Asgeïr avait une petite idée en tête. Cette partie de chasse allait permettre aux Fjordson de ramener à leur tour de quoi manger, et de traquer la bête dont parlait le marchand. Ils se dirigeaient d’ailleurs vers les passages, là où il avait croisé ce dernier peu de temps auparavant.
En voyant qu’ils ne se dirigeaient pas vers les portes, Erïna lui lança un regard étonné. Le jeune homme partagea donc son idée avec elle en chemin

Les allées entre les échoppes étaient moins fréquentées en ce début d’après midi, et certains marchands commençaient même à ranger leurs marchandises. En voyant cela, Asgeïr fit signe à sa sœur d’accélérer le pas. Hors de question de louper une occasion pareille. Le jeune homme fut soulagé de constater que leur employeur se trouvait toujours là, il n’avait pas bougé d’un pouce. Son échoppe en revanche, s’était considérablement vidée.
Il fit signe aux deux arrivants de s’approcher et les invita à s’asseoir prêt de lui derrière son étale. En voyant son regard interrogatif se porter sur sa petite sœur, Asgeïr s’empressa de prendre les devants.

« C’est ma sœur, Erïna. Vous avez dû l’apercevoir tout à l’heure, elle était présente lorsque Helda est venue vous voir. »

A ces mots, le marchand fit un large sourire à cette dernière avant de se retourner vers l’ainé. Il lui réexpliqua le problème en long et en large, ce qui eu simplement pour effet de fatiguer le jeune loup. Au diable les détails concernant l’état du pauvre homme qui s’était fait attaqué la veille, ce qu’il voulait, c’était chasser. Et pour cela, il avait simplement besoin de savoir où était la proie, et combien ils seraient payé par la suite.
Après de longues minutes à attendre que les explications de son interlocuteur prennent une tournure intéressante, tout en jetant des regards de supplication à sa sœur pour l’appeler à l’aide, il finit par dresser l’oreille lorsque le marchand commença à représenter très vaguement une sorte de plan sur le sol. A priori, les plantes en question poussaient prêt d’un petit point d’eau non loin d’ici, situé vers l’Est. Une grotte naturelle peu profonde se situe juste à coté de l’étang. L’animal en question aurait trouvé refuge dans celle-ci depuis quelques jours, et s’attaquerait aux voyageurs passant dans le coin.
Il n’en fallait pas plus, Asgeïr était prêt à partir. Il remercia le marchand en lui promettant de revenir avec une preuve et se leva d’un bond pour se diriger vers les portes de la cité.

Il vit au loin Erïna continuer de parler quelques minutes avec le marchand, alors qu’il attendait comme un enfant impatient. En la voyant arrivé, il allait la gronder lorsque celle-ci lui annonça qu’elle avait parlé de la récompense. Penaud, il se contenta de la chahuter quelques instants avant de se diriger en courant vers la sortie. Les gens qu’il croisait le regardait étrangement, mais peu importe. Il pouvait enfin pleinement profiter, se dépenser, et chasser avec Erïna et Baïka. Arrivé au tunnel les séparant du monde extérieur, Asgeïr attendit sa cadette, quelques mètres derrière lui, tout en s’habituant à l’obscurité. C’était la deuxième fois qu’il empruntait ce passage mais cela le surprenait toujours autant.
Calmement, il avança le long du passage en caressant la fourrure de sa louve. En continuant son chemin, il fit rapidement l’inventaire de ce qu’il avait emmené pour être sûr de ne pas se retrouver sans arme.
La lumière se fit de plus en plus intense pour laisser apparaitre les plaines qu’ils avaient traversé la veille. En sortant, il se retourna vers sa sœur l’air radieux. Crow était posé sur son épaule

« Allez ! Suis moi sœurette ! »

D’après les dires du marchand, leur objectif se situait à deux bonnes heures de Dhitys, en avançant à un rythme modéré. Il ne faudrait sans doute pas trop trainer une fois là bas, pour espérer rentrer à la cité avant que la nuit tombe, non pas que cela dérange Asgeïr, mais cela inquiéterait sans doute leurs hôtes, et sa sœur se ferai un malin plaisir de lui faire des remontrances concernant ce retard.

