Collision sur le lac

Musique

La langue de Léopoldine était sortie de sa bouche pour se positionner sur sa lèvre supérieure. Ce phénomène se produisait à chaque fois qu’elle était concentrée. De loin, voir une tout juste adolescente ramer sur le Lac Bleu paraissait anodin mais, pour elle, il s’agissait d’un véritable défi. Elle ne savait pas nager. Ainsi, si son ublys d’entraînement se renversait, elle passerait par-dessus bord et se noierait probablement. Inconsciente ? Certainement. La peur lui aurait scié l’estomac si elle avait été dotée d’un peu plus de jugeotte. Or, ce n’était pas le cas. La des Cloches ne mesurait pas véritablement la dangerosité de sa situation – bien qu’un Magicien lui fût irrémédiablement venu en aide, vu la zone dans laquelle elle se trouvait. Ce n'était pourtant pas comme si l'Humaine ne connaissait pas la mort. En effet, les femmes mouraient souvent en couche dans son Royaume. Beaucoup d’enfants en bas âge ne survivaient pas plus de deux saisons froides. Elle aurait dû être plus au fait de ce que la mort impliquait. Malheureusement, elle était toujours pleinement innocente. Les trépassés lui paraissaient trop loin car, bien que ses parents ne fussent pas riches, aucun membre de sa famille n’avait souffert de la faim ou du froid. Le commerce de cloches rapportait assez pour vivre décemment.

Au fur et à mesure de ses mouvements, les bras de Léopoldine la tiraient. C’était d’ailleurs la raison de cette langue sortie, comme pour donner plus de courage et de force à sa propriétaire. Au fur et à mesure des rotations, il semblait pourtant à la rouquine qu’elle ne serait bientôt plus capable de rien faire. Vaincue, elle arrêta de bouger. Néanmoins, l’une de ses rames plongea dans l’eau et fit dériver le bateau. « Ooohhhhh non aaaaa… » commença-t-elle, en se rendant compte de la rotation de son embarcation. Dans son champ de vision ne tarda pas à apparaître un autre ublys. L’Humaine tenta de se lever – mauvaise idée – avant le choc, comme si cela suffirait à mettre la scène entière sur pause. Inéluctablement, la collision eut lieu. Si elle ne fut pas forte, elle le fut assez pour envoyer le corps de Léopoldine heurter la base du canoë. Fesses en premier, elle fut projetée par terre comme si un sac de patates venait de lui tomber dessus. « Outch ! » laissa-t-elle échapper d’entre ses lèvres. Elle resta hébétée un certain temps avant de se rappeler qu’une personne se trouvait dans l’autre ublys. Elle releva la tête, en quête de celle-ci. « Ohé ? Est-ce que tout va bien ? » Heureusement, dès que sa grand-mère avait su qu’elle irait probablement à Basphel, elle avait eu à cœur de lui apprendre les notions de base du langage commun.

436 mots

Collision sur le lac

Will.I.Am - Bang Bang

Le soleil caressait ma tête de ses rayons. Si je fermais les yeux, je me garantissais une sieste d'une excellente qualité, mais l'environnement ne m'inspirait nullement la détente. J'étais cerné par le danger. Où que je regarde, des flots au fond indiscernable et à l'apparence - faussement trompeuse, on ne me la faisait pas à moi - menaçaient à chaque balancier d'avaler notre Ublys. Je surveillais notre progression, cramponné au minuscule morceau de bois qui servait de banc, l'échine hérissée de ces ridicules petits poils transparents aussi inutiles que du duvet.

« Tu ne vas pas ramer ? » souffla Amélia, la voix tendue par l'effort. Je lui décochai un coup d'œil qui manquait de compassion, à peine surpris par la stupidité de sa question. L'évidence n'avait jamais beaucoup étouffé les bipèdes, ça demandait un minimum d'éducation, chose que Basphel réussissait avec plus ou moins de succès à leur inculquer. Je ne pris pas la peine de lui répondre. À défaut d'une cervelle fonctionnelle, il suffisait d'avoir des yeux pour comprendre que je n'empoignerai pas une seule de ces rames pour m'abaisser à cette ignoble tâche que celle de faire bouger ce grossier bout de bois.

