nombre de mots:

Mutisme
In the morning -
« Between good and evil »

Devant les statues, je me figeais brusquement, ébahi par la stature imposante des pièces. Géantes de pierre, elles trônaient toutes, aussi dignement que des reines, au milieu de la salle, leur regard sans teint, sans couleur, tourné dans notre direction, nous jaugeant, pourtant, avec une animation fébrile, vivante. À ce simple constat, je compris qu’il nous faudrait peut-être songer à ne pas tout miser sur la chance. La chance, certes, nous en avions peut-être, mais je ne croyais pas qu’elle serait suffisante pour nous sortir de ce plat. À mes côtés, Evey lâcha un ricanement. Je lui jetais un regard, contraint de sourire devant la fatalité. Nous étions deux contre tous ces soldats – armés, qui plus est. Armés de lances, d’épées pour la majorité, de bâton de combat, etc. Il y en avait pour tous les goûts; pour ça, je ne pouvais pas être déçu.

Du coin de l’œil, je remarquais un mouvement de ma partenaire, qui venait de glisser son pied sur la dalle juste devant elle. Lorsqu’elle me signala qu’elle était prête à commencer, j’obtempérais simplement d’un hochement de la tête, suivi d’un vague « Bonne chance » qui courut sur mes lèvres, la nervosité au ventre. Attentivement, j’observais le dos de la jeune fille, intégralement caché par sa longue chevelure blonde. Elle venait de tracer un chemin en zigzaguant, pour s’arrêter trois cases plus loin. Après quoi, elle ne bougeait plus. Je ne savais pas trop si c’était de son plein gré, ou si ces trois déplacements correspondaient au maximum de «coups» que nous pouvions jouer, mais elle s’était arrêtée, et ne semblait pas prête à avancer de nouveau. Qu’allait-il se passer ensuite?

Un pion finit par se mouvoir. Pas d’explosions, de trappe sans fond, qui aurait apparu sous ses pieds: non, rien de tout ce que j’avais pu craindre pour l’instant. C’était juste le pion qui, de sa démarche lente et pesante, avançait de deux cases pour se paralyser à sa nouvelle position. Je tentais de comprendre, à l’avance, les coups que voulaient porter ces statues vivantes. Contre qui jouions-nous, de toute façon? Ces pions de pierre ou la tour elle-même? Je me le demandais sérieusement… Quoi qu’il en soit, pour le moment, il fallait simplement penser à ne pas crever. Jeu ou non, les armes que ces grands colosses de pierre tenaient entre leurs mains n’en restaient pas moins mortels.

Evey bougea une seconde fois. Et elle finit par se diriger vers la gauche, tout juste en face du pion qui, précédemment, venait, lui aussi, de s’avancer sur le plateau. La jeune fille décida d’attaquer de front. Maintenant, je regardais avec plus d’attention ce qui allait se produire. Comment allait-elle abattre la statue armée? Elle tendit sa main jusqu’au colosse de pierre et ses doigts se posèrent contre la texture rugueuse de la roche, avant que celle-ci s’effondre en poussière. Ma bouche se décrocha. Un simple contact pouvait les éliminer? Je n’en revenais pas! Et les armes, c’était de la frime ou quoi? Je souris, arrogant, tandis que j’entendis Evey appeler mon nom. Aussitôt, je me fixais une case, non loin, prêt à jouer à mon tour.

« T’inquiète pas, va! S’ils sont aussi faibles que ça, on va les massacrer! »

Confiance, tu me tueras. Mais oui, j’avais confiance, et c’est ce qui me permit de faire mes trois déplacements en ligne droite, sans la crainte écrasante que j’avais pu sentir peser sur mon estomac quelques instants plus tôt, comme si tout s’était envolé dans la seconde où Evey avait posé sa main sur le corps de pierre et que ce dernier s’était détruit.  Mais c’est ce qui me rendait un peu plus téméraire aussi.

De pied ferme, j’attendis que le pion devant moi s’avance. Je ne sais pas pourquoi, mais je me disais qu’il avancerait, qu’il tenterait de m’écraser avec sa lance ou avec son pied. De toute façon, avait-il autre commande que de nous écrabouiller? J’en doutais fort. Mes mains s’agitaient, alors que je me positionnais déjà pour accueillir mon adversaire potentiel.