Afin de meubler le temps pendant leur marche, le jeune homme en profita pour s'entretenir avec sa cadette.
Il voulait avant tout connaitre son ressenti sur leur voyage jusqu’à présent, ce qu’ils avaient déjà endurés pour arriver jusqu’à la cité des béluas, sur l’accueil chaleureux que leurs ont réservés la famille Leifdottir, et comment elle voyait la suite. Ses réponses l’intéressait au plus haut point, car malgré le fait qu’ils aient décidé d’entreprendre ce voyage, lui n’avait absolument pas pensé à ce qu’il pourrait se passer une fois à destination. Dhitys lui avait semblée tellement lointaine…

En observant le petit groupe, Asgeïr ne pouvait s’empêcher d’être songeur. Son entourage avait bien changé en y repensant.
Sa petite sœur était devenue une jeune femme à la silhouette élancée, tandis que ses traits, souvent cachés par sa chevelure noire, s’étaient affinés. Elle n’avait plus rien à voir avec la petite fille qu’il avait connu il y à plusieurs années de cela, mis à part son caractère boudeur et susceptible qui se réveillait de temps à autres.
Baïka était quant à elle devenue une fière louve, et elle chassait les petites proies bien mieux que son frère de meute à présent. En effet, si Asgeïr avait pu lui tenir tête lorsqu’elle n’était qu’un louveteau, il était maintenant impossible pour le jeune homme de la rattraper une fois lancée après sa proie.
Seul Crow n’avait pas changé. Pas physiquement en tout cas. Quant à l’esprit de ce dernier, seule Erïna pouvait communiquer avec lui.

Il sortit brusquement de ses pensées en recevant comme une décharge. Pendant une fraction de seconde, Asgeïr fut parcouru par un frisson brulant, ce même frisson qu’il ressentait avant que son esprit animal prenne le dessus. Il s’arrêta quelques instants afin de se calmer. Tout en reprenant son souffle, il lança un regard calme à sa sœur, pour lui faire comprendre que tout allait bien. Il détestait le fait qu’elle puisse le voir dans un tel moment, alors qu’il montrait un signe de faiblesse face à son esprit animal.
Il se ressaisit au plus vite, hors de question que cette traque soit gâché à cause de ce monstre ! Il continua donc de relancer sa sœur, préférant se calmer progressivement en l’écoutant parler, tout en passant sa main dans la fourrure de Baïka.

Leur chemin continua ainsi pendant un bon moment, ils passèrent aux abords d’un petit village dont le marchand leur avait parlé. Asgeïr l’observa un instant, sans trop s’en approcher pour autant. La vie ici semblait déjà bien plus proche de celle qu’ils avaient vécue dans leur village de Fjord. Il se demandait pourquoi ses parents n’avaient pas choisis d’emménager dans un village plus proche de la capital. Il ne devait sans doute pas être le seul village des environs, et il avait l’air d’y faire bon vivre.
Quoi qu’il en soit, d’après les explications de leur employeur, la cible n’était plus très loin. L’excitation commençait vraiment à monter. Le jeune loup se voyait d’ores et déjà courir après sa proie tout en évitant de se faire déchiqueter en retour, si bien qu’il serrait déjà le manche de sa lame courbe. Ils continuèrent ainsi d’avancer jusqu’à se retrouver devant un bosquet.

« Il nous à vendu ça comme un petit bosquet, mais mais ça ressemble bien plus à une grande forêt qu'à un petit bosquet ! »

Mais peu importe, le soleil avait perdu sa position culminante dans le ciel depuis un bon moment maintenant. L’après midi avait bien avancé, et ils étaient arrivés à l’entrée du bois. Le point d’eau, les plantes, et l’ours se trouvaient tous les trois à l’intérieur. Il ne restait plus qu’à aller se servir.

Il attendit patiemment que Crow leur indique où chercher tout en regardant sa sœur tirer. Elle avait énormément progressé depuis que Fenrisulf, leur père, leur avait appris à tirer.
En allant chercher sa flèche, la cadette lui annonça qu’elle savait, à l’aide de son corbeau, où pourrait se trouver leur cible
Ils pénétrèrent donc tous deux dans le bois. Au fur et à mesure qu’ils avançaient, Asgeïr se calmait. L’endroit était bien plus praticable que la forêt du val du bois chantant de Fjord. Tout compte fait, cela allait sans aucun doute se dérouler comme une partie de chasse habituelle et ils rentreraient à peine fatigués. En voyant Erïna marquer les arbres derrière eux, il ne pu s’empêcher de sourire. Lui-même n’y avait pas pensé et l’idée était bonne. Elle lui indiquait régulièrement la direction à prendre, sans doute trouvait-elle ces informations dans l’esprit de son compagnon à plumes. Comment pouvait-elle faire une telle chose d’ailleurs ? Il avait beau savoir communiquer avec Baïka d’un simple regard, il lui était impossible de parler ou d’accéder à l’esprit de sa louve de cette façon.
Il chercha cette dernière du regard, mais fut incapable de la trouver. Elle était sans doute partie devant.

