Un œil rouge et l'autre gris erraient sur les multiples annonces affichées sur un grand panneau près de l'hôtel de ville. Demande de petits boulots, recherches de personnels pour divers tâches, des personnes recherchées, des objets ou des animaux perdus... Les feuilles gribouillées d'inscriptions en Arshalà étaient nombreuses mais aucune ne retenait l'attention d'un jeune garçon à la chevelure brune. Kirvak Sforza cherchait une mission, un défi. Quelque chose qui l'obligerait à se dépasser, à faire valoir l'intelligence et l'agilité qu'il n'avait pas encore. Il était médiocre, détestablement médiocre. Comment espérait-il rendre son père fier de lui s'il n'était pas capable de faire quelque chose en dehors de Basphel? Le jeune Orisha eut un reniflement de dédain et se déplaça légèrement sur le côté, soulevant quelques feuillets de ses doigts fins pour y lire les messages. Un dessin esquissé d'une main précise et coloré à la peinture ressortait au milieux des lettres à l'encre noire. Kirvak s'approcha un peu plus pour déchiffrer le message. Ses yeux coururent entre les lignes qui formaient un petit paragraphe sous le croquis et il fronça les sourcils: il s'agissait de retrouver un diadème volé. C'était le genre de mission rêvée pour espérer entraîner son agilité et son intelligence, mais en était-il vraiment capable? Seul tout du moins? La peur de l'échec lui tordit les entrailles et il se détourna avec hésitation. Ce manque de confiance en lui empoisonnait son existence et le paralysait chaque fois qu'il avait besoin d'être fort, son père le lui reprochait souvent. L'Orisha sursauta en sentant quelque chose le pousser doucement dans le dos. *Tu n'es pas seul, je suis là moi* Un sourire étira les lèvres fines de l'adolescent qui se retourna. *C'est vrai, tu es là* Il posa ses mains sur l'encolure du bel étalon noir qui était son seul véritable ami. Fascinant s'ébroua en agitant sa longue crinière sombre et gratta le sol de son sabot, dans un geste d'impatience. Kirvak comprit le message et se tourna une ultime fois vers le tableau d'affichage: il lui fallait prendre une décision. Son regard vairon s'attarda sur plusieurs annonces mais revint finalement sur le dessin de la couronne finement ouvragée. Tant pis, il prendrait le risque d'échouer, c'était la seule annonce qui avait retenu son attention et qu'il jugeait digne de lui. L'étudiant de l'Obsidienne prit une inspiration et tourna le dos aux inscriptions en retenant l'adresse de la bijouterie. Il n'était pas resté insensible à la petite phrase qui concluait l'annonce: "riche récompense promise, bague d'assassinat offerte à celui qui retrouvera le diadème". Kirvak n'était pas un assassin et ne souhaitait pas en devenir un -il ne préférait d'ailleurs ne pas penser à ce que dirait son père s'il lui en parlait- mais la possibilité même d'imaginer être en possession d'un tel objet l'excitait. Il savait que c'était en rapport avec son désir de vengeance et avec les pulsions qui le prenaient depuis qu'il avait appris la disparition soudaine de sa mère. Mais peu importait, c'était toujours intéressant de se procurer ce genre de choses et il était bien décidé à tout faire pour mériter la précieuse bague.

Un bond efficace permit au jeune Sforza de se hisser sur le dos de Fascinant tandis que ses mains bronzées s'agrippaient à la crinière sombre de son compagnon. Il communiqua l'adresse de la bijouterie à l'étalon et les deux amis s'élancèrent dans les rues étroites de Mégido. Après seulement quelques minutes de course, le regard perçant de Kirvak repéra l'enseigne et le nom de la boutique qu'ils recherchaient. Le rythme cardiaque de l'adolescent s'accéléra: une fois qu'il se serait proposé pour ce service, il n'y aura plus de retour possible, son honneur lui interdirai tout abandon. Vak mit pied à terre et croisa le regard d'un bleu profond de Fascinant. Il ne savait dire pourquoi, mais ce contact visuel le décida une dernière fois et l'Orisha épousseta sa chemise ocre pour s'approcher de l'enseigne. Il y entra calmement et se dirigea directement vers le comptoir sans laisser ses yeux errer sur les multiples bijoux présentés et les nombreuses vitrines. Ses mains tremblaient et il les plaqua sur ses deux armes pendues à sa ceinture pour qu'on ne puisse remarquer la pression qui pesait sur lui. Le contact avec Vrïash et Töshk le rassurait de la même façon que la proximité de Fascinant. Au fond il n'y avait qu'eux autour de lui: ses deux rapières et son cheval, le reste n'avait que peu d'importance. Si ce n'est son père, c'était pour lui qu'il était là, pour attirer son regard, pour le rendre fier, pour le venger. Il attendit quelques instants que quelqu'un vienne à sa rencontre avant de dire d'une voix posée:  

"Je viens pour l'annonce, le diadème volé."

Il avait peur. Peur qu'on se moque de lui parce qu'il n'avait que quinze ans et qu'il se proposait pour une mission compliquée. Peur qu'on le méprise et qu'on lui dise de rentrer chez lui, de laisser faire les grands les professionnels. Et il ne le supporterait pas. Il détestait avoir peur. Il détestait douter ainsi de lui-même. Et c'est pour ça qu'il devait réussir cette mission, c'est pour ça qu'il ne devait pas échouer. A défaut de jouir de sa propre confiance, il espérait que quelqu'un pourrait compter sur lui, lui offrir quelques infimes part d'une confiance, seulement quelques fondations sur lesquelles il pourrait se construire. Rien de plus.