Qui ne tarda pas à s’avancer jusqu’à moi. Comme pensé, c’était bien celui devant moi qui se déplaça, rapidement je dois dire, et qui leva son arme au-dessus de sa tête. Aussitôt, je compris qu’il allait le fracasser au sol, et sans attendre, j’évitais le coup en sautant sur le côté. La lance brisa le sol, laissant un trou béant dans celui-ci. Bordel. Ils étaient peut-être faibles, mais la force qui animait leur muscle n’était en rien celle d’une mauviette.

« Un truc pareil sur la tête et j’suis mort. »

Mais je n’avais pas le temps de souffler que le pion, de nouveau, relança son arme dans ma direction, frappant avec violence le plateau de jeu. C’était limite si la terre ne tremblait pas sous les coups herculéens de ce mastodonte.

« On se calme, mon gros! »

Rien à faire. Il continuait de pivoter sur lui-même pour que je reste dans son champ de vision, faisant tournoyer son arme dans les airs pour l’écraser, alors que je lui tournais au tour, mes jambes prêtes à décamper à toute vitesse si le besoin se faisait sentir. Mais il fallait que je le touche, par Antarès! Un pied, une jambe, un bras ou rien qu’un p’tit doigt! Tant que je le touche, ça devrait suffire, non? Mais encore, l’occasion devait se présenter.

J’attendis avec patience, simplement concentré sur les mouvements du géant de pierre. Si je faisais assez vite, je pourrais le toucher… Maintenant! Je me risquais à tenter le coup! Dans un saut, je piquais une course jusqu’au colosse, qui n’attendit pas une seconde avant de redresser son arme, prêt à l’abattre sur ma pastèque. Je vis, à la dernière seconde, l’ombre de l’arme se rapprocher dangereusement de ma position, et je plongeais vers l’avant, passant de justesse entre les jambes du géant de pierre. Le sol, derrière moi, se brisa en millions de fragments, qui s’éparpillèrent dans les alentours, tant le choc fut violent.
J’ouvris alors les yeux, constatant que je me trouvais dans le dos du colosse. Voyant que je n’ai pas été touché par son coup, je tendis aussitôt mon bras jusqu’à la jambe du colosse, frappant son membre avec force.
La statue s’effondra en un tas de poussières qui s’abattit sur moi.
Je fermais les yeux, toussais un peu, avant de me lever et de me frotter les yeux.

« Génial…, grommelais-je, me tournant d’un bloc vers Evey.

Nous échangeâmes un regard, auquel je répondis par un sourire, songeant que c’était peut-être à mon tour d’avancer à nouveau. Cette fois-ci, je choisis d’opter pour la gauche, vers laquelle j’avançais d’une case. Je m’arrêtais.
Pendant ce temps, un nouveau pion s’avança, de deux cases, pour se positionner juste à côté de moi. Adressant un sourire à la face de pierre, j’étais prêt pour une seconde danse.

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« Dis-moi, Miles ! Les armes qu’ils possèdent, vont-ils s’en servir contre nous ? Je n’espère pas, car sinon on va vite mourir dans ce jeu. Oui, car les armes ne sont pas en pierre mais bien en métal. Et j’espère qu’après ce jeu d’échec, nous pourrions accéder à la dernière salle pour récupérer ce grimoire de malheur. »

Mou souffle se coupa, tandis que je me tournais d’un bloc dans sa direction, les yeux gros.

« Et le pion qui vient de m’attaquer avec son arme, tu crois qu’il le faisait pour rigoler? »

D’un signe vaste et large des bras, je lui montrais les trous qu’avaient fait le mastodonte de pierre que je venais de réduire en poussières. Incroyable! Avait-elle simplement senti les secousses qui avaient fait trembler l’entièreté de la salle? Avait-elle entendu le bruit fracassant de l’arme avec lequel le pion précédent avait voulu m’embrocher? J’avais frôlé la mort, moi, à cause de ces armes! Nerveusement, je passais ma main dans mes cheveux tout en soupirant pour reprendre mon calme. Ce n’était vraiment pas drôle de se ficher de moi à un moment pareil!

