Spoiler:

Un grincement me tira de mon sommeil. J'avais erré dans le cimetière un long moment avant de m'allonger sur l'une des tombes, contemplant le ciel étoilé à partir duquel la plupart de mes supérieurs pouvaient lire le passé, le présent et le futur. Moi je ne voyais qu'une étendue d'étoiles qui scintillaient, comme si leur brillance n'était faite que pour attirer et perdre le cœur des hommes. Mon cœur, en effet, battait pour l'étoile qui selon moi les dépassaient toutes de beaucoup, mais à l'heure actuelle, je n'étais sans doute pas digne d'elle. Mais le jour viendrait où je pourrai la regarder d'égal à égal et ce jour, je l'attendais avec impatience. Oh je sais, je pouvais sembler fou d'aimer une étoile mais mon destin avait été écrit ainsi et même si mon amour était quelque part à sens unique, j'avais foi en lui.

Mon costume était légèrement froissé car dans l'après-midi qui avait précédé cette magnifique nuit, j'avais fait un petit plongeon dans l'océan sans réellement le vouloir. Mais cette histoire était trop longue à raconter et tout ce qui importait c'est que mon apparence semblait encore plus négligée que d'habitude. Mes cheveux avaient séchés tant bien que mal et, pour une fois, je ne portait pas le cache que j'avais normalement sur mon œil gauche. Je ressemblais sans doute à un vampire en cette nuit, on me le disait souvent et, quelque part, peut-être que le hasard des choses me mènerait un jour vers cette race maudite.

En attendant, j'avais quelque chose à faire. La grille du cimetière avait grincé et je savais que je n'étais plus en sécurité. Peut-être était-ce un vampire, ou pire, un démon. Je ne faisais pas confiance à ces êtres, même si je souhaitais n'avoir aucun préjugé. Seulement, avec ces personnes, il valait mieux se méfier un minimum au début. Je me déplaçais donc en faisant le moins de bruit possible afin de voir quelle était la source de ce bruit. Et alors, quelque chose à laquelle je ne m'attendais pas se produisit : une femme était également présente dans le cimetière et, apparemment, elle avait également entendu le bruit. J'arrivais donc derrière elle tel un fantôme puis lui murmura :

« Il semblerait qu'on ait un invité surprise...n'ayez pas peur, je vous veux aucun mal... »

Je ne savais pas si elle m'avait entendu arriver et quelle serait sa réaction mais on avait surement un plus gros problème à régler...

Je regardais l'inconnue une fois qu'elle se fut retournée vers moi. Il ne faisait aucun doute qu'il s'agissait d'une Ombre et j'aurai reconnu cette race d'entre mille car mon étoile en était une. Machinalement, je lui souris, comme si, quelque part, cette jeune femme aux longs cheveux noires et moi-même avions quelque chose en commun, un lien indescriptible qui nous liait tous les deux à elle. Devais-je le lui dire? Non, bien sûr que non, elle m'aurait certainement pris pour un fou et je ne le voulais pas, surtout que nous avions devant nous un réel problème qui était la ou les personnes qui avaient pénétrés dans le cimetière. Cependant, je me pris à observer cette femme à la beauté mortelle. Je me demandais ce qui avait pu causer sa perte, pourquoi s'était-elle suicidée? Elle était pourtant magnifique, ses grands yeux bleus tels des joyaux, sa peau pâle et ses cheveux comme le jais. J'avais toujours aimé les femmes aux cheveux longs et, machinalement, j'eus envie de les toucher, chose que je m'interdis de faire.

La jeune femme émit un son étrange qui me donna une sorte de frisson. Ce bruit ne me fit pas peur mais je ne saurai exprimer explicitement ce que je ressentais alors. Je la laissais faire, l'observant de mes yeux marrons sans rien dire. Le silence régnait jusqu'à ce qu'un corbeau vint se poser sur son épaule. Le corbeau, l'oiseau de la mort. Pourquoi l'appelait-on ainsi? Après tout, s'il ne rôdait autour des champs de bataille c'était uniquement pour ce nourrir. Certes, le langage du rêve voulait qu'un oiseau comme celui-ci aperçut en rêve signifie un mauvais augure mais après tout, malgré sa couleur noire comme les ténèbres, les corbeaux n'étaient pas si effrayant que ça. D'ailleurs, pour certains peuples, les corbeaux faisaient figure de messagers des Dieux ou représentaient l'amour familiale. C'était si étrange de voir comment les traditions pouvaient changer d'une race à l'autre, d'une croyance à l'autre, tout était relatif et c'était ce qui faisait la richesse des terres du Yin et du Yang. Je finis par dire, n'attendant pas de réponse puisque apparemment, ma nouvelle compagne n'était pas très bavarde :

