Assis confortablement dans l'un des fauteuils de mes appartements, j'écoutais l'orchestre, que j'avais fait venir spécialement pour moi, jouer une mélodie secrète pour la plupart des individus de ces terres. Une mélodie que j'avais appris en devenant gardien du sceaux. Oh bien sûr, jouée ainsi, elle ne faisait que ressembler au véritable Requiem, n'en ayant ni les pouvoirs ni la justesse, mais j'avais retranscris sur des centaines de parchemins, les notes que j'avais retenu à la perfection. La mémoire absolue n'avait pas que des inconvénients. Un petit sourire étira mes traits alors que les musiciens jouaient pour moi, faisant résonner dans l'enceinte du bâtiment la mélodie des morts, une sombre musique, annonçant le trépas. Ceux qui vivaient là ne pouvaient faire de lien, ne pouvaient savoir de quoi il s'agissait. Il fallait avoir atteint un stade de la hiérarchie des Ombres presque ultime ou être mort pour en avoir connaissance. Je fermai les yeux, portant mon verre à mes lèvres, dégustant la boisson alcoolisée. Je ne m'offrais pas souvent le luxe de ce genre de liquide, aussi parce qu'il était néfaste pour la santé à terme, mais les choses étaient aujourd'hui différentes. J'étais de ces êtres que l'on aurait bien du mal à tuer. Mon statut de roi me permettait de me changer en esprit, de devenir totalement inatteignable pour les vivants. C'était grisant mais à la fois effrayant. Mon histoire n'avait pratiquement plus de secrets pour moi. J'étais Ezechiel ou, plutôt, j'avais été et je le redeviendrais. Je savais qui j'avais été, qui j'étais et qui je serai. Le temps était ici la seule variable, le seul maître d'un Destin que les Ætheri jugeaient comme tracé d'avance. Ma tête s'appuya contre le dossier du fauteuil. Demain, je devrais partir pour un endroit que je n'avais pas revu depuis les événements néfastes qui s'étaient produits sur les Terres du Yin et du Yang. Je ne savais pas dans quel état j'allais retrouver l'Au Delà. Je ne savais pas combien d'esprits avaient pu en retrouver le chemin. L'Au Delà était un endroit que j'hésitais à rendre public mais, finalement, je savais parfaitement que le commun des mortels ne pourrait pas s'y rendre. L'Au Delà n'acceptait que les défunts, que les esprits. Les Ombres elles-mêmes ne pouvaient s'y rendre, ce qui était amusant finalement pour des êtres qui stagnaient entre la vie et la mort. Bien sûr, elles étaient vivantes mais leur malédiction tendait vers la mort, vers l'annihilation des bonheurs qui faisaient la vie. Je souris. Le futur s'annonçait prometteur pour moi, grâce aux actions de mon futur. La musique me grisait et continua à le faire des heures durant, les musiciens rejouant inlassablement les morceaux selon mes désirs. Je me demandais simplement ce que je ressentirai quand viendrait l'heure de l'élévation. Toutes ces choses qui faisaient ma vie deviendraient sans doute fades. Me femme, mes enfants, mon orine, cette aile du château, tout ceci ne serait qu'un fragment dans l'univers, qu'une parcelle d'un tout qui l'effacerait sans aucun doute. Le sort en était jeté cependant.

