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Je regardai la pièce. C’était ma chambre de nuit, à la différence que l’ambiance était bien plus romantique qu’à l’accoutumé. Des bougies allumées éclairaient les couvertures des livres présents dans les bibliothèques qui tapissaient l’un de mes murs. Sur mon bureau, là où j’écrivais, il y en avait d’autres. La lumière tamisée donnait aux draps une apparence confortable qu’ils n’avaient jamais eu jusqu’ici.

« J’espère que l’épreuve c’est de dormir. »

Je m’étais tourné vers Freyja. Nous n’étions plus que tous les deux et il me paraissait évident que cette mise en scène découlait d’une volonté de la porte de nous tester d’une manière ou d’une autre.

Ma nuit avait été courte mais j’étais certain de ne pas être le seul à n’avoir pas ou peu dormi. Ma promenade avec l’autre Kaahl avait duré longtemps. Nous n’avions presque pas discuté. Ça ne m’avait pas dérangé, surtout que la conversation était vite devenue la dernière de nos préoccupations lorsque nous nous étions arrêtés. J’étais ensuite retourné me laver puis, tard dans la nuit (ou tôt le matin) j’avais retrouvé Kaahl. Il ne dormait pas, comme à son habitude.

L’orage avait éclaté à peu près à ce moment-là mais ne nous avait pas empêché de marcher l’un à côté de l’autre. La conversation avait été bien plus animée, comme le reste. Malgré les années, le sexe était toujours un exutoire pour lui. Lorsqu’il n’allait pas bien, ça s’en ressentait sur sa façon de rechercher le contact et sa manière de bouger, de provoquer et de subir. En d’autres termes, il m’avait épuisé. Je l’avais exténué aussi, pour qu’il dorme et que les choses ne deviennent pas pires entre Freyja et lui. Moins il dormait, plus c’était risqué.

Comme aucun indice ne descendait du plafond, j’enlevai mes chaussures et me jetai sur le matelas. Je me tournai sur le dos et plaçai mes mains derrière ma tête. Bras en équerre, jambes écartées, j’évaluai le confort et affichai un sourire satisfait avant de fermer les yeux.

« Je n’ai jamais trouvé un lit plus confortable que le mien. La Porte est douée pour reproduire les choses. »

Je souris.

« Tu devrais venir dormir avec moi. »

Une idée en amenant une autre, je me mis à rire.

« Dis-moi… Est-ce que toi aussi tu rêves beaucoup de moi ? Parce qu’entre cette histoire de bûche et le fait d’être un chien, je me pose de sérieuses questions. »

Je me remémorai le rêve. Ça m’amusa.

« Tu penses qu’il y a un peuple où les hommes restent coincés dans leur partenaire comme les chiens ? Genre les Goleds ou un truc comme ça… »

Je connaissais sa situation avec Kaahl mais n’avais pas l’intention d’aborder le sujet. Si elle voulait parler, j’étais là pour elle. Si elle préférait penser à autre chose, j’étais là aussi.

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Je souris, les yeux toujours fermés.

« Tu m’en diras tant. »

J’écoutai ses explications et ne pus m’empêcher de rire lorsqu’elle me détailla les espèces susceptibles de rester coincés dans la femelle. Elle était pire que moi.

« Et après c’est moi qui suis indécent hein ? »

Lorsque je sentis le silence peser trop longtemps, j’ouvris un œil, comme pour la surveiller. Quand je fus sûr qu’elle n’était pas en train de pleurer, je le refermai.

« Je l’ai fait aussi celui-là. J’étais motivé et j'ai eu raison de l'être. Tu étais folle de moi. »

Il me paraissait difficile de faire la part des choses entre les rêves que nous avions en commun et les rêves qui n’appartenaient qu’à moi, hormis l’impression de réalité des premiers. Néanmoins, certains songes revêtaient exactement le même caractère, des rêves ou des cauchemars qui marquaient l’esprit à vie. Quand elle évoqué le rêve avec Kaahl, je préférai ne pas m'y attarder. Je l'avais fait aussi.

« Si c’est un rêve, rien ne m’en empêche. »

Je ris et ouvris les yeux.

« Cependant, je ne qualifierais pas notre imagination de fertile. On fait toujours la même chose. »

Coucher ensemble.

« Mais bon, je sais que tu as envie de moi. Quand ta bulle à déni éclatera, on pourra enfin s’amuser. »

Je lui tapotai la tête plusieurs fois et laissai ma main là.

« J’espère juste pour les autres que ce sera dans longtemps. Je ne veux pas me vanter mais… »

Je ris encore, sans finir ma phrase. La suite tombait sous le sens.

Je m’enfonçai un peu plus dans le matelas, comme si j’y cherchais davantage de confort, mes lèvres toujours étirées.

« T’es mon petit pot de colle à moi. »

La déclaration fut suivie d’un bruit féerique. Je tournai la tête sur le côté juste à temps pour voir un cube étincelant apparaître. La poussière dorée disparut progressivement pour laisser place à une boîte. Je me redressai pour l’attraper.

