Ses yeux papillonnent lentement. La douleur qui martèle son crâne est infernale. Sa vision est floue. Il met plusieurs secondes à réaliser qu’il ne sait pas où il est. Des échos de voix lui parviennent. Ceux-ci sont incompréhensibles, il n’arrive plus à se souvenir et son mal de crâne empire. Que se passe-t-il ici ? Pendant plusieurs secondes, il essaye de penser et en est incapable, il se souvient simplement du mariage et puis le vide, le noir. Où est donc Aya ? Ont-ils été attaqués ? Il n’arrive pas à bouger, il sent un étau qui enserre chacun de ses poignets. Par la Lune Sombre, qu’est-ce qu’il se passe ? Sa vaine tentative de s’exprimer lui fait se rendre compte que sa bouche est pâteuse et que sa langue ne réagit pas. Drogué, il est drogué. Son corps lui fait mal. Ses pensées sont chaotiques. Et toutes ses questions restent sans réponse.

Avalya se tient devant le Maitre Chaman. Elle lui avait donnée rendez-vous au Vieux Phare. Tout allait changer ici. Il arrive parfois que des mesures exceptionnelles soient prises face à la folie des hommes. Son fils allait finir comme son père, si elle n’avait pas décidée d’agir. Prenant une profonde inspiration, elle fixait l’ondin lui faisant face. Sa voix cristalline, résonna. « Je suis désolée de vous l’amener comme ça, c’était malheureusement le seul moyen pour qu’il se tienne tranquille. » Son fils allait changer, il deviendrait autre chose et elle faisait cela pour le protéger. Elle savait ce qu’il allait advenir, il allait être oublié, devenir un fantôme dont le seul souvenir sera celui qu’elle conservera. Elle ne le reverrait jamais, ni elle ni Lexy. Et dans le fond c’était douloureux. Pourtant c’était la seule solution. La seule solution qui soit réellement envisageable. Avalya avait contacté Nastaé pour lui supplier de lui fournir de l’aide. Elle lui avait expliqué qu’ils devaient agir pour le bien de son fils et du monde. Nous n’avons pas beaucoup de temps, les drogues cesseront bientôt d’agir. « Vous devez être très attentif à ce que je vais vous dire. Lorsque vous allez commencer, vous ne devrez arrêtez sous aucun prétexte. Quoiqu’il se passe vous devez mener à bien sa transformation. Vous n’imaginez pas de l’aide inestimable que vous m’apportez et je ne saurais jamais en capacité de vous remercier. » Son ton était léger et elle gardait son sourire, pourtant une angoisse était perceptible dans sa voix. S’approchant de Valkan dans un dernier adieu, elle lui embrassa le front, murmurant au creux de son oreille.   « Je suis désolée. » Elle sortit une fiole d’une de ses poches et fit avaler à son enfant le contenu.  « Nous sommes prêts. »

« Je comprends. » Nastaé regarda la femme qui se tenait devant lui. Cette dernière était venu le chercher d'urgence au Palais, à la Cité sous-marine, pour le supplier de transformer un être qui, pour elle, allait détruire le monde. Du moins une partie. Il était impératif que cette homme soit réduit à néant, sans être tué, pour éviter qu'il puisse réaliser ne serait-ce qu'une once de ses plans. Ainsi, l'Empereur d'un peuple rongé par le mal et la domination, se tenait là, devant lui, enchainé et drogué, avant d'avoir été trainé dans le sable sale du vieux phare. L'Ondin ne l'avait jamais rencontré personnellement, et il se demanda comment une telle puissance, une telle ardeur, pouvait être réduite à néant de la sorte. Alors qu'elle s'adressait à lui, l'Ondin ne pu que détourner son regard pour regarder l'état dans lequel ce grand monarque se trouvait, conscient alors de la tournure que prenait la situation. La situation et le décors, l'environnement. Au dessus d'eux, le ciel menaçait, souffrait, et la noirceur de ses traits montrait combien, d'un instant à l'autre, il pouvait craquer pour déverser ses larmes. Sous leurs pieds, derrière eux, l'écume folle venait lécher le rivage, déposant son limon d'algue marine gluante, rampant sur le sable sale, sur lequel ils étaient. Pieds nus, Nastaé se déplaça vers le Sorcier, pour venir constater de son état, en vu de la transformation. L'Ondin, se mit à genoux prêt de son visage, salissant alors ses voiles blancs immaculés, alors que sa main glacée se porta sur une de ses joues. Ses cheveux parme tombèrent de ses épaules, pour venir doucement caresser le visage de cette victime, comme si au fond, il fallait le rassurer. Seulement, il était dans une transe, dont Nastaé ne connaissait que trop bien les limites, pour y avoir été aussi. Dans un soupir silencieux, il dit doucement : « Son état est critique, je doute qu'il accueille correctement la transformation... Je pense qu'il s'évanouira. » Passant une main sur son front, il observa son visage pour au final n'y voir qu'un homme.
Aucun souverain.
Un simple homme en proie à des maux, qu'il ne pouvait résoudre seul.

