Le vide, encore, encore et encore. Je ne sais pas depuis combien de temps j'erre dans ce monde où il n'y a personne d'autre que moi. Cela ne m'a pas apparu comme un calvaire au début et, pourtant, plus les secondes s'écoulent, plus je ressens la solitude, plus je ressens la folie s'emparer de moi. Je pensais être témoin d'horreurs mais je ne suis qu'un homme perdu au milieu d'un brouillard blanc qui semble ne jamais vouloir cesser. Pourquoi ? Ce n'est qu'une des multiples questions que je me pause sans que cela ne puisse jamais s'arrêter. Et si j'étais condamné à rester ici durant des siècles, des millénaires ? Et si j'étais condamné à ne jamais fouler de nouveau les terres du Yin et du Yang ? Naram était-il réellement à l'origine de cela ou est-ce qu'on l'y avait aidé ? Qui ? Pourquoi ? Encore cette maudite question. Les secondes devenaient des minutes, les minutes devenaient des heures, les heures devenaient des jours, les jours devenaient des semaines, les semaines devenaient des mois et les mois devenaient des années. Cette farce m'accablait, me poussait à réfléchir sur des sujets que je n'avais jamais abordé auparavant. Pourtant, les dieux savent à quel point j'ai pu m'interroger ces dernières années. M'interroger sur les tactiques à mettre en place, m'interroger sur le sens de tout cela, m'interroger sur comment perdre mes ennemis, sur comment tenir enfin cette femme dans mes bras. Pourtant, à cet instant précis, l'on pouvait résumer toutes mes interrogations en une seule : Suis-je vivant ? Vivant dans le sens à être apte à retourner sur les terres qui m'étaient chères. J'y étais quelque part mais puisque je n'avais pas conscience d'appartenir à ce monde, puisque je ne pouvais pas interagir avec les autres, alors j'étais simplement perdu.

Pourtant, au bout d'un temps que je ne pourrai précisé, une chose assez plaisante se produisit. Enfin, plaisante, c'est ce que je crus au début car ce petit garçon qui flottait tranquillement dans la brume allait devenir mon pire cauchemar. Je m'avançai vers lui, m'arrêtant à sa hauteur. J'avais l'impression que cela faisait des siècles que j'étais ici, seul, perdant un peu plus la raison chaque jour. Voir un individu, quel qu'il soit, me remplit donc de joie. « Qui es-tu ? ». Il ne semblait pas m'entendre mais je ne pouvais désespérer aussi facilement. Il était le seul individu que je croisais depuis longtemps, mon seul interlocuteur potentiel et, s'il ne parlait pas, je voulais bien faire l'effort d'apprendre le langage des signes, l'effort de tout faire pour l'apprivoiser. Il était mon seul espoir, la seule chance pour que je puisse sortir indemne de cette expérience. Je répétai alors : « Qui es-tu ? ». Il tourna son regard vers moi, un regard qui reflétait le mien : plein d'espoirs. Peut-être étais-je moi-aussi, à ce moment précis, un enfant, un enfant qui n'attendait que de voir ses rêves s'exhausser. Il me fixa de ses yeux bleus, sa peau aussi lisse qu'un bébé. Pourtant, je sentis un malaise, un pressentiment qui m'indiquait que je m'étais trompé en pensant qu'il représenterait une main tendue vers la sortie de ce monde. Petit à petit, son visage se déforma, les flammes d'un brasier inexistant entamant sa chair, faisant apparaître toutes ses dents alors que sa mâchoire n'était plus que des os. Il ne hurlait pas, ses yeux me fixant jusqu'à ce qu'ils sortent de ses orbites, se détachant à cause des flammes, s'écrasant sur le sol. J'avais effectué un mouvement de recul, prêt à partir devant ce spectacle répugnant. Seulement, quelques secondes plus tard, l'enfant était redevenu le même qu'auparavant, entier, sa peau lisse, ses yeux bleus me fixant. Il fit un petit sourire, un sourire qui n'annonçait rien de bon et me demanda, ouvrant la bouche pour la première fois : « Pourquoi tu m'as tué ? ».

Ce ne fut que le début de mon calvaire, un calvaire qui me parut bien plus long que le temps que j'avais passé seul. Les images de ceux que j'avais tué m'apparurent alors constamment, ce petit garçon toujours fidèle au poste, à mes côtés, son visage ne cessant de me rappeler les erreurs de mon passé, ma folie, ma volonté de dominer, ce mal qui avait noirci mon cœur, le cœur d'un homme qui avait été au préalable un ange.

Et aujourd'hui, je peux le certifier : qui que vous pensez être, qui que vous soyez, lorsque le mal s'infiltre en vous, alors aucune lutte n'est possible. Vous croyez contrôler ce que vous faites mais, en réalité, vous n'êtes que le reflet de l'impuissance. Et si vous n'avez guère confiance en ce que je vous conte, alors n'hésitez pas, faites comme moi, liguez vous contre les dieux, contre la nature et vous verrez que la chute de votre piédestal sera douloureuse car personne ne lutte contre le tout.

Fin

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