La louve revint quelques minutes plus tard en sortant de nulle part. Asgeïr s’accroupit alors qu’elle frottait son museau contre lui. Elle avait sans doute trouvé l’ours car elle semblait vouloir les conduire quelque part. Ils entreprirent donc de la suivre jusqu'à arriver au lieu dit.

L’endroit ressemblait globalement à ce qu’on leur avait décrit : Une vaste végétation avait poussé tout autour de l’étang, il était impossible de reconnaitre la plante convoité par Helda et sa mère au premier coup d’œil, à moins de l’avoir récolté un nombre incalculable de fois ou de se poser calmement pour faire le tri dans toute cette flore. Juste derrière le point d’eau trônait une longue paroi rocheuse dans laquelle était creusée une grande cavité. Asgeïr était maintenant sûr que sa proie était présente, car il était possible d’apercevoir une partie de l’animal à l’entrée de la grotte. Seulement, un détail dérangeait le jeune homme : L’odeur ambiante. Il y régnait comme une odeur de putréfaction. Accroupis derrière la végétation, il murmura à sa sœur

« C’est sans doute pour ça que Baïka a retrouvé ce lieu si facilement »

Celle-ci grognait d’ailleurs en direction de l’antre depuis un bon moment maintenant.
Le jeune homme fit signe à sa sœur de ne pas bouger en lui demandant d’armer son arc. Il y avait forcément quelque chose de pas net, cet animal n’était pas normal. Il essayait malgré tout de masquer son inquiétude, quoique ce ne dût sans doute pas être très convainquant.

« Tous va bien se passer, ça va être facile … Mais si jamais ça dérape, tu rebrousses chemin à toute vitesse avec Baïka »

Puis il commença à avancer lentement en direction de l’ours afin d’avoir un meilleur visuel. Plus il se rapprochait, pire était l’odeur a tel point qu’il en eut la nausée. Il connaissait bien cette odeur, il avait eu l’occasion de la sentir par le passé, alors qu’il revenait sur les lieux où il avait abandonné ses anciens camarades. Mais jamais elle n’avait été aussi forte. Si l’odeur venait bien de corps humains, cet ours avait dû en tuer plusieurs dizaines.
Alors qu’il restait une quinzaine de mètres entre l’homme et l’animal, l’ours semblait en piteux état. Il ne pouvait toujours pas voir le corps entier de la bête, cependant, sa partie visible était couverte de plaies, infectées pour la plupart. Il manquait par endroit de la fourrure, et du sang tapissait le sol.

« Qu’est-ce qui a bien pu lui faire une chose pareil ? »

L’animal était sans doute mort ou à l’agonie, mais pour rester prudent, Asgeïr préférait l’achever d’ici. Il arma son arc et décocha une flèche qui se logea à toute vitesse dans sa cible.

Contre toute attente, celle-ci se mit à bouger sans émettre le moindre grondement de douleur.
La surprise fit reculer instinctivement le chasseur, complètement abasourdi, alors que Baïka hurlait à la mort. L’ours, si on pouvait encore l’appeler ainsi, sortit de son antre, avant de se mettre sur ses deux pattes arrière.

Sa mère lui en avait déjà parlé lorsqu’il lui avait posé des questions sur les béluas, ce n’était pas un ours, mais un monstre. Ces autres personnes nées d’autres espèces mordues par un bélua sous transformation animale, qui finissent par se changer en monstres difformes.

L’abomination avait beau avoir la forme d’un ours, elle était d’un gabarit bien plus important. Debout, on pouvait le voir sans aucun soucis, sa chair était complètement lacéré et infecté et sa patte avant droite, bien plus grosse que la gauche, était relié au reste du corps grâce à une épaule difforme, comme s’il était bossu.

Le monstre brisa la  flèche d’un coup de patte, avant de pousser un long cri déchirant

Il sortit brutalement de son état de stupeur lorsqu’Erïna l’attira en arrière. Son cœur battait à une vitesse folle. Il avait d’abord crû à une hallucination lorsque la masse de chair  putride avait commencé à se relever, puis à sortir de son antre, face à lui. La peur et la surprise l’ayant cloué sur place dans l’instant, il n’était pas si mécontent que ça que sa sœur ait décidé de ne pas l’écouter, au moins pour cette fois.