Nous n'étions pas seuls sur le lac, et ce qui n'était pas un danger le devint quand la forme fuselée d'un autre Ublys se rapprocha de nous. À son bord, une petite chose manœuvrait avec une absence d'adresse inquiétante. En toute bonne foi, j'estimais que même moi, je m'en sortirai mieux que ça si je décidai de me plier à l'exercice. « Regarde où tu vas ! » m'agaçai-je, commençant à paniquer en voyant qu'elle ne contrôlait absolument rien. « Amélia, évite-moi ce truc ! » éructai-je juste avant que nos Ublys se percutent. Mes dents claquèrent sous le choc, manquant de peu de sectionner ma langue. Dans un pur élan instinctif, je me jetai dans les bras de ma coéquipière et labourai sauvagement ses épaules avec mes griffes. Elle étouffa un cri et se débattit tant bien que mal. « Mais lâche-moi ! Non ! Les rames ! » J'ignorai les pales en bois qui s'éloignaient de nous en flottant après avoir glissé des mains de la rameuse et dardai sur la maladroite navigatrice un regard furibond à sa question. « Idiote ! Tu as failli nous tuer ! » feulai-je en direction de la gamine. « Comment on va faire maintenant... » se lamenta Amélia. « On va devoir nager. » « Hors de question. » rétorquai-je du tac au tac. « Ah ouais ? Et tu comptes revenir au bord comment, gros fainéant ? » Gros ?! Je me redressai de tout mon haut avec toute la confiance que je pus amasser compte tenu de l'Ublys qui tanguait sous nos mouvements conjoints. « Tu fais ce que tu veux, moi je ne nagerai pas. » Et jamais je n'avouerai que la raison était simplement que je ne savais pas nager. Le nez en l'air, je me penchai au dessus de l'eau et attrapai l'Ublys de la rouquine pour coller nos deux embarcations. Aussi dignement que possible, je fis passer une jambe tremblante, puis l'autre et parvint à me transférer dans l'autre Ublys. Là, je m'installai en tailleur, croisai les bras et la regardai de haut, un sourcil relevé. « Allez, qu'est-ce que tu attends ? » la houspillai-je.

566 mots

Collision sur le lac

Musique

Léopoldine s’aperçut qu’il n’y avait pas une mais deux personnes dans l’ublys. La bouche de l’Humaine se déforma en une grimace mi-désolée mi-« ça craint » lorsque les voix s’élevèrent. Si elle avait su nager, elle aurait probablement fini par éclater de rire devant le spectacle. Néanmoins, elle n’était pas tranquille et l’hilarité ne vient pas totalement, d’autant plus lorsque le garçon – qui était plus âgé qu’elle – l’accusa d’avoir failli les tuer. Une analyse de la situation lui confirma qu’il exagérait mais elle ne se sentit pas le courage de le contredire. D’un côté, elle était réellement désolée. De l’autre, il ne devait pas pousser sa chance trop loin parce qu’elle n’était pas prête à s’aplatir comme un paillasson sous une grosse cloche. « Eh mais… ! » fit-elle, lorsqu’elle vit l’adolescent s’emparer de son ublys pour le rapprocher du sien. « Qu’est-ce que tu fais ? » demanda-t-elle, sa voix tremblotant à cause des mouvements de l’embarcation. Là encore, si elle avait été pleinement sécurisée, elle aurait certainement rigolé en voyant ce gros patapouf passer d’une barque à une autre. À la place, sa tête ressemblait à celle de la personne hébétée par excellence. Elle resta les bras balans un certain temps avant de vraiment le regarder en détails. « Oh ! » Ce garçon avait des oreilles semblables à celles des chats. Elle avait passé beaucoup de temps avec un matou roux qui venait toujours lui quémander de la nourriture. Elle lui en donnait toujours un peu – malgré les recommandations de ses parents de ne pas le faire – et le caressait pendant qu’il mangeait. Le fait qu’il levât son popotin dès qu’elle arrivait au bas de son dos la faisait toujours rire. En parlant de queue, lui aussi en avait une.

