Un carillon tintinnabula à la seconde où Jämiel pénétra la boutique du bijoutier. Il s'écoula quelques secondes avant que l'artisan ne se présente.
« Ah, c'est vous. Vous n'avez pas traîné pour venir récupérer votre bien. » ricana-t-il en abandonnant à nouveau le comptoir pour retrouver l'atelier.
« C'était un agréable défi ce que vous m'avez donné à faire. ». Le Nerethi écoutait d'une oreille distraite les paroles du joailler, observant simplement les créations présentées dans la boutique en attendant que celui-ci lui ramène son dû.
« Ce n'est pas souvent que j'ai l'occasion de travailler de l'ambre provenant de Tawaradan. Celle-ci est d'une excellente qualité cela étant. » continua-t-il de sa voix rocailleuse en revenant, un écrin en main s'attirant enfin la pleine attention de Jämiel.
« Voici. Sûrement l'une de mes plus belles pièces. ». En gage de qualité, l'homme découvrit son ouvrage, laissant à son cadet le soin d'inspecter le travail. D'un geste délicat, l'Arcesi se saisit du bijou. Il était étonnamment léger.
« Vous ne m'avez pas mis du toc j'espère. » -
« Pour perdre ma réputation ? Seul un fou s'amuserait à mettre en péril le peu que lui permet d'avoir Mornhîngardh. ». Malgré la réponse, il ne paraissait pas vexé de la remarque. Ça avait même l'air de l'amuser.
« Sertir un Anoraë n'est pas rien. Vous ne seriez pas venu me voir si vous craigniez réellement que je ne m'applique pas dessus. ». C'était vrai. Jämiel s'était longuement renseigné avant de décider entre quelles mains il confierait son Anoraë. Alors il reprit son inspection. L'or était finement ciselé. Un liseré transparent suivait les courbes du bijou comme un ruisseau dans le lit de la plaine jusqu'à se jeter dans le lac à son extrémité — l'Anoraë.
« Alors ? ». Le ton se faisait impatient. Une réussite avait valeur de fortune à Drosera ces temps-ci. En silence, Jämiel glissa le bijou sur son oreille. C'était froid. Étrange. Il n'avait jamais porté ce genre de bijou avant. Ils étaient soit bien trop chers, soit de bien trop mauvaise qualité. La sensation lui était donc nouvelle. Son index glissa le long de l'ornement. Enfin son regard se posa sur l'artisan, un sourire satisfait esquissant ses lèvres.
« C'est parfait. ». Cette fois ce fut le joailler qui eut un large sourire ravi.
Jämiel jeta un œil par la fenêtre, embrassant l'ensemble de Mornhîngardh du regard. Le Plateau s'était vidé petit à petit. Aujourd'hui ne restaient que les retardataires, ceux qui avaient repoussé au plus la date de leur départ. Jämiel avait fait partie de ceux-là, non par désespoir mais simplement le temps de passer sous le regard de Dothasi. À présent il était prêt à partir, ainsi le montrait l'appartement à moitié vidé.
« Ça doit être difficile pour toi, non ? ». Le concerné se tourna vers Nóirín.
« Pourquoi ? » -
« Je ne sais pas. Entre le départ de Bellone qui s'est fait en même temps que notre expulsion de Drosera, je me suis dit qu'il y avait de quoi ne pas être serein. ». Le Nerethi marqua un temps. Curieusement il se sentait plutôt bien en fait. Il avait eu une discussion avec Bellone permettant une séparation plus simple à supporter. Quant à cet exil, cela faisait près d'un mois qu'il s'y préparait.
« Non. Ça peut être étonnant mais non, je ne suis ni inquiet, ni ennuyé, ni en colère. » répondit-il en contemplant l'extérieur, plus particulièrement la population restante. Un rictus étira la commissure de ses lèvres. En fait, il n'avait peut-être jamais été aussi bien.
