Lentement, Vanille laissa glisser ses longs doigts sur le vieux papier défraichi des parchemins poussiéreux qu'elle consultait à la Bibliothèque de la Cité. A la lueur d'une bougie, recluse dans les parties interdites au grand public, elle pouvait s'adonner librement à la lecture sans être gênée ou interrompue de quelques façons que ce soit. Un des nombreux privilèges de sa potion de gardienne des perles, elle pouvait aller où bon lui semblait sans avoir à rendre de compte ou à se justifier, bien que le directeur de ses lieux lui laissait depuis quelques années déjà visiter les archives et les salles obscurs remplies d'ouvrages inestimables et souvent oubliés du bon peuple de ses terres, car après tout, la jeune sirène était bibliothécaire sur le continent du matin calme et avait rendu dans le passé quelques grands services au vieil ondin. Ce qu'il ignorait, c'était qu'avant d'avoir son approbation, Vanille feuilletait les livres défendus dans le plus grand secret. La seule chose qui avait changé avec le temps était que, dorénavant, elle agissait en toute légalité. En poussant un petit soupire, la jeune femme se redressa puis rassembla les feuilles volantes jaunis par les dégâts du temps qui s'écoulait. Elle alla les remettre à leur place, dans une grande boite archaïque qui semblait avoir traversé les âges, et dans le silence quasi religieux qui régnait, le cliquetis de ses talons semblaient bien violents. Elle en savait maintenant suffisamment. Il était temps d'agir, de passer aux choses sérieuses. Elle sortit de la salle obscure pour retrouver les plus communes ou quelques étudiants s'empressaient de terminer leur recherches tandis deux ou trois passionnés dévoraient des pages et des pages de romans quelconque, alors que des érudits, plus discrets, tachaient emmagasiner un maximum d'informations. Vanille, de sa démarche sûre et élégante, se dirigea vers le bureau ou était appuyé le directeur qui parlait à voix basse avec Gabriella, la perle d'illusion. Cette dernier esquissa un sourire en voyant sa consœur approcher. Mais ce fut le vieil ondin qui prit la parole d'une voix faiblarde, plus soufflée que timbrée:

« J'espère que vous avez trouvé votre bonheur, ma chère.»

« Ne vous inquiétez pas, vous avez un sens de l'organisation peu commun, il est facile de trouver un document parmi les milliers d'autres. Je devrais vous imiter.»

Comment douter de la bonne foi d'une voix aussi pure et cristalline, s'échappant des lèvres roses d'un être dont les grands yeux verts semblaient remplis d'innocence et de curiosité, et dont les traits étaient des plus angéliques? Le vieil homme rit de bon cœur en toussant légèrement:

« Merci mon petit. Mais je crains ne rien avoir à vous apprendre. Ne vous sous estimez pas... Filez donc, Dame Jengi m'a appris que la reine vous avez fait demandé.»

[color=darkred]« En effet, la Dame des Abysses a fait vider le palais sans nous donner d'explications, et les sept gardiennes doivent s'y rendre au plus vite.»

« [i]Nous ignorons, ajouta doucement Gabriella, ses intentions, et à vrai dire, l'entourage de la Dame est assez inquiet, mais il est de notre devoir de répondre à ses demandes aussi étranges soient-elles» Elle marqua une courte pause avant d'enchainer plus sombrement avec une mine entre désolée et affligée « De toute manière, je crains que tous ici commençons à avoir l'habitude..»

Le bibliothécaire passa nerveusement une main dans ses longs cheveux argentés, tout en grommelant dans sa barbe. Il murmura encore plus bas que le ton de la discussion:

« La Reine ne va pas bien. C'est un fait et tous ici le savons. Mais dans ses déboires, elle entraine toute la Cité avec elle. Il n'y a qu'à regarder dans les rues!»

Vanille garda le silence, demeura immobile tandis que la sirène aux cheveux d'or hocha la tête avec compréhension. Elle finit par dire d'une voix qui se voulait rassurante:

« Les perles font leur possible pour améliorer la situation. Peut-être qu'aujourd'hui nous trouverons une solution ! Si nous tombons d'accord, les sept, la reine ne pourra d'accepter.»

« Que l'Océan vous protège» conclut Vanille. Puis, avec un petit signe de la main, les deux ondines sortirent pour se diriger vers le palais.

Lentement, les deux jeunes femmes marchaient à travers les ruelles sales de la Cité, si resplendissante il y a quelques mois encore. La vie se dégradait ici bas. Gabriella grinça légèrement des dents en observant le triste spectacle. Sirène juste et loyale à ses idées quoique manipulable et colérique, elle ne pouvait que s'apitoyer face à la misère dont était soumis le peuple. Tout marchait de travers ces temps-ci. Mais ce jour était spécial. Il était synonyme de changement et elle le savait. Elle tourna la tête vers Vanille et lui demanda simplement: « Est-ce que... tu lui a parlé? Te soutient-il?» L'une comme l'autre savaient pertinemment de quoi il s'agissait, et Vanille ne prit même pas la peine de répondre. Elle écarta simplement quelques longues mèches cuivrés qui cachaient son doux visage, et laissa un petit sourire étiré ses lèvres. Le trajet jusqu'au palais fut rapide. Les deux sirènes ne tardèrent pas à se retrouver face aux grandes portes d'entrée. Vanille laissa ses prunelles d'émeraude vagabonder dans les environs. Les gardes avaient suivit les instructions et patrouillaient surement dans le périmètre délimité, celui que personne ne devait franchir si ce n'est les perles. « Allons-y» Vanille sourit, satisfaite. Tout fonctionnait à merveille. Et la magie savait imiter à la perfection la signature et le sceau de Lastraé. Personne n'avait vu la supercherie, et les rumeurs, plus ou moins fondées, circulaient à grands pas.

Vanille avançait lentement dans le grand hall d'entrée, laissant chacun de ses pas résonner doucement dans le palais vide. Gabriella, immobile, contemplait de ses grands yeux de biche la silhouette fine et élancée de la sirène à la chevelure de braise. Elle semblait à la fois intriguée et désolée, à tel point d'une légère ride s'était formée près de son nez. Lorsque Vanille tourna légèrement la tête et planta ses prunelles d'émeraude sur elle, la jeune ondine se sentit immédiatement des plus gênées et détourna le retour, se perdant soudainement dans la contemplation des bas relief. La voix cristalline quoique agacée de Vanille ne tarda pas à s'élever dans les airs :

«Quoi ? Un problème ?»

