Le diadème du bijoutier
« Some people are so poor, all they have is money »

Je me réveillais en sursaut, l’œil hagard. Je m’étais endormi, alors que je ne le pouvais pas. Et si Père aurait eu besoin de moi…

« Papa, tu… »

Arrêt complet, comme si ma langue s’était figée à l’intérieur de ma bouche. Je scrutais les environs, sceptique, avant de reconnaître les murs de ma chambre, les meubles de ma chambre… Attendez deux secondes, qu’est-ce que je faisais dans ma chambre? Pourquoi ne me retrouvais-je plus au chevet de Père? Me redressant d’un seul bond, je m’extirpais de mes couvertures pour filer en troisième vitesse dans la chambre de mon paternel.

« Père! »

Avec fracas, je poussais violemment le battant de la porte, pénétrant en tornade dans la chambre du malade. Qui dormait.
À poing fermé.
L’air si serein et si tranquille…
Je fus paralysé quelques secondes par cette vision: le voir aussi calme et paisible, sans aucune souffrance pour défigurer son visage, était devenu si rare depuis quelques temps. C’est pourquoi j’avais décidé, aujourd’hui, de rester à ses côtés, pour voir si son état empirerait ou si, au contraire, elle s’atténuerait au fil des heures. Mais voilà, semble-t-il que je m’étais endormi comme une masse durant mon observation et que quelqu’un m’ait transporté jusque dans ma chambre pour me permettre de me reposer.

Et cette personne, sans l’ombre d’un doute, ne pouvait qu’être Asche. Assis sur la chaise qui se trouvait à côté du lit de mon père, le géant aux cheveux rouges venait de poser ses yeux vairons sur mon visage, l’air grave.

« Si tu pouvais faire moins de bruit…

- Dé-Désolé… »

Il continua de me dévisager durant plusieurs secondes encore avant d’exhaler un soupir et de me faire signe d’avancer, ce que je fis dans la seconde, m’approchant du malade et de son veilleur à grande enjambée. Inquiet, mon regard s’était bien vite détaché du colosse pour observer le visage amaigri de mon père. Comme je l’avais dit plus tôt, il paraissait serein et – presque – sain, si nous négligeons, bien évidemment, son apparence si peu représentative de cette dernière description. Mais cela, j’en avais bien conscience, n’allait pas durer bien longtemps. Le sommeil était comme une libération pour mon père, une sorte de pause qui lui permettait de souffler un peu à travers les maux que lui causait sa maladie. Le Kurbus était combattif, malin, et lorsque nous pensions que Père parvenait à s’en défaire, à le vaincre, le mal revenait toujours, encore plus agressif et puissant qu’il ne l’avait été dans ses assauts précédents. Mais la situation, à l’heure actuelle, prenait des tournures dangereuses, très inquiétantes. Depuis plusieurs semaines que l’état de Père s’aggravait, et cela allait de pire en pire à chaque jour. Hier encore, il s’était mis à vomir du sang… La panique commençait à me gagner. J’avais beau lui donner la potion, que m’avait conseillée Ardwick, pour atténuer sa douleur, rien n’y faisait. Il se plaignait sans cesse de maux de ventre, de maux de tête, de tournis subits et de haut-le-cœur violents. Je ne savais plus quoi faire pour lui venir en aide, excepté attendre. Attendre qu’Ardwick trouve un onguent qui puisse vaincre le Kurbus. Attendre impuissamment en le regardant dépérir. Une déglutition, plus difficile que les autres, faillit m’étouffer. Mais dans l’état dans lequel je me trouvais, je soupçonnais plutôt l’émotion qui m’avait brusquement happée d’en être la cause. Il fallait que je me calme. Rien n’était encore perdu. Il restait de l’espoir. Un mince fil d’espoir, certes, mais il persistait toujours malgré tous les événements.

« Ça va? »

Je me tournais machinalement en direction d’Asche, un sourire se forçant à apparaitre sur le coin de mes lèvres.