« Bien sûr que ce n'est pas agréable d'être poussé dehors. Cependant c'est tout Drosera qui est touché par cette nouvelle politique et je suis persuadé qu'il y en a pour qui ce départ sera plus déprimant et difficile à vivre. » ajouta-t-il en levant les yeux vers les hauteurs de la Majestueuse. Il ressentait une satisfaction profonde à imaginer les Nerethi des plateaux supérieurs, tout juste diplômé comme lui, être mis à la porte sans différence de traitement. Il avait des noms en tête qu'il se ferait un plaisir d'aller saluer.
« Avec cette histoire la date de notre mariage s'en trouve à nouveau repoussée. » soupira la Déléis en se rapprochant, ne souhaitant pas s'attarder sur cette rétrogradation qui, elle, la blasait.
« Ce n'est qu'une formalité ça. ». Elle leva les yeux sur Jämiel, de plus en plus surprise par ses réactions.
« Pas que... C'est surtout une permission. » s'exaspéra-t-elle avec une moue en enlaçant la main de son promis. Ce fut à Jämiel de la détailler, curieux de ce qu'elle entendait par là. Il lui fallut quelques secondes avant que le sous-entendu ne fasse sa route jusqu'à son cerveau, un "oh" silencieux marquant la révélation. D'une main il tourna le visage de la brune pour sceller ses lèvres aux siennes.
« Mieux vaut demander pardon que permission, surtout chez nous. » lui souffla-t-il avant de la repousser pour la faire basculer sur le divan.
« Il n'y aura même rien à dire si personne ne sait. » ajouta-t-il avant de l'embrasser à nouveau.
D'une main distraite, Jämiel jouait avec les mèches sauvages de sa fiancée. Elle, dessinait des cercles concentriques dans le creux de sa main libre.
« Nous aurions dû le faire avant. » souffla-t-elle, sourire aux lèvres. Elle avait à plusieurs reprises imaginé ce moment. Ce contact. Cette sensation. Elle avait été contrainte à taire le désir et n'avait pas été la seule.
« Pourquoi que maintenant ? » -
« Le moment était propice. Plus personne n'est là pour surveiller les autres de près. Chacun s'occupe de soi-même trop désespéré de devoir partir. » -
« Et pourtant, toi, on dirait que ça t'enchante. » fit remarquer la brune sur un ton critique.
« Ce qui m'enchante c'est de voir qu'il n'y a pas de favoritisme et, que l'on porte le nom de Balvarrian ou non, la sentence est la même pour tous les concernés. » expliqua le Nerethi, non sans amusement, ce à quoi Nóirín répondit par une courte onomatopée.
« Il va falloir que tu m'expliques comment tu fais pour prendre tout cela de façon si détachée... » soupira-t-elle.
« Nous étions déjà au plus bas. Là ils nous mettent à la porte comme des malpropres. À croire que nous les indisposons plus que les Näg. ». Jämiel ne répondit pas de suite, formulant mentalement le cheminement qui l'avait mené à cette tranquillité afin de le lui exposer clairement.
« Je te l'ai dit. L'ordonnance concerne tous les Alfars n'ayant pas fait leurs preuves. » -
« Et ? » -
« Je ne suis pas persuadé qu'il y ait beaucoup de Sarethi ou de Nerethi tout juste sorti de leurs études qui aient pu effectuer un fait marquant, y compris sur les Plateaux Supérieurs. » -
« Mais toi tu as quand même participé à une Coupe des Nations. » -
« Où j'ai fini deuxième. » -
« Et la Coupe des Huit alors ? » -
« Deuxième également, je te remercie de ton soutien. » fit-il plus amer avant de reprendre après un soupir.
« J'ai eu l'occasion d'échanger avec quelques Kahana à Thelas. ». Cette introduction interpella la brune. Où était le rapport ?
« À l'une d'elles je lui ai expliqué l'unique avantage de Mornhîngardh : nous sommes au plus bas de l'échelle hiérarchique. » -
« Tu vois ça comme un avantage toi ? » grimaça la Nerethi.
« Parce que la seule direction que nous pouvons prendre c'est celle du sommet. Et parce que la route est étroite le moyen le plus simple de quitter Mornhîngardh est de s'allier avec des personnes de confiance. ». La main de Nóirín se resserra sur celle de son promis, se sentant particulièrement concernée par ces derniers mots.