« Non non... C'est juste que … Et bien je me demandais si … En fait, je regardais simplement ton ...»

« Mon nombril ? Tu essayais de remarquer une légère différence, peut-être? Laisses moi te rassurer, ma grossesse va passer inaperçu pendant encore un bon moment. Mon ventre ne risque pas de s'arrondir avant quelque temps.»

«Combien de personnes sont au courant?»

«Très peu. Je ne compte pas crier sur les toits que je suis de nouveau enceinte.»

«Surtout en vue du père de l'enfant...»

«Je trouve mon choix pourtant excellent.»

Le petit rire clair et moqueur de Vanille flotta dans les airs comme le souffle du vent, tandis que Gabriella se forçait à sourire, le cœur serré.

« Nous avons beaucoup de travail, ne te laisses pas détourner de notre objectif par ce détail. N'oublie pas : les perles, Lastraé. Je t'ai déjà expliqué tout cela.»

«Mais je crains de ne pas avoir tout compris... Tu as été si floue..»

« C'était voulu. Maintenant, tais-toi ! J'entends des bruits de pas.»

Immédiatement, les visages de Vanille et Gabriella prirent une expression amicale et joyeuse, comme si elles bavardaient ensemble depuis quelques minutes, comme de vieilles amies qui se retrouvaient. Face à face, elles discutaient de tout et de rien, remarquant qu'il était rare que la Dame des Abimes ordonne une telle réunion. Vanille tourna ensuite légèrement la tête dans une envolée de boucles cuivrés, pour poser ses grands yeux à l'éclat innocent et si pure sur Okaela, la perle terrestre qui venait tout juste d'arriver. Gabriella fit quelques pas en avant pour aller la saluer et, accessoirement, se placer derrière elle, tandis que la jeune sirène tendait les mains vers elle, toujours aussi souriante.

« Okaela … Je suis ravie de te revoir. Cela fait si longtemps qu'on ne t'a pas vu dans les parages. Comment se porte ta petite famille?»

« Et ne dramatisons pas... L'heure n'est peut-être pas aussi funeste que nous le pensons. Lastraé n'est pas au meilleur de sa forme, peut-être tient-elle simplement à mettre les choses au point avec nous ? Pourquoi tout de suite partir dans les hypothèses les plus dramatiques?»

De bien sombres rumeurs circulaient au sujet de la Reine des Ondins, ces derniers temps. Entre mensonges et vérités, il était bien dur de faire la part des choses, et les deux sirènes s'étaient occuper de mettre de l'huile sur le feu. Gabriella enchaina rapidement :

« Ton fils a-t-il aimé le cadeau que je lui ai fait, la dernière fois?»

Si Vanille demeurait souriante, elle n'en était pas moins méfiante. Son amie était bien trop liée à son goût aux autres perles. Quand le moment fatidique serait venu, oserait-elle allez jusqu'au bout et commettre l'irréparable? La réponse allait être imminente, car après tout, elles ne devaient pas perdre de temps. Les autres perles n'allaient pas tarder à faire leur entrée, et valait mieux qu'elle garde l'avantage du nombre et de la surprise. Instinctivement, la jeune femme porta ses doigts près de son ventre et les glissa sous la soie vaporeuse de son chemisier, pour effleurer délicatement les petites brulures,soudainement songeuse et rêveuse. Elle murmura :

« Et bien... Avançons donc. Nous n'allons pas passé l'après midi ici.»

Massacrer une sirène importante près d'une porte était trop risqué. Il fallait qu'elles s'éloignent avant d'entamer la charmante besogne.

Vanille rit tout en faisait quelques pas vers Okaela sans pour autant trop s'approcher de la demoiselle qui ne cachait guère son malaise et ses doutes naissants. Gabriella demeurait immobile, un petit sourire aux lèvres, planter dans l'encadrement d'une autre porte qu'elles auraient dû toutes franchir si la Perle n'avait pas été suspicieuse. Peu importe, ainsi, elle avait préféré que sa mort intervienne plus vite que prévu, et si ce n'était pas exactement la pièce qu'aurait aimé Vanille pour l'exécution, elle ferait très bien l'affaire. Ce n'était guère un problème après tout. « Que t'arrive-t-il Okaela ?» murmura doucement Vanille tout en se courbant légèrement vers la sirène. « C'est comme si quelqu'un essayait de...? De...?» Elle n'était pas la seule ici à lire dans les pensées. « De détrôner Lastraé? Ma pauvre enfant, que ton esprit est restreint et tes idées simples. Si j'avais souhaiter détrôner Lastraé, je l'aurais fait. Non. Ô non, ce n'est pas cela que je désire, mais bien plus, tellement plus.» Elle sourit, presque avec douceur. « Lastraé est devenue folle. Une vraie démente. Tu es la seule, je pense, qui la considère encore comme saine d'esprit. Tu as fait un pas dehors, ces derniers temps, dans la Cité? Ah non, j'avais oublié, tu ne vis pas ici. Mais je me contrefiche de tout. Je ne vais pas me faire passer pour une sainte ni toi comme coupable. Comprends bien, tu es juste une pièce. Une pièce sur un grand échiquier. Et tu fais partie de celles qu'on sacrifier pour gagner la partie.» Ces mots résonnèrent quelques instants dans la grande pièce, avec une espèce de gravité théâtrale. Les mains jointes derrière le dos, Vanille ne bougeait pas, elle se contentait de fixer de ses grands yeux d'émeraude Okaela, la tête légèrement penché sur le côté. Un ange. Du moins, elle en avait l'apparence. Que le Mal était fourbe d'emprunter pareil image.