Une fois à l’abri, derrière un arbre à plusieurs mètres, sa sœur commençait à réfléchir. Elle cherchait un plan sans aucun doute, et elle était la meilleure dans ce domaine. Hélas il ne voyait pas vraiment quel plan pourrait les tirer d’affaire face à une telle abomination. En la voyant se concentrer, il se retourna vers la bête et comprit qu’elle comptait utiliser la télékinésie alors qu’il apercevait une pierre lévitant au dessus de l’animal. La roche se fracassa durement contre le crâne du  monstre, ce qui réussit seulement à arracher un second cri à celui-ci. Le jeune homme en profita pour chercher Baïka du regard, et fut rassuré de voir qu’elle ne se trouvait pas dans les environs. Sans doute attendait-elle dans un coin, prête à attaquer. Son cœur se mit à battre encore plus vite alors qu’il voyait que la créature les cherchait, en commençant à frapper et arracher tous les obstacles sur son passage.

La télékinésie avait vite agit sur l’état de sa petite sœur. Erïna s’était rapidement affaibli. De plus, elle risquait de se transformer d’un moment à l’autre d’après ce qu’il comprit. Il adressa silencieusement une prière désespéré à quiconque souhaiterait l’entendre, n’ayant absolument aucune connaissance quant à la religion de sa propre race. Si elle finissait par se transformer en animal, il avait de sérieux doute qu’ils s’en tirent vivant. Elle s’attaquerait sans doute directement à l’ours, qui n’en ferait qu’une bouchée étant donnée sa taille.

Alors que la cadette, tout en armant son arc, fermait les yeux pour se calmer, Asgeïr jeta une nouvelle fois un regard vers l’abomination. Il écarquilla les yeux avec horreur lorsqu’il découvrit que celle-ci s’apprêtait à leur porter un coup, juste derrière l’arbre où ils s’étaient cachés. Il eut à peine le temps d’attraper sa sœur et de plonger de coté qu’un choc violent s’abattit contre l’arbre, y laissant des entailles d’une profondeur effarante. Il se dépêcha d’aider sa sœur à se relever avant de la pousser derrière lui.

Le même frisson brulant qu’il avait ressenti l’après midi même devenait de plus en plus fort lui aussi, sans doute accentué par le stress. Le fait de repenser une seule seconde à l’homme qui les avait envoyés ici n’arrangeant en rien les choses. Il luttait pour ne pas laisser son esprit s’embrumer, pour ne pas perdre le contrôle de son corps. Malgré ses efforts, sa morphologie avait déjà commencé à changer : Ses canines et incisives commençaient à s’allonger, devenant plus pointues et bien plus acérées.

Il revint brutalement à la réalité pour esquiver un second coup de leur adversaire, poussant un peu plus sa sœur en arrière. Entre les efforts que lui avait demandé la télékinésie, et son combat intérieur pour lutter contre son animal, elle avait l’air complètement désorientée. Il aurait bien aimé lui laisser le temps de reprendre ses esprits, mais leur assaillant ne semblait pas vouloir leurs accorder ce luxe.

En reculant sans cesses face aux assauts adverses, il espérait gagner un maximum de temps, trouver une idée. Cependant, à force de changer de cachette en tournant tout autour de la clairière, ils finissaient par se rapprocher de la paroi rocheuse, et donc de la caverne. Une fois la dedans, ils seraient piégés et serviraient simplement de repas. Il fallait gagner plus de temps.

Dans la précipitation, il hurla la seule idée qui lui venait à l’esprit.

« Vise ses pattes arrières, et tire sans t’arrêter ! »

Après ça, il s’élança sur le coté en décochant une flèche contre le monstre, qui se logea dans son abdomen. L’action eut l’effet escompté. En effet, la douleur fût suffisante pour que l’attention de la chose se reporte sur le jeune homme. Il en profita donc pour l’attirer vers le centre de la clairière, loin de sa cadette.

Il devait absolument faire en sorte que l’abomination focalise toute son attention sur lui, pour ainsi permettre à Erïna de l’affaiblir. Si elle réussissait à suffisamment meurtrir ses appuis, peut être qu’elle finirait par le priver de sa mobilité. En espérant qu’elle ait assez de flèche, car dans le cas contraire, leurs chances d’abattre la proie seraient grandement diminuées.

