que voulait-elle ? Elle se le demandait, incapable de répondre à cette question qui, pourtant, semblait vouloir s’imposer à elle de plus en plus. Elle devrait faire un choix. « Cela risque de poser un réel problème le jour où vous allez devoir m’extraire de prison et m’amener ici pour que je prouve mon alignement. » retentit soudain une voix derrière son dos. Elle émit un petit rire bref. Il n’était entouré d’aucun halo de lumière, preuve qu’il n’était ni Magicien, ni Sorcier. Elle le savait déjà mais se demandait à quoi il jouait, exactement. Ses yeux étaient fichés dans la glace mais, cette fois, c’était lui qu’elle regardait. « Et si vous me disiez ce que vous attendez de moi, au juste ? ». Il sourit. « Rien. Je souhaite simplement m’amuser au détriment d’une vieille amie. ». « La blonde aux yeux émeraude, hum ? ». Il pencha la tête sur le côté. « Vous devenez perspicace. Bientôt, vous découvrirez qu’il est bien plus excitant de rejoindre le mauvais côté que de rester croupir dans le bon. Ce jour-là, nous ouvrirons une bouteille de champagne. ». « Ce n’est peut-être pas avec vous que j’aimerais la boire. ». « Peut-être mais je crains fort que vos amourettes se soient taries d’ici là. ». Il était à un bon mètre d’elle. Depuis qu’elle l’avait figé, il n’aimait pas trop l’approcher. Il ne risquait rien mais il l’aimait loin de lui. « Ou pas. » rajouta-t-il d’une mine joueuse. « Je venais juste vous assurer mon aide, ce fameux jour. Je vous ferai passer pour une sainte aux yeux de tous. ». Un petit silence s’installa. Elle sourit. « Vous attendiez donc bien quelque chose de moi. Que voulez-vous en échange ? ». « Nous en reparlerons le moment venu. » répondit-il avant de disparaître dans un clin d’œil amusé. Elle se pinça les lèvres avant de soupirer. Elle n’avait jamais su si elle l’aimait plutôt bien ou plutôt pas. De toute façon, elle avait toujours eu des relations compliquées avec les différents Empereurs Noirs. À croire qu’ils aimaient tous boire du vin avec elle et qu’elle était incapable de leur refuser une quelconque invitation.

Edwina attendait que l’homme lui apparaisse, postée à côté d’un arbre à l’allure étrange. La Forêt des Murmures était un lieu particulièrement obscur et capricieux. La faune et la flore n’avaient rien d’accueillant mais elle n’était plus cette jeune femme fragile qu’elle avait incarnée autrefois. Elle se vêtait toujours d’une manière élégante, une tenue qui pouvait paraître étrange pour un tel endroit mais le Château Syrkell avait ses caprices, des caprices desquels elle avait déjà fait les frais. En effet, si la demeure jugeait l’accoutrement de ceux qui y entraient indigne d’elle, elle se chargeait de le modifier dès qu’ils avaient passé la porte pour qu'il corresponde à ses critères. Seulement, lorsque ces derniers franchissaient de nouveau les murs du château pour en sortir, il les abandonnait entièrement nus aux soins de la forêt ; une petite vengeance en somme. Pour éviter une atteinte à sa pudeur, Edwina prenait donc toujours le temps de s’apprêter. Elle avait appris à connaître les goûts des vieilles pierres et faisait l’effort de leur plaire comme si elle avait souhaité charmer un prince. Elle sourit devant les arbres qui s’étendaient à perte de vue. Le palais était immatériel et invisible en temps normal. Seuls ceux qui possédaient la « clef » pouvaient y pénétrer. Aussi, d’un geste précis, elle tira sur le pendentif qui disparaissait dans le décolleté de sa robe noire et l’ôta lentement. Elle ignorait qui viendrait mais elle redoutait sincèrement que son partenaire ne survive pas à la rencontre avec ses ancêtres. Les Sorcières Syrkell restaient dans le château, attendant sans doute leur heure, et elles étaient souvent d'une humeur massacrante. Lord faisait assassiner toutes les femmes rousses qu’il voyait et ses ascendantes étaient bien trop orgueilleuses pour se teindre les cheveux, de toute façon. Les doigts de la Belle se dirigèrent vers le tronc dans lequel elle inséra le bijou. Une seconde auparavant, il n’y avait que les bois décharnés. À présent, un château s’élevait, son haut portail surmonté d’une sculpture de femme à la chevelure de serpents qui semblait menacer les voyageurs imprudents. Elle retira la « clef » du tronc et voulut la remettre à sa place initiale. Seulement, la chaîne se prit dans son chignon. « Hum. » fit-elle en tirant dessus. Elle n’aurait pas dû. À présent, ce qui avait été jadis une coiffure impeccable ne ressemblait plus à grand-chose et le médaillon y était toujours coincé. Cela aurait le mérite de l'occuper le temps qu'il daigne enfin lui apparaître. Il était en retard. Avec un peu de malchance, son coéquipier s'était fait dévorer par un monstre quelconque. Après tout, s'il s'agissait de l'un de ceux qu'elle avait croisé sur les navires, l'hypothèse de la mort était plus que probable. Un monstre ou ses ancêtres... les deux se valaient et le résultat serait sans doute le même.