Gabriella, poignard en main, sauta sur Okaela, révélant ainsi ses talents cachés. Car Vanille n'avait pas choisis la perle d'illusion dans le plus grand des hasards, elle s'était renseigné un minimum, et derrière ses airs de diva blonde, peureuse et capricieuse se cachait une redoutable combattante qui prenait simplement soin de son apparence et évitait les combats pour préserver sa silhouette. Le côté narcissique de la demoiselle avait été un atout. Qui penserait qu'elle était une bonne combattante? Vanille avait elle même eut du mal à y croire, jusqu'à ce qu'elle fasse un combat toutes les deux. Certes, ce n'était pas Gabriella qui avait remporté le duel, mais Vanille savait reconnaître les bons éléments. Et surtout, Gabriella avait peur de la mort, et redoutait Vanille. C'était parfait. C'est ainsi qu'armée, la petite perle d'illusion s'abattit sur Okaela pour débuter le combat où ni l'une ni l'autre n'étaient démunie, puisque la seconde avait pris grand soin de dissimuler une arme. Ne se préoccupant guère de la scène qui se déroulait pourtant à deux pas d'elle, Vanille sortit doucement de sa besace magique un épais livre poussiéreux à l'épaisse couverture de cuire, dont les pages jaunies recelaient d'écritures anciennes et très certainement interdites, aujourd'hui, des mots d'une magie ancienne, puissante et terrifiante, de ces sorts étranges qui demandaient toujours une contre-partie. Elle feuilleta distraitement les pages, cherchant un chapitre bien précis, celui qu'elle avait tant étudié ces derniers mois. Cet ouvrage avait été une incroyable trouvable. Quel dommage qu'elle doive s'en débarrasser, une fois cette journée terminée. Mais peut-être était-ce mieux ainsi. D'une voix douce teintée d'un drôle d'accent, Vanille commença à lire les incantations du Livre des Océans, qui épuisait sa magie dans les pouvoirs liés à l'eau de la jeune femme, se nourrissait de son corps et de ses forces. « Tu l'utilises maintenant?» s'écria Gabriella entre deux coups, étonnée. Vanille acheva son sort et leva sa main, étrangement entourée de motif bleu vif qui tournoyait. « Je préfère le tester sur elle, avant de m'en servir contre la Reine.»

Et Gabriella se jeta sur le côté pour éviter le rayon lumineux qui vint frapper le crane d'Okeala, pourtant, celle ci était toujours bien debout et n'avait pas bougé d'un pouce. C'était tout le principe du livre maudit, il rendait fou l'esprit, et même le toucher était dangereux. Vanille sentait une drôle de sensation sur son front, comme une migraine tacite. « Tes cheveux» murmura Gabriella. La flamboyante chevelure de la sirène semblait s'être foncé. « Ils retrouveront leur aspect quand je ne le toucherais plus. Enfin, du moins, tant que je n'en abuserais pas.» Elle remit le livre dans la besace et s'approcha lentement d'Okeala qui devait avoir l'esprit si embrumé, des pensées plus étranges et horribles les unes que les autres l'envahissant. Vanille prit avec délicatesse d'entre ses mains son arme et s'approcha de son oreille pour lui chuchoter dans un souffle « Échec.» Et elle glissa sa main dans la chevelure sombre de la sirène tandis que de l'autre, elle fit glisser la lame sur la gorge avant de reculer, laissant le corps d'effondrer au sol. Vanille laissa tomber l'arme et dit simplement « Débarrasse moi de ça. Je vais attendre nos prochaines hôtes.» Et d'un pas léger, démarche féline et gracieuse, Vanille s'en alla dans le hall sans prendre la peine de vérifier l'état de Gabriella.

Qu'il était étrange qu'une créature si cruelle et insensible ait une allure si délicieuse et charmante. Quand elle aperçut les perles glaciale et céleste arriver, un sourire doux d'une innocence remarquable illumina les traits angéliques de la jeune femme. Avec un visage pareil et ses joues roses, ses grands yeux verts et ses longs cheveux roux, on donnerait le bon dieu sans confession à cette ondine que le Mal avait pourvu des appâts les plus terribles. Elle parvenait à exprimer des émotions si réelles, presque inimitables, qu'on ne pouvait douter d'elle. Et le pire, avec le sourire qu'elle gratifiait aux deux demoiselles, était qu'il y avait une pointe de sincérité qui le rendait d'autant plus rayonnant et mettait des couleurs sur sa peau opaline. Et la pureté de son sourire, cette franchise inattendue, venait tout simplement de la nouvelle qu'elle comptait annoncer en premier lieu, et le simple fait de songer à cela la ravissait. Elle finit par murmurer d'une voix douce : « L'heure est grave mesdemoiselles, vous le savez peut-être, sûrement même, et cette journée risque d'être lourde et pesante. Nous allons être confrontées à de nombreux problèmes plus ou moins directement liés à Lastraé. Cependant, avant toute chose...» Elle fit un pas en arrière en se mordant la lèvre inférieure « Laissez moi rendre l'ambiance quelque peu plus légère ! » D'un petit bond, Vanille se tourna sur le côté et se cambra légèrement pour faire ressortir son ventre légèrement arrondi. Elle était si fine et élancée qu'il n'était pas dur de comprendre qu'elle portait un petit être « Je suis enceinte ! Et ce sera un petit garçon, je le sais, j'en suis sûre et certaine ! Et vous alors, que devenez vous? » Il serait l'enfant de ses rêves. Quel dommage qu'elle ne puisse vraiment l'élever, son père n'avait guère aimé le devenir. Pourtant, un petit, mélange d'elle et de ce génie, ne pouvait être qu'exceptionnel.

Vanille rit briévement, petit son de clochettes tintant au vent. Passant une main dans sa chevelure pour écarter quelques boucles de son nez, elle soupira pour revenir à quelques sujets plus sérieux et de toute évidence, moins réjouissants. « C'est vrai que les alentours vides... C'est inhabituel et assez oppressant.» En réalité, ce genre d'ambiance ne la dérangeait pas le moins du monde. « Mais bon, ordre de Lastraé ! Gabriella et Okaela traînent dans les parages en attendant que tout le monde arrive. Oka' est allée se renseigner auprès de Lastraé, enfin... tenter. Elle va mal. Et Gabriella prépare la salle de réunion.» La sirène recula de quelques pas avant de tourner les talons, incitant du regard les jeunes femmes à la suivre. Quelques secondes s'écoulèrent avant qu'elle ajoute doucement et avec gravité « J'espère que les gardes veillent toujours autour du palais. L'on craint des manifestations ou des rebellions d'ondins en furie. Lastraé est de moins en moins prise au sérieux et son inactivité semble en agacer plus d'un. Le peuple veut du changement, cela peut se comprendre. Mais des réactions peuvent être violentes et les plus contestataires risquent de s'en prendre à la Dame.» Ce n'était même pas un mensonge. Les ondins n'avaient plus confiance en leur souveraine. Vanille n'avait eu qu'à profiter de cette ambiance pour lancer quelques rumeurs plus ou moins fondées. « Gabriella et moi avons déjà dispersé deux ou trois groupes, en arrivant. Soyez sur vos gardes. L'avantage du silence qui règne est qu'on ne risque pas de passer à côté d'une éventuelle prise d'assaut du palais.»