« Vous savez, j'aime beaucoup les corbeaux... »

Mon discours avait l'air un peu idiot, comme si j'étais un enfant qui cherchais à tout prix à se faire des amis. Mais, à vrai dire, je n'avais pas besoin d'amis du moment que mon étoile me portait un regard attentif. Certes, je préférai m'entourer afin que ma vie soit moins monotone, mais en tant que Rehla, j'étais de toute manière condamné à me faire oublier par mes connaissances. Je pensais d'ailleurs à faire évoluer ma condition. J'adorai cette race mais si « elle » devait m'oublier, ce serait terrible pour moi.

Mon attention se reporta sur l'étrange bruit. La nuit était à son comble et bientôt, des bruits de pas se firent entendre dans notre direction, puis d'étrange creusements. Je décidais alors de me rapprocher de la source de ce bruit, surprenant alors un vampire en train de vider de son sang un corps qui semblait aussi fraichement enterré que déterré. Je ne savais pas si Iriacynthe m'avait suivis mais en tout cas, le spectacle n'étais pas ce qu'il y avait de plus propre. Ayant conscience de ma faiblesse je voulus reculer mais le vampire m'entendit, se relevant, du sang lui coulant des babines. D'une voix ironique il dit alors :

« Mais pourquoi se contenter de vieux sang quand on peut avoir du sang frais hein? »

Oui, c'était une bonne question, à laquelle je me serai fait une joie de répondre si je n'étais pas occupé à contempler le cadavre de ce qui semblait être une femme.

Je me demandais vraiment quelle pouvait être l'histoire de la femme qui se trouvait maintenant aux griffes, ou plutôt aux crocs, du vampire. C'est pas que je n'aimais pas cette race encore une fois mais qu'avait pu faire cette femme au ciel pour mériter de mourir à la fleur de l'âge, le corps ensuite vidé de son sang par un être des ténèbres. Je savais bien sur qu'il y avait tout un tas de choses plus injustes les unes que les autres et même si ce n'était pas réellement le moment de réfléchir, je ne pouvais m'en empêcher. Si bien qu'au bout d'un moment, je me sentis tiré en arrière sans pouvoir réagir. Je mis quelques instants avant de m'apercevoir de ce qu'il venait de se passer : ma nouvelle connaissance, cette femme qui ressentait à une poupée, le visage semblable à de la porcelaine, avait à présent deux crocs plantés dans le cou à ma place. Je savais qu'en tant qu'ombre elle ne pouvait pas subir les effets d'une morsure de vampire mais cela avait sans doute dû lui faire mal. Je m'en voulais quelque part car c'était de ma faute si cette situation s'était produite.

Le vampire s'éloigna d'elle, visiblement étonné du manque de sang, un sang qui aurait dû normalement couler dans sa gorge. Et après avoir prononcé des mots qu'il voulait sans doute blessant, il se passa une chose que je n'aurai pas cru possible. Enfin « possible » n'était pas le mot qui convenait mais disons que j'étais loin de me douter que mon inconnue du cimetière se mette à parler. Comme elle n'avait pas ouvert la bouche depuis que je l'avais rencontré, le fait d'entendre sa voix enfin m'étonna. Et je ne fus pas le seul car le vampire la dévisagea un instant, comme s'il ne s'attendait pas à une telle audace de la part de cette femme à l'apparence frêle. Enfin, ça, ce n'était que mon avis, peut-être que de sa vision à lui, elle paraissait aussi solide que la roche mais moi, la voir me donnait envie de la mettre à l'abri. Et je pensais alors que j'étais peut-être un peu ridicule de penser ainsi car les femmes étaient souvent bien plus fortes que les hommes et les apparences, parfois trompeuses.