« On va jouer un peu maintenant, toi et moi »

Le jeune loup tira sa lame courbe hors de son étui. Même s’il n’était pas bien sûr de son utilité dans une telle situation, il se sentait plus serein avec l’arme au poing. Après avoir de nouveau évité de se faire éventrer en réalisant un pas de coté, Asgeïr reprit suffisamment ses esprits pour se permettre d’afficher un sourire confiant. Après tout, c’était un garçon endurant et plutôt agile, il ne se laisserait pas abattre si facilement. Baïka était elle aussi sortie de sa cachette, et montait maintenant la garde devant la jeune femme. Il devait juste faire attention à ne pas se déconcentrer. S’il recevait un coup pareil, il ne serait sans doute plus en état de combattre, ni de faire quoi que ce soit d’autre d’ailleurs.

A chaque fois que l’horrible créature osait se retourner pour pousser un hurlement en direction de sa soeur, Asgeïr en profitait pour entailler le premier morceau de chair qu’il pouvait atteindre en y enfonçant sa lame, ce qui avait pour effet immédiat d’accentuer encore plus la rage de la bête tout en lui rappelant qu’il était son adversaire.

Son opposant semblait de plus en plus enragé au fur et à mesure qu’il essuyait des échecs. Toute son âme baignait dans la folie, et ses yeux ne laissaient transparaitre qu’une profonde envie de tuer. Comment une simple morsure de bélua pouvait-elle transformer une personne en pareil monstre ?

Alors qu’il essayait tant bien que mal de garder son calme face à son adversaire, Asgeïr poussa un juron. Il apercevait entre deux attaques sa sœur se rapprochant d’eux de plus en plus, tout en essayant de viser le cœur du monstre.

« Pas possible qu’elle m’écoute deux minutes ? Ce n’est pas un jeu cette fois ci ! »

Lorsqu’il ramena son regard sur son opposant, le jeune homme écarquilla les yeux, horrifié. Ce petit moment d’inattention allait lui couter très cher, peut être même trop cher. Une énorme patte allait s’abattre durement contre lui à toute vitesse.
Tout s’enchaina en un instant. D’abord un silence qui lui sembla interminable. Suivit d’une sensation désagréable et une odeur de fer : Un jet de sang encore chaud était venu s’écraser contre le torse et le visage d’Asgeïr, se mélangeant à ses propres peintures. Enfin, un bruit sourd, accompagné d’un hurlement de rage provenant de l’abomination qui se tenait devant lui. Une de ses pattes avant gisait au sol, juste à coté de lui. Malgré le fait qu’elle ne l’ait pas écouté, Erïna venait de sauver la vie de son frère en réalisant une découpe net et précise sur la patte qui se tenait au dessus de lui quelques secondes auparavant.

Alors que le monstre réalisait ce qu’il lui était arrivé, les Fjordson prirent un peu de distance, rejoins par Baïka quelques instants plus tard. Asgeïr s’apprêtait à sermonner sa sœur quant à sa folie lorsqu’il aperçut le regard désespéré de celle-ci. Il comprit immédiatement dans quel état elle se trouvait et voulu lui porter secours, la secouer, l’étreindre, afin de la rassurer et la calmer. Cependant, l’esprit félin qui vivait en elle ne semblait clairement pas de cet avis, car sa cadette se transforma dans la seconde suivante, avant de bondir en direction de leur adversaire, laissant derrière elle ses affaires ainsi que son ainé.

Asgeïr jura une seconde fois et fût prit de sueur froide alors qu’il voyait la panthère tourner autour de l’ours, manquant de se faire éventrer à deux reprises. Finalement, l’abomination, à force de lutter pour attraper son assaillante, finit par perdre l’équilibre et s’écraser durement  sur le ventre.

C’était le moment ou jamais. Il n’aurait sans aucun doute pas de meilleure chance de terminer le travail et de s’en tirer vivant. Il fallait abattre la proie le plus vite possible, ou au moins la priver de mobilité.
La louve et la panthère s’élancèrent toute deux en contournant leur proie afin de lui lacérer et déchiqueter les pattes arrière. Ainsi, il n’aurait plus de point d’appuis, et donc plus de moyen de se relever.
De son coté, le jeune homme avait déjà commencé à décocher une salve de flèche meurtrière afin de crever les yeux de la bête. Malgré les tentatives de celle-ci pour briser les flèches en vol, la majorité attinrent tout de même leur cible, ce qui eut pour effet de provoquer un cri de douleur chez la créature en la plongeant dans une folie meurtrière.

Ecumant de rage, le monstre essayait de briser son adversaire à l’aveuglette en labourant durement le sol de ses griffes, et en éclatant les rochers se trouvant à proximité. Des éclats de roche volèrent jusqu’au jeune homme et lui entaillèrent légèrement la joue droite, faisant perler une goutte de sang le long de celle-ci.