Parcourant les couloirs, Vanille finit par ouvrir la porte d'une petite pièce remplie d’œuvres d'art. Au milieu se trouvait quelques sièges. «Patientons ici, non ? Le cadre est plutôt sympathique.» Elle alla s’asseoir sur un fauteuil, effleurant au passage le marbre d'une sculpture blanche représentant une sirène tenant bien haut un étrange coquillage. « Il ne reste plus beaucoup de perle à attendre de toute façon.» Bien que Vanille comptait tuer celles présentes avant l'arrivée des autres. « Quelle situation tout de même ... Pour avoir longuement accompagné Lastraé lors de ces déplacements, je suis bien placée pour savoir qu'elle ne manque pas de ressources. J'étais là quand elle alla chez Dante De Mallet, quand elle alla rencontrer le peuple, les races, les personnages importants.» Lastraé avait toujours fait confiance à Vanille. «Mais malgré tout, elle ne me confia jamais ce qui la troublait autant. Je ne pourrais même pas dire pourquoi elle est aujourd'hui dans un état pareil.» Et encore la vérité. Décidément. « Les filles!» Gabriella déboula dans la pièce, souriante, et alla embrasser les joues des perles qui venaient d'arriver. « J'ai eu un mal fou à vous trouver! Il y a tant de pièces. En tout cas, j'ai fini les préparatifs, nous pourrons commencer la réunion quand tout le monde sera là, et dès qu'Okaela nous rejoindra avec la Reine.»

Vanille aurait presque pu sourire de satisfaction. Gabriella se débrouillait fort bien et tenait bien le coup. Voilà une bonne chose. Car si la perle d'illusion ne se révélait pas à la hauteur de ses attentes, la perle ardente n'hésiterait pas un seul instant à l'éliminer aussi froidement que les autres. Alors qu'elle entrouvrit les lèvres pour ajouter quelque chose, des bruits de pas affolés résonnèrent. « Vanille! Vanille!» L'intéressée se leva pour ouvrir la porte et intercepter un soldat. « Liam. Je suis ici. Que se passe-t-il.» Après tout, elle était la gardienne des armées. « Des affrontements commencent dehors.» - « Autorisation de riposter, mais prenez garde à ne pas faire trop de dégâts. Je ne tiens pas à ce qu'il y ait des morts au sein de notre propre race. Faites seulement le nécessaire pour assurer la sécurité de la Dame des Abysses. Personne ne doit approcher le palais.» - « Bien.» Il fila aussi vite qu'il était arrivé. Gabriella soupira « Ca commence...»

Dans un soupire, Vanille baissa les yeux tout en se mordant doucement la lèvres inférieure. D'un geste vif, elle écarta quelques longues mèches rousses qui retombèrent avec délicatesse sur ses épaules nues. « Ah les filles, vous savez bien que je n'ai jamais eu de chance, dans ce genre de choses. Jamais je ne pourrais vous présenter le père, car il ne veut ni de moi ni de l'enfant. Je crains même que ma grossesse l’insupporte au plus haut point. Et puisqu'il semble vouloir du mal à mon bébé, j'ai à présent beaucoup de mal à songer à lui sans un goût amer. Le meilleur reste de nous éviter et de nous ignorer. Dommage. En d'autres circonstances, je suis certaine que nous aurions pu nous entendre à merveille, lui et moi. Tant pis, cela n'aura été que rencontre hasardeuse qui a tourné étrangement. Peu importe, je suis heureuse et j'ai déjà trouvé un nom à mon petit bout de chou.» Encore une fois, la sirène ne mentait pas, et c'était là tout en talent. Vanille sourit en regardant les deux perles, l'une après l'autre. « Ne dites rien à Lastraé, j'aimerais lui apprendre moi-même. J'espère lui arracher un sourire avec cette nouvelle. » L'ondine laissa un petit rire amusé s'échapper de ses lèvres. Quand elle avait rejoint les perles, il y a quelques temps déjà, elle était enceinte des jumelles. A croire qu'elle devait l'être à chaque grande rencontre avec la Dame des Abysses. Le sourire qui tintait sa petit bouche rose se fana pour laisser place à une expression plus sérieuse. «Lastraé ..» Peut-être aussi que dans une autre situation, la jeune femme aurait pu tenter de l'apprécier sincèrement. Mais au bout du compte, dans les plans de la demoiselle, le comportement de la souveraine était des plus arrangeants, car elle donnait une bonne base à travailler.

Gabriella, qui s'était éclipser quelques instants, revint avec un grand plateau sur lequel trônaient quelques tasses de thé. Sans rien dire, elle le posa sur la table basse avant d'aller s'asseoir près de Vanille. La rousse tendit une main pour saisir le breuvage chaud. « Je ne sais pas vraiment ce qui est arrivé à Lastraé. Mais je doute qu'il y ait un quelconque rapport avec la magie. Elle a simplement sembler... dépérir. Comme malade, aussi bien physiquement que psychologiquement. Elle a maigris à vue d’œil, est devenue aigrie et amer … Elle s'est mise à rejeter son entourage et s'isoler dans ses quartiers. » Vanille secoua la tête, une petite moue sur ses traits d'ange. « Elle ne m'en parlait que très peu, mais je crois que c'est le chaos de sa vie privée qui est à l'origine de tout ça.» Gabriella intervint « Et la jeunesse n'est pas une excuse à tout. A son rang, on ne peut se permettre se genre de dérive … Si au moins elle faisait quelques déclarations officielles pour calmer le peuple en furie, cela apaiserait sûrement les tensions. Mais face à son inactivité, le Parlement fulmine.» Vanille enchaîna : « Surtout depuis l'incident avec les Fées. Comme vous le savez, je suis Lastraé partout où elle va, dans le moindre de ses déplacements officiels en tant que Gardienne des Armées, pour dissuader des Dante et compagnie de l'importuner. Un entretien était prévu avec les Fées, nous nous y sommes rendues. Mais sur place … Elle est tombée dans une étrange démence et j'ai du appeler du renfort, calmer l'Edelweiss éternelle, outrée et scandalisée … Et bien sûr, les discussions ont été reportées, mais vite tombées dans l'oubli. Cela n'a guère plût au Parlement que notre Reine se moque, selon leur propre mot, autant de la diplomatie et des gouvernements.» Le silence s'installa, pesant, durant quelques longues secondes.