Le vampire contre-argumenta :

« Peut-être que non mais c'est notre terrain de chasse préféré à nous les vampires...et les personnes qui s'y trouvent ne peuvent que finir en dîner. Pourquoi le défends-tu? Il n'a même pas l'air d'être ton ami... »

Il marqua une pause puis ajouta :

« Et si je le tue, ça te fera du travail. Comme ça on est gagnant tous les deux, qu'est ce que t'en dis? »

Le fait qu'il parle de moi comme si je n'étais pas là ne me plaisait pas trop. Je pouvais comprendre qu'à ses yeux je n'étais qu'une proie de plus, un être insignifiant comme il avait si bien dit à celle à laquelle il proposait maintenant une coopération, mais j'étais tout de même présent et j'avais mon mot à dire, malgré ma faible puissance. Je finis par dire :

« Je crois que tu ne connais rien aux relations entre individus car cette femme est ma femme et je doute qu'elle te laissera boire une seule goûte de mon sang. Oui, on est différent et je n'ai jamais su ce qu'elle a pu me trouver à moi qui suis si faible, mais elle m'aime, je peux te le garantir. Et je te garantie aussi qu'elle est étonnement proche de l'esprit de la mort. Je suppose que tu ne voudrais pas voir débarquer la grande faucheuse ici, si? »

Je le laissais donc réfléchir à ma réplique, ne sachant même pas comment j'avais pu inventer un mensonge en si peu de temps.

Décidément, elle haissait ces créatures. Elles étaient si arrogantes, si impétueuses... Elle aurait tant aimé pouvoir lui donner une leçon, lui qui avait taché sa si jolie robe avec ses mains sanguinolantes... Bon, certes, ses vêtements n'étaient , comme son corps tout entier, que de simples illusions qu'elle pouvait modifier selon ses capacités et ses envies, mais voilà, par principe! Et puis, elle ne pouvait supporter que ces animaux viennent s'emparer de leur terrain de chasse et de laur proies, d'autant plus qu'ils n'avaient pas autant de mérite que les ombres. Non qu'elle remit en cause leur sensualité légendaire mais le fait était que lorsqu'un ou une ombre parvenait à conquérir une âme, elle ou il lui laissait son libre-arbitre alors que les vampires, eux, de gré ou de force, vous "vampirisent" quand ils l'ont décidé. Enfin, tout cela pour dire qu'elle aurait voulu le remettre à sa place, mais qu'elle était encore trop faible pour pouvoir lui tenir tête.

Quant à sa proposition, elle était aussi stupide que lui. Qui ferait confiance à un vampire? Surtout quand le sujet de la promesse était ce qu'il destinait à être sa nourriture?! Et puis, elle ne savait pas pourquoi mais elle avait le sentiment qu'elle devait protéger le jeune inconnu de cette créature. Il était si naïf! Peut-être lui rappelait-il ses jeunes années d'innocence passées à excuser et à rendre bons tout être en disgrâce.

Alors qu'elle était plongée dans ces réflexions, le jeune inconnu prit part au débat sans même y avoir été invité. Quel manque de savoir vivre! Cela était-il un problème à attribuer à la gente masculine? Enfin, son intervention avait cloué le bec au vampire et avait failli la faire rire si les conditions avaient été toute autre. Toutefois, elle allait devoir intervenir et donc prendre une décision sur sa marche à suivre: devrait-elle suivre le profond délire du jeune homme ou inventer un quelque autre moyen de s'en sortir?

Quelques instants de silence s'installèrent à nouveaux, le temps qu'Iriacynthe choisisse la bonne (ou mauvaise) marche à suivre. Puis, elle se rapprocha très lentement du vampire, adoptant une démarche très féminine avec une légère sensualité, son regard prit un fond douceureux, et d'un ton prondément calme et léger, elle dit:

"Il serait peut-être temps pour vous de partir à présent. Il serait regrettable que le jour se lève et que vous soyez toujours là, retenu par quelque indigestion du à ce repas que vous désirez ardemment. Le pauvre garçon n'a plus entièrement toute sa tête comme vous pouvez en juger. Aussi, je serais prête à parier qu'il n'a pas manger ou bu que des aliments sains."

Spoiler:

Je fus étonné de la réaction de l'Ombre. Bon, pour tout avouer, pas tellement car ma version des faits était tout de même peu crédible mais puisque je n'avais plus ma force d'antan, je ne pouvais pas songer à me battre contre ce vampire. De plus, même si je pensais que cette jeune femme était plutôt de mon côté, je ne la connaissais pas réellement, je l'avais juste rencontré par hasard il y avait un instant. Dans tous les cas, vu que l'inconnue voulait me faire passer pour fou, autant que j'en profite pour valider cette théorie, qui ferait surement partir ce suceur de sang. Haussant le ton, je commençais à m'adresser à Iriacynthe comme si j'étais indigné qu'elle me prenne pour insensé :

« Allons mon amour! Ne te souviens de la grande faucheuse? Celle qui t'a prescrit que tu tomberais bientôt enceinte! Mais oui! Celle qui brille dans le firmament! »