« Ça faisait si longtemps que je ne l’avais pas vu aussi paisible… On pourrait presque croire qu’il est mort… »

Les mots étaient sortis tout seul, et devant le fait accompli, je sentis mon cœur se serrer, les larmes prendre d’assaut mes yeux. Pourtant, malgré la détresse que l’on pouvait apercevoir sur chaque zone de mon être, je continuais de sourire, un sourire qui se voulait peut-être fort, mais qui, dans cette tristesse et ce désespoir, se fanait bien plus vite que j’aurais pu le penser. Bordel… Pourquoi avais-je sorti un truc pareil?

« Miles…

- Et m*rde! Je ne sais pas ce qui m’a pris! »

Je me couvrais les yeux à l’aide de la manche de mon chandail, les frottant avec vigueur pour effacer toute trace de chagrin sur mon visage. Je ne pouvais pas être faible. Je ne pouvais pas me permettre de baisser les bras. Même s’il dormait, je ne le pouvais pas.
Je ne pouvais pas le faire devant lui.

Asche poussa la chaise pour se lever, certainement en vue de me réconforter en déposant sa main sur mon épaule, en me parlant si bas, tellement bas, que je devrais me rapprocher de lui pour entendre ses mots, en me disant qu’il ne fallait pas que je me sente coupable, que c’était l’émotion qui était en cause, et blablablabla… Vivement, je tournais les talons et filais hors de la chambre de mon père, criant à tue-tête, comme pour évacuer mon angoisse:

« Je dois sortir d’ici! Respirer! Faire n’importe quoi! »

Asche l’avait perçu, l’avait senti, l’avait compris, et c’est pourquoi il ne tenta rien pour m’empêcher de partir. Plutôt, il se rassit sur la chaise à côté du malade, observant ce dernier dormir paisiblement, perdu dans un monde qui n’était pas la réalité et qui l’empêchait de voir dans quel état se trouvait son fils. L’Orisha aux cheveux rouges soupira.

« Draug… Tu es tout ce qu’il lui reste. Tiens bon, mon frère. »

••••••••••••••••••••••••••••••
Je courrais à en perdre l’haleine, fonçant à travers les rues de Médigo dans l’espoir de trouver un endroit pour hurler, crier, me défouler. J’avais envie de balancer mon pied sur tout ce qui bougeait, de fracasser les têtes qui me semblaient sourire un peu trop, dans une joie excessive qui me donnait le goût de vomir. J’étais dans l’incapacité de voir ces gens rire, sourire, rigoler entre eux, alors que mon monde se fissurait, qu’il était sur le point d’exploser, de voler en milles éclats. Je n’en pouvais plus. Dans un excès de rage violent, j’allongeais brusquement mon bras vers l’avant, à une vitesse ahurissante, pour fracasser mon poing sur le mur d’un bâtiment. J’expirais bruyamment, ne retirant mon poing qu’une fois la douleur passée, les écorchures ayant cessé de mordre ma peau. Je relevais doucement la tête, l’air presque fou après le numéro que je venais d’offrir aux quelques passants, qui avaient eu le plaisir de prendre cette route cette journée-là, mais je m’en moquais éperdument, allant même jusqu’à leur hurler dessus ces quelques mots:

« p*tain! Mais dégager! Fichez-moi le camp! »

Pivotant sur moi-même, je me mis à toiser du regard tous ceux ayant le culot de me dévisager. J’avais la rage, la haine. Plusieurs me reconnaissaient, étant donné que j’avais gagné la Coupe des Nations en première place tout de même, et les messes basses ne tardèrent pas à se faire entendre. De simples chuchotements, oui, mais ce n’était pas compliqué de voir qu’il parlait de moi, de mon cas, de mon espèce de folie passagère et de la colère qui bouillonnait dans mes veines. Lorsque je le compris, je tentais de reprendre mon calme, inspirant et expirant à intervalles réguliers. Il fallait que j’apaise mon esprit, que je fasse le vide, que je respire.

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Spoiler:

Le diadème du bijoutier
« Some people are so poor, all they have is money »

Des murmures, que l’on chuchotait à l’oreille de son voisin. Des regards en biais, histoire que tout le monde sache un peu de qui il s’agissait. J’aurais dû rougir de gêne, après le numéro que je leur avais présenté, mais au lieu de cela, je gardais les yeux tournés sur leur visage, détaillant les traits de leur faciès tout en prêtant une oreille attentive aux bribes de leur conversation.