Ce fut Gabrialla qui brisa le calme étouffant : « Et d'après les rumeurs, quelques membres du Parlement seraient venus parler à Lastraé, et de la conversation aurait découlé cette décision, vider le palais et nous réunir. Je trouve aussi ces mesures excessives, mais dans l'état où elle semble être, il ne vaut mieux pas la contrarier.» Vanille but une gorgée de thé chaud, avant de lâcher avec du venin dans sa voie mélodieuse : « Le Parlement veut prendre le pouvoir. J'en suis certaine. Et pour ma part, il est hors de question que des gens comme Hulbert ou Louisac nous dirigent.» Deux ondins riches et puissants à la réputation malfamée. « C'est pourquoi il nous faut arranger tout ça. Il faudrait que Lastraé prenne conscience de l'urgence.» Gabriella, l'air timide, commença à dire d'une voix douce : « Vous ne croyez pas ...» Vanille tourna la tête vers elle, le regard curieux pour l'inciter à continuer : « Que l'on veut se débarrasser de nous? Je suis navrée de me montrer si pessimiste, mais si il arrivait quoique ce soit à Lastraé, le temps de trouver une nouvelle dirigeante, il nous reviendrait la tâche de gouverner, à nous, les Perles. Nous sommes le seul obstacle pour le Parlement, non ? Et tout le monde sait les ambitions de Louisac, il rêve de coup d'état et de changement profond.» Vanille haussa les épaules. Gabriella ne le savait pas, mais Louisac était sur sa liste noir, cet ondin encombrant devait disparaître. Il était une vraie menace pour le système en place, et une épine dans le petit doigt de Vanille. Les deux jeunes femmes étaient vraiment bonnes comédiennes, et parvenaient à parler avec sincérité, avec de réelles informations.

Vanille jeta un coup d'oeil à la fenêtre, et soupira, agacée. « Okaela devrait déjà être là, non ? Je vais aller voir ce qui se passe, peut-être est-elle en difficulté avec notre Reine de mauvaise humeur. Quelqu'un veut m'accompagner?» Et une ondine se leva. Et ce n'était pas Gabriella.

« Caliel.» répondit Vanille d'une voix douce, un petit sourire aux lèvres. « Il s'appellera Caliel. A moins que je change d'avis d'ici là, bien sûr, mais pour l'heure, ce prénom me convient tout à fait. Je devrais bien entendu revisiter mes options et choix s'il s'avère que c'est une petite fille, mais je reste persuadée que j'aurais un petit garçon.» Cette fois-ci, et enfin. Au fond, la sirène avait de quoi être comblée. Bon nombre de ses désirs était sur le point de se réaliser. Mais il en fallait toujours plus à la flamboyante demoiselle, et malgré qu'elle soit sûre d'elle, elle ne préférait pas crier victoire trop vite. «Je supposes donc que tu as un prénom de secours si c'est une petite fille ?» demanda Gabriella. Bien évidemment, cette dernière savait pertinemment qu'il ne pourrait s'agir que d'un garçon, mais elle n'était pas censé le savoir, tout comme Vanille d'ailleurs si sa grossesse avait été naturelle, bien que depuis les longs siècles de son existence, elle n'ai jamais donné vie à un petit être de sexe masculin. Toujours souriante, Vanille acquiesça. « Ce serait Rina.» En réalité, elle avait dit le premier nom qui lui passait par l'esprit, mais il sortit d'entre ses lèvres avec une telle sincérité qu'on aurait juré qu'elle avait longuement réfléchie à la question. Alors qu'il ne s'agissait que du nom de l'une de ses amies d'enfance, aujourd'hui morte. D'ailleurs, plus ou moins par sa faute. Et un petit peu plus que moins.

Satisfaite bien qu'elle ne le montre aucunement puisqu'un sourire cynique et malveillant aurait très certainement été mal vu, Vanille longea les longs couloirs vides du Palais en la charmante compagnie de la future défunte perle céleste. Celle-ci ne pouvait se douter du sort qu'on lui réservait, mais pour l'heure, elle avait encore un peu de répit, puisque la jeune femme à la chevelure cuivrée aimait donner un petit côté théâtrale à ses meurtres, quand lui cœur lui en disait. Dans le cas contraire, c'était purement et simplement une boucherie sans état d'âme ni petit discours. Mais avant qu'elle ne fasse rendre à la perle céleste son dernier soupire, elle avait deux ou trois choses à lui avouer, non pas par acquis de conscience, mais simplement pour qu'elle sache la vérité, ou du moins, un morceau, avant de mourir. Qu'elle comprenne et se rende compte ô combien elle fut dupée. Tout fonctionnait à merveille, et les perles étaient persuadées que le Parlement manipulait la Reine dans de vil intention. Si elles savaient ce qu'il en était vraiment … La perle céleste allait bientôt le découvrir.

