« Caleb. Il faut que tu dormes. Essaie, au moins. » Je soupirais. Comment ne pas culpabiliser en entendant ma douce Myosotis m'implorer, la gorge serrée par des sanglots qu'elle tentait de retenir. Malgré ma peine, je ne pouvais pas la contenter. Je n'y arrivais pas. Précisement, je n'y arrivais plus. « Ne t'inquiète pas pour moi, ma Belle. » Elle s'accroupit à mes côtés.  Elle glissa ses doigts sur mes joues blêmes. Je devais avoir des cernes effrayantes. Dans un pauvre sourire, elle écarta les mèches trop longues de mes cheveux bruns en bataille. « Les Oracles ont dit que ce ne serait pas facile, qu'il te faudrait t'adapter davantage mais ... » Elle prit une grande inspiration, pesant ses mots. « S'il te plaît, fais un effort. Tu ne peux pas continuer comme ça éternellement. Ton esprit ou ton corps vont craquer. Je sais que tu dois ... avoir vu des choses ... déplaisantes. » Elle se gratta la gorge, mal à l'aise. « Je sais que tu ne peux même pas en parler, que tu n'as pas le droit d'agir sur les horreurs que tu lis. Je suis prête à t'assomer pour que tu te reposes un peu. » - « Si tu savais, Myosotis ... » soufflais-je simplement. J'aurai tellement aimé la prévenir sur ce qui allait se passer. Elle allait souffrir, comme tous les gens que j'aimais. Il y aurait tant de morts, puis tant de monde. Ce serait une horreur. Cela n'avait pas encore commencé mais je savais déjà que cela allait arriver. Je ne pouvais rien faire pour l'empêcher. Lorsque je fermais les yeux, je voyais ce que les Etoiles m'avaient confié, cet avenir qui allait bientôt être vécu. Les cris et la famine, le chaos et l'anarchie. « Allez, viens. » Ferme et autoritaire, la Magicienne se releva d'un bond en me serrant le bras avec une force que je ne lui connaissais pas. De mauvaise grâce mais dans la volonté de ne pas la préoccuper encore, j'obtempérais quoiqu'en bronchant un tantinet. « Tu es Empereur. Tu as un palais. Une chambre. Un lit. Sers-toi en ! Dors. Si tu préfères rester immobile à ne rien dire, fais le au moins dans tes couettes. » Je n'eus le temps de répondre, elle fila dans une autre pièce pour revenir avec une tasse de tisane brûlante. « Bois. » - « Myosotis ... » - « Alice et Kaname m'ont dit de te dire que si tu ne buvais pas ça de ton plein gré, elles viendraient te force à l'ingurgiter de force. C'est Ren qui a préparé ça. Iseult est allée chez les Sirènes il y a peu. Elle a ramené pleins de plantes. Bois. » Je finis par me laisser convaincre. Grossière erreur.

Les filles devaient réellement s'inquiéter pour moi. Au moins, lorsqu'il s'agissait de manigancer contre moi, elles parvenaient à s'entendre. J'ignore ce que Ren avait mis dans cette tisane et, à vrai dire, je n'étais pas certain de vouloir le savoir. Quoiqu'il en soit, cette potion des plus chargés me plongea dans le sommeil en un instant. Mes rêves n'en furent pas tranquilles pour autant. Sin Luxinreïs, j'étais condamné à voir de jour comme de nuit, éveillé ou endormi. Ce don des plus merveilleux avait des allures de malédiction. Pour autant, je prenais goût à ma place. Peut-être commençais-je à trouver un sens à ma pauvre existence. Quoiqu'il en soit, je me plaisais en Gardien et Protecteur des Rehlas, même si la tâche n'était pas toujours aisé. J'aimais m'occuper de ce peuple. Il méritait qu'on lui tende la main. Il y avait encore tant de Rehlas égarés. Mes pensées papillonèrent un instant pour la dénommée Shéhérazade. Elle était ma fille et ignorait la vérité sur ses origines. Je ne l'avais jamais rencontré. Je n'osais perturber le cours paisible de la vie retentissante de mon enfant, dont les relations avec son prétendu père me faisait frémir. Cet homme était malsain. Si je décidais de la rencontrer, je devrais me faire violence pour demeurer polie. Ce n'était pour autant pas dans mes projets immédiats. Mes autres enfants avaient besoin de moi. Mélodie peinait à se faire une place parmi les mortels. Risa se voyait perturbée par le mal des Rehlas. Lorelei avait des difficultés à Basphel. Juri, malgré la force qu'elle s'évertuait à démontrer, était une femme fragile et profondement meurtrie par les drames de son passé.  Cette dernière m'inquiétait particulièrement. A force de tenter de guider sa mère sur un chemin qu'elle jugeait préférable, elle précipitait sa perte. Je devais lui faire comprendre ses erreurs.

« Bonsoir à vous, Sin Luxinreïs. Vos propositions furent débattues dans les Grands Cercles. Nous aimerions vous revoir. » J'ouvris les yeux, contemplant le plafond sans réellement le voir. Cette phrase, je ne l'avais pas rêvé. Le Caelum m'avait parlé.