« Bien, comme vous voudrez... » D'un geste fluide et gracieux, Nastaé se releva, ne prenant même pas la peine d'épousseter ses genoux, laissant ce genre de mimique à des quart d'heures bien plus joyeux. Ici, le paysage allait de paire avec l'ambiance aussi lourde que morbide. Comment un tel Duc, pouvait être autant salit ? Autant trainer dans la boue, pour au final être jeté dans les bras d'un inconnu, qui allait le transformer en, surement, quelque chose que lui même trouvait indésirable ? Seulement, il n'avait pas le choix.
Pour la pérennité du monde.
Pour la pérennité de sa mère.
Pour sa propre pérennité.
Se plaçant en face du Sorcier, il inspira profondément et ferma les yeux une seconde. Alors sa voix masculine mais légère, résonna dans l'espace ouvert, accompagné, au loin, de l'orage qui était passé au-dessus d'eux depuis un moment. « Par le nom du Maitre des Esprits, et par la puissance des Esprits, je te libère des chaines de ton peuple, pour te lier au notre. » Mais à peine avait-il achevé la première partie de sa phrase, qu'une lumière émana du corps du Sorcier, pour irradier tout autour de lui. En son fort intérieur, Valkan devait souffrir. Souffrir à cause de la drogue, des chaines, de son mal-être temporaire et de son corps meurtrie de l'intérieur. Seulement, sans une once de pitié, Nastaé continua. « Je fais de toi le Médiateur du monde des Morts, et scelle tes dons par cette gravure qui restera à jamais sur ta peau. Que par ce tatouage, tu acquiers les pouvoirs de ta nouvelle ethnie. » Plus ses mots s'enchainèrent, plus le temps devenait battant, le vent hurlait un requiem mortel, alors que la lumière continuait d'irradier du corps de Valkan. Sur sa peau, le tatouage était en train de se tracer, les modifications physiquement se faisaient, doucement mais surement, pour venir sceller le sceau, faisant de lui un chaman.

Au bout d'une minute, tout ce calma. Les éléments, la lumière, la douleur, la souffrance, le martyr, les voix, les sons... Tout. Et ce fut une fois tout cela terminé, que Nastaé comprit qu'il avait vu juste.
Valkan était mort.

Le temps et la compréhension s’effrite sous la douleur. Telle une marée de souffrances qui s’abat sur lui, en une seconde sa conscience s’efface. Il ne voit plus, ne comprends plus, n’étant plus qu’un point sur une toile gigantesque. Avalya est là, observant la scène sans ciller. Ne jamais détourner les yeux de ce que l’on décide, assumer ces choix pour leur donner la valeur qu’il mérité. Un crédo qui l’avait toujours suivit. Elle avait choisie et assistait aujourd’hui  à la mort de son fils. Le sorcier voulut hurler, voulut se débattre, réagir en soit. C’était impossible, son corps figé dans un étau formé par les nombreuses substances qu’il avait dû ingurgiter. Son esprit était lui aussi lointain. La tempête se déchainait autour d’eux et plus la douleur augmentait plus le Ciel semblait crier, lançait des éclairs qui zébraient l’opacité du ciel. La Mer répondait en retour, brisant son écume sur le vieux phare dans ce sinistre craquement. L’évidence que sa mort était là et que celle-ci lui tendait les bras, comprenant son impuissance il cessait un combat inutile. La mort est un passage, il n’entendit pas Nastaé, il ne sentit pas non plus la main froide sur sa joue. Rien au monde n’aurait pu le rassurer. Plus rien ne subsisterait, plus rien ne serait comme avant. Toi qui es ignorant prie le monde de ne jamais subir la trahison de ton sang. Toi qui es ignorant prie le monde de ne jamais vivre l’enfer et renaître. Le tatouage se dessina sur sa peau, au bas de son dos, ses vêtements tombaient en lambeau alors que son corps muait en autre chose. La fleur aux traits noirs se figea sur son dos et dans un cri silencieux, perçant, émanant des tréfonds de son âme, il subit. Subissant le poids de ce qu’il avait été, ce qu’il était et posant tout cela pour devenir ce qu’il sera. Le tatouage, rose noir au symbolisme profond apparut. Partant du bas de son dos et dont les feuilles zébraient ses fesses. Il mourût ainsi. Enchaîne, n’étant plus rien. Lorsque tout se calma, ses cheveux noirs portaient une mèche blanche. Les changements physiques étaient léger, cependant il était déjà si différent.

Avalya s’approcha alors. « Ecartez-vous, j’aurais préféré ne pas voir tout cela, encore moins ce qui va suivre. » Son regard d’argent fixait le Maitre. « Cela est nécessaire pourtant. » Ouvrant les bras, elle sembla acceuillir quelque chose d’invisible. « Dans la mort, tu deviendras autre chose, et dans ta vie tu ne seras plus. Qu’ainsi résonne les paroles de l’oubli, que ton cœur soit donné et que tes souvenirs et ta trace disparaisse mon Enfant.» Le corps inerte se souleva soudainement, mue par une force invisible, ses paupières demeuraient fermées. Il était bel et bien mort. La tempête battit plus fort. Se soulevant face aux deux personnes présentes, tel un pantin animé par des fils invisibles, il se retrouva bientôt en croix. Alors la foudre frappa dans une gerbe d’étincelle. Son poitrail s’ouvra et son cœur en fut arraché. Le tout ne dura que quelques secondes. Une onde magique balaya le monde, chassant à jamais le souvenir de l’homme qu’il fut. Il n’en demeura plus rien, à jamais. Son corps retomba enfin sur le sol, ayant enfin le repos mérité. Une cicatrice marquait son cœur en une croix parfaite.

Ne pouvant en supporter plus, Avalya fuyait. Aussi vite qu’elle le pouvait, elle avait perdu son fils. Le monde avait perdu son fils. Et plus personne ne saurait. Lui deviendrai Chaman. Et peut-être un jour serait-il capable de se souvenir de ce qu’elle avait fait.