« Et non seulement ces armes sont fait de métal, mais en plus, ils n’hésiteront pas à s’en servir contre nous, crois-moi! »

Ce fut, alors, son tour de jouer. Je la regardais progresser sur les différentes dalles du jeu, tout en gardant un œil sur le colosse de pierre qui se tenait sur la case à mes côtés. Ce dernier ne bougeait pas, du moins, pas à ce que je sache. Aussi immobile qu’une statue, le regard figé, il attendait sûrement son tour pour jouer, lui aussi. Au loin, j’entendis de nouveau du bruit et je dirigeais aussitôt mon attention vers la source de ses sons. Je constatais alors qu’Evey venait de faire tomber en poussière un nouveau pion. Parfait. Au moins, nous nous frayions un chemin jusqu’au Roi, qui ne se trouvait plus qu’à une case de la Magicienne. Je souris de toutes mes dents. Échec. Voyons voir comment allait s’en sortir celui ou celle contre qui nous jouions?

Puis, vint mon tour. Vivement, je me retournais vers le pion qui se trouvait à mes côtés et plaçais rapidement ma main sur sa cuisse de pierre. Comme tous ses confrères un peu avant, il s’effondra au sol, à l’état de sable et de poussières. J’esquissais un sourire carnassier, avant de revenir sur mes pas pour me positionner à deux cases d’Evey, avant qu’une force X ou Y m’incite à m’arrêter, pour permettre à un autre pion d’avancer. Je regardais autour de moi, voir quelle pièce du jeu allait avancer cette fois. Mais, rapidement, mes yeux se posèrent sur la silhouette imposante, mais non sans dignité, de la Reine. D’un pas lourd et menaçant, elle avançait dans notre direction, en diagonale, pour s’arrêter sur la case qui séparait Evey du Roi. Il émanait d’elle une puissance bien plus supérieure à celle des faibles pions que nous faisions tomber comme des mouches depuis tout à l’heure et, sans trop le vouloir, je fis un pas sur le côté. Elle, elle serait beaucoup plus difficile à faire tomber, j’en étais persuadé.

« Cette fois, je ne pense pas qu’elle tombera en poussière seulement en plaçant notre main dessus… »

Je sentis, alors, mon corps s’alléger, comme libéré de la paralysie qui nous prenait à chaque fois que ce n’était plus notre tour de jouer. Aussitôt, je filais vers le pion qui se trouvait en F7. Ce dernier me vit approcher, voulu se défendre en abaissant vivement son épée dans ma direction. Mais le poids des pions nuisait au bon enchaînement de leurs attaques, et je pus facilement me faufiler, grâce à mon corps souple, jusqu’aux pieds de la statue. Elle réessaya un nouvel assaut, que j’évitais avec agilité, avant de poser ma main sur la pointe de son pied. Aussitôt, le pion devint poussières et je pus souffler, malgré l’atmosphère qui entourait la pièce de la Reine et qui, maintenant que j’étais plus proche, parvenait plus facilement à m’insuffler de la crainte. Je me redressais, pour poser mon regard sur Evey, qui se trouvait justement en diagonale de moi.

« Est-ce que tu te sens capable de défier la Reine? Elle me semble si… puissante, au contraire des autres pièces. »

Je jetais un regard d’ensemble sur le jeu, quand, tout à coup, la Reine leva ses deux lances, bien haut dans le ciel, avant de faire un pas vers la Magicienne aux cheveux blonds. J’écarquillais les yeux, alors que la pièce en pierre allait lancer sa première attaque sur Evey. Le duel allait commencer.

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Je faillis m’étrangler en apercevant avec quelle hauteur se tenait la Reine. Droite, puissante, elle ne laissait rien l’intimider, avec sa taille et son visage de marbre. Ses armes en main, elle allait lancer la première attaque contre la jeune fille blonde, sans aucun autre préliminaire, et, instinctivement, je voulus courir dans sa direction pour lui prêter main forte. Cependant, le jeu m’en empêchait. Mes deux pieds étaient cloués sur place, incapables d’avancer, de bouger. J’avais même de la difficulté à faire réagir mes orteils, comme si tout le bas de mon corps était paralysé, masse de pierre trop lourde pour que mon corps puisse le soulever. Comparaison de choix, peut-être cocasse pour ceux qui le prendrait de la sorte, mais non sans fondement: le fait était que je n’étais aucunement en mesure de faire quoi que ce soit, impuissant face au combat qui allait opposer Evey à la Reine de l’échiquier. J’observais du coin de l’œil la jeune fille, qui cherchait visiblement une solution à ce fâcheux problème, pour pouvoir terrasser son puissant ennemi. Que ferait-elle? Avait-elle une idée? Je n’en savais rien mais, sans être entravé, j’essayais par tous les moyens de déloger mes pieds du sol, tout en gardant un œil sur l’action qui se déroulait devant mes yeux. Je vis alors Evey lever le bras, bien haut, avant d’abattre brusquement la paume de sa main sur la planche du jeu.