Une petite moue sur les lèvres, Vanille fit mine de réfléchir à la question posée, comme si la réponse n'était guère évidente. Dans un soupire, elle passa une main dans ses épaisses boucles rousses, avant de dire, comme lasse : « Je pense que c'est plus compliqué que ça, malheureusement. Et tu sais, dans mon cas, il est très dur de se prononcer. Je suis une proche de Lastraé, nous sommes amies.» C'était du moins ce que pensait la sirène bleue. « Je ne serais donc pas très objective. Je l'ai longtemps suivis comme son ombre, et je l'ai vu sombrer. Est-ce qu'elle va mal ? C'est une évidence. Peut-elle encore régner ? Le fait est là, non. Veut-elle nous éliminer ? Je ne peux le croire. Pas Lastraé, elle n'est pas comme ça. La sirène que je connais en elle est douce et calme, gentille et attentionnée. Si elle a sombré dans la folie, je pense sincèrement que la seule personne menacée, c'est elle même. Elle se détruit. Mais vouloir notre mort, à nous les perles ? Non, je ne peux y croire. Peut-être que le Parlement organise quelque chose de bien macabre dans son dos, mais je doute qu'elle soit mêlée à tout ça de près ou du loin. Ce que je dénonce chez elle est son inactivité, le fait que ces sentiments l'empêchent de gouverner et qu'elle n'est plus en mesure de prendre une quelconque décision. Elle a perdu la tête. Soit. Elle reste une personne bonne au fond. C'est mon avis.» Un discours passionné et enflammé qui paraissait des plus sincères. Elle avait l'air de tellement tenir à son 'amie', cela en était touchant, que tout le monde sorte les mouchoirs. Mais ce beau monologue n'était que le prémisse, le prologue, et la suite ne serait pas aussi émouvante. Et il avait aussi pour but de faire oublier à la demoiselle que c'était Vanille qui la guidait à travers le Palais, ainsi, elle pouvait la mener où bon lui semblait sans se presser. Au bout de quelques minutes de marche, elles arrivèrent à destination.

Vanille ouvrit une porte. Le sourire aux lèvres, elle invita la perle céleste à entrer avec ironie, parodiant les comédiens de la Cité Engloutie à l'ouverture des portes du Théâtre. A présent, le temps était compté. La perle se rendrait vite compte qu'elle n'était pas exactement là où elle pensait se rendre, et que la pièce dans laquelle l'avait entraîné Vanille n'avait qu'une seule et unique porte, celle qu'elle venait de franchir, et dont la sirène rousse barrait l'accès. Sourire aux lèvres, éclat par contre aussi sombre que les ténèbres dans les yeux, elle contempla quelques instants la jeune femme qui allait à coup sûr se retourner sous peu, le regard interrogateur. Ce qu'elle fit. Vanille, comme une lionne, lu sauta à la gorge, poignard en main, elle l'enfonça d'un coup sec dans la gorge de la sirène qui ne pouvait même plus crier. Vanille avait l'air à présent si adorable, si innocente, si ce n'est qu'elle tenait une arme ensanglantée enfonça dans les cordes vocales d'une des siennes, clouée au mur le plus proche. Doucement, elle lui murmura : « Si l'on considère que je suis la Reine, alors oui, je veux vous éliminer. Ne t'en fais donc pas pour ta précieuse Lastraé que tu défends si vaillamment. Certes, elle est devenue complètement marteau, et je n'y peux rien. Mais elle est restée une adorable personne qui ne veut que le bien de sa nation et souffre de la voir dépérir.» D'un geste, elle écarta quelques mèches claires des cheveux de la perle qui tombaient devant ses yeux. Pour le sang qui coulait de sa bouche, elle ne pouvait cependant rien faire. « Et le Parlement n'est point une menace.Tu l'auras compris, c'est moi qui le contrôle. Enfin, Louisac et Hulbert posent réellement problème, mais je vais vite régler ce détail. Navrée pour toi. Tu aurais du refuser ce poste.» Et gratifiant la jeune femme d'un dernier sourire, elle fit tourner la lame dans sa gorge avant de la lui trancher et de laisser le cadavre s'écrouler au sol.

Il ne restait plus grand monde à éliminer. La perle glaciale allait sûrement se relever coriace, mais l'issue demeurerait la même pour elle. Vanille n'avait plus qu'à servir la petite histoire savamment préparé. Et après cela, il ne resterait plus qu'à attendre la venue des perles de lumières et des ténèbres pour achever son œuvre, avant d'aller à la rencontre de Lastraé. Gabriella n'avait guère intérêt à faillir à sa mission. Car suivant la portée de ses talents, l'issue pour elle pouvait se révéler fort différente. Au lieu de deux survivantes, il ne pourrait en rester qu'une. Vanille, délicatement, tourna la tête pour contempler la grande cheminée de la pièce. Pourquoi toujours user de magie ? Cela fera parfaitement l'affaire. Elle posa ses grands yeux verts sur le cadavre de la perle. Ses mires virèrent au rouge tandis que les veines près de ses yeux ressortirent étrangement noirs. Et la perle se leva pour aller elle-même se coucher dans le feu qui la consumerait. Quel pouvoir pratique, même pas besoin de toucher les macchabée.

Gabriella était donc restée avec la Perle Glaciale et devait l'occuper, pour qu'il ne lui vienne pas l'idée de s'aventurer dans les couloirs pour retrouver Vanille et les autres. Buvant son thé du bout des lèvres, la petite blonde faisait mine de réfléchir. « J'avoue ne pas trop quoi penser de cette histoire, je commence à être perdue. J'espère simplement que les choses vont bouger. Il ne manque plus que deux perles, et nous pourrons enfin commencer. Il faudrait qu'elle ne tarde pas trop, avant que la population s'enflamme. Oh ! Peut-être ont-elles eu des problèmes pour venir jusqu'ici?»

Les lèvres pincées, Vanille entrevit la silhouette pressée de Ninon filée à travers les couloirs, détalant à vive allure comme si elle avait vu un monstre. Et à n'en pas douter, c'était bel et bien le cas. La jeune femme resta quelques instants plantée dans l'encadrement de la porte, les bras croisés, pensive. Elle se doutait bien que tout ne se déroulerait pas au mieux dans sa petite entreprise et qu'elle rencontrerait nécessairement quelques problèmes, seulement, elle se sentait stupide de s'être fait avoir aussi facilement, simplement parce qu'elle avait voulu faire preuve d'un semblant de bonté, du moins comme elle le concevant dans sa définition peu commune, et révéler à Rose les raisons de sa mort. Peut-être devait-elle voir ce petit échec comme une leçon. Dorénavant, elle ne donnerait plus une explication à ses victimes et les laisserait mourir comme des chiens, dans l'ignorance la plus totale et emplit de ce terrible sentiment d''incompréhension et de trahison incomprise alors qu'elles rendaient leur dernier souffle. Ce n'en serait que plus jouissif et elle prendrait bien plus de plaisir dans l'acte de la mort. Il lui tardait de continuer son œuvre, elle ne comptait certainement pas se laisser abattre à cause d'une petite sirène trop curieuse arrivée au mauvais endroit au mauvais moment. Ce jour serait une véritable boucherie pour les Perles, Vanille ne comptait plus donner dans la dentelle et la délicatesse. Aujourd’hui, elle serait elle. La seule, unique et véritable Vanille Bliss Johanna Leena Déliana. Le masque tomberait pour quelques heures et elle laisserait entrevoir à son public l'étendue de ses vices. Certaines risquaient d'être étonnées, et sûrement quelque peu effrayées.