« J’espère qu’il y a plein de jeux coquins dedans. »

Je n’étais pas si loin du compte. Lorsque je l’ouvris, je vis un flacon. Je le pris dans ma main. Le contenu était tiède.

« C’est de l’huile. »

J’attrapai le mot et le lus.

« Les massages détendent les corps et les esprits. »

Je retournai le carton, dans l’espoir qu’il y ait d’autres indices. Rien.

« Bon… On est peut-être dans un rêve en fait. »

Un sourire taquin éclaira mon visage.

« Plus qu’à se déshabiller ! En plus, j’aime bien quand mes partenaires me massent avec leurs seins. »

Je lui tendis ma main pour mettre fin à mes simagrées.

« Tiens. Tu n’as qu’à me masser les doigts. J'ai peur que tu tentes de me violer si je te montre le reste de mon corps. Je suis trop beau. Même l'Apakan voudrait goûter s'il me voyait nu. »

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« J’espère que ce cochon est aussi mignon que moi. »

Je souris à la suite, tout en regardant ma main dans la sienne. L’huile rendait le contact différent, plus sensuel et chaud. Sa peau glissait contre la mienne sans à-coups ni frottements.

« Je suis toujours détendu. Cette épreuve est surtout pour toi si tu veux mon avis. »

Je profitai du silence pour l’observer tout en réduisant mon sens du toucher. J’aurais pu dégrader ma vue également mais je décidai de passer outre. Je pouvais me concentrer sur son visage et non sur les gestes de ses doigts sur ma main. Sur ses traits, je vis l’ombre de ses problèmes. Elle pensait encore à Kaahl. Ça se voyait toujours. Je ne dis rien et ne dirais rien jusqu’à ce qu’elle en parle.

« J’en sais rien. On verra bien. »

Je n’aimais pas faire des hypothèses. Je préférais laisser les événements se dérouler et aviser une fois qu’ils se produisaient.

« Je ne crains pas grand-chose. C’est toi qui as des ailes blanches. »

Mes iris rejoignirent mes doigts lorsqu’elle parla de la bague. Après l’avoir écoutée, je lui confisquai ma main pour la placer à l’abris derrière ma tête. Elle avait raison, je n’avais pas remis l’artefact depuis longtemps. Je n’aimais pas ce que j’étais quand je le plaçais autour de mon doigt. Je perdais mon lien avec la Luxure et avec toutes les facilités que la vie de Déchu apportait. Je ne pouvais plus contrôler mes sens ni même utiliser la magie. Tout était plus risqué et ma libido chutait drastiquement. C’était comme si le monde devenait fade et, moi, parfaitement limité. Je ne pouvais plus voler, ni rien de cet ordre. J’étais bloqué dans une horizontalité morne, obligé de marcher, gravir, descendre… Aucun raccourci. Si la bague n’avait pas tendance à rester coincée, je l’aurais enfilée pour lui faire plaisir. Comme elle n’en faisait qu’à sa tête, je n’avais pas envie de tenter.

« Et si tu l’enfilais, toi ? »

Je retirai ma main de derrière ma tête et la fis apparaître dans sa paume. Je la lui tendis et ris.  

« Comme ça tu sauras ce que ça fait d’être une pestiférée inutile et fragile. »

Je me redressai et la regardai. Elle ne pourrait plus utiliser le Sanctuaire d’Ahena pour se calmer non plus. Sa magie angélique mourrait. Elle arrêterait de la protéger et d’encadrer sa vie dans l’étau strict de l’amour et de toutes ces valeurs stupides. Enfin, elle se retrouverait seule face à elle-même, à une partie d’elle complètement nue d’artifices.

« Et puis tu pourrais me masser le reste sans que j’aie peur que la vue de mon corps te déchoie comme ça, um ? »

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Je regardai sa main un instant sans bouger. La mienne la rejoignit ensuite. Mes doigts caressèrent sa paume pour mieux la guider dans le sens qui faciliterait mon prochain geste. Ils se lièrent enfin aux siens. Mes yeux remontèrent sur elle.

« Si c’est ce que tu veux alors tu devrais le lui dire, oui. Seulement si c’est ce que tu veux. »

Je lui souris, un air plus sérieux sur le visage.

« Je viens d’une race peuplée d’insatisfaits. Les Envieux veulent toujours ce que les autres ont. Les Gourmands sont incapables de s’arrêter. Tous ces individus doivent apprendre à vivre ainsi, avec le malheur et la souffrance profondément ancrés en eux. On est loin des histoires que les peuples plus naïfs se racontent sur ce que doit être une vie parfaite, emplie de bonheur. Seulement, je pense que les Déchus sont plus aptes que les autres à savoir ce qu’ils désirent réellement dans la vie une fois les premiers temps passés. La contrainte subie les libère ensuite. »

Je me tus un instant, le temps de réfléchir à comment lui faire comprendre mon point.