Quelques secondes après, un imposant tapi de glace s’étendait sur l’échiquier. Il dévorait les mètres, grimpait sur les statues de pierre, ne faisant aucun quartier chez les pions du jeu. En voyant la vague se diriger dans ma direction, je voulus me soustraire de cette paralysie qui me clouait au sol, en vain. Est-ce qu’elle allait me congeler aussi? Par instinct, je plaçais mes bras devant mes yeux, craignant l’impact, mais à mon grand étonnement, rien ne me percuta. Je posais un œil sur les dalles carottées: la glace m’avait contourné. Malgré tout, ma jambe droite avait été touchée par le pouvoir élémentaire, mais il me suffit d’un simple mouvement sec et puissant pour briser la glace qui s’était formée autour de ma jambe. Je remarquais alors que j’avais repris le contrôle du bas de mon corps: je pouvais de nouveau le bouger à ma guise. Un sourire satisfait s’esquissa sur le pan de mes lèvres. Sans perdre plus de temps, je courus en direction de la Magicienne, la félicitant pour ce coup de maître.

« Impressionnant, Evey! Je ne savais pas que tu possédais ce genre de pouvoirs. »

En plus, d’après nos observations, la glace semblait avoir emprisonné nos adversaires faits de pierre à tout jamais. Tant mieux! Cela voulait dire que nous pouvions poursuivre le chemin sans plus nous préoccuper des pions. Je relâchais un soupir, souriant, contrit cependanet, de m’être tenu aussi impuissant face à la situation, mais Evey avait assuré, c’était indéniable; dans le cas contraire, je ne m’imaginais pas comment les choses auraient pu tourner mal pour nous.

« Tu as raison. Allons chercher ce grimoire au plus sacrant! »

Je me mis aussitôt à courir à travers l’immense salle plongée dans le noir, fonçant directement vers les grandes portes qui se trouvaient au fond, jetant de temps à autre quelques regards par-dessus mon épaule pour être certain qu’Evey me suivait, pour ne pas que les événements de tout à l’heure ne se reproduise. Mais pour le moment, tout était calme. Trop calme peut-être… Non, il fallait simplement foncer dans le tas, sans se préoccuper de ce qui pourrait se passer. Nous devions trouver le grimoire et trouver la vérité à travers tous ces mensonges.

Une fois aux pieds des portes, je levais la tête pour observer quelques secondes les symboles gravés dans le bois avant de tendre ma main vers l’avant et d’exercer ma force dessus, pour les pousser. Force commune mise en jeu, Evey et moi parvînmes à ouvrir les grandes portes sans aucune autre difficulté que le poids des deux battants, mais ce dernier défi relevé, il n’avait rien eu d’autre pour nous arrêter. Et au fond de cette salle, j’espérais trouver ce fameux livre pour lequel nous avions dû combattre des plantes carnivores, joué contre des statues de pierre, éviter et vaincre tous les obstacles que cette Tour avait choisi de mettre sur notre chemin.

Je passais la tête entre les deux battants avant de dépasser l’entrebâillement et de prendre connaissance de notre nouvel environnement. La salle circulaire, au plafond bien haut, ressemblait à une bibliothèque oubliée d’un autre temps. La poussière, d’ailleurs, soulevée par la fermeture des portes puis, de notre passage silencieux, ne faisait qu’accentuer cette atmosphère qui m’était difficile de comparer autrement que par «spéciale». Austère et pourtant non sans dénué de charme, elle nous insufflait un étrange et ô grand respect que je n’osais pas briser comme l’on ne voudrait pas irriter l’esprit d’un maître: une fois entré à l’intérieur de cette pièce, c’était comme si le silence s’imposait de lui-même. Assez surprenant en somme.

Quant à lui, l’ouvrage, objet de toutes nos recherches, trônait sur un petit piédestal au fond de la salle. Collé contre un mur noir, dont on ne pouvait étrangement pas voir la surface, la reliure brune, tirant sur le doré, de la couverture du grimoire s’y contrastait violemment. Posé là, comme à l’attente de notre arrivée, le livre était déjà ouvert.