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Un léger soupir s’échappa des lèvres de l’Impératrice Blanche. Ceci n’avait aucun sens. Au-delà de ce qu’il s’était passé sur le navire, comme si le Destin lui-même souhaitait leur murmurer une inéluctable séparation, elle trouvait que les organisateurs avaient un culot et un humour particulièrement savoureux ; savoureux d’un point de vue externe. Ils ne pouvaient décemment coopérer, pas sur ce terrain, pas dans ce jeu précis. Son regard détailla le Diable d’une façon étrangement transparente. Elle le désirait d’une façon qu’elle ne pouvait nier. Quelques jours plus tôt, elle l’avait haï, cependant. Elle était légèrement fatiguée des conseils que tous essayaient de lui prodiguer. Elle était tout autant épuisée d’avoir à se justifier. Tandis qu’il gesticulait, elle réfléchissait tout en admirant son corps se mouvoir, sa prestance inonder l’endroit. Elle ne pouvait s’empêcher de les imaginer, ensemble, l’un à côté de l’autre, régner sur un Monde nouveau, différent. Malheureusement, elle craignait que ses rêves ne puissent voir le jour dans le contexte actuel. Qu’avait-il réellement à lui apporter ? Que voulait-il réellement lui apporter, si tant est qu’il veuille quelque chose ? La malédiction enfermait la jeune femme dans un océan de doutes et les manières à la fois fermes, peu nuancées, et parfois instables du Roi ne la rassuraient pas. C’était ce qui l’excitait, en partie, mais elle envisageait souvent plus qu’un simple échange charnel. Dans ces circonstances, la situation était délicate. Trop lui donner pouvait signifier perdre. Refuser de lui donner quoi que ce soit ne les avancerait pas davantage. Lui faisait-elle seulement confiance ? Sans doute pas. Elle en avait envie, pourtant, comme une enfant sachant pertinemment que le feu avait cette propriété de brûler ceux qui le touchent mais ayant tout de même le désir de s’y risquer. Restait à savoir ce qu’elle était, elle, si lui était le feu. « Future belle-famille. » murmura-t-elle dans un sourire, comme pour lui indiquer que mettre la charrue avant les bœufs n’était pas approprié. Cependant, pour jouer son jeu, elle précisa. « J’espère que vous ferez de même, mon Roi. Il me tarde de connaître ceux qui ont pu engendrer un homme tel que vous. Je ne sais pas encore si je devrais les féliciter ou les plaindre. ». Ses lèvres se firent particulièrement expressives, alliées au pétillement qui inonda ses yeux. Elle le taquinait. « Bien, je n’interviendrais pas, sauf s'il s'avère que c'est contagieux. ». Elle était curieuse mais, à vrai dire, elle ne semblait plus pouvoir être étonnée de rien le concernant. Qu’il ait essayé de fabriquer une potion et que celle-ci lui ait explosé au visage ne la surprendrait pas. Elle rit brièvement, tentant de ne point paraître moqueuse. « Merci. ». Pour les cheveux. La Belle souhaitait faire ce qu’elle avait envie. Aussi, elle s’approcha de lui et posa ses lèvres sur les siennes. Un brin inattendu puisqu’elle n’avait pas l’habitude de créer le contact. Généralement, c’était lui qui s’approchait, elle qui se défendait. « Ne soyez pas étonné. Vous savez bien que les seules raisons pour lesquelles je ne me donne pas à vous, c’est parce que vous êtes maudit et que j’aime vous faire languir ; surtout vous faire languir. J’adore résister à un homme à qui personne ne résiste. ». Elle sourit, sachant pertinemment que son avantage ne tiendrait probablement pas, et tourna les talons afin d’entrer dans le château. « Au fait, c’est pour avancer sur votre malédiction que nous sommes ici. ». Cela dit, elle avait du mal à faire le lien entre les Syrkell et le Diable.