« Dans mon cas, ma liberté compte plus que le reste : plus que l’amour, plus que l’argent, plus que tout. Il s’agit de ce que j’ai choisi de prioriser et rien n’y personne ne pourra m’en priver. Je préférerais mourir. Je veux être libre de mes choix. Cela implique que je veux pouvoir aimer qui je veux sans contrainte. Kaahl le sait. Et il sait aussi que s’il tente de me détourner de mes choix, je préférerais souffrir de ne plus le voir plutôt que de lui concéder ma liberté. Il s’adapte parce qu’il n’a pas le choix. Il en a conscience, comme j’ai conscience qu’il priorisera toujours ses obligations politiques à moi. C’est sa raison de vivre, certainement pas moi, ni même ses enfants, même s’il les aime. »

Pourtant, il avait fait des concessions pour elle à Amestris. Y penser m’arracha un sourire. Il avait commis une erreur de mon point de vue. Il avait voulu se persuader qu'elle était plus importante que ce qu'il avait construit toute sa vie durant. Ce n'était pas le cas et la dissension créée par ses actions devait le faire souffrir bien plus que les coucheries de Freyja et de Jun. Pour moi, il se servait de la tromperie comme d'une excuse. Le vrai malaise était ailleurs.  

Je lâchai sa main.

« Tout ça pour dire que c’est à toi de choisir ta priorité dans la vie. Si c’est lui, il passera avant ton propre bonheur. Si c’est le bonheur, Kaahl passera après. Et si pour être heureuse tu dois le quitter, alors tu devras le faire. Mais personne n’a la réponse. Toi seule l’a. Et je suis sûr qu’au fond, tu la connais déjà. »

Je lui montrai l’anneau.

« Je consentirai à la mettre si je peux te masser en entier. Je serai irréprochable. Aucune de mes mains ne s’égarera, promis. Et ne joue pas la pudique. On sait tous les deux que tu adores te promener le cul à l’air. Tes parents me l'ont dit et je l'ai constaté moi-même. »

Je souris, taquin mais déterminé.

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Je l’écoutai. Je savais ce qu’il lui avait dit. Je pouvais aussi aisément deviner pourquoi il le lui avait dit. Il avait choisi ses mots parce qu’il était ainsi. Lorsqu’il décidait de faire mal, il le faisait bien. Les failles de ceux qui l’entouraient étaient autant d’armes à retourner contre eux. Les Sorciers étaient ainsi, cruels et fourbes. Je ne dis pourtant rien. Elle avait raison. C’était plus facile pour lui de m’aimer. Il n’avait jamais reçu d’éducation allant dans le sens d’un amour entre hommes. La toile était vierge. Passés l’interdit et la répugnance, tout était à construire. Tout et rien à la fois. Jamais nous ne nous marierions en dehors de Maggie. Jamais nous ne fonderions une famille. Il ne m’exhiberait jamais au monde entier et je ne l’accompagnerais jamais à un bal. C’était plus facile.

J’acquiesçai lorsqu’elle parla de l’enfant. Il me l’avait dit d’une voix blanche. Au fond, ils faisaient la même chose, d’une manière différente. Alors que Kaahl ordonnait à sa magie de le maintenir dans un état neutre qui le rendait glacial, Freyja s’en servait pour étouffer ses émotions et aller mieux. Ni l’un ni l’autre n’avaient un comportement sain vis-à-vis de leur ressenti.

« Et moi je suis désolé pour la perte de l’enfant. »

En les observant tous les deux, j’avais l’impression que ce qui aurait pu être simple était devenu compliqué. C’était peut-être trop tard. Je l’ignorais. Ce n’était de toute façon pas à moi de m’en mêler. Je refusais de jouer les entremetteurs. Ce n’était pas mon rôle. Mon rôle était de les écouter et d’être là pour eux. Comme durant la nuit. Comme maintenant.

« En tout cas, moi je suis heureux de t’avoir rencontrée. Tu me poses des problèmes parfois, comme quand tu vides mon pot de glace préférée, mais ça ne me dérange pas. »

J’amenai ma main libre sous son menton pour la forcer à me regarder.

« Et puis je sais que tu ne pourras jamais détruire ma vie. Les Anges ne sont pas bons à ce jeu-là. »

Je lui souris. Je ne pouvais pas lui promettre que sa situation avec Kaahl s’améliorerait. Je ne me considérais pas comme son ami, un ami qui espérerait avec elle et irait jusqu’à mentir pour lui redonner espoir. Je comprenais sa vision des choses, comme je comprenais celle du Sorcier. J’étais convaincu que chacun avait en partie raison, sur son échelle de valeur. Ce qui était bien ou mal n’importait pas dans ce genre de cas. Chacun avait ses démons, ses défauts et incompréhensions. Chacun marchait vers son salut ou vers sa perte. Je n’y pouvais rien. Je n’étais pas un sauveur, encore moins un héros.

Doucement, je fis glisser l’anneau à mon doigt. La sensation qui s’en suivit me fit froncer les sourcils. C’était désagréable au possible, tellement que je devins pâle. La perte de magie me donna la sensation de perdre de la force, en plus de me donner la nausée.

« Au moins, je suis déjà allongé. »

Je ressentis le Lien, derrière le malaise.  

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