J'avais pris une expression totalement démente, faisant de grandes gestes vers le ciel, bougeant dans tous les sens. Puis, je m'arrêtais un instant avant de regarder le vampire avec un oeil nouveau. D'une voix joyeuse, j'entamais alors le second acte de ma folie passagère :

« Maman? Maman c'est toi? »

Le vampire me regardait maintenant avec un air étrange. S'il n'avait rien contre la compagnie de l'Ombre, finalement plutôt alléchante de par bien d'autres aspects que celui du sang, je sentais que je commençais sérieusement à lui faire peur et qu'il doutait de moins en moins de la théorie qui me faisait passer pour un fou. Je m'avançais vers lui, les bras tendus vers lui comme si je souhaitais le prendre dans mes bras. Je risquais gros, je le savais, mais je n'avais qu'une envie, qu'il s'en aille, gêné par ma présence. Finalement, après un regard hésitant, il finit par capituler, murmurant avant de disparaître dans la nuit :

« Les cimetières ne sont plus ce qu'ils étaient... »

J'attendais un peu avant de reprendre une attitude normale, ne revenant pas de la réussite de mon jeu de scène. Je me tournais alors vers la jeune femme qui était là, de nouveau seuls tous les deux dans ce cimetière. Je soupirai, me rappelant d'un vampire que j'avais détesté alors que je n'étais pas encore un Rehla, un vampire qui avait passé bien trop de temps aux côtés de la femme que j'aimais, qui lui avait même volé une partie de son être.

« Les vampires... »

Puis, me reprenant, je tendis une main en signe de bonsoir à l'Ombre, sachant pertinemment qu'il y avait des chances pour qu'elle ne sert jamais ma main. Cependant, je n'avais rien à perdre, non, vraiment rien. Je lui souriais alors, me présentant :

« Bonsoir, je m'appelle Yuki, enchanté. Et vous, qui êtes vous? »

Ma façon de lui demander son nom était peut-être un peu direct mais à quoi bon tergiversé à l'infini? Je n'étais pas d'humeur à me comporter comme un aristocrate qui n'en finis pas des usages et des courbettes. Après tout, je savais très bien que je me trouvais devant une personne qui n'en avait peut-être rien à faire. Les Ombres étaient souvent déprimées, surtout lorsqu'elles commençaient leur parcours. Je ne savais rien de cette femme mais je voulais apprendre à la connaître.

Je regardai la demoiselle partir sans prononcer un mot. Je ne savais pas comment prendre ce manque de savoir vivre mais une chose était sûre : si j'avais été un ange dans un passé plus ou moins proche, je ne l'étais plus. Ainsi, mon comportement d'ange qui m'aurait fait courir après cette inconnue afin de savoir si elle allait bien, si elle souhaitait de l'aide, si elle n'était pas triste toute seule, ce comportement avait disparu. J'estimais que je l'avais assez poussé à communiquer comme cela. Certes, elle m'avait paru sympathique mais à présent, elle me paraissait pas réellement digne d'intérêt, enfin, du moins, tant qu'elle ne se mettrait pas à parler. Je n'était pourtant pas très compliqué comme homme, plutôt indulgent avec ceux que je croisais, sachant accepter les avis qui divergeaient du mien. Mais je n'allais pas m'entêter à essayer de communiquer avec une personne qui refusait de le faire, cela reviendrait au même que de parler à un mur.

Cependant, je n'avais pas réellement envi de passer pour une personne peu courtoise. Si jamais je partais et qu'elle regrettait son geste, je voulais lui laisser de quoi me contacter. Je mis un moment à trouver mon bonheur dans le cimetière. Ce bonheur était représenté par une pierre blanche avec laquelle on pouvait facilement dessiner sur les pierres tombales. M'approchant de la tombe d'une certaine « Monika De Plantani » je m'accroupis afin d'y écrire ces quelques mots à l'adresse de l'Ombre :

« Si vous souhaitez me revoir dans le futur, vous n'aurez cas m'écrire une lettre et penser fort à moi. J'espère que d'ici là, vous aurez retrouvé l'usage de votre langue ».

Regardant mon œuvre qui se voyait plutôt bien, je souris avant de prendre le chemin de la sortie. Je n'avais plus rien à faire ici. Réfléchissant à ce que je pourrai entreprendre à présent, je quittai le cimetière sans plus attendre, me dirigeant vers le manoir de la famille Taiji afin de trouver une mission qui me rendrait ma puissance perdue. J'avais encore beaucoup de chemin à faire avant de retrouver cette dernière mais j'espérai qu'un beau jour, je me sentirai fort comme je l'avais été par le passé, que je me dépasserai même. Mais cela, seul l'avenir nous le dira.