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En portant mon attention sur la jeune fille, qui feuilletait rapidement le livre de magie, je remarquais la pâleur inhabituelle de sa peau et la fatigue presque évidente qui se reflétait sur son visage, dans ses yeux, alors que ces derniers parcouraient les lignes de l’ouvrage avec minutie et précaution. Ainsi, elle était allée chercher au plus profond de ses ressources pour nous protéger de ces golems de pierre, lorsqu’elle avait enclenché cette violente vague de glace… J’espérais qu’elle aille bien et que toutes ses forces ne l’aient pas quitté, sachant jusqu’où notre quête pouvait aller aux désirs et au plaisir de cette étrange tour. Qui pouvait nous confirmer que le plafond ne nous tomberait pas dessus dans quelques secondes? Qui pouvait nous confirmer qu’un plancher sans fond ne s’ouvrirait pas sous nos pieds? Nous étions sûrs de rien et, suivant mon instinct, je me disais que ses pouvoirs, en tant que mage bleue, pourraient nous être fort utiles en cas de nécessité extrême, en souhaitant, tout du moins, qu’elle ne soit pas dans l’obligation de puiser dans ses derniers retranchements et finir aussi desséchée qu’une prune laissée trop longtemps au soleil: là où la prune n’aurait plus d’eau pour rester fraîche, Evey, quant à elle, n’aurait plus de magie pour la soutenir.

Lorsque la Magicienne trouva la formule qui nous était nécessaire pour la suite des opérations, une porte apparut sur le mur, qui se trouvait juste derrière le piédestal qui avait accueilli le grimoire. En l’apercevant, je fus méfiant, me demandant quelle sorte de mal pouvait bien nous attendre derrière cette porte cette fois-ci. Des araignées géantes? Une fosse remplie de requins affamés et excités par le sang? Juste à ces idées, la chair-de-poule envahit mes bras.

« Bon, je pense que la sortie est là devant nous, qu’il ne faut pas hésiter maintenant. Bon, tu es prêt Miles? »

Oui, il y avait bien cette sortie, mais je me demandais sérieusement si j’étais prêt à entrer par celle-ci… Ce n’était pas comme si on avait décidé, un jour, de lui créer une carte, à cette tour. Car la construction pouvait bien paraitre étroite de taille et grande de hauteur, l’intérieur de cette dernière pouvait atteindre des proportions inimaginables, passant de la cage de souris à la surface entière de l’Océan. Ayant vécu expérience quasi similaire une première fois, dans cette même tour, je savais de quoi je parlais: elle avait des yeux partout, des oreilles partout, et changeait constamment de décor, de dimension, de taille et de forme pour nous plonger dans un labyrinthe qui nous paraissait sans fin. Peut-être était-ce un autre piège? Les rouages de mon cerveau s’activaient pour tenter d’anticiper ce qui se cacherait derrière cette porte, à la couleur de l’obsidienne. Pendant ce temps, Evey attendait impatiemment ma réponse, positionnée à côté de la porte. Je ne bougeais toujours pas, hésitant de la manière à poursuivre, mais finalement, ce fut Evey qui m’incita à bouger lorsqu’elle ouvrit la porte. Aussitôt, je fonçais dans sa direction, craignant le pire: et si c’était un tigre affamé qui se cachait derrière cette porte, prêt à nous dévorer? Je me maudissais de ne pas avoir apporté mes armes. Je me sentais si impuissant, si faible comparativement aux pouvoirs qui semblaient habiter la jeune Magicienne…

Cependant, mage ou non, je compris bien assez rapidement que nous n’étions pas obligés d’être si lourdement équipés pour affronter ce qui se cachait finalement derrière cette porte. Du sable à n’en plus finir, des montagnes de sable. Et du soleil aussi, les rayons agressant mes rétines qui s’étaient, depuis un certain temps, habituées à l’obscurité de la tour. Nous nous trouvions vraiment dehors? Je n’en croyais pas mes yeux. Aussitôt la surprise passée, nous nous empressâmes de traverser l’encadrement de la porte et cette dernière, lorsque nous fûmes tous les deux sortis de la mystérieuse construction, claqua violemment. D’un seul geste, nous nous retournâmes… pour remarquer que la porte n’était plus présente, qu’elle avait disparu, remplacée par des briques. À ce constat, je relâchais un soupir de satisfaction, me disant que les plus gros problèmes étaient derrière nous à présent.