« Plus haute est la marche, plus rude est la chute. Les alliances qu'ils créent là-haut ne sont que de la poudre aux yeux. Ceux des plateaux supérieurs considéraient leur place acquise. Leur parcours n'était qu'une partie de dames où ils n'avaient qu'à se trouver au bon endroit pour éviter de se faire évincer et remporter la partie. Or, pour quitter Mornhîngardh, c'est une véritable partie d'échecs qu'il faut lancer. La décision de l'Amarante a renversé leur plateau de jeu. Tout doit être repris depuis le début. À nous, elle nous a seulement pris une pièce. Importante certes, mais pas nécessaire pour faire tomber le roi à terme. Tout ce que nous avons à faire, c'est adapter notre stratégie. ». Il s'arrêta en voyant Nóirín sourire, son regard ancré dans le sien.
« Qu'est-ce qu'il y a ? » -
« Cela faisait longtemps que je ne t'avais pas vu déterminé ainsi. Ça me manquait. » admit-elle en dessinant de l'index la mâchoire de l'Arcesi. Déterminé était un euphémisme. Il n'avait jamais été aussi motivé qu'aujourd'hui.
« Alors ? Tu as une idée de ce que va être cette nouvelle stratégie ? ». Un temps ponctua la question de Nóirín avant qu'elle obtienne une réponse.
« Pour l'instant nous allons continuer comme nous étions lancés. ». La Déléis leva les yeux, en proie à la recherche d'explications.
« Que ce soit à Drosera ou en dehors, les moyens pour gagner en réputation restent les mêmes. Les hauts faits nécessaires pour revenir suivront naturellement. » -
« J'ai hâte. » commenta la Nerethi après quelques secondes muettes. Jämiel posa un œil sur celle-ci. L'ambition brillait dans ses yeux comme jamais. Il ne put ainsi retenir un sourire satisfait. Il y a longtemps, leurs idées et leurs façons de penser s'étaient désaccordées l'une de l'autre. Ils cherchaient constamment à se caler sur le tempo de l'autre mais le résultat était toujours imparfait. Aujourd'hui, enfin, leurs esprits fonctionnaient à nouveau de concert, vibrant sur une même note obscure.
« Alors on continue comme ça. » -
« On continue comme ça. » confirma Jämiel.
« Et pour Bellone ? ». Ce dernier se pinça la lèvre à la mention de l'Orine.
« Elle a besoin de se retrouver avec elle-même. Drosera n'est pas propice à cela et les messes basses propres à notre race encore moins. ». C'était la conclusion qu'il avait eue suite à leurs échanges.
« Je ne peux pas la forcer à rester ou à venir avec nous. Ça ne ferait qu'empirer la situation. ». Un sourire éclaira finalement son visage.
« Lorsqu'elle aura guéri ses blessures et ses traumatismes, elle sera la plus brillante des Orines, j'en suis persuadé. » -
« Ça me rendrait presque jalouse de t'entendre parler d'elle ainsi. » rit Nóirín. Elle l'avait déjà été par le passé. Elle avait manqué de maturité à cette époque, elle s'en rendait compte maintenant.
« Lorsque ce jour viendra, rien ne pourra plus nous arrêter. » souffla-t-elle déterminée en remontant l'index jusqu'à la pierre transparente qui brillait dans le bijou à l'oreille de son promis. Il avait raison. Il l'avait convaincu. La roue avait tournée à l'avantage des délaissés de Mornhîngardh. Ne restait qu'à eux de se saisir de cette opportunité à pleines mains. Un rictus marqua la commissure de ses lèvres comme son regard s'attardait sur l'Anoraë de Jämiel, tandis qu'elle songeait que ses dernières pensées, alignées sur celle de l'Arcesi, pouvaient ne pas être totalement dénuéee de suggestion. Le pouvoir du Lys Noir, bien maîtrisé, pouvait se montrer terrifiant.
ASHLING POUR 