L’Humaine finit par s’approcher de lui en tentant de ne pas tomber à l’eau. Elle s’accroupit devant ses jambes pliées en tailleur et l’observa. Là, un grand sourire apparut sur ses lèvres. Ses yeux en semblèrent briller davantage. « T’es un miaou ? » lui demanda-t-elle, visiblement amusée. Elle avança sa main vers lui et lui fit des gratouilles sous le menton avec ses petits doigts avant de les aventurer sur sa tête. Elle toucha ses oreilles avec naturel, comme s’il était surtout un chat et non un homme. Elle semblait avoir totalement oublié à quel point il s’était montré virulent. « J’aime bien ta queue. » Elle finit par se laisser tomber sur les fesses à son tour. L’ublys tangua légèrement. Elle tendit l’un de ses bras vers une boite et l’ouvrit pour découvrir des biscuits. « Tu veux un morceau de ma collation ? » proposa-t-elle, alors que le bateau suivait le faible courant du lac à sa guise. « Il fait beau en plus. » C’était dommage de ne faire que ramer. « C’est quoi ton petit nom ? »

473 mots

Collision sur le lac

Will.I.Am - Bang Bang

Cette fille n'avait vraiment pas l'air dégourdie. Le fait qu'elle soit une enfant n'excusait rien et je la jugeai dans un silence que j'imaginais impérial en attendant qu'elle daigne mettre un peu de sueur sur son front en ramant pour nous ramener sains et sauf à la berge. Je baissai les yeux et les plissai alors qu'elle s'approchait. « Pas un miaou. Un chat, s'il te plaît. Je suis un Eversha, plus précisément. » lui appris-je sur un ton supérieur qui fondit comme neige au soleil dès que je sentis ses doigts courir sur mes attributs. Mes oreilles s'agitèrent sous l'effleurement qui les chatouillait. Je n'aimais pas trop qu'on les touche mais heureusement pour elle, elle les délaissa pour se concentrer sur une zone bien plus agréable. Un ronronnement m'échappa et je tendis le menton, les yeux mi-clos, pour lui en faciliter l'accès. Elle était bien plus douée pour les câlins que pour manœuvrer son embarcation.

« Mmh... » fis-je, rendu complètement docile. Les caresses, il n'y avait vraiment rien de mieux. Tous les bipèdes n'étaient pas capables d'en fournir. Pour commencer, j'avais rapidement compris que tous les élèves à Basphel n'appréciait pas les animaux et j'évitais ceux qui donnaient l'impression qu'ils allaient me chasser à coups de pied. Chez papa et maman, c'était pareil, il y en avait qui n'aimaient pas beaucoup me voir traîner dans le coin. Heureusement, la majorité était comme cette fille et je satisfaisais mon quota nécessaire d'attention sans avoir besoin de fournir beaucoup d'efforts. J'étais relativement heureux à Basphel, si j'omettais tous les cours où j'étais forcé de me rendre.

Quand la rouquine cessa, trop tôt, ses câlineries, je fronçai les sourcils, mécontent. Sauf erreur de ma part, je ne l'avais pas autorisée à arrêter. Je décidai de mettre mes doléances de côté en sentant l'odeur de nourriture. J'approchai une main pour attraper un biscuit. Précautionneusement, je l'examinai, le reniflai sous toutes les coutures, y donnai un coup de langue. Je ne mangeai pas n'importe quoi et surtout, j'avais été nourri aux merveilleux goûters de Mamie Bella. Je jetai le biscuit à l'eau d'un geste négligent puis me laissai basculer en avant de tout mon long de sorte à m'étendre sur la fille. Je ronronnai profondément et mes griffes s'enfoncèrent sans méchanceté dans ses cuisses. « Eden. » Je levai sur elle mes yeux les plus humides. « Caresse-moi encore. »

434 mots

Je ne suis pas entièrement certaine qu'il ne faille pas appeler la brigade anti-pédo.