« Papa ? ». La voix d'Eriol résonna dans ma chambre. J'ouvris un œil, soucieux de son état plus que de mon sommeil puisque cela faisait des années que je n'arrivais plus à le trouver correctement. Je lui fis signe de venir me rejoindre, l'invitant sous les draps pour qu'il puisse être apaisé, me parler. « Je suis un monstre dis ? ». Mon regard se porta sur les braises de la cheminée. Les Réprouvés ne pouvaient s'empêcher de croire qu'ils étaient indignes de vivre, indignes d'être aimés. « Bien sûr que non. ». « Je pourrai sortir du château bientôt ? ». « Oui, je te le promets. Tu sais, d'ici quelques temps, je ne pourrai plus revenir ici souvent. Je pensais que, peut-être, pour poursuivre ton éducation, tu pourrais suivre ta tante Erza. ». J'y avais beaucoup réfléchi. Cet enfant que j'avais adopté ne pourrait pas grandir en restant ici alors que le temps passait si lentement. Erza n'était pas très responsable mais dehors, Eriol pourrait certainement lui être d'une grande aide, d'autant plus qu'il risquait de devenir plus mûr qu'elle assez facilement. Je ris, l'enfant ne comprenant pas pourquoi. Il avait accepté la mort de Svana sans poser de question, avait accepté mon mariage de la même façon. Cet enfant n'était pas compliqué. « Tu vas où demain ? » demanda-t-il. « Dans un endroit secret. J'aimerai t'y amener mais c'est impossible. Tu verrais ce lieu, je pense que tu l'aimerais. C'est un peu comme le continent du matin calme, sauf que tout est... différent. C'est impossible à décrire. Et puis, il y a un énorme temple dédié aux Ætheri et trois fabuleuses reliques avec des pouvoirs impressionnants ! ». Je parlais doucement tout en accentuant certains mots. Mon monologue dura encore quelques minutes avant qu'Eriol s'endorme, la tête contre mon bras, un petit sourire trônant un moment sur ses lèvres avant de s'effacer avec le relâchement musculaire. Je finis par regarder le plafond. Erza pourrait prendre soin de lui, j'en étais certain et l'enfant lui permettrait de se responsabiliser, de prendre conscience de certaines choses.

Le lendemain, je partis du château Malkavian. Je ne savais pas quand je reviendrais, si je reviendrais, mais les probabilités allaient en ce sens. Le temps des esprits était différent de celui des vivants. Le poids de la vie n'existait que dans l'Au Delà où tout redevenait possible. Je n'avais pas encore exploré de fond en comble ce lieu et je me doutais que les esprits ne pouvaient décemment pas vivre heureux là bas. Il devait y avoir une contre partie à la possibilité de retrouver une vie illusoire. Ce ne serait pas aujourd'hui que je le découvrirai cependant. Non, aujourd'hui, mon but était de réhabilité l'Au Delà, de relier avec les traditions passées et la légende des sept gardiens éternels de l'Au Delà. J'avais, pour ce faire, donné rendez-vous à six chamans qui n'avaient en aucun cas de liens avec les tribus, qui étaient simplement ceux que je jugeais les plus puissants et les plus neutres, non adeptes d'un Æther particulier, acceptant la vie et la mort, et, surtout, aptes à protéger le monde de ceux qui ne vivaient plus. Le septième gardien était déjà sur place, du moins, je l'espérai. Myrielle, la dernière fois que je l'avais vu, c'était juste avant le retour à la vie des esprits. Peut-être avait-elle péri ? Non, cela était impossible. « Bien. Même si chacun de vous doit déjà connaître la légende que j'ai évoqué dans ma lettre, j'aimerai que l'on s'entende parfaitement sur ce que j'attends de vous à l'avenir. ». Je leur avais bien sûr raconté la légende des sept gardiens éternels, néanmoins, pas encore informé du rôle qu'ils auraient à présent à tenir ni du rituel qui se déroulerait aujourd'hui. « Je suis roi d'un peuple disparate qui n'a pas encore de gouvernement. J'aimerai que vous deveniez mes conseillers, ceux qui sauront m'épauler, ceux qui connaîtront parfaitement les rouages de notre peuple. Les tribus bien entendu mais d'autres détails comme ce qu'il se passe actuellement dans le phare abandonné. Je ne vous toucherai que quelques mots concernant ce dernier point puisque les expériences menées ne seront pas de votre juridiction mais du groupe qui y est installé. Vous je vous ai réservé une place de