« Bienvenue. ». La voix était mielleuse à souhait, émanant d’une femme à la longue chevelure rougeoyante et au décolleté plongeant. Edwina fixa son ascendante d’un œil partiellement agacé. Elle savait ce qu’il allait se passer. Les Syrkell s’apprêtaient à tournoyer autour du Diable, à le détailler de toutes pièces, à le jauger, le juger. Ses prévisions se réalisèrent plutôt rapidement. Elle chuchota à l’intention de son compagnon d’infortune : « Elles se demandent si vos gènes sont de bonnes factures, actuellement. ». Le comportement de la dizaine de femmes pouvait paraître flatteur mais il n’en était pourtant rien. Elles ne le voyaient que comme un géniteur potentiel, attirées par ce qu’il pouvait transmettre ou non à leur lignée. Oh bien entendu, ses richesses, sa puissance, son pouvoir, son royaume, tout ceci comptait mais les femmes de la famille d’Edwina ne s’encombraient jamais de partenaire masculin. Elles souhaitaient un enfant, une fille de préférence, et reléguaient le père dans les méandres de leur inintérêt. « Il est bien plus viable que le précédent que vous avez amené ici. » fit l’une d’elle, en s’adressant à la Reine Blanche. « Comment s’appelait-il déjà ? Cet Alfar… ». « Aucune idée. ». « Elle n’est attirée que par les hommes maléfiques. » précisa une rousse aux yeux bleus, comme une confidence faite au Monarque Démoniaque. La Tisseuse vivait un moment on ne peut plus gênant. « Cependant, elle s’était entichée du Roi Lyrienn il y a… ». « Longtemps. » trancha la concernée d’un ton ferme et sévère. « Silence. ». La voix s’était élevée de derrière les rouquines. Celles-ci s’exécutèrent et s’écartèrent pour laisser passer la matriarche qui s’approcha de Zane d’un pas lent. Elle l’effleura de ses doigts, figeant ses yeux dans les siens sans les détourner, sans ciller, sans la moindre once de peur. « Excusez-les. Leur impatience à voir naître une héritière les pousse à se comporter comme des adolescentes stupides et indignes de leur rang. Elles ont néanmoins raison lorsqu’elles affirment que vous êtes exceptionnel. Il me semble néanmoins avoir bien plus à cœur le bien-être de mon enfant que celui de ma lignée. La malédiction qui vous enserre semble néanmoins compromettre vos vœux et votre sincérité ne saurait exister, ainsi dépossédé de votre libre arbitre. Vous vivez avec mais elle vous ronge. Vous êtes néanmoins le plus chanceux dans le couple invraisemblable que vous formez, elle et vous. Elle ne possède pas cette faculté de rétractation qui sera votre une fois le charme levé. Je ne vous ferai pas l’affront de vous menacer au cas où le Démon que vous êtes viendrait à ne point tenir ses engagements et ses promesses. ». Pourtant, il semblait limpide qu’elle lui susurrait en silence que cette malédiction-ci serait le dernier de ses soucis si elle lui en lançait une de son cru. « Mère, s’il vous plaît. ». Edwina avait levé les yeux au ciel, visiblement exaspérée. « Je ne suis plus une enfant et vous évoquez une relation qui n’existe que dans votre imagination. Cependant… vous semblez en savoir bien plus que nous sur cette malédiction alors… ». « Oh ne sois pas si pressée. Bien sûr que je possède la clef permettant de défaire le verrou qui enchaîne cet homme mais… eh bien, rien n’est gratuit. ». Elle tourna les yeux vers Zane, de nouveau. « Accepteriez-vous de coucher avec moi en échange de votre libération ? » demanda-t-elle alors.

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