Vraiment?

Maintenant qu’Evey avançait le sujet de cette étrange femme, les doutes commençaient à s’immiscer dans mon esprit. Sorcière ou Humaine… Comment être certain? Nous n’avions qu’une partie de l’histoire en main – ainsi qu’une seule version de ce même récit – et pour comprendre le reste, il nous fallait briser le mutisme dans lequel la voix de la jeune femme semblait prisonnière. Alors, comme seule réponse à l’interrogation de la Magicienne, j’haussais les épaules avant de me mettre en marche, réfléchissant à voix haute.

« Nous ne pouvons être sûrs de rien… Même si quelque chose me dit que les accusations de Kelian sont fondées, nous ne pouvons pas nous baser uniquement sur son opinion, qui plus est, n’est pas des plus flatteuses. Voyons voir d’abord ce qu’en dit la jeune femme. »

Nous nous mîmes à contourner la tour, suivant la courbe définie de son pied pour nous diriger jusqu’aux deux individus que nous avions laissés à l’extérieur un peu plus tôt. Marchant silencieusement, nos pieds s’enfonçant partiellement dans l’épais tapi de sable, j’aperçus subitement une boule de poils courir à toute allure dans notre direction et je reconnus la petite silhouette si reconnaissable de Kira, mon renard. Sa course faisait relevait le sable et la poussière qui nous entourait et lorsqu’il sauta dans ma direction, je ne fis que tendre mes bras pour l’attraper en vol. Je grattais affectueusement le crâne de ma petite bête avant de lever les yeux pour apercevoir les silhouettes de la femme et de l’homme. Ce dernier s’était retourné dans notre direction, suite à la fuite soudaine de mon renard. Il nous regardait avec des yeux surpris, presque incrédules.

« Mais… Mais que faîtes-vous ici?

- Nous sommes revenus de la tour, quelle question! »

L’homme se redressa lentement, un sourcil relevé.

« Ça ne fait même pas deux minutes que vous êtes entrés à l’intérieur de la tour! »

Un sourire se dessina sur le pan de mes lèvres.

« Le temps n’est pas le même lorsque l’on pénètre dans cette tour: il se peut que nous ayons l’impression d’avoir passé une journée entière dans cette tour alors qu’il ne s’est écoulé que quelques secondes à l’extérieur. L’inverse est aussi vrai. »

Cette explication parut satisfaire le jeune homme qui, dans un mouvement, se tourna lentement vers la jeune femme muette. Je suivis son regard et me mis à marcher dans la direction de la femme. Les yeux de cette dernière ne nous lâchaient plus. Prudent, je demandais à Evey de réciter la formule pour l’a libérer de son mutisme. Le moment de vérité venait de sonner.

« Kelian, restez sur vos gardes. Il se peut qu’elle veuille… »

Une voix faussement mielleuse résonna soudainement.

« Ah! Comme il est bon de retrouver la parole! L’entendre proférer de telles accusations à mon égard sans que je puisse me défendre commençait à m’irriter. »

À son tour, elle se redressa face à nous et son regard perçant se mit à nous jauger. Un rictus se profilait sur le coin de ses lèvres, tandis que son regard venait de s’arrêter sur l’Humain. Un mépris sans nom coulait de son regard.

« Alors comme ça, petite vermine, on voulait s’en prendre à une dame? Quel rustre! Il serait peut-être temps de te montrer les bonnes manières… »

Rapidement, un poignard apparut dans la main de la jeune femme, qui s’empressa de foncer sur le jeune homme. Par chance, ce dernier était resté en garde, attentif à tout ce qui se passait et il avait prévu l’attaque. Aussitôt, il voulut lui aussi porter un coup à la mage, mais les deux êtres se bloquèrent mutuellement, la jeune femme faisant preuve d’une force que nous ne pouvions soupçonner vu la grosseur de ses bras et la finesse de son corps. Pourtant, elle retenait aussi bien, voire plus, l’offensive que Kelian.

« Maudit sois-tu, l’Errant! Pourquoi a-t-il fallu que tu sois né Humain? Sinon, je t’aurais déjà brûlé vif sur le bûcher! »

À l’entente de ces mots, je compris que nous avions l’avantage sur elle, grâce à Kelian. L’anti-magie de ce dernier semblait diminuer grandement la puissance magique de cette Sorcière. C’était notre chance. Il nous fallait la tuer, maintenant!

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