choix, un grand honneur. Je vous propose donc, aujourd'hui, de devenir les descendants des gardiens immortels qui jadis préservèrent l'Au Delà. ». Je parlais de façon à ne pas leur donner la possibilité de m'interrompre. « Votre rôle sera de contrôler le flux d'esprits présent dans les lieux, de veiller aux trésors qui y reposent. D'ailleurs, autant vous le dire tout de suite mais quiconque se rendant dans l'Au Delà sous forme d'esprit et mangeant quelque chose, s'y retrouve coincé à jamais. Vous ne devrez donc jamais rien consommer là bas. Cette information est une protection pour vous mais également une arme à utiliser sur quiconque, par avidité ou n'importe quelle autre mauvaise intention, réussirait à pénétrer les lieux sans votre autorisation. Si l'Au Delà tombait en de mauvaises mains, le futur pourrait s'avérer compliqué. ». Je marquai une pause, insistant bien : « C'est une lourde tâche que je vous propose de réaliser en ce jour, j'en ai conscience, mais vous êtes les seuls que j'ai jugé aptes pour ce faire. ». C'était la vérité. Les chefs des tribus ne devaient pas être mes conseillers. C'était différent et même si j'autoriserai peut-être des exceptions à cette règle que je me fixai, je n'en ferai pas beaucoup. Pour moi, les chamans se divisaient en plusieurs catégories : ceux qui voulaient rester libres de toute appartenance à quoi que ce fut, obéissant tout de même à mes volontés en tant que roi légitime, ceux qui souhaitaient se rallier à la tribu Raoni ou à la tribu Alsea, ceux qui, plus maléfiques, souhaitaient se rendre dans le phare abandonné et, enfin, ceux qui se tournaient vers la spiritualité et l'ouverture intellectuelle que réclamait l'Au Delà. Les sept gardiens, ceux que j'avais choisi pour incarner ce rôle, n'avaient rien de sauvage ou sanguinaire. Ils étaient intelligents, cultivés et avaient, pour la plupart, jadis, appartenu à des races que je jugeais sages ou suffisamment élitistes. Un alfar, deux elfes, un magicien, un ondin, un ange devenu déchu et, enfin, Myrielle dont j'ignorai beaucoup de choses. Tous à présent chamans serviraient les intérêts de notre peuple. Ils représenteraient l'élite, le haut de la hiérarchie, ceux qui savent tout en ayant la sagesse de sauvegarder et de protéger.

Si au début j'avais décidé de les attendre avant de me rendre dans l'Au Delà, j'avais changé d'avis. Je partirai avant eux, non sûr qu'ils arriveraient tous à résoudre le difficile problème que j'allais leur soumettre. Un problème mais également une épreuve. Mais puisque je les voulais à mes côtés, ils devaient se montrer dignes de leurs futures fonctions. « Se rendre dans l'Au Delà n'est pas aisé. C'est une véritable épreuve. ». C'était la vérité, sans compter le passage qui existait dans le manoir Taiji. Mitsuko ne voudrait jamais laisser ceux que j'appellerai dorénavant les médiateurs des morts passer par chez elle. A moins que je réussisse à trouver quelque chose à lui offrir en échange de sa coopération, quelque chose qui ait suffisamment de valeur à ses yeux. J'y penserai. « L'Au Delà se trouve à des lieux de la terre ferme, au dessus de l'océan, à une distance si lointaine qu'un ange s'épuiserait et mourrait avant d'y arriver. Néanmoins, le plus important n'est pas sa localisation mais la façon de s'y rendre. Aucun vivant ne peut y aller et c'est bien là le soucis. Les premiers expéditeurs se sont faits tuer, mais vous ne pouvez pas recourir au même stratagème, bien entendu. Il vous faudra trouver le moyen de devenir un esprit, de quitter votre enveloppe charnelle sans pour autant la laisser là, plus précisément, de la transformer. Je ne peux malheureusement pas vous aider à trouver comment faire, mais je suis sûr que vous y arriverez. Nous nous rejoindrons au cœur de l'Au Delà. ». Je tendis à l'un d'eux une feuille de parchemin contenant les indications qui leur permettrait de s'y rendre. La feuille disparaîtrait au bout d'un certain temps, naturellement. Je souris, devenant moi-même esprit, m'envolant dans le ciel sans un mot de plus. J'avais tout à construire mais j'avais bien l'intention de mettre en place de solides fondations avant de m'élever. Ce serait fait.

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