« […] Oui, un homme du nom de Draug, je crois… » - « […] Gravement malade… » - « […] Laissons-le tranquille! » - « Cherche […] antidote… »

Et ainsi de suite. Des bouts de phrase, sans queue-ni-tête, que mon ouïe percevait pourtant avec précision. Finalement, je fis un premier mouvement: baisser les yeux. Non pas par honte, mais par colère. J’étais épuisé par tout ce que je vivais, j’étais sur le point de craquer à nouveau quand, sorti du rassemblement qui m’entourait plus ou moins, un homme se plaça lentement devant moi, de manière à ce que je ne puisse plus voir les visages curieux des spectateurs. Et comme une apparition divine, deux grandes ailes s’allongèrent dans son dos, prenant tout l’auditoire par surprise. Nous nous mîmes à le regarder, interloqué, jusqu’à ce que le flot de ses paroles coule entre ses lèvres. Crues, ses paroles transperçaient l’auditoire qui finit, malgré la dureté des mots, par s’éclipser rapidement, non sans jeter des œillades meurtrières à l’adresse de l’inconnu ailé. Après quoi, il m’incita à le suivre pour que nous nous éloignions de la place devenue, pour le moins, agitée par ce nouvel événement. Tout se passait si vite que je ne lui offris aucune résistance, cherchant seulement à comprendre ce qu’il me voulait, pourquoi il avait ainsi injurié la foule. Je baissais brièvement les yeux, conscient que c’était exactement ce que je venais de faire moi aussi, mais la colère, entravant mon jugement, m’avait aveuglé et j’aurais été prêt à frapper le premier qui serait venu me conseiller de me calmer. Après avoir couru, l’homme venu m’aider s’arrêta finalement dans un coin plus tranquille, où les agitations de tout à l’heure ne semblaient pas s’être faites remarquées. Il finit par tourner son regard dans ma direction, mettant de l’avant les raisons qui l’ont poussé à me prêter main forte. Évidemment, un tel acte ne pouvait avoir été commis par simple bonté d’âme: une contrepartie était toujours de mise lorsqu’on rencontrait ce genre d’opportunité. Pourtant, malgré tout ce qu’il pouvait me dire, ce n’était pas l’argent le véritable problème. J’étais riche, depuis ma victoire à la Coupe des Nations, alors ce n’était vraiment pas le problème, mais il s’avérait que c’était plutôt les ressources et la connaissance qui nous faisaient défaut.

« Le problème ne se trouve pas dans mon manque d’argent. Simplement… Je me trouve dans une impasse et je ne suis pas capable de trouver la sortie. »

Je soupirais en le regardant droit dans les yeux. Effectivement, les recherches d’Ardwick stagnaient et, lui comme moi, ne trouvions aucune manœuvre pour remonter la pente et faire avancer les choses. C’était difficile, très difficile, sachant que l’état de Père s’aggravait de plus en plus, sans arrêt, comme si la maladie passait aux choses sérieuses à présent. Finalement, un léger rictus s’esquissa sur la commissure de mes lèvres, alors que je me tenais devant l’individu.

« Je suis désolé, mais ça ne m’intéresse pas vraiment. L’argent du moins… »

Je préférais clarifier, parce que la mission dans laquelle travaillait l’homme me paraissait divertissant. Oui, divertissante, pas occasionnel ni même profitable à certains points, non, juste amusant. Un diadème disparu, deux camps qui « s’affrontaient » pour savoir lequel entre les deux allaient être en mesure de le récupérer rapidement. Ça me semblait chouette, pas vous? Et puis, j’avais besoin de me libérer l’esprit quelques instants, ne plus penser à Père… à l’énième antidote qui n’avait pas fonctionné… Bordel… Et Ardwick qui avait semblé être tellement sûr en plus! Qu’elle sera sa réaction lorsqu’il apprendra que ça n’avait toujours pas marché? Lui qui y mettait tant d’efforts allaient sûrement être anéanti… Je secouais vivement la tête, m’échappant de ces réflexions pour poser mon attention sur l’homme ailé. Tendant ma main dans sa direction, je l’invitais à échanger une poignée.

« Je m’appelle Miles et toi? »

Une fois les présentations faîtes, je reculais d’un pas avant de lui demander où en était ses recherches, pour le diadème.


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