Ainsi, l'adorable poupée qu'était Vanille commença à faire quelques pas lents, tout en laissant glisser ses petits bras le long de son corps frêle. Sur ses lèvres pâles se dessinaient un fin sourire inquiétant que l'on n'aurait cru voir que sur les faces satisfaites des plus grands assassins sadiques réalisaient leur méfait avec un plaisir non dissimulé. Les grands yeux de la sirène brillait de l'éclat du diable, et ses traits habituellement si joviales et angéliques avaient perdu leur teinte de candeur et d'innocence. Son visage semblait soudainement plus mature, plus sérieux, quoique terriblement froid et impassible, car elle ne portait que le rictus du démon. Sa démarche était féline et cruelle, une lionne en chasse. Le Mal se laissait aller à ses déboires, la frimousse de porcelaine n'était plus de rigueur, plus maintenant. En abandonnant son faciès de demoiselle bien sous toute les formes pour revêtir ce qu'elle était vraiment, Vanille révélait aussi ses talents de comédienne. D'un pas vif et léger, elle courut à travers les couloirs, l'esprit remplit de violence. A quand remontait la dernière fois qu'elle s'était ainsi laissé aller à ce qu'elle était vraiment ? Il y a longtemps, si longtemps. Vivre sans masque n'était pas possible, car le Mal l'habitait du tréfonds de son âme jusqu'à ses entrailles. Elle était mauvaise, tout bonnement. Dans sa vie, elle avait commis bien des choses effroyable, comme tuer d'un coup de couteau d'un enfant qu'elle ne voulait pas, tout juste né. Un geste certes horrible mais compréhensible car inconsidéré, d'une mère en détresse, jeune et stupide, pourrait dire certain qui se voudrait bienveillant. Sauf que Vanille l'avait fait plus d'une dizaine de fois, et qu'elle ne regrettait pas et recommencerait sans état d'âme.

D'un geste brusque, elle ouvrit la porte du salon où était censé se trouver les deux Perles qu'elle avait laissé le temps de régler son compte à Rose. La Perle Glaciale n'était plus là, pas une trace de Ninon, et Gabriella était cloîtrée dans un coin, se tenant la tête entre les mains. Vanille soupira. La peste soit de cette garce de Ninon. Pourtant, la sirène savait qu'elle aurait du attendre que cette fille devinant les liens soit présente avant d'entamer le massacre, qu'elle aurait du la tuer en première. Cela aurait été un problème en moins. Doucement, Vanille sortit le poignard dont elle s'était servie pour tuer Rose. Presque religieusement, elle le tenait des deux mains par le manche, la pointe de la lame vers le sol. « Ma douce Gaby. Tu as bien suivis mes instructions. Je suis heureuse de constater que tu tentes de lutter contre la magie de Ninon.» La voix était douce et sucrée, mais les intonations lentes et mesurées, inquiétantes et troublantes. Ce n'était plus la voix enjouée de la Vanille que tous connaissait. Et celle-ci n'ajouta rien. Avec hargne, elle donna un coup de talon dans la joue de la sirène qui fut propulser sur le mur. Sans lui laisser le temps de respirer, Vanille fondit sur elle et la roua de coups dans le ventre, sur la tête et sur la gorge, poignard dans une main, à ne se servir qu'en cas de besoin. Gabriella semblait faire de son mieux pour ne pas riposter. Tout cela avait été préparé, dans l'hypothèse où Ninon frapperait. Vanille ne savait pas encore si elle comptait tuer la sirène blonde où non. Ce n'était pas important pour elle. Gabriella n'était qu'une pièce, elle n'était guère utile, juste un moyen d'aller plus vite. Et en quelques gestes qui semblaient être des caresses, Vanille poignarda la jeune femme dans les cuisses et les mollets, au cas où elle tenterait de la suivre. Avec agilité, elle glissa sa main dans les poches de la demoiselle et s'empara de sa propre arme, pour clouer son épaule au mur.

Et Vanille tourna les talons, elle n'avait pas de temps à perdre. Derrière elle, elle laissait une petite poupée de chiffon brisée qui perdait son sang, un fin filet rouge coulait doucement le long de ses lèvres et de ses joues, le regard vague et perdu. Si jamais Vanille parvenait à tuer Ninon dans les plus brefs délais, Gabriella redeviendrait elle-même. Cependant, ce n'était guère dans les priorités de la sirène que de secourir cette demoiselle. Que les Dieux aient pitié d'elle, ce n'était pas le cas du Démon. Seule elle comptait, elle et son œuvre. Peu importe les pertes et les morts qu'elle laisserait sur le grand échiquier de sa vie, pourvue qu'au bout du compte sur la pile de pièce entassée elle se tienne droite et victorieuse, la Reine, aux airs de fou.

Concentrée et magie en action, Vanille tâchant d'anticiper la course des deux Perles en alliant son pouvoir de lecture des pensées et de l'avenir. Une chance qu'elle connaisse les lieux comme sa poche, elle pouvait se permettre de laisser sa vision se brouiller. Le sourire de ses lèvres redoubla, dévoilant ses rangées de dents aux allures de carnassier. Elle savait où se trouvait les deux filles. Elle devait agir vite pour neutraliser définitivement Ninon, peut-être qu'avec cette catin elle n'aurait pas de seconde chance. Sans cérémonie ou frapper car ce n'était pas vraiment dans l'ambiance générale, Vanille pénétra d'un bond dans la pièce après avoir détruit la porte d'un coup de pieds. Elle ne tenait plus son poignard, gentiment retourné dans sa sacoche. Elle comptait en finir avec Ninon d'une toute autre manière.