« Je ne sais pas qui tu es et d’où tu viens, ni si tu es réellement né avec une apparence différente de celle que tu portes actuellement. Mais regarde-toi maintenant. Tu es enragé, et à moitié mort.
Ta soif de sang a-t-elle toujours aussi été violente ?
Est-elle apparut uniquement dans le but de te venger de celui qui t’a mordu, le sang-mêlé qui t’a laissé pour souvenir cette apparence répugnante, en déversant ta haine sur la totalité des béluas ?
Ou bien est-ce simplement un instinct primaire que cette nouvelle vie t’as offert ?
Alors ? Evidemment, tu ne peux me répondre, regarde toi, tu n’es capable que de déverser ta rage. Je suis convaincu que tu t’es même installé ici récemment car tu savais que ce lieu était fréquenté pour sa flore. Tu sais, mon père m’a toujours apprit à traiter avec respect la faune et la flore. Mais avec une âme aussi meurtrière que la tienne, mérites-tu vraiment de mourir dignement ? Tu ne chasses pas pour manger, ni pour protéger quoi que ce soit, tu chasses uniquement pour jouer, pour tuer. »

Pour faire taire le hurlement du monstre, Asgeïr s’élança face à lui pour lacérer sa seule patte valide, tout en effectuant des pas de cotés et des volte-face à l’aide de sa vitesse accrue pour éviter les attaques désespéré de son adversaire. Le jeune loup finit sa course en sautant sur la patte, puis sur le dos de la bête.
Il jeta un rapide coup d’œil derrière lui pour s’assurer que sa sœur ne lui planterait pas ses crocs dans le dos alors qu’il était occupé ailleurs, mais celle-ci semblait jauger la situation, feulant en direction de la louve blanche qui était maintenant placée entre eux. Puis, il enfonça une première, puis une deuxième fois sa lame derrière le crâne de l’ours, afin de l’achever pour de bon. Le métal pénétra dans la chair sans aucune résistance et arracha un long râle d’agonie à la victime.
Ce dernier cri installa un silence lourd.

« Enfin… C’est terminé »

Asgeïr se laissa tomber sur le dos, toujours sur la dépouille de l’animal. Il était couvert de sang, le sien comme celui du monstre. Il dirigea lentement son regard vers l’étang, qui trônait toujours au milieu de sa végétation, et se dirigea vers lui avec un pas lourd. Il prit uniquement le temps de retirer la peau de loup qu’il portait de la tête aux épaules, dévoilant ses cheveux longs avant de plonger.

Le contact de l’eau sur sa peau lui apporta une vague d’apaisement. C’était frais. Pendant un instant, il ne pensa plus à rien, savourant le fait d’être encore en un seul morceau. II fallait maintenant régler le problème de sa sœur, mais ça ne pouvait en aucun cas être plus compliqué que ce qu’ils venaient de vivre à l’instant.
Lorsqu’il sortit la tête de l’eau, il tomba nez à nez avec Baïka qui le fixait au bord de l’eau avec des yeux interrogateurs.

« Me regarde pas comme ça ! Je ne peux pas vraiment retourner à Dhitys couvert de sang, je vais avoir l’air de quoi ? Les peintures sur mon visages devait déjà en surprendre plus d’un, mais là je ne suis vraiment pas présentable. Et imagine un peu que mes plaies s’infectent ! J’aurais l’air bien malin »

Il prit ensuite sa coiffe afin d’y effacer les tâches de sang, avant de diriger son regard vers la panthère. Celle-ci semblait, une fois de plus, complètement déboussolée. Elle tournait autour de l’étang en alternant feulement et regard étonné.

« Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire de toi maintenant hein ? »

Alors qu’il continuait de retirer le sang présent un peu partout sur lui, Asgeïr surveillait du coin de l’œil le fauve qui ne cessait de tourner autour de l’étang. Il était plutôt satisfait, malgré les frayeurs qu’il avait eu quelques instants auparavant, sa sœur, même sous une forme plus animale qu’humaine, était encore en un seul morceau, tout comme lui. De plus, il pouvait se décrasser ici sans être obligé de rentrer couvert de sang. Sa sœur lui aurait sans aucun doute fait une remarque, mais sous cette forme, il ne la comprendrait pas. Enfin, cette dernière, malgré sa forme de panthère, semblait rester à proximité. Il suffisait simplement d’attendre ici qu’elle reprenne le contrôle de son corps en appréciant la fraicheur de l’eau. De toute façon, c’est surtout un très gros chat noir, il n’est pas censé aimer l’eau non ?
Comme si elle avait lue dans ses pensées, celle-ci feula dans sa direction avant d’être prise de tremblements. Elle secoua la tête dans tous les sens et rugit avant de prendre la fuite à toute vitesse, coupant court à la remarque qu’Asgeïr s’apprêtait à faire.

