« Je ne suis pas certaine d’être prête, Jared. Peut-être vaudrait-il mieux retourner au château. Je … » Elle s’interrompit, incapable de décrire l’effroi qu’elle ressentait, la torpeur qui serrait son cœur et sa gorge. Anxieuse, elle contemplait les paysages blancs et délicats de l’Edelweiss. Quelques flocons tombaient doucement, et nimbaient sa grande cape sombre d’une fine pellicule immaculée. « Tu dois apprendre à chasser. » maugréa-t-il tout bas. « Je sais mais je ne pense pas réussir à faire mouche sur des proies aussi difficiles. » Elle peinait à articuler une quelconque justification, bousculée par l’idée de priver un individu de sa vie. « Tu as bien raison. Tu devrais commencer avec des cibles faciles et des petits animaux. » - « Je … Je ne peux m’y résoudre. » - « Crois-tu qu’il te sera plus aisé de t’en prendre à des Hommes ? » - « Je ne suis pas contrainte de les … » - « Si, tu l’es. » - « Mais … » - « Olympéa. » Il prit ses joues entre ses mains, l’obligeant à lever ses yeux pâles sur lui. « Obéis. » Elle acquiesça très légèrement, quoiqu’avec les lèvres tordues. Elle n’avait pas réellement le choix. « Je pressens le fiasco. » murmura William, la mine pincée. Il ne s’accordait pas avec les méthodes employées par son frère, désireux de préserver la jeune Vampire pour être conscient qu’elle n’allait pas parvenir à mordre qui que ce soit. Jared n’était pas présomptueux au point de croire que sa protégée allait briller. Il cherchait simplement à la malmener dans ses idéaux. « Il est temps. » Dans un sourire si séduisant qu’elle sentit ses volontés flancher, il la prit dans ses bras. « Accroche-toi, Princesse. » lui conseilla-t-il d’un ton moqueur, avisant les hauteurs honorables des murailles qui se dressaient devant eux. Les frères Ambessa étaient d’une puissance aussi obscène qu’infernale, et les remparts ne pouvaient guère leur résister. Olympéa, dans un trait de fragilité, préféra enfouir son visage dans la gorge de Jared. L’instant d’après, ils bondirent. « Cesse de faire l’enfant. » marmonna le jeune homme. Il venait de remettre la Vampire sur ses pieds et discernait ses réticences. William la dévisageait, songeur, les bras croisés. « Allez. » Ils disparurent en un clin d’œil, laissant la jeune femme seule et désemparée, à scruter une porte qui s’ouvrait et un étranger qui n’eut même pas le temps de comprendre ce qui pouvait bien lui arriver. L’odeur du sang, si tentant, tellement exquis, chatouillait les narines d’Olympéa, dont les yeux devenus des rubis trahissaient sa soif. En réalité, elle était assoiffée, bien plus qu’elle ne l’avait jamais été. Elle ne pouvait pas se nourrir seule et les frères Ambessa lui avaient refusé la moindre goutte du précieux breuvage, très certainement pour la pousser dans ses retranchements, libérer ses instincts de chasseur. La peur à fleur d’âme, elle s’approcha d’une silhouette, prête à faire ce qu’il fallait.

Sa belle détermination vola en éclat lorsque celui qu’elle avait désigné comme victime se retourna. Aussi confuse que déconcertée, elle observait le vieil homme, qui posait sur elle un regard inquiet. Néanmoins, il ne tarda pas à comprendre qu’il n’avait à faire qu’à une novice, qu’à une créature faible dont il pourrait se débarrasser facilement. Il leva le bras et tout s’enchaîna à une allure effrénée, dans un simple battement de cils. La Vampire s’était figée de douleur et de surprise, ses orbes écarquillées et ses doigts tremblants. Dans un éclat de lumière, elle avait cru voir sa fin, mais avait été projeté violemment contre un mur, sans réellement comprendre comment ou pourquoi. Elle perçut un début de réponse dans les injures agacées de Jared, qui brisa la nuque du vieil homme d’un mouvement sec. D’un geste léger, elle effleura ses épaules, devenues pourpres après avoir percutée la pierre rugueuse d’une quelconque bâtisse. Sans écouter les remontrances de son Maître, elle s’enfuit d’une démarche chancelante. Elle ne regardait pas où elle allait, ne se préoccupait pas des deux Vampires qui étanchaient leur soif. Elle avait juste besoin d’un petit moment, seule. D’un abri, où elle pourrait reprendre ses esprits. Elle se sentait tellement mal. Elle n’avait jamais désiré recevoir le baiser et devait se faire à une condition qu’elle n’avait jamais souhaité. Elle était restée une Magicienne, un Mage Blanc enfermé dans la carcasse d’un Buveur de Sang aux aspirations maudites. Guidée par son envie de se cacher, elle s’engouffra dans le premier édifice venu, sans même réfléchir. Elle s’apeura du moindre bruissement, de la plus petite ombre, et dévala des escaliers en guise de – mauvaise et bien peu judicieuse – échappatoire. Une marche eut raison de sa frénésie, et elle finit sa descente dans une chute maladroite. Dans un soupir aux notes vacillantes, elle se releva et jeta un coup d’œil à la faible et petite lueur qui lui montrait d’où elle venait. Parfois, cette petite lumière s’ombrageait. Quelqu’un passait peut-être dans les environs. Elle reprit sa fuite de plus belle, empruntant des passages, des portes dérobées. Peu à peu, ses craintes se changèrent en curiosité. Où était-elle ? Elle n’en savait rien mais avait l’impression qu’elle ne devrait pas être ici. Comme une enfant capricieuse, elle voulait braver les interdits. Le choix n’avait rien de raisonnable et elle n’allait jamais pouvoir refaire le chemin inverse, mais elle continuait à errer dans l’étrange dédale, jusqu’à tomber sur une porte massive qu’elle ne put s’empêcher de pousser.

Olympéa croisa doucement les bras, avançant d’un pas fébrile dans l’enceinte de ce qui ressemblait à une crypte. Tout était si vieux, si poussiéreux. D’immenses toiles d’araignée s’étiraient de ci et là, et la jeune femme s’évertuait à les éviter au mieux. Elle se rapprocha d’un immense socle de pierre, décoré d’une statue à l’allure noble. Penchée auprès elle, elle admirait les détails surprenants de la réalisation, en se demandant qui avait la patience nécessaire à un tel ouvrage. Etait-ce la tombe d’un Roi des temps anciens, d’un Souverain oublié qui reposait dans un quelconque Temple à son hommage ? Elle en avait l’impression et par la même, se trouvait sotte et trouvait qu’elle n’avait rien à faire dans les parages. Elle ne voulait pas offenser le petit tas d’os qui devait s’entasser dans le cercueil. Perdue dans ses considérations, elle ne remarqua pas que son sang coulait lentement sur ce qu’elle croyait être de la pierre. Elle finit néanmoins par baisser les yeux, à peine tirée de ses méditions, et vit le rouge qui souillait la perfection et le sacré du lieu. Elle voulut l’essuyer mais se ravisa au dernier moment. Quelque chose n’allait pas.

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