Dans son saut qui visait clairement Ninon, Vanille les bras croisés fit sortir ses griffes. Et quelles griffes ! Ses ongles s’agrandirent d'une vingtaine de centimètre et était rond et couleur du métal. Elle bondit sur Ninon qui ne se laissa tout de même pas faire et tâcha de l'envoyer valser un peu plus loin. Mais Vanille rebondit comme une balle, d'humeur massacrante, pour planter ses armes naturelles dans la gorge et la bouche de Ninon. Toujours un fin sourire mesquin et froid aux lèvres, elle regardait la perle droit dans les yeux, impassible quand à sa mort imminente et le liquide rouge et chaud qui coulait le long de ses mains. « Je n'ai jamais pu te voir en peinture, pétasse.» Alors autant dire qu'elle était ravie de pouvoir enfin l'éliminer. Il était rare que Vanille déteste quelqu'un, le plus souvent, elle ne ressentait simplement rien. Et être sur a liste n'était guère enviable. Et brusquement, elle retira ses griffes pour se tourner lentement vers la perle encore présente et vivante. « Des questions ?» Avant que je ne te fasse pareil était sous entendu. Il ne restait plus qu'elle et la perle des ténèbres, et elle pouvait aller s'occuper personnellement de Lastraé.

Vanille ne disait et ne faisait rien. L'allure tranquille, un léger sourire en coin flottant sur ses lèvres pâles, elle se contentait de contempler de ses grands yeux verts la Perle Glaciale, un étrange éclat au fond de ses prunelles acides. Les paroles de la jeune femme était risibles, et bientôt, elle s'en rendrait compte. Car malgré les bonnes résolutions que l'ondine à la chevelure flamboyante avait prise, elle comptait bien lui révéler le fin mot de l'histoire, car savoir serait sans doute bien plus cruel dans son cas que de mourir dans l'ignorance. Elle finit par hocher doucement la tête en signe d'approbation pour une lecture dans le calme de la lettre qui venait de leur parvenir. Vanille parcourut rapidement les lignes griffonnés par Aria. Cette fille avait toujours fait les choses à sa manière, décalée et quelque peu malveillante sur les bords, Lastraé lui avait confié qu'elle n'avait guère confiance en cette Perle des Ténèbres. « Soit.» Et le rire clair de la jeune femme résonna brièvement dans l'enceinte de la pièce aux airs de tombeau, d'autant plus avec le cadavre de Ninon qui gisait à deux pas. Ce n'était en rien un problème, et elle se pencherait sur son cas en temps et en heure, car pour l'instant, c'était la Perle Glaciale qui était au centre de toutes les attentions.

« Ma pauvre.» articula lentement Vanille, l'air compatissante. « Tu dois être plongée dans une extrême détresse pour te borner à trouver une maigre logique avec seulement ce que tu vois. Ça ne te ressemble tellement pas.» Elle fit un pas sur le côté de sa démarche gracile et aérienne, comme une danseuse, souriante, évitant les flaques de sang. « Tu me crois folle. Pourquoi pas. Moi même je ne me suis pas prononcée sur la question.» Et elle rit, une fois n'est pas coutume. « Quant au père de mon enfant, lui et moi sommes … ennemis ? » Un charmant sourire sur sa bouille d'ange. « Mais il était parfait pour ce que je voulais. C'est tout. Je sais mettre mes opinions de côté pour obtenir ce que je veux.» Les Perles étaient à présent bien placé pour le savoir. « Mais en effet, tu ne comprends rien de rien. Au risque de t'effrayer, j'ai énormément de partisans. Des gens de toute part me soutiennent. Mais rien n'est gratuit, en ce bas monde, et j'ai du … acheter plus ou moins la loyauté de certains. Oh, pas avec de l'argent, mais en leur prouvant mon efficacité. Et c'est ainsi que j'ai commencé à remplir des contrats. Je n'avais rien contre vous, les Perles, vous n'avez jamais été une menace, et je comptais à l'origine prendre la place de Lastraé en douceur. Je n'aurais rien eu à faire, elle songe même depuis un bout de temps à me céder le trône. Mais je ne refuse jamais de m'amuser un peu.» Bien que sa conception du jeu soit bien éloigné de l'idée commune. « Le mari d'Okaela est avec moi. Il voulait que je la tue, et je l'ai fais. Quant à Ninon … Les personnes lui voulant du mal ne se comptaient plus, ils étaient une dizaine à exiger sa mort. Le fils aîné de Rose voulait que je le débarrasse de sa tendre mère pour une question d'héritage. Aria s'est attirée les foudres de bon nombre de personnes par son comportement, je n'ai pas encore décidé de ce que j'allais bien pouvoir faire d'elle. Et te concernant ...» Pauvre fille. « Je ne sais pas si tu es au courant, mais ta sœur ne peut pas te voir en peinture. C'est elle qui veut ton décès. Elle me sera utile, je dois donc la contenter. Au final, il n'y avait qu'une perle dont tout le monde se fichait de la vie ou de la mort.» Cette chère Gabriella. « Et c'est la seule raison pour laquelle je l'ai prise sous mon aile. Je n'aurais jamais choisis spontanément parmi vous toutes cette sirène-là.»

Vanille effleura du bout des doigts l'une des lames pointée sur elle. Sans s'en préoccuper, elle enchaîna « Mais Lastraé a réellement organisé une réunion, aujourd’hui. Elle comptait justement nous faire part de ces décisions. Et elle m'en a confié l'organisation.» Quelle erreur. Mais au fond, Vanille n'avait pas encore décidé du sort qu'elle réserverait à la Reine. « Maintenant … excuse moi, mais trêve de bavardage, j'ai encore beaucoup à faire.» Le rouge se mêla au vert dans les mires de la sirène et Ninon, la tête ballante, se releva pour se propulser sur la Perle Glaciale, la rage au ventre. Et tandis qu'elle se battait, Vanille se concentra sur une autre tâche. Le sang de la défunte ondine se réunis lentement pour s’élever dans les airs et former des pics qui tâchèrent d'aller se planter dans la chair de la Perle. Utiliser toute cette magie allait très certainement l'épuiser, mais cela ne la dérangeait guère, car elle savait que la rencontre prochaine avec Lastraé se déroulerait dans la délicatesse, du moins dans un premier temps, et que la discussion serait privilégiée.