« C’est pas possible, il fallait forcement que ça se passe comme ça... »

Après un long soupir, Asgeïr sortit de l’eau à contrecœur. Il n’était plus couvert de sang mais c’était une autre histoire pour sa coiffe. Quoi qu’il en soit, il ramassa les affaires de sa sœur, toujours sur le sol, et envoya Baïka lui courir après, afin de ne pas perdre sa trace.
Alors qu’il tentait de la rattraper, le jeune homme croisa Crow sur le chemin. L’oiseau de sa cadette semblait vouloir le guider. Et ils arrivèrent en effet quelques instants plus tard au pied d’un arbre. Plus haut dans cet arbre, se tenait maintenant une jeune fille à la chevelure sombre en pagaille et affichant une mine boudeuse. La scène arracha un sourire amusé à l’ainé, qui adorait la voir comme ça.

« Peut être que je devrais te laisser là bas encore un peu,  pour t’être rapproché du monstre alors que je t’avais proposé une place de choix loin de lui »

Toujours trempé, il la fixait avec un regard faussement sévère, comme pour se donner des airs d’ainé responsable. Elle lui avait fait une belle frayeur après tout. En revanche, il ne voyait pas vraiment comment la faire descendre. Monter la rejoindre et redescendre seul, Asgeïr pouvait le faire aisément. Redescendre en portant quelqu’un, c’était tout autre chose. Il ne voyait qu’une solution, bien qu’elle ne lui semble pas la meilleure.

« Ecoute… je crois qu’il va falloir que tu sautes, je te rattrape avant que tu t’écrases par terre, promis ! »

Les yeux de sa cadette, toujours cachés dans cette masse de cheveux ébouriffés, semblaient terriblement sceptiques.

« Allez, je vais pas te laisser tomber de toute façon, tu devrais le savoir ! Si tu ne descends pas par toi-même, je viens te chercher et je te ramène jusqu’en ville sur mon épaule, en te portant comme un sac de pomme de terre »

Après un moment d’hésitation, Erïna finit par se laisser descendre et enfin lâcher prise. Le jeune homme la rattrapa du bout des bras en plein vol, et pour éviter de tomber en avant, s’écrasa sur son fondement. Le choc lui arracha un soupire silencieux, qui value un nouveau « regard sévère » à sa petite sœur.
En penchant la tête en arrière, il aperçut Baïka, qui le fixait du même regard étonné qu’elle avait eut prêt de l’étang, se demandant sans doute si son frère de meute avait encore toute sa tête. Ses pulsions animales étaient totalement calmées à présent, il ne sentait plus lutter l’esprit du loup, ce qui lui permit enfin de sentir une immense vague de soulagement. L’ours était mort. Sa sœur avait réussi à reprendre le contrôle de son corps et se trouvait en bonne santé. Ils pouvaient enfin souffler réellement.

En voyant le soleil descendre de plus en plus bas, si bien qu’il commençait à faire plus sombre dans la forêt, Asgeïr se remit sur pied, en tendant à sa sœur sa cape et ses armes, qu’elle avait abandonné auparavant. Il s’empressa d’abord de lui demander si elle se sentait bien, avant d’en venir à la suite des évènements.

« Et maintenant comment ça se passe ? On est terriblement en retard, et il va sans doute falloir qu’on attrape un chevreuil, ou au moins quelque chose de comestible pour ce soir. D’ailleurs, il faut aussi qu’on retrouve la clairière, pour suivre les marques que tu as faites sur les arbres en arrivant, sans quoi il va être difficile de sortir d’ici avant demain. »

Alors qu’il observait sa réaction, Baïka vint frotter son museau contre le jeune homme, qui passa sa main dans la fourrure de la louve. Il commençait de son coté à se demander comment réagiraient leurs hôtes s’il ne les voyait pas revenir au coucher du soleil.

