Edwina inspira longuement, assise en tailleur sur son lit. Elle ferma les yeux, à la recherche d’un rêve particulier. Il était tard et cela faisait plusieurs fois qu’elle répétait l’exercice sans le trouver. À côté d’elle était posé le Miroir. Elle en avait eu besoin pour surveiller les activités du Diable. Pendant plusieurs minutes, elle l’avait observé sombrer avec un intérêt certain. Sans doute prendrait-elle goût à l’activité à laquelle elle s’apprêtait à se livrer. Dans son esprit passèrent plusieurs plans, plusieurs environnements. Il s’agissait de songes qui ne lui appartenaient pas. Elle devait l’imaginer, dessiner sa silhouette, se remémorer son odeur, la texture de sa peau, celle de ses cheveux… Finalement, elle le rejoint.

Le contexte était étrange, apocalyptique. À ses côtés, une enfant couronnée était montée sur un ours. Il marchait à côté, écrasant les crânes des individus qu’il avait incendié au préalable sous le poids de son corps. Derrière lui, une licorne marchait tranquillement, sa robe normalement immaculée tâchée de sang. L’Impératrice Blanche s’arrêta un instant sur le décor. Une montagne se dressait fièrement. À son sommet se trouvait un trône gigantesque. Il devait sans aucun doute dominer le Monde. Elle sourit malgré l’odeur de cramé avant de se joindre à l’étrange cortège. « Je vais vous accompagner jusqu’au sommet. » fit-elle doucement, se rangeant à son côté. « Je n’avais jamais essayé de vous rejoindre en rêve avant mais je dois dire que je ne suis pas déçue… ». Le processus était un peu pervers. À partir de là, puisqu’elle contrôlait le songe, elle était maîtresse des événements. Cela étant, elle n’avait pas pour ambition de perturber le cours de l’histoire. Il ne faisait aucun doute que l’objectif était qu’il finisse par s’asseoir là-haut, ce qu’elle laisserait faire. Il ne fallut d’ailleurs guère peu de temps. Les rêves et leur logique décousue…

« Et maintenant ? » demanda-t-elle. Il s’agissait d’une simple question rhétorique. Peut-être y réfléchirait-il une fois éveillé. Edwina trouvait l’idée de régner sur les Terres du Yin et du Yang intéressante bien qu’elle ait ses limites. « Vous savez, je pense que si nous nous unissions tous les deux, nous pourrions arriver à un tel résultat. Il nous faudrait des alliés, bien sûr, mais aucun allié n’est éternel. Le problème c’est qu’une fois que nous serions au sommet, que nous aurions consommé les plaisirs de la chair à n’en plus pouvoir alors… hum… Je pense que notre vie deviendrait fade. Nous serions obligés de nous entretuer pour ressentir un semblant de frisson. ». Lentement, elle se déplaça jusqu’à atteindre le trône. La Belle remonta sa robe avant de s’avancer. Elle s’assit sur les genoux du Roi, une jambe de chaque côté de ses cuisses. Proche de lui, elle caressa ses cheveux avant que sa main ne se fraye un chemin jusqu’à sa joue. Puis, elle la fit se glisser sous son menton qu’elle attrapa. « Finalement, je pense que je ne me marierai pas avec vous ; pas selon vos coutumes en tout cas. Je ne veux pas être votre chose et si vous devez réussir à me mettre à genoux, j’aimerais autant que cela soit par vos propres moyens. ». Elle sourit, le fixant néanmoins avec une certaine malice. « Alors si vous me voulez, trouvez un autre moyen, plus égalitaire. ». Elle se pencha, embrassant ses lèvres sans ciller. Même en rêve, sa présence éveillait en elle des instincts difficilement domptables. « Je crains d’avoir embrassé la Reine des Lyrienns et quelques autres personnes pour vérifier la théorie de la malédiction. J’espère que vous ne m’en voudrez pas de vous être déjà infidèle. ». Elle s’amusait, sachant très bien qu’avec la Bête, aucune fidélité ne tiendrait jamais. Elle s’en fichait. Ce n’était pas une qualité qu’elle recherchait chez un homme. « Cela dit, si jamais une idée de vengeance devait germer dans votre esprit contre Gabriela, je pense qu’il serait bienvenu que vous la mettiez à exécution. ». La chose aurait le mérite de libérer tout un peuple de l’oppression d’un véritable tyran. La question était de savoir si elle arriverait à faire faire une « bonne action » au Maître de l’Enfer. « Si vous êtes réellement maudit alors elle le sera pareillement. Je me demande si elle m’enverra une statue d’elle nue… Mes sujets finiraient vraiment par se poser des questions si cela arrivait. Ils pourraient même croire que je collectionne. ». Elle cessa de parler, le regardant un instant. En rêve, tout paraissait plus abordable, plus facile. « Je ne sais pas si j’apprécie l’idée que vous soyez maudit. Je préférerai nettement créer cet effet chez vous sans artifice. J’aime le fait de vous rendre fou. Ça me confère un avantage. ». Pas vraiment. Elle-même n’était pas sous l’emprise d’un quelconque maléfice. Pourtant, il occupait la plupart de ses nuits et plusieurs instants précieux de ses journées. Il était telle une drogue qu’elle ne se lassait pas de consommer. Le sevrage serait sans doute douloureux. « Je vais vous faire une confidence... ». Elle se pencha à son oreille et lui murmura quelques mots avant de descendre ses lèvres dans son cou. Elle huma son parfum tout en baisant sa peau. Elle le voulait mais, même en rêve, les choses n’étaient pas aussi simples. « Nous nous verrons ultérieurement. Passez une bonne fin de nuit. ».

Elle ouvrit les yeux sur son matelas, sourit et se mordit la lèvre inférieure. Oh oui, elle risquait de prendre goût au jeu.