Porter le daim n'était pas de tout repos. Asgeïr sentait la sueur perler sur ses tempes. Le retour avait été bien plus fatiguant que lorsqu'ils étaient arrivés. Alors que sa sœur lui faisait part de son idée de réclamer une meilleure récompense, étant donné le danger qui les attendait, le jeune homme lui ne pensait qu'à tuer le marchand. Il n'avait plus qu'à prier pour ne pas se retrouver seul avec lui. Il avait bien caché son jeu et le paierait. Le jeune loup détestait qu'on lui mente. Il détestait aussi qu'on le prenne pour un idiot. Mais ce qui le révulse par dessus tout, c'est que l'on mettre la vie de sa sœur ou sa propre vie en danger, qui plus est en se servant d'eux pour accomplir une tâche ingrate.

Les Fjordson arrivèrent enfin à Dhitys alors que l'ainé continuer de ruminer et de chercher la manière la plus plaisante de torturer leur homme. Grâce à la persuasion de sa sœur - Ou à la fourberie des femmes en général - les gardes, sur le point de fermer les portes de la cité pour la nuit, les laissèrent entrer. Il n'avait qu'une hâte, se laisser tomber sur son lit afin de détendre ses muscles, notamment ses épaules qui avec le poids de la bête, commençaient à le faire souffrir. Il n’arrivait pas à savoir l’heure qu’il pouvait être. Il ne voyait plus le soleil et il avait l’air de faire noir. Cependant, ses yeux lui permettant de voir dans la nuit, il était plus difficile de jauger le niveau d’obscurité.

Il ralentissait de plus en plus le pas lorsqu’il aperçut enfin la petite maison au loin. De la lumière était toujours visible par la fenêtre, ce qui soulagea grandement le jeune homme. Il avait redouté de finir devant la porte mais de trouver le foyer endormit, pour finir par chercher un autre logement de fortune pour les abriter pour la nuit, lui et sa sœur. Il laissa la dépouille de l’animal s’écraser lourdement près du seuil de la porte d’entrée, lançant un regard d’avertissement à Baïka dans le même temps. Cette dernière, le museau toujours taché de sang après son dernier repas, observait le daim avec gourmandise.

« Pas touche, celui-ci constitue notre repas Baïka, tu as déjà eu ta part dans la forêt »

Alors qu’il lui parlait, la maitresse de maison leur ouvrit la porte.

« Que faisiez-vous ? Nous étions mortes d’inquiétude ! Nous avons même fini par croire que vous vous étiez enfuis ! »

Alors que sa cadette allait commencer à prendre la parole, Asgeïr ne voulait pas prendre le risque de la laisser conter leurs mésaventures ce soir. Il s’empressa donc de prendre la parole avant elle, et de rassurer la mère de famille face à eux, lui assurant qu’ils n’avaient pas rencontrés de réel problème, leur retard étant principalement du à sa curiosité et à son inattention, il avait souhaité se balader et visiter un peu les alentours de la cité, sans voir à quelle vitesse le soleil se couchait. Il lui assura aussi qu’ils leurs raconteraient tous cela sans tarder le lendemain, après un bon repas et une bonne nuit de sommeil.

« Très bien, alors venez, ne restez pas dehors ! Hélas, ne vous voyant pas revenir, nous avons déjà préparé le repas, il est tard vous savez. Ma fille a même fini par tomber de fatigue avant que vous arriviez. Elle est couchée actuellement, mais vous la verrez demain sans aucun doute. Venez, ce n’est pas grave pour ce soir, mon mari pourra s’occuper de préparer le daim demain et nous y gouterons ensemble. »

Ainsi, l’ainé reprit la dépouille de l’animal sur son dos, le temps de la déposer à l’intérieur, laissant Baïka s’allonger devant le pied de la porte, sans doute fatiguée elle aussi. Ils eurent droit à un bon repas, particulièrement appréciable après une telle journée. Il jetait quelques regards vers sa sœur et se rendit compte qu’elle aussi semblait revivre alors qu’elle reprenait des forces en savourant son repas.

Une fois repue, ils se dirigèrent tout deux vers la chambre où ils avaient déjà dormis la veille. En entrant dans la pièce, Asgeïr capta son reflet dans le miroir accroché au mur. Les fines plaies sur sa joue et son flanc étaient encore bien visible et les peintures de son visage s’étaient en majeur partie effacés. Tout compte fait, son excuse de curiosité et de balade autour de Dhitys ne tenait peut être pas la route. Enfin bon, trop tard maintenant. Il s’avança sur face à son lit et se laissa tomber sur le dos, passant son regard dans la pièce. Malgré la fatigue, il ne s’arrêtait pas de penser et de cogiter.

« Pas sur que le sommeil vienne